Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Note de synthèse de la réunion publique de Besançon

Note de synthèse
du débat public Nanotechnologies
de Besançon le 24 novembre 2009

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Prologue

En ouverture, Jean-Pierre Chaussade lance le débat public en rappelant que la Commission nationale du débat public est une autorité administrative indépendante définie dans la loi de 2002 Démocratie de proximité. Cette Commission est chargée par sept ministères   le Maître d’ouvrage   d’animer un débat public sur les nanotechnologies. Dès lors, la CNDP a créé une Commission particulière, la CPDP. La CPDP entend placer le public au centre du débat pour l’informer et recueillir ses attentes, ses préoccupations et ses craintes dans le but de rendre compte objectivement de l’ensemble des arguments et des prises de position échangés au cours des débats, afin que l’État, les chercheurs, le corps médical et l’ensemble des citoyens en tirent les enseignements utiles dans le cadre des responsabilités de chacun. Jean-Pierre Chaussade rappelle le principe fondamental qui guide la Commission : le public peut s’exprimer sur tous les sujets qu’il souhaite aborder en relation avec les nanotechnologies, même si des thèmes particuliers sont choisis selon les lieux du débat.

Ainsi, à ce jour, six débats ont été organisés, auxquels ont participé 2 000 personnes, tandis que, sur internet, 48 000 visites ont été observées, 240 000 pages consultées, 108 avis déposés, 42 cahiers d’acteurs rédigés et 344 questions posées.

Jean-Pierre Chaussade invite le public à poser des questions, oralement ou par écrit. Il insiste sur le fait que la CPDP est garante qu’il sera apporté une réponse complète, que ce soit en séance ou sur le site. En particulier, des représentants des ministères sont présents dans la salle et peuvent apporter des réponses directement.

Introduction

Après la projection d’un film de présentation réalisé par les sept ministères, Catherine Larrieu du ministère de l’Écologie est invitée par Jean-Pierre Chaussade à donner la motivation des sept ministères. Elle rappelle que l’organisation de ce débat est un engagement du Grenelle de l’Environnement et répond à une volonté politique partagée par les pouvoirs publics, les représentants des employeurs, les organisations syndicales de salariés et les associations environnementales, de consommateurs et des familles d’élargir le débat au-delà des experts. L’État, précise-t-elle, est en position d’écoute. Dans leur ensemble, les décisions ne sont pas prises.
Première séquence : les nanotechnologies et la recherche en Franche-Comté

Panélistes : Éric Gaffet (directeur de recherche au CNRS), Michel de Labachelerie (directeur de FEMTO-ST), Thierry BRUGVIN (président d’ATTAC Besançon), Serge Piranda (PDG de STATICE SANTÉ)
Animateur : Jean-Pierre Chaussade, membre de la CPDP
 Éric Gaffet, directeur de recherche au CNRS, entame le débat en présentant les nanomatériaux, non pas comme une révolution scientifique mais comme une étape nouvelle. Trois grandes familles, mécanique, physique et chimique, sont à l’origine des nanomatériaux, selon deux grandes voies de synthèse, descendante (réduction de la taille) ou ascendante (élaboration et agrégation des atomes).

Lui-même travaille dans la mécanosynthèse (casser les matériaux et les restructurer) pour obtenir des poudres microniques qui viendront consolider le matériau massif. Le matériau sous la forme nano acquiert des propriétés différentes : plus grande résistance, amélioration de l’allongement jusqu’à 5 000 % (ce qui le rend beaucoup plus léger) et dureté du matériau. On peut déformer des matériaux fragiles sans les casser. En matière de transfert de technologie, il travaille à l’international avec des entreprises ou des laboratoires sur la densification des matériaux.

Enfin, pour ce qui est de la maîtrise des risques, c’est une dimension qui est prise en compte dans son laboratoire (mesures de contrôle avec l’INRS, mise en place d’un protocole pour éviter l’exposition, manipulation et transfert des poudres en milieu confiné).

