Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu de la réunion publique de Bordeaux

 

M. POULIN. - Honnêtement, sans être médecin, je ne sais pas si c'est très bon pour la santé de respirer de l'eau de Javel ou de l'alcool fortement concentré pendant de longues heures en faisant le ménage…


M. WITSCHGER. - Je voudrais apporter quelques éléments sur la question du relargage.
Concernant les poudres, des tests sont actuellement développés pour étudier la propension d'une poudre à former un aérosol. Cet indice pourrait être utilisé pour effectuer une évaluation des expositions. Des travaux sont menés sur la question des poudres qui contiennent des nanoparticules. Dans le cadre du Comité technique TC 229 - Nanotechnologies, une norme est en programmation sur ce sujet.
Il y a également la question que vous posez, qui est très importante, du relargage des nanoparticules dans des matrices, par exemple, polymères ou autres. Là aussi, différentes équipes réfléchissent produire des tests qui pourraient être utilisés a priori avant toute commercialisation de matériaux. C'est pour dire que des recherches sont réalisées sur ce point. Je vous remercie.


M. IMPE. - J'ai vu le «Silence des Nanos» de Julien COLIN et j'ai été marqué par un fait. Vous êtes chercheurs et je crois que cela vous intéresse, vous en parlez plus ou moins ici ce soir : si je ne me trompe pas, il s'agit de la capacité des nanotubes à se recomposer dans des formes que l'on peut leur demander pour réparer une hanche, par exemple. Qu'en est-il exactement ?

M. POULIN. - Réparer une hanche, je ne sais pas, mais en tout cas il est vrai que les nanotubes peuvent être des matériaux actifs que l'on peut déformer avec différents types de stimulation, dont des stimulations électriques, ce qui ouvre par exemple des perspectives pour de nouvelles applications.
Il y a ce que l'on appelle la nanomédecine : des médecins avec des physico-chimistes et des ingénieurs développent de nouveaux outils de microchirurgie non invasive avec des nanotechnologies. Juste avec un cathéter, ils arrivent à faire des opérations qui se faisaient avant à cœur ouvert, du fait de la déformation de ces matériaux.

Concernant les nanotubes et le problème de hanche, je pense qu'il y a encore du temps, mais pour des choses plus simples comme des cathéters, cela existe déjà.
Nous avons des collègues canadiens qui travaillent sur les biomatériaux. Ils nous disent que des risques de rupture d'anévrisme avec des alliages à mémoire de forme peuvent être soignés en une demi-heure sans aucune opération, alors que c'étaient avant des opérations extrêmement lourdes : il fallait ouvrir pour opérer dans le cerveau.

Il y a donc des apports, comme le disait Pascale CHENEVIER. Nous avons beaucoup parlé des aspects négatifs et très peu des aspects positifs des nanotechnologies, pour faire des matériaux plus légers qui consomment moins d'énergie, des systèmes pour la conversion d'énergie… Beaucoup d'espoirs sont placés dans les nanotechnologies et cela a peu été abordé. Ce sont surtout les aspects négatifs qui ont été abordés…

M. IMPE. - Existe-t-il des écoles de formation pour les futurs cadres dans les entreprises, de manière à former du personnel aux nouvelles technologies, donc aux nanotechnologies qui arrivent sur le marché de l'industrie ? Y a-t-il ici par exemple, en Gironde, en Aquitaine, des centres de formation menant à des postes de cadres ou d'agents dans vos ateliers et comment peut-on y accéder ? Quelles sont les filières et les approches actuelles ? Je vous remercie.

M. POULIN. - Il y a des DEA de nanotechnologie qui sont maintenant montés en France. A Bordeaux, il y a une option à l'école de Chimie et de Physique. Peut-être que Cécile ZAKRI, qui travaille à l'Université, saura mieux répondre que moi…

Mme ZAKRI. - L'enseignement universitaire suit avec un certain retard, mais il suit bien les développements scientifiques qui sont réalisés dans les laboratoires. C'est la raison pour laquelle, en général, certains des chercheurs dans les laboratoires sont aussi des enseignants universitaires.
Comme le disait Philippe, sur Bordeaux il commence à y avoir des masters dans lesquels on enseigne aux étudiants les concepts autour des nano-objets, des nanoparticules et des nanosciences, pour leur transmettre la connaissance dans ces domaines.

