Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu de la réunion publique de Bordeaux

 

M. JACOB. - L'une des difficultés est effectivement de détecter les nanoparticules à l'état de traces, sachant qu'elles ont des réponses relativement faibles aux instrumentations. Aujourd'hui, il n'existe pas d'instrumentation permettant de faire des analyses poussées à ce niveau.
Les techniques que nous développons sont particulièrement adaptées au process industriel et là, on parle plutôt de concentrations qui vont de quelques fractions, de 105 jusqu'à plusieurs pour cent. Pour avoir des seuils de toxicité, cela dépendra des nanoparticules que l'on va chercher, mais pour avoir des traces à l'état létal par accumulation, on parle plutôt du PPB et aujourd'hui il n'y a pas de technique instrumentale efficace à ce niveau. PPB signifie partie par billion, donc c'est une particule parmi 109 particules.

M. MATET. - Donc, actuellement, on n'est pas capable de dire quand un produit d'usage courant n'est pas dangereux pour la santé, puisque l'on n'a pas les outils de mesure…

M. JACOB - Oui… Il y a aussi l'aspect purement médical. Comment définir un seuil de toxicité aujourd'hui, par effet d'accumulation ou non ? Il y a beaucoup de débats sur l'utilisation de certains produits, notamment dans les biberons pour les enfants. Même la norme n'est pas très claire sur les seuils qui doivent être indiqués quant à la toxicité d'un produit.
Cela dit, il est vrai que définir un seuil sans avoir les outils de caractérisation est un peu illusoire… Les deux doivent aller de pair, mais la caractérisation des nanoparticules et de leur toxicité dans les produits de consommation courante reste un challenge.

M. MATET. - Pourquoi ces produits sont-ils autorisés, puisque l'on n'a pas encore les outils de mesure ?

M. JACOB - Je ne peux pas vous répondre, je ne suis pas dans les comités…

M. MATET. - Pourquoi les valide-t-on à la consommation ?

Mme JARRY. - De quels produits parlez-vous, par exemple ?

M. MATET. - Des produits de consommation : on a parlé des chaussettes. Je ne parle peut-être pas des crèmes, parce que leur but est justement d'être ingérées, mais tous les produits contenant des nanotechnologies et qui sont capables d'émettre des particules par l'usure. Puisque l'on n'a pas d'outils de mesure, on n'est pas capable de savoir si ces produits sont toxiques, mais on les autorise tout de même.

M. JACOB. - Les objets dont vous parlez sont des objets dans lesquels on a sciemment introduit des nanoparticules et je pense que là, on sait doser les nanoparticules qui ont été intégrées dans leur conception. Je pensais que vous parliez plutôt de présence non souhaitée de nanoparticules…

M. MATET. - Oui…

Mme JARRY. - Il y a les objets fabriqués. Il est certain que le fabricant de crème solaire qui met du dioxyde de titane nanoparticulaire sait très bien combien il en met.
Votre question s'adresse plutôt aux autorités et concerne tout ce qui est autorisations de mises sur le marché, les agences de sécurité sanitaire, que ce soit pour les aliments… D'ailleurs, il faut que vous laissiez votre question et ce sont eux qui vous répondront.
Il est vrai qu'il a été question d'étiquetage : si c'est écrit sur l'étiquette, même si l'on ne sait pas combien, on sait en tout cas qu'il y en a. Votre question relève plutôt de la réglementation.

M. MATET. - Oui, de l'autorisation...

Mme JARRY. - Je ne pense pas que les personnes qui sont à la tribune puissent véritablement vous répondre, mais il y a des gens qui peuvent y répondre…

M. MATET. - C'était plutôt une conclusion par rapport aux réponses qui m'avaient été données précédemment.

Mme JARRY. - Il faut que vous laissiez votre question par écrit et il y sera répondu.

Mme FONTAINE. - Bonsoir, je suis Myriam FONTAINE, de la Direction générale de la Santé, ministère de la Santé et des Sports. Je voudrais juste répondre à M. MONTELEON sur la question du devenir des médicaments.
Je rappellerai que le médicament est très encadré, il fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché. Dans ce cadre, c'est l'ensemble du cycle de vie du médicament qui est examiné, sa production et aussi son devenir dans l'organisme humain et même son élimination ensuite.
Peut-être que cela apporte un élément de réponse aussi sur la façon dont certains produits sont encadrés. On n'est pas sur la question des cosmétiques, mais dans ce domaine un règlement européen devrait être appliqué en 2012 ou 2013. Il prévoit un étiquetage des produits et donc une information qui spécifierait pour chaque nanoparticule utilisée le nom du produit entre crochets avec écrit «nanos».
Ce sont des éléments de réponse sur la façon de tracer et repérer les produits.

