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QUESTION 684 - Un projet truqué?
Posée par Jean-Pierre LAFFORT [L'organisme que vous représentez (option)], (TOULON), le 10/12/2013

Description * Quand on s'intéresse à l'historique du projet CIGéo on voit tout de suite que tout est truqué. Il y a une volonté délibérée d'aboutir à l'enfouissement. On a mis beaucoup d'argent dans la solution de l'enfouissement. On n'a pas fait grand chose pour étudier la transformation des déchets, ni le stockage pérenne en surface. On n'a pas fait grand chose pour concevoir des casemates de surface ou sub-surface qui dureraient des siècles. Pourquoi privilégier l'enfouissement ? Comment faire confiance en la Terre dont on connaît un peu le passé, mais dont on est incapable de prévoir le comportement ni dans le court terme ni dans le très long terme?

Réponse du 30/01/2014,

Réponse apportée par l’Andra, maître d’ouvrage :

Concernant vos questions relatives aux autres axes de recherche

Dans le cadre du programme de recherches mis en place par le Parlement en 1991, plus de 1,3 milliards d’euros ont été consacrés aux recherches sur la séparation/transmutation des déchets et l’entreposage de longue durée, en surface et en sub-surface selon les données fournies par le CEA.
La séparation/transmutation ne supprime pas la nécessité d’un stockage profond car elle ne serait applicable qu’à certains radionucléides contenus dans les déchets (ceux de la famille de l’uranium, appelés les actinides mineurs). Par ailleurs, les installations nucléaires nécessaires à la mise en œuvre d’une telle technique produiraient des déchets qui nécessiteraient aussi d’être stockés en profondeur pour des raisons de sûreté.

Le compte rendu du débat public de 2005 avait fait émerger deux options. L’une de ces options retenait le stockage géologique comme solution en tenant compte de l’exigence de réversibilité. L’autre option consistait à mettre en place un double programme d’essais in situ, l’un à Bure pour le stockage géologique, l’autre sur un site à déterminer pour l’entreposage de longue durée, et à renvoyer la décision autour de 2020.

Dans son avis du 1er février 2006, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a toutefois estimé qu’il ne serait pas raisonnable de retenir comme solution de référence la solution consistant à renouveler plusieurs fois un entreposage de longue durée, car elle suppose le maintien d’un contrôle de la part de la société et la reprise des déchets par les générations futures, ce qui semble difficile à garantir sur des périodes de plusieurs centaines d’années. Dans ces conditions, l’ASN a considéré que l’entreposage de longue durée ne peut pas constituer une solution définitive pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue. L’ASN a estimé au contraire que des résultats majeurs relatifs à la faisabilité et à la sûreté d’un stockage ont été acquis sur le site étudié par l’Andra en Meuse/Haute-Marne.

Dans le cadre de la loi de programme du 28 juin 2006, le Parlement a fait le choix de la solution du stockage profond pour mettre en sécurité définitive les déchets les plus radioactifs. Il est en effet de la responsabilité des générations actuelles de proposer une solution pour mettre en sécurité de manière définitive ces déchets et ne pas reporter leur charge sur les générations futures en misant sur le fait qu’elles trouveront peut-être d’autres solutions. En effet, personne ne peut garantir aujourd’hui que d’autres solutions émergeront dans le futur, ni que ces hypothétiques alternatives présenteraient les mêmes performances de sûreté à long terme que le stockage. Les solutions d’entreposage, qu’elles soient en surface ou à faible profondeur, ne peuvent assurer le confinement à long terme de la radioactivité. Le Parlement a demandé que le stockage soit réversible pendant au moins 100 ans pour laisser des choix aux générations suivantes. Cela leur permettra notamment de faire évoluer cette solution si elles le souhaitent.

Le Parlement a également décidé la poursuite des études et recherches sur l’entreposage et la séparation-transmutation, en complémentarité avec le stockage. Un travail important a ainsi été réalisé par l’Andra et Areva pour intégrer les avancées des recherches dans la conception d’une nouvelle installation d’entreposage de déchets vitrifiés mise en service en 2013 à La Hague pour envisager une durée de vie accrue de l’installation au-delà d’une cinquantaine d’années. Fin 2012, l’Andra a réalisé un bilan des études et des recherches sur l’entreposage (http://www.debatpublic-cigeo.org/docs/decisions/Rapport-2012-Andra-entreposage.pdf).