M. IMPE. - Les universités sont-elles de plus en plus dotées de ces structures ou cela reste-t-il encore à faire ?

Mme ZAKRI. - Des masters sont déjà ouverts et fonctionnent…

M. IMPE. - Ces formations sont-elles suffisamment au point techniquement pour former correctement ?

Mme ZAKRI. - Elles sont en relation avec les laboratoires. Ces derniers ont des outils…
Elles connaissent forcément les limitations que nous connaissons. Nous avons parlé tout à l'heure des instruments de mesure qui ne sont pas encore complètement au point. Nous sommes tous d'accord là-dessus, mais nous leur apportons nos connaissances et ce que nous savons aujourd'hui et les outils qui vont avec.

M. IMPE. - Donc le privé rentre à l'université pour former des gens de demain.

Mme ZAKRI. - Pourquoi parlez-vous du privé ? Nous sommes universitaires et CNRS. Nous sommes en train de vous parler de la transmission de la connaissance des chercheurs du CNRS et des universités vers les étudiants.

M. IMPE. - En tant que chercheurs fondamentaux ?

Mme ZAKRI. - Oui, absolument, les connaissances qui sont dispensées…

M. IMPE. - Parce que vous avez un entrepreneur aussi à côté de vous… C'est pour cela que je parlais de cela.

Mme ZAKRI. - Je peux le laisser répondre…

M. JACOB. - C'est un peu un mauvais exemple, puisque c'est le creuset dans lequel on va chercher les gens qui font partie de notre projet aujourd'hui. Certains ont fait l'école de Chimie et Physique de Bordeaux. Ce sont des personnes qui ont été formées dans les filières qui viennent d'être citées.
Au niveau des formations de techniciens, je ne sais pas s'il existe à ce niveau des formations sur des cursus spécifiquement centrés sur les nanomatériaux et sur l'environnement de travail autour de cela.

Mme JARRY. - C'est typiquement le genre de question à laquelle il peut être répondu. Laissez-la par écrit et il vous sera répondu.

M. GAILLARD. - Je suis donc Patrice Gaillard, de la société ARKEMA, responsable du projet «Nanotubes de carbone». Je voudrais signaler qu'ARKEMA, dès le début de son activité dans ce domaine, a pris la pleine mesure des questions qui allaient se poser. Bien sûr, on n'est pas parfait, on évolue.
S'agissant de l'accompagnement que l'on a pu faire au niveau des universités et de la formation, je peux en dire quelques mots. J'interviens dans le cadre d'une chaire industrielle sur l'université de Bordeaux, sur l'école de Physique et de Chimie de Bordeaux.
Dans ce cadre de chaire industrielle autour des nanotechnologies, des nanomatériaux, des matériaux nanostructurés, je suis amené à assurer des formations dans le domaine de la technique et de l'application qui sont très centrées sur les nanotubes de carbone, ainsi que toute une dynamique de formation.
Je collabore également avec Daniel BERNARD, qui intervient dans le domaine de la normalisation et de la métrologie. Nous intervenons avec un apport d'industriels, de connaissances, en termes d'ergonomie au poste de travail que l'on développe avec Alain GARRIGOU de l'IUT de Bordeaux et aussi avec l'INRS, pourquoi pas, avec le CEA, l'INERIS, etc.
Ensuite, il faut savoir qu'en accompagnement dans un accord-cadre avec le Conseil régional Aquitaine, il a été décidé dans le cadre du CPER 2007-2013 de construire un nouveau bâtiment totalement dédié à la manipulation des nanos. Il sera adossé à l'école de Physique et de Chimie de Bordeaux et il sera construit d'ici un an à peu près. Dans ce bâtiment, nous accueillerons aussi des sociétés qui développeront les meilleures pratiques s'agissant des manipulations de nanomatériaux.
En même temps, nous allons créer la plateforme CANOE, qui est le consortium aquitain et Midi-Pyrénées des nanomatériaux et de l'électronique organique. Dans le cadre de cette plateforme, nous allons développer un axe de formation en direction des applicateurs et des utilisateurs des PME et PMI. Les personnes viendront se faire former, c’est-à-dire apprendre les pratiques qui sont utilisées aujourd'hui, qui sont des pratiques vraiment optimisées chez ARKEMA, par exemple, sur les unités de fabrication de nanotubes, au centre de recherche de Lacq, mais aussi sur cette plateforme technologique de l'Université de Bordeaux.
C'est un exemple. Je ne m'étendrai pas plus longtemps, mais il y a une pleine mesure, tout le monde a pris conscience de la nécessité d'accompagner ces nouveaux développements. Nous n'avons pas le droit de ne pas expliquer : nous devons accompagner et nous devons écouter les questions qui se posent, y répondre, être humbles, mais refuser certaines choses et expliquer vers quoi nous allons.
 