Mme JARRY. - Merci. Une réunion a traité des questions de santé et je me permets d'en parler, parce qu'il a été dit beaucoup de choses.
Pour l'instant, il n'y a pas encore vraiment de nanomédicaments : nous n'avalons pas des pilules qui contiennent... La nanotechnologie en matière d'application médicale concerne essentiellement ce qui est de l'ordre du diagnostic. Ensuite, des applications sont en développement mais, comme vient de le dire Madame, les autorisations de mise sur le marché sont des protocoles qui durent entre douze et quinze ans. Nous sommes donc encore dans les phases intermédiaires, d'après ce que j'ai compris à Toulouse.
 
M. MONTELEON. - C'est la raison pour laquelle je parlais spécifiquement de la recherche. C'est avant l'autorisation de mise sur le marché. C'est pour cela que j'avais parlé des laboratoires.
Dans la recherche et avant les autorisations de mise sur le marché, les équipes médicales réalisent des essais cliniques tout à fait classiques, parfois en double aveugle. Ils ont donc les risques avant les autorisations de mise sur le marché. Je ne parlais pas du débat sur la santé, mais bien de celui sur la recherche.

Mme CHENEVIER. - Je suis Pascale CHENEVIER, du CEA. Je suis chercheur aussi en nanosciences et je voudrais recentrer le débat, parce que j'ai l'impression qu'il tourne autour de l'idée que les nanotechnologies vont apporter des progrès dans les chaussettes, les crèmes et les articles de sport.
Ce sont les premiers objets qui sont sortis sur le marché. Ce sont les objets les plus simples et peut-être sont-ils ceux dont on n'aura pas besoin. Cela dit, l'enjeu des nanosciences, ce n'est pas cela : je ne travaille pas pour faire des chaussettes.
Les enjeux qui se posent à vous tous les jours et qui vous touchent profondément sont des questions très larges et qui sont loin des préoccupations quotidiennes (qu'il faut se poser aussi). Par exemple : que fait-on avec le problème climatique ? On n'a pas fait de débat public sur l'usage ou pas des voitures… On sait bien que l'on ne peut pas poser la question de savoir si l'on va faire un moratoire sur l'usage des voitures.
Dans les laboratoires, nous nous posons des questions de fond sur ce que nous allons faire avec ce problème. Je pense que les nanotechnologies - c'est ma conviction profonde - sont des outils dont nous ne pourrons pas nous passer pour résoudre des problèmes aussi graves que la crise énergétique.
Peut-être n'est-il pas vraiment indispensable de mettre des nanotechnologies dans les chaussettes, mais peut-être aussi que, lorsqu'il faudra faire chacun son électricité sur son toit, on aura besoin de nanotechnologies pour faire du photovoltaïque. Dans ce cas, le moratoire sur les chaussettes tuera aussi le photovoltaïque. C'est mon problème.
(Applaudissements.)

Mme JARRY. - Merci de votre intervention. J'ai plusieurs questions. Je crois que je vais donner la parole à ceux qui n'ont pas encore parlé.

M. IMPE. - Bonsoir à tous. Mon nom est Jean-Pierre IMPE, je suis autodidacte. Je vais poser une question qui me turlupine un peu et qui est à l'ordre du jour : elle touche le porte-monnaie du peuple.
Les fibres ont pollué pendant des années des humains et ils ont eu du mal à faire valoir leur droit au handicap et à accéder à des subventions et à des soins.
Je me pose la question suivante. Comment un généraliste peut-il observer chez son patient la différence entre une toux due à une grippe, à une irritation quelconque, qui est insoluble et que l'on ne sait pas définir, et des nanoparticules ou des éléments cognitifs qui pourraient être nuisibles pour la respiration, l'œsophage et le corps humain ?
On n'a pas pensé à la responsabilité en amont (cela fait aussi partie du débat précédent). Est-ce que les fabricants, ceux qui s'engagent comme Monsieur pour la reconnaissance des nanos, paient une assurance pour leur personnel en cas de pollution humaine qui serait avérée au bout de quelques années ?
Comment peut-on, lorsqu'un individu entre dans l'entreprise, connaître son état physiologique ? Comment peut-on détecter, s'il quitte l'entreprise, son degré de pollution ? Cette assurance, comment peut-on l'avoir ? Peut-on scanner un individu pour connaître des emplacements, des endroits et le taux de pollution qu'il peut avoir ?