Concernant votre question relative à la géologie

De manière générale, la démarche scientifique se fonde sur l’observation, puis sur l’expérimentation et enfin sur la modélisation et la simulation numérique qui permettent d’extrapoler des résultats à des échelles inaccessibles via l’expérimentation. Le propre des sciences de la Terre et de l’Univers est que les observations permettent d’appréhender des phénomènes qui se déroulent sur de très longues durées. Cette démarche scientifique est au cœur des études menées par l’Andra depuis une vingtaine d’années pour étudier la faisabilité du stockage profond. Pour mener ces recherches, l’Andra mobilise la communauté scientifique dans de nombreuses disciplines (sciences de la Terre et de l’environnement, chimie, science des matériaux, mathématiques appliquées…) au travers de partenariats avec des organismes de recherche et des établissements universitaires français, ainsi qu’au moyen de coopérations internationales.

Les recherches menées depuis 1994 sur le site étudié en Meuse/Haute-Marne ont permis aux scientifiques de reconstituer de manière détaillée son histoire géologique, depuis plus de 150 millions d’années. Le site étudié se situe dans la partie Est du bassin de Paris qui constitue un domaine géologiquement simple, avec une succession de couches de calcaires, de marnes et de roches argileuses qui se sont déposées dans d’anciens océans. Les couches de terrain ont une géométrie simple et régulière. Cette zone géologique est stable et caractérisée par une très faible sismicité. La couche argileuse étudiée pour l’implantation éventuelle du stockage, qui s’est déposée il y a environ 155 millions d’années, est homogène sur une grande surface et son épaisseur est importante (plus de 130 mètres).
Aucune faille affectant cette couche n’a été mise en évidence sur la zone étudiée.

Cette analyse s’appuie sur des investigations géologiques approfondies : plus de 40 forages profonds ont été réalisés, complétés par l’analyse de plus de 300 kilomètres de géophysique 2D et de 35 km² de géophysique 3D. Environ 50 000 échantillons de roche ont été prélevés.

La roche argileuse a une perméabilité très faible, ce qui limite fortement les circulations d’eau à travers la couche et s’oppose au transport éventuel des radionucléides par convection (c’est-à-dire par l’entraînement de l’eau en mouvement). Cette très faible perméabilité s’explique par la nature argileuse, la finesse et le très petit rayon des pores de la roche (inférieur à 1/10 de micron). L’observation de la distribution dans la couche d’argile des éléments les plus mobiles comme le chlore ou l’hélium confirme qu’ils se déplacent majoritairement par diffusion et non par convection. Cette « expérimentation », à l’œuvre depuis des millions d’années, confirme que le transport des éléments chimiques se fait très lentement (plusieurs centaines de milliers d’années pour traverser la couche). Ces durées de transport constatées sont cohérentes avec celles estimées par simulation.

Les expérimentations menées au Laboratoire souterrain permettent également d’étudier l’impact de la construction et de l’exploitation d’un stockage sur le milieu géologique : impact lié au creusement des galeries, à l’introduction de matériaux exogènes tels que l’acier ou le béton, à l’effet de la chaleur générée par les déchets les plus radioactifs... La conception de Cigéo vise à limiter les perturbations engendrées et l’étude des processus physiques et chimiques permet de vérifier que ces perturbations induites sur la roche restent limitées. Elle fournit également des orientations pour la conception du stockage. L’Andra met également en place des démonstrateurs dans le Laboratoire souterrain, qui permettent notamment de comparer avec les résultats prévus par les simulations (par exemple la répartition du champ de température autour d’une alvéole simulant le stockage de déchets de haute activité) et de s’assurer que les prévisions des modèles sont cohérentes avec ce que l’on observe. Si Cigéo est autorisé, cette démarche sera poursuivie lors de la réalisation progressive du stockage.