M. ROSSIGNOL. - Je suis Clément ROSSIGNOL, physicien et élu écologiste.
Il y a deux débats en parallèle.
Premièrement, comment faire avec les produits actuels qui contiennent des nanoparticules et dont nous ne connaissons pas la toxicité potentielle ? Très peu d'études ont été faites sur l'homme, ce qui pose un sérieux problème.

Deuxièmement, quelle recherche ? Mes collègues nous expliquent que leur recherche n'a pas pour but de développer des chaussettes avec des nanoparticules d'argent, mais plutôt les économies d'énergie, pour lutter contre les bouleversements climatiques à venir, ou le développement de nouveaux processus thérapeutiques sans effets secondaires comme la chimiothérapie.
Soit… En revanche, chaque technique, chaque nouvelle invention a une face positive et une face négative, nous le savons tous. Quelle que soit la science, ce qui importe, c'est l'utilisation que l'on en fait.
Je pense que ce n'est pas aux chercheurs de dire si c'est positif ou négatif pour la société, mais plutôt aux citoyens et éventuellement aux politiques qui les représentent.
Ce soir, nous en parlons, c'est bien, mais il faut que les citoyens puissent être à même d'appréhender la problématique. Pour l'instant, lorsque l'on parle nanotechnologies au citoyen, on se heurte à une incompréhension car les gens ne savent pas ce que c'est, alors que cela va devenir une problématique fondamentale pour notre société.
Les élus ne sont pas informés non plus, ils ne connaissent pas les problématiques des nanotechnologies et ne peuvent pas faire des choix éclairés en termes de financement et d'orientations de la recherche par rapport à leur projet de société. Nous avons une recherche qui est performante, mais qui devrait être plus ouverte à la société.

Enfin, il a été fait mention de voitures et du fait qu'il est impossible d'imposer un moratoire sur les véhicules, qu'il fallait donc chercher à avoir des panneaux solaires plus performants, par exemple. Je suis intimement persuadé que la réponse aux bouleversements climatiques auxquels nous allons devoir faire face dans les années à venir, si nous ne changeons rien à nos comportements, ne peut pas être qu'une réponse technologique ; ce n'est pas possible. Nous devons avoir une réponse de société ; pour ce faire, nous devons nous poser des questions de société et pas simplement des questions d'ordre technologique.

Il y aura donc une réponse technologique, mais ce ne sera qu'une petite partie. Par exemple, les pays en voie de développement ne pourront pas s'équiper aussi rapidement que nous de ces panneaux solaires.
Les premières sources d'émission de gaz à effet de serre sont le logement (l'isolation) et le transport. On construit 1 % de nouveaux logements par an… La problématique, ce sont les 99 % qui restent. Il faudrait un siècle pour les changer. En fait, la problématique, c'est notre société actuelle et ce que l'on peut faire pour qu'elle évolue.

Dans la salle - Je suis Pascal (?) de la SEPANSO. Sur le débat même de ce soir, à part les personnes qui sont favorables aux nanos parce qu'elles sont chercheurs, fonctionnaires et qu'elles sont là pour les défendre, il me semble que les interventions ont été plutôt défavorables. Cela veut dire que, globalement, les gens ont de la suspicion ou qu'ils sont favorables à un moratoire.
Au cours des deux ou trois débats qui ont précédé, a-t-on eu la même tonalité ? Si, au bout de ce débat, on se retrouve avec cette tonalité générale, la Commission du débat sera-t-elle en capacité de dire au ministère que les gens sont globalement favorables à un moratoire à 70 % ? Est-ce que cela va se passer comme cela ?

Mme JARRY. - Je ne sais pas si l'on ira jusqu'à citer des chiffres, mais bien sûr, c'est ce que le maître d'ouvrage attend de la Commission : qu'elle rende un rapport aussi fidèle que possible à ce qui ressort des débats.
Par ailleurs, je crois que vous le savez (en tout cas je peux le redire) nous n'avons pas d'autre vocation que celle de rendre un rapport. Nous ne sommes pas prescripteurs, nous ne donnons pas de recommandations. Le maître d'ouvrage, en revanche, est tenu dans les trois mois après la remise de notre rapport de livrer publiquement ses conclusions. Il sera donc tenu de dire ce qu'il fait de ce rapport.