Mme JARRY. - Je pense que votre question dépasse largement, mais il y a tout de même des éléments de réponse. On peut aussi leur demander comment eux se protègent…

M. IMPE. - Je dis cela pour mettre sur le dos de ceux qui s'engagent dans ce genre de fabrication, plutôt que sur le dos de la Sécurité sociale dont l'endettement est, nous dit-on, abyssal.

M. POULIN. - Ce ne sont pas les chercheurs qui sont employeurs, c'est le CNRS. Le CNRS a un suivi médical (d'ailleurs, il y a un médecin du CNRS qui peut peut-être en parler) et il a la responsabilité de ses employés avec des suivis réguliers. Selon les activités, il s'agit d'une ou deux visites médicales par an, voire plus, au cours desquelles on déclare les produits chimiques auxquels on est exposé.

M. IMPE. - Cela ne répond pas à la question. Comment détecter dans le corps humain ? Un  individu consulte un généraliste et dit : «Je tousse, j'ai mal. J'ai une chaleur là, cela me brûle ici. Est-ce que c'est un lymphome ? Qu'est-ce qui me brûle tout à coup ? J'ai des douleurs, c'est anormal»... Comment le généraliste peut-il s'apercevoir s'il s'agit d'une pollution qu'il a eue à travers la peau, les voies respiratoires ou les orifices ?

M. POULIN. - Je suis incompétent en ce qui concerne les questions médicales.

M. IMPE. - Ce n'est pas médical, c'est technologique. Le problème est de savoir s'il y a un scanner. Par exemple, on va passer un scanner… Là, il s'agit de technologie. A-t-on les moyens de contrôler la pollution d'un corps humain dans une unité de fabrication ? Y a-t-il un appareil pour cela ?

Mme JARRY. - Est-ce que l'on peut passer sous un portique le matin en allant travailler…

M. IMPE. - Je ne sais pas… Chimique peut-être ?

M. POULIN. - Il y a eu des exemples sur des animaux, par exemple à l'université de Rice à Houston. Je ne sais pas sous quelle forme cela a été fait, mais ils ont donné des nanotubes à des souris et à des rats. C'est tout simplement par des prises de sang, puis par des techniques de photoluminescence... C'est un peu technique, mais c'est caractéristique des nanotubes : une autre molécule ou un autre composé ne peut pas donner ce genre de signal. Ils ont donc été capables de voir à quelle vitesse les nanotubes étaient éliminés de l'organisme par une prise de sang.

Etienne, tu connais sûrement d'autres techniques, mais c'est une technique qui fonctionne très bien.
M. DUGUET. - Non, je ne connais pas vraiment d'autres techniques. Tout ce que je peux répondre, c'est que nous travaillons essentiellement sur le principe de la prévention. Nous mettons tout en œuvre pour qu'il n'y ait pas d'inhalation, pas de contact entre la peau, par exemple, et les nanoparticules.
Au CNRS, dans nos laboratoires de recherche, tout est fermé, sur des petites quantités. Nous mettons en place tous les jours les bonnes pratiques de laboratoire. Il n'y a pas d'appareil miracle nous permettant de dire si tel jour on a été touché par des nanoparticules.

M. IMPE. - Pourrait-on poser la questions à ceux qui font des autopsies régulièrement, pour voir le taux de pollution que l'on peut constater sur les corps qui leur sont remis, de manière à faire un état statistique ? On peut ne pas le savoir, mais cela peut être un indicateur formidable.

Mme JARRY. - Il faut laisser votre question par écrit et, si une réponse plus précise peut être apportée, ce sera fait.