Outre l’expérimentation, la validation des modèles passe également par l’étude d’analogues archéologiques ou naturels. Les laitiers de haut-fourneau du XVIe  siècle, les blocs de verre issus d’épaves datant de l’Antiquité ou encore les verres basaltiques constituent par exemple des analogues du système « verre/métal/argile » soumis à une altération par l’eau. Bien que la composition chimique et les conditions d’altération de ces verres ne soient pas strictement identiques à celles des matrices utilisées pour vitrifier certains déchets radioactifs, leur étude permet de tester les modèles proposés et de progresser dans la compréhension des mécanismes d’altération. Concernant le comportement des radionucléides, les deux sites de réacteurs nucléaires naturels découverts à Oklo (Gabon) en 1972, celui de Bangombé en surface à 11 m de profondeur et celui d’Okélobondo à 420 m de profondeur, apportent des informations précieuses. Ces réacteurs naturels ont fonctionné il y a 2 milliards d’années, les conditions géologiques, et notamment la teneur du minerai en uranium 235, ayant provoqué une réaction en chaîne spontanée pendant plusieurs centaines de milliers d’années. Les travaux de caractérisation (analyses minéralogiques, chimiques et isotopiques) ont montré la très faible migration des radionucléides dans les conditions chimiques réductrices et en présence d’argile. Ils ont permis d’établir les mécanismes géochimiques qui ont prévalu à ce comportement et de tester les modèles de représentation associés.

La simulation numérique permet d’obtenir des résultats inaccessibles par l’expérience du fait de la complexité et de l’interaction des phénomènes à étudier ou des grandes échelles de temps et d’espace sur lesquelles ils se déroulent. Pour représenter les phénomènes que l’on veut étudier, on utilise des modèles physiques et mathématiques qui sont alimentés par des données acquises sur le terrain, en laboratoire et dans la littérature scientifique. Ces derniers servent à mener des expériences virtuelles qui, en temps réel, se dérouleraient sur des milliers à centaines de milliers d’années, ou à analyser des processus qui intéressent de très grands volumes de roche. Grâce aux outils qu’elle a développés, l’Andra peut étudier différents phénomènes liés, par exemple, à la chaleur, au déplacement de l’eau ou aux échanges chimiques et analyser comment les composants du stockage se comporteraient et évolueraient dans le temps. Ces modèles permettent également de tester des hypothèses de situations dégradées dans l’évolution du stockage. Les différents modèles ainsi que les codes de simulation numérique font l’objet d’inter-comparaisons. Cela contribue à la confiance dans leur validité et permet d’identifier le cas échéant les points de compréhension à approfondir. Ces travaux de comparaison sont menés à l’Andra et dans le cadre de projets internationaux. Les modèles proposés par l’Andra font également l’objet d’une évaluation indépendante par l’IRSN dans le cadre de l’instruction des dossiers de l’Andra. Cela concerne par exemple les modèles d’écoulements hydrogéologiques et de migration des radionucléides, qui sont au cœur des études de sûreté.

L’ensemble de ces travaux font l’objet de publications dans des revues à comités de lecture (50 à 70 publications scientifiques internationales par an depuis 10 ans) et sont évalués par des instances indépendantes, en particulier la Commission nationale d’évaluation, mise en place par le Parlement, et l’Autorité de sûreté nucléaire qui s’appuie sur l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Les grands dossiers scientifiques et techniques que l’Andra remet dans le cadre de la loi font l’objet, à la demande de l’Etat, de revues internationales sous l’égide de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE. L’Andra a également été évaluée en 2012 par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Enfin, des expertises sont régulièrement commandées par le Comité local d’information et de suivi du Laboratoire souterrain sur les grands dossiers de l’Andra ou sur des sujets plus ciblés.

C’est la convergence de l’ensemble de ces études qui permet d’apprécier la robustesse du stockage et de préciser les incertitudes résiduelles. L’analyse de sûreté intègre la connaissance acquise et les incertitudes afin de produire une évaluation pénalisante de l’impact du stockage. Les études menées par l’Andra ont montré que l’impact du stockage serait nettement inférieur à celui de la radioactivité naturelle à l’échelle du million d’années.

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