Evidemment, tous les avis exprimés seront compris. Cela dit, est-ce que cela se posera dans les termes que vous dites : "70 % des gens sont favorables à un moratoire"… Je pense que ce sera beaucoup plus complexe, plus nuancé et plus divers aussi comme opinion. Cela dit, il est évident que notre rôle est de rendre un rapport fidèle.

Le même intervenant. - Est-ce que les débats précédents étaient de même nature que celui de ce soir ?

Mme JARRY. - Les réunions précédentes étaient très différentes, parce que les thèmes abordés étaient différents, mais d'une manière générale, il est vrai que les inquiétudes sont fortement exprimées.
Il y a aussi un élément qu'il ne pas oublier dans ce débat : comme vient de le dire M. ROSSIGNOL, le public est encore largement sous-informé. C'est aussi l'une des missions du débat public que d'informer. Beaucoup de gens viennent en réunion pour en savoir un peu plus. Lorsque vous ne savez pas, c'est évidemment plus difficile de vous faire une opinion.

C'est en cela que le monde associatif a aussi un rôle à jouer dans ce débat : souvent, il a déjà réfléchi. Madame, du FNE, a déjà des positions très tranchées et c'est aussi pour cela que nous avons recueilli tous ces cahiers d'acteurs à l'entrée des salles, pour donner aux publics qui peuvent les prendre la mesure de toutes les positions qui existent et donner un peu de matière pour que les gens puissent s'exprimer et poser des questions.

Je pense que chaque réunion sera différente. Pour répondre à votre question, les trois réunions qui ont eu lieu jusqu'à présent étaient, même formellement et structurellement et dans la participation du public, toutes différentes.

Je rappelle aussi que l'on peut suivre sur Internet… Tous les verbatim sont publiés sur le site, c’est-à-dire que l'intégralité de chaque réunion est mise en ligne. C'est un peu long, mais ceux qui veulent le lire peuvent le faire. Des synthèses sont également rendues après chaque réunion.
 
M. POULIN. - Je voulais dire que nous ne travaillons pas uniquement sur les nanos parce que nous sommes fonctionnaires. Nous travaillons sur les nanos parce qu'il y a des problèmes scientifiques qui nous intéressent et des applications technologiques auxquelles nous croyons. Comme l'a dit Etienne tout à l'heure, nous sommes aussi citoyens : nous ne sommes pas des chercheurs enfermés dans notre bulle. Je dis cela par rapport au premier commentaire que vous avez fait pour introduire votre vision des chercheurs.

Mme ZAKRI. - Pour compléter ce que dit Philippe, dans votre propos, c'est comme si l'on enfourchait un cheval de bataille, les nanos, et que l'on était prêt à le défendre à tout prix. Ce n'est pas du tout dans cet esprit que nous travaillons et que notre métier se fait au quotidien. Nous sommes là pour apporter de la connaissance sur des nouveaux matériaux, des nouvelles choses. Nous travaillons en effet actuellement sur les nanos, nous nous posons des questions sur ce sujet et nous y réfléchissons.
En d'autres temps, à d'autres époques, les chercheurs ont travaillé sur d'autres thèmes et nous serons sans doute aussi amenés à le faire tout au long de notre carrière, à réfléchir à d'autres aspects des choses, à d'autres sujets. Les nanos ne sont donc pas forcément notre cheval de bataille. Actuellement, nous travaillons dessus, nous croyons à certaines applications et nous mesurons certaines propriétés, c'est tout.

M. DUGUET. - Je voudrais rajouter que, moi aussi, je suis un peu vexé par votre remarque. Je ne crois pas que les chercheurs défendent absolument les nanos.
En revanche, je trouve normal, étant payé par la société, par le ministère de l'Education nationale, avec mes compétences de chimiste sur les nanos, que ce soit mon travail de regarder si des solutions thérapeutiques ne pourraient pas venir de là.
Comme pour tous les médicaments, il y a beaucoup d'hypothèses, mais peu d'entre elles sortent. Il y a de grandes chances pour que, malheureusement, le résultat soit négatif, je n'en sais rien, mais c'est mon devoir de regarder avec mes compétences et d'aller dans cette direction. La conclusion sera peut-être - certainement, même - négative.