M. HERAULT. - Je suis Patrick HERAULT. J'ai été présent à la Nuit des Chercheurs. Je travaille sur la science des odeurs, je suis odorologue : j'étudie les bonnes comme les mauvaises odeurs et je suis aussi animateur pédagogue.
Un film est passé il y a très longtemps : «Il était une fois la vie - La respiration». Je travaille là-dessus. Vous le comprenez, c'est mon métier, j'ai travaillé avec tout ce qui est en rapport avec l'odorat : l'olfaction, tous les produits que l'on sent dans notre quotidien, que ce soient les produits de la cosmétique, puisqu'il y a des parfums, dans la parfumerie et dans notre environnement.
J'ai fait une étude très récemment et je suis en contact avec plusieurs chercheurs en laboratoire et une journaliste spécialiste qui a travaillé sur tous les produits, qui a check-listé les produits sans parabène, etc., qui a fait une liste de produits toxiques que l'on trouve dans les produits de cosmétiques. C'est une liste avec des noms très barbares. Lorsqu'on lit un emballage, on ne comprend rien du tout. Il faut être chimiste ou aller sur Google pour savoir à quoi cela correspond, on n'a pas toujours l'explication.
En fait, j'en viens à la santé humaine ; je suis animateur pédagogue et c'est ce qui m'intéresse avant tout. Quand je vais dans une enseigne qui vend des produits de cosmétiques et des parfums, il n'y a pas pire endroit concernant les nanoparticules. J'ai fait des études à ce sujet depuis de nombreuses années. Je me pose vraiment beaucoup de questions par rapport à tout ce qui sort de l'industrie chimique.
La chimie moderne a permis de rendre accessibles les parfums en plus grand nombre… Malheureusement, elle a apporté aussi un côté négatif. J'ai parlé à l'université de la médecine naturelle au Domaine de Grenade récemment : on oublie souvent l'ambivalence. Nous l'avons évoqué ce soir : les nanoparticules peuvent apporter un côté bénéfique, mais aussi un côté négatif sur l'être humain, sur la santé. Cela me pose une question d'éthique fondamentale : sommes-nous conscients de cela ? Je n'en suis pas vraiment sûr.
(Applaudissements.)

M. POULIN. - C'est vrai de tous les produits : même si l'on boit trop d'eau, c'est toxique au-delà d'une certaine dose.

Mme ZAKRI. - On peut aussi prendre l'exemple des rayons X. Bien utilisés, à une bonne dose, on s'en sert comme diagnostic médical depuis très longtemps, mais on sait que ce peut être très dangereux aussi pour la santé humaine. C'est vrai pour beaucoup de choses. Encore une fois, c'est le fait de connaître qui permet de savoir évaluer cela.
Dans la salle. - Au risque de paraître un peu stupide, je me pose une question très simple. On a parlé des nanoparticules : nous voyons bien que c'est extrêmement toxique et qu'il ne s'agit pas d'en avaler même…
Ces nanoparticules minuscules sont intégrées dans des matériaux. Ces matériaux vieillissent-ils ? Les nanoparticules s'en échappent-elles ? Elles ne sont plus des nanoparticules, si j'ai bien compris. Est-ce que la recherche travaille sur le vieillissement de ces produits, de ces matériaux, sur la façon de les usiner ? On a dit tout à l'heure qu'en les frottant, on pouvait libérer quelque chose…
Il y a là des réponses très importantes à faire, que ce soit pour des chaussettes ou des produits beaucoup plus importants. C'est sur ce sujet qu'il faut faire de la recherche : le relâchement dans la nature, dans l'organisme humain et ailleurs, des produits que l'on a mis pour améliorer le matériau et qui a une durée de vie, un cycle et qui lui-même peut émettre des choses. Le magnétisme, je ne sais pas… Cette affaire me paraît extrêmement importante. On n'en parle pas trop...

Mme ZAKRI. - Evidemment, cela fait partie du travail de recherche. Lorsque vous découvrez un nouveau matériau, que vous le formulez et le fabriquez, que vous allez le mettre en forme, cela fait aussi partie de la recherche de regarder comment le matériau vieillit. Quasiment tous les chercheurs essaient de savoir ce que devient le matériau avec l'âge, l'usure, l'usure mécanique, le vieillissement. Cela fait évidemment partie des travaux et nous les menons jusqu'au bout, de ce point de vue.