Michel de Labachèlerie fait ensuite état d’une application tout à fait différente des nanotechnologies du FEMTO-ST, laboratoire multidisciplinaire dont une partie travaille dans les nanomatériaux, en relation avec l’hôpital de Dijon. Le premier type de réalisation concerne des composants qui comportent des couches moléculaires ultraminces que l’on plonge dans des substances et des molécules viennent se déposer à la surface. Ce procédé "vert" permet des analyses biomédicales plus rapides et le diagnostic des maladies, en particulier des cancers, beaucoup plus précoce, parfois de plusieurs années. Un deuxième type d’application consiste en des matériaux nouveaux, notamment pour des couches de protection plus dures d’enrobage ultrafines qui rendent le plastique, par exemple, très résistant et très léger pour une utilisation dans les voitures ou les avions. Le troisième type, ce sont des composants électroniques ou optoniques beaucoup plus petits dont la mémoire, à volume égal, est 1 000 fois plus importante.
En contrepoint, Thierry Brugvin, d’Attac Besançon, donne sa réaction, en tant que citoyen et non plus de chercheur, face au développement des nanotechnologies. Il constate tout d’abord que le débat vient un peu tard puisqu’il existe déjà un millier de produits sur le marché (microcapsules, cosmétiques, vêtements, pesticides), puis il s’interroge sur la traçabilité de ces produits dans le corps humain et l’environnement. S’il reconnaît que, dans le domaine de la santé, les nanotechnologies ont un effet positif en permettant de mieux soigner, il observe qu’elles peuvent rester dans le corps humain et avoir des effets induits non désirés. Enfin, il déplore que seulement 0,4% des financements y soient consacrés

Face à ce constat, Attac met en avant le principe de précaution qui, dans l’idéal, ne devrait pas permettre la mise d’un produit sur le marché avant d’en avoir analysé les nuisances sur la population, et il fait quelques préconisations : des études toxicologiques, une protection des consommateurs et des travailleurs, un étiquetage obligatoire et un moratoire sur la vente des produits dont l’absence de toxicité n’est pas prouvée.

Jean-Pierre Chaussade invite la salle à réagir avant de passer la parole aux représentants des ministères.

Un militant de l’Association des objecteurs de conscience dévoile une dépêche de l’AFP faisant état d’un risque d’endommagement de l’ADN des cellules à distance par-delà les barrières de protection des organes par des nanoparticules de cobalt-chrome provenant de la fabrication de têtes de fémur pour les prothèses de hanche. Il souligne que l’Office fédéral allemand de l’environnement recommande d’éviter les utilisations de nanotechnologies tant que leurs effets sur l’homme ne sont pas compris.

Répondant à une question récurrente du débat et aux séances antérieures sur le financement de la recherche sur le risque toxicologique, Catherine Larrieu, du ministère du développement durable, révèle qu’il s’élève à 5 % et tend à augmenter tout en étant en retrait par rapport à la recherche européenne, car les États tendent à mutualiser leurs efforts au niveau européen. Quant au reproche d’avoir sorti des produits sans avoir fait de la recherche sur leur toxicité, Patricia Blanc, du même ministère, remarque que le Grenelle de l’environnement a constaté la méconnaissance des usages et des quantités de ces produits et la nécessité de rendre obligatoire la déclaration des produits fabriqués, vendus et importés, ce qui se fera dans le cadre de la loi Grenelle 2 voté au Sénat qui repassera à l’Assemblée nationale en janvier 2010. La France est le premier pays européen à le faire et devrait être suivie par le Royaume Uni et l’Allemagne, en attendant d’étendre cette déclaration obligatoire au niveau européen.

À la question de Jean-Pierre Chaussade sur le ou les organismes chargés de collecter et d’évaluer les études faites dans le monde, Mireille Fontaine, du ministère de la Santé, mentionne les agences de sécurité sanitaire, l’AFSSAPS, l’AFSSET, etc. qui sont administrativement sous la tutelle de l’État mais indépendants dans leur fonctionnement. La direction générale de la Santé peut aussi saisir le Haut conseil de santé publique pour les risques émergents.