Dans la salle - Bonsoir, je finis mes études de pharmacie. Je suis venue parce que pour moi, les nanotechnologies c'étaient les liposomes, etc. Je voyais vraiment cela du côté bénéfique de la question, au niveau des avancées médicales.
Il est vrai que, pendant tout le débat, il n'y a eu que des aspects négatifs qui ont été cités. Heureusement qu'il y a eu la deuxième séance pour parler des avancées médicales, pour dire que ce sont des voies de recherche, que les nanotechnologies peuvent les aider.
Il ne faut vraiment pas faire l'amalgame. Qu'est-ce qu'un liposome ? C'est une boule de graisse, si l'on parle vraiment franchement.
Ensuite, il y a la question des nanotubes, qui est un système, de polymères de carbone… Il faut remettre les choses à leur place. Les nanotechnologies sont une science ; ensuite, il y a beaucoup de dérivés, comme pour la chimie.

Je trouve dommage que l'on conclue qu'il n'y a que des aspects négatifs dans cette science : il faut juste faire la part des choses. Il y a des avancées bénéfiques, d'autres le sont moins. Ensuite, cela dépend de l'utilité. Il faut arrêter, à chaque avancée technologique, de dire qu'il y a des aspects négatifs. Il peut y avoir des aspects positifs et heureusement qu'ils sont là.
 
Mme GRANGE. - Bonsoir, je m'appelle Elisabeth GRANGE. En tant que citoyenne, je suis très satisfaite d'avoir été informée ce soir sur les nanotechnologies. Je n'étais pas du tout au courant.
En revanche, ce qui m'inquiète, c'est que l'on apprend ce soir que les études sur la toxicologie des nanoparticules ne sont pas du tout terminées. Il n'y a pas du tout de conclusion pour l'instant, mais c'est déjà industrialisé. C'est vraiment cela, mon inquiétude.
J'ai bien compris qu'il y avait des aspects très positifs à retirer de ces technologies, j'en ai tout à fait conscience, ainsi que tout le monde, je crois. Cela dit, il est très inquiétant que, dans un pays comme le nôtre, bien que ces études de toxicologie ne soient pas terminées, bien que l'on nous dise : «Attention, danger», bien que l'on nous dise qu'à forte dose, il y a des risques de maladies graves, etc., ce soit déjà utilisé dans l'industrie et déjà consommé. Je ne peux pas le comprendre.
 
Mme JARRY. - Quelqu'un veut-il répondre ?

Dans la salle. - Au fond, le débat auquel nous assistons est très ancien. Dans le développement scientifique, il y a toujours eu des gens qui trouvaient que l'on allait trop loin, cela n'a rien de nouveau. La pomme de terre a été difficile à acclimater en France ; cela paraît maintenant extraordinaire. Prenez le cas de l'électricité : nous sommes éclairés et chauffés, mais malheureusement il y a eu des morts dans les installations électriques. Je ne dis pas que c'est bien, mais il ne faut pas croire…
Il y a des dérives, effectivement… Quelqu'un disait un jour à New-York, en voyant passer un avion : «L'homme a appris à écrire dans le ciel et il écrit Buvez Coca-Cola»… Il y a donc des dérives, elles sont parfois ridicules. Cela étant dit, l'aviation, c'est tout de même important. Malheureusement, il y a aussi des accidents d'avion…

Dans la salle. - Il y aurait une solution. Ne peut-on pas trouver - poser - simplement des conditions d'utilisation pour ce, dont on ne sait pas si c'est dangereux ? C'est au législateur peut-être de dire cela... N'est-ce pas la solution, pour rassurer tout le monde ?
 
Mme JARRY. - Cela a été l'objet de la réunion de Strasbourg, qui a traité pratiquement exclusivement de réglementations, ce qui l'a rendue assez ardue à la compréhension.
Nous sommes entrés dans le débat par son côté le plus abstrait, qu'est la réglementation, et il a été discuté de toutes ces questions que vous soulevez, à savoir comment peut-on réglementer à la fois le développement et l'utilisation de ces nouvelles technologies.
 
M. MONTELEON. - La question que l'on peut se poser, ce n'est pas tellement de savoir si les nanotechnologies vont nous apporter beaucoup de choses ou pas, ni de savoir si ce sera extraordinaire ou pas. Ne peut-on pas appliquer aux nanos le principe très simple consistant à dire : «Quand on ne sait pas, on ne commercialise pas» ? Ensuite, reste à savoir, reste à chercher et à démontrer soit l'innocuité, soit des modes d'utilisation qui seraient non dangereux, mais ce serait simplement cela : «Pas de données, pas de marché».
(Applaudissements.)
 