M. POULIN. - Ceci est un commentaire par rapport à deux de vos remarques ou questions ce soir, qui peuvent peut-être prêter à confusion dans l'audience.
Lors d'une précédente intervention, vous avez dit que les nanotubes ne brûlent pas à 1 200 degrés… Non, ce n'est pas vous. Est-ce une autre personne ? Excusez-moi, alors…
Là aussi, c'est un point où l'on est sûr que les nanotubes brûlent bien à 1 200 degrés. On mesure ce qu'il reste : il ne reste rien.
Par rapport à l'introduction de votre question, vous déclariez que l'on sait maintenant que les nanoparticules sont toxiques. Les résultats qui existent sont plus nuancés que cela tout de même…
Les personnes qui sont encore présentes peuvent peut-être repréciser…
 
Dans la salle. - Je voulais intervenir dans le même sens que vous. Lorsque vous dites au début de votre intervention que l'on sait maintenant que ces nanoparticules sont très toxiques, je ne pense pas que qui que ce soit ait dit cela ce soir.

Dans l'assemblée. - Si…

Le même intervenant. - M. BROCHARD n'a pas dit cela non plus. Je pense qu'il a donné un certain nombre d'éléments qui font que l'on se pose des questions, mais il a bien dit que pour l'instant chez l'homme il n'y avait pas grand-chose de probant. Il a très bien expliqué pourquoi on se posait des questions spécifiques pour les nanos, mais je n'ai pas souvenir qu'il ait dit que l'on avait la preuve que c'était très toxique. On est dans une situation où l'on se pose des questions. On est prudent a priori, mais on n'a pas d'éléments permettant d'affirmer que toutes les nanos sont très toxiques. Ce n'est absolument pas le cas. Patrick veut peut-être repréciser lui-même ce qu'il a voulu dire, finalement.
 
M. BROCHARD. - Pour compléter ce que j'ai dit tout à l'heure, nous sommes bien d'accord sur le fait qu'à chimie égale, la taille de la particule va modifier ces propriétés biologiques. Ces modifications, dans les conditions expérimentales utilisées dans les études, en particulier sur la cellule ou sur l'animal, vont pouvoir occasionner des réponses anormales.
Mais, mais, mais… Certains points sont importants.
D'abord, toutes ces études sont obtenues avec des concentrations extrêmement importantes pour arriver à mettre en évidence un effet biologique. Sur un nombre limité de cellules et d'animaux, on est obligé de travailler sur des concentrations extrêmement fortes.
Effectivement, nous avons des réponses qui nous permettent de dire qu'à des concentrations extrêmement fortes, nous avons des effets biologiques dont certains sont des effets que l'on connaît comme étant prédicteurs de certaines maladies sur l'animal, voire chez l'homme. Ceci, dans les conditions expérimentales, c’est-à-dire avec, la plupart du temps, des concentrations extrêmement importantes.

Il n'y a que très récemment que l'on arrive à avoir des relations dose-effet (là encore, sur des modèles in vitro ou in vivo) permettant de conclure que, lorsque l'on utilise la surface cumulée comme paramètre de la dose, il y a une gamme de valeurs pour lesquelles on n'observe pas de réponse. A partir d'une certaine quantité de surface, on voit démarrer la courbe et des effets biologiques éventuellement prédictibles d'effets au-delà.

Ce n'est pas blanc ou noir. Des éléments de réponses montrent effectivement - je le maintiens ici - que ces particules extrêmement petites ont des propriétés différentes des particules microscopiques et peuvent être réellement cytotoxiques ou entraîner des réactions inflammatoires. Cela dit, là encore, les niveaux d'exposition utilisés sont généralement sans commune mesure avec les niveaux d'exposition évoqués tout à l'heure, en particulier par Olivier WITSCHGER, qui parlait des mesures effectuées dans les milieux de travail. C'est vrai que cela n'a n'aucune commune mesure.

Notre problème, et nous le connaissons depuis longtemps avec d'autres produits, est que les extrapolations à faible dose sont toujours très compliquées. Ce sont toujours des modèles mathématiques très séduisants sur le plan des graphes ou des publications, mais dans la réalité, concernant leur utilisation chez l'homme, ils sont beaucoup plus difficiles à appliquer.
Il est évident que nous avons beaucoup d'incertitude, mais je maintiens ce que j'ai dit tout à l'heure : nous avons des réponses. Ce ne sont pas des matériaux inertes, ils entraînent des effets biologiques.
Je vous renvoie aussi à un document que nous avions réalisé pour le ministère de l'Ecologie et du Développement durable, qui est sur le site de ce ministère. Nous l’avons écrit dans le cadre du Comité Prévention Précaution en 2006 et l'on y disait : «Attention, danger», car les matériaux sous forme nanométrique peuvent avoir des propriétés biologiques sur différents types de modèles testés, a fortiori quand ils ont des formes bizarres, je le maintiens aussi.