M. BENABEN. -  (?). Je rejoins un peu ce qui vient d'être dit. Si on limite ou que l'on interdit la commercialisation, en quoi est-ce que cela va empêcher la recherche de continuer, d'avancer à 300 % même, d'investir encore plus ? On ne s'y oppose pas. Si l'on interdit par exemple les nanotechnologies dans l'usage courant, dans ce que l'on retrouve quotidiennement, on n'empêche pas la recherche...
 
M. POULIN. - Oui et non : cela va dépendre de certains sujets. Concernant par exemple des projets matériaux sur lesquels on travaille, comme le disait M. BERNARD, un gramme de nanotubes coûtait 1 000 euros. Avec de tels prix, on pouvait tester très peu de matériaux. Aujourd'hui, c'est parce qu'il existe des pilotes de productions que l'on peut aller beaucoup plus loin et tester de nouveaux matériaux et procédés de mise en forme et faire de la science nouvelle, tout simplement parce qu'il y a des produits plus accessibles.
Dans certains cas, cela va être possible, mais dans d'autres, en particulier pour les matériaux et les nanotubes, il est très précieux que des productions à plus grande échelle se développent. Je ne pense pas que ce soit une généralité, mais dans ce cas-là, ça l'est.
 
Dans la salle. - Pour revenir sur ce que disait la dame qui est inquiète que l'on mette sur le marché des produits que l'on n'a pas testés, je voudrais prendre un exemple présent chez tout le monde : les pesticides.
Il y a vingt ans, on nous a vanté les mérites des pesticides qui étaient systémiques, qui allaient révolutionner l'agriculture et permettre des rendements incroyables. Aujourd'hui, ils sont partout : dans l'air, dans l'eau, dans nos corps. On constate des maladies neuromusculaires, des maladies cancéreuses directement liées aux pesticides.
Maintenant, dans le domaine médical, tout le monde dit : «Attention, halte aux pesticides» ! On a lâché ces pesticides sans savoir ce qu'ils allaient devenir. On a fait des études de toxicité aiguë, mais pas chronique à long terme. De toute façon, les effets reprotoxiques cancérigènes et mutagènes n'ont jamais été étudiés. C'est maintenant que l'on s'aperçoit qu'ils ont ces effets.
Cela pose problème. On ne va pas recommencer la même chose. On a fait pareil avec les OGM, on a dit : «C'est très bien, c'est génial, cela va nourrir le monde». Manque de chance, on s'est aperçu que la technologie n'est pas tout à fait ce qu'elle était, qu'elle pose aussi des problèmes au niveau de la consommation humaine, et on continue !
Les gens maintenant ont peur : on lâche dans la nature des choses que l'on ne maîtrise pas et on nous les impose avant de les avoir testées. Là est bien la question.
A-t-on besoin d'avoir des produits qui ne nous servent à rien, alors que l'on ne sait même pas ce l'effet que cela aura dans notre organisme et dans notre avenir ? La recherche, c'est très bien. Il y a des avancées, des choses magnifiques en sortiront, c'est certain, mais il faut mesurer aussi ce que l'on fait avec ces instruments. Lorsque ce n'est pas utile, si on ne sait pas ce que cela fait, on ne commercialise pas.
Dans l'alimentation, je le répète : je ne suis pas tout à fait d'accord pour cela. On n'a pas besoin de nanos dans ce domaine. On a ce qu'il faut pour manger, on a de la nourriture bio… On refuse les pesticides dans l'alimentation ; on ne va pas accepter des nanos, il ne faut tout de même pas tomber sur la tête.

M. BERGOUGNOUX. - Je pense que le temps de conclure est venu. Nous en sommes à la quatrième réunion. Il y a encore 13 réunions à venir, le débat va se poursuivre et s'amplifier.
C'est une réunion consacrée à la protection des travailleurs. Si l'on veut les protéger, c'est parce que l'on pense qu'il y a des risques : il est donc normal que le débat soit centré sur les risques, ce n'est pas surprenant.
Il y a peut-être d'autres lieux où le débat sera centré sur certaines promesses, notamment lorsque l'on parlera des applications médicales, par exemple. Le débat sera peut-être un peu différent. Je vous invite à suivre cela assidûment. Nous mettrons tous les outils à votre disposition pour que vous voyiez comment les choses progressent.
N'hésitez pas à apporter des contributions sur le site et véritablement, j'insiste sur ce point, aussi argumentées que possible. Le débat public n'est pas un sondage d'opinion : ce sont des confrontations d'arguments dont nous rendrons compte de façon complète et honnête à la fin des débats.
Merci à tous ; le débat continue.

(Applaudissements.)

Le débat est clos à 23 heures 32.