En revanche, nous ne sommes absolument pas capables de dire aujourd'hui qu'il y a un risque chez l'homme. Les données de la science extraites des études sur les cellules ou chez l'animal ne permettent pas d'affirmer que nous sommes dans un cas de risques avérés chez l'homme.
C'est un débat extrêmement intéressant : comment utiliser cette information qui sort de nos laboratoires pour adopter ensuite des principes de précaution et des techniques de prévention qui sont celles dont on vous a parlé aujourd'hui ?

Je pense que, là encore, il est très difficile de pouvoir considérer qu'il y a une situation où l'on est blanc et une situation où l'on est noir. Nous avons beaucoup d'éléments de réactivité biologique ; nous n'avons pas actuellement des éléments qui permettent d'affirmer le risque chez l'homme.
Dans la salle. - Je voudrais revenir sur le moratoire que l'on a proposé. Il faut être clair : nous n'allons pas refaire le débat. Il n'est pas question d'avoir un moratoire sur la recherche. Nous sommes bien d'accord sur le fait que la recherche peut nous apporter dans l'avenir des solutions à un certain nombre de problèmes actuels de technologies pour le solaire, l'énergie… Soit, mais le moratoire qui nous intéresse est celui sur les produits de consommation courante qui sont libérés dans la nature, dans l'espace de tous les jours.
 
Pour revenir au jeune homme qui a posé la question tout à l'heure : est-il utile d'avoir des aliments avec des nanoparticules ? Est-il utile d'avoir des aliments qui vont reconnaître que vous préférez qu'ils soient rouges, jaunes, acides ou sucrés ?
 
Quand on lit les programmes de recherche et quand on voit les produits lâchés pour l'alimentation, cela fait très peur. Lorsqu'un emballage sera capable de détecter qu'un aliment est en fin de vitalité, est-ce que l'on va lui lâcher des nanoparticules antibactériennes pour prolonger sa durée de vie ? Cela rend un peu rêveur, ce genre de choses, mais nous n'avons pas besoin de cela. Si un bifteck périmé, on le jette, point barre. On n’a pas besoin de prolonger sa durée de vie. Pour quoi faire ? Pour gagner un peu plus d'argent dessus ?

C'est à ce niveau que nous demandons un moratoire, pour tous ces produits dont nous n'avons pas besoin. Nous n'avons pas besoin de chaussettes anti-transpirantes : cela se lave et si vraiment nous ne voulons pas transpirer, la poudre de sauge fait très bien l'affaire et n'est pas toxique.
Il ne faut pas tout mélanger. Il y a d'un côté la recherche sur les matériaux, c'est vrai, mais de l'autre côté il y a ce que l'on nous impose et que nous ne sommes pas prêts à accepter, parce que nous n'en avons pas besoin.

Mme JARRY. - Je peux donner un élément de réponse. Les chaussettes existent, mais les films alimentaires dont vous parlez ne sont pas encore dans le commerce. C'est bien pour cela qu'il y a un débat public.

La même intervenante. - Je suis désolée : dans le papier que j'ai relu hier soir (donc c'est tout frais), il est dit que des produits sont déjà lâchés dans l'environnement pour ce qui est de l'alimentation.
Les films sur les Mars pour que le chocolat ne blanchisse pas…

Mme JARRY. - Je ne sais pas qui croire, parce que Mars dément cette information et assure qu'il n'est mis absolument aucune nanoparticule…

La même intervenante. - S'ils démentent, cela veut dire que c'est dans les cartons et que cela ne va pas tarder à sortir. Nous n'en avons pas besoin…

Mme JARRY. - C'est pour cela que l'on a un débat public.
 
La même intervenante. - Nous n'en avons pas besoin, donc nous demandons…

Mme JARRY. - A ceux qui demandent pourquoi ce débat vient si tard, je dis qu'il ne vient pas trop tard : la preuve ! Il est temps de dire que vous n'en voulez pas.

La même intervenante. - Est-on capable d'instaurer un moratoire sur la nano dans les produits alimentaires et ceux qui sont en contact avec le corps, qui ne nous apportent rien de plus par rapport à ce que nous connaissons ?

Mme JARRY. - Tous les éléments de ce débat seront contenus dans le rapport que nous rendrons au maître d'ouvrage.

La même intervenante. - Là, c'est dangereux. Dans la mesure où l'on ne sait pas quelle est leur toxicité potentielle, ce qu'elles vont devenir, ce qu'elles vont faire, et que l'on sait en revanche qu'elles pénètrent les membranes, le cytoplasme des cellules, cela pose question.
Pour quelque chose qui ne sert à rien, ce n'est pas la peine de nous exposer à un danger supplémentaire. Concernant la recherche sur les matériaux, c'est autre chose.

Mme ZAKRI. - Nous sommes bien d'accord avec vous, je pense. Je peux parler au nom des autres, puisque je les ai entendus réagir.
Je rejoins ce que disait l'intervenant de tout à l'heure : ce qui nous excite, ce ne sont pas les nanoparticules dans les chaussettes, ni les films d'emballages antibactériens. Ce qui nous excite, c'est tout l'enjeu autour de l'énergie, qui est vraiment une problématique posée aux chercheurs aujourd'hui : trouver des solutions pour l'énergie, c’est-à-dire faire de nouveaux capteurs…
Je voulais donner l'exemple du capteur car je pense qu'il est assez emblématique. Dans les recherches que l'on a menées, on s'est rendu compte qu'en assemblant correctement les nanotubes de carbone sous certaines formes, on pouvait faire des petites électrodes qui sont des capteurs. On s'est aperçu que ces capteurs étaient beaucoup plus sensibles que ce qui existe aujourd'hui sur le marché sous d'autres formes.
Un capteur est capable d'aller mesurer la quantité de certaines molécules toxiques, par exemple, présentes autour de nous, des molécules chimiques, mais il peut aussi capter des biomolécules, etc.
Vous voyez l'ambiguïté à laquelle nous sommes confrontés. Quelque part, on remet en cause les nanotubes de carbone pour leurs aspects toxiques et en même temps, on se rend compte qu'ils peuvent aussi aider à fabriquer des dispositifs, des capteurs capables de détecter les molécules toxiques ou ce genre de chose, beaucoup mieux que les instruments que nous avons à l'heure actuelle.
Cela donne vraiment à réfléchir sur notre travail au quotidien, sur ce que nous faisons et sur les enjeux derrière cela.

M. DUGUET. - Je voudrais rajouter un point. Pour revenir aux fameuses nanoparticules d'argent dont on parle depuis tout à l'heure et que l'on peut mettre dans les chaussettes pour éviter le développement de bactéries et d'odeurs, sachez qu'il y a des applications beaucoup plus intéressantes, notamment pour des peintures dans les hôpitaux pour éviter le développement des maladies nosocomiales. On pourrait traiter, peindre les murs des hôpitaux avec ces nanoparticules qui elles, là, sont partiellement piégées et qui pourraient limiter… Vous voyez donc qu'il y a là des développements de cette propriété de l'argent à l'échelle nanométrique qui me semblent plus intelligents.

M. POULIN. - Pour les mobiliers et les sols des hôpitaux, il y a des particules d'argent qui sont utilisées.
La même intervenante. - On a multiplié les mesures sanitaires dans les hôpitaux avec certains produits, mais cela n'a pas empêché les maladies nosocomiales (intervention hors micro). La simple hygiène serait déjà bien.
Les nanoparticules d'argent sur les murs ou sur les sols, je veux bien, mais est-ce que vos murs et vos sols vont relarguer les nanoparticules d'argent ? Les personnels seront-ils exposés à ces nanoparticules ? C'est une fuite en avant qui nous est proposée.

M. POULIN. - C'est justement une bonne question, qui fait partie des projets de recherche en cours. Il y a un réel gain à utiliser ces particules, mais il faut savoir dans quelles conditions bien les utiliser.

La même intervenante. - Essayez de savoir d'abord ce qu'elles vont devenir, avant de les proposer à l'utilisation. L'eau de Javel fonctionne très bien et le savon de Marseille et l'alcool à 90°, aussi. Ce sont des produits qui ont été utilisés de tout temps. Les études montrent que si les mesures d'hygiène étaient vraiment respectées stricto sensu avec des produits «normaux», il y aurait beaucoup moins de problèmes.