L’intervention de Serge Piranda permet de mettre en perspective la problématique des petites entreprises de la région bisontine, qui sont amenées à s’intéresser aux nouvelles technologies et à proposer des solutions innovantes si elles veulent recréer le tissu industriel et développer l’emploi dans la région. Statice Santé, petite entreprise issue de l’industrie horlogère, s’est diversifiée dans la microtechnique au service de la santé et s’est rapprochée des nouvelles technologies en réponse aux demandes des médecins.

Serge Piranda se dit tout à fait sensible aux réserves d’Attac et soutient qu’il faut être attentif aux effets secondaires négatifs, à court et à long terme. Tout l’enjeu, c’est d’utiliser les nanotechnologies en ce qu’elles ont d’utile, tout en restant vigilants. Il est très ouvert aux avis des philosophes et des spécialistes du contrôle et des risques pour indiquer quelles barrières poser là où c’est nécessaire.

Cette intervention provoque des réactions et des mises au point variées.

La question du pourcentage des financements revient à plusieurs reprises. Un intervenant relève qu’on dépense plus d’argent pour  l’armement (7 %, mais entre 20 et 30 % aux États-Unis) que pour la santé (5 %, et 0,4 % seulement au niveau mondial).
Plusieurs intervenants font part de leur inquiétude, encore renforcée par ce débat – Jean-Pierre Chaussade remarque d’ailleurs que le rôle du débat n’est pas de rassurer mais de faire un état complet du sujet et de rassembler les avis.

Plusieurs questions traduisent cette inquiétude : comment mesurer et analyser un risque quand on ne sait pas quoi mesurer et quand les outils manquent ? Quels moyens existe-t-il pour savoir si l’on a absorbé des nanoparticules ? Ne va-t-on pas trop vite ? Quelle traçabilité du produit et quel devenir pour les déchets ? La réglementation est-elle appliquée ? La règlementation européenne REACH est-elle adaptée ? Pourquoi s’arrêter à 100 nanomètres dans le repérage des nanoparticules ? Il faudrait aussi prendre en compte les particules entre 100 et 300 nanomètres.

Autant de questions qui trouvent des éléments de réponse de la part des différentes personnalités présentes dans la salle.

La situation des nanoparticules est comparée à celle de l’amiante par plusieurs personnes qui soulignent qu’entre la production et l’interdiction, il s’est écoulé 40 ans. L’OMS elle-même a mis 20 ans à l’interdire. De la même manière est dénoncée l’utilisation de plomb dans les carburants également pendant 40 ans.

Pour ce qui est de la réglementation française, un ingénieur en prévention de l’Inspection du travail rappelle les différents axes dans la prévention des salariés : travailler en vase clos pour les produits CMR (Cancérogènes et/ou Mutagènes, et/ou toxiques pour la Reproduction), mettre en place des protections collectives par des systèmes de captage et prévoir des protections individuelles (gants et combinaisons) pour les salariés les plus exposés. Ce cadre réglementaire s’applique aux salariés exposés à des produits toxiques et aussi à des nanoparticules. Il révèle que ce n’est pas toujours appliqué par méconnaissance ou par manque d’investissements, mais il signale que la CRAM (Caisse Régionale d’Assurance Maladie) peut offrir des financements. Par ailleurs, les industriels doivent appliquer la règle des taux d’exposition les plus faibles possible. Enfin, il existe une surveillance médicale renforcée   une visite médicale par an.

Quant au point de savoir si le règlement REACH, sur le plan européen, appelle un nouveau dispositif pour les nanoparticules, Patricia Blanc, du ministère du développement durable, précise que ce règlement a inversé la charge de la preuve, qui incombe désormais au producteur, et impose un partage des données. La réglementation s’applique aujourd’hui aux nanoparticules comme aux autres produits chimiques, pour autant qu’ils soient produits en quantité suffisante, ce qui n’est cependant jamais le cas. J.-C. Roche, de la DGCCRF signale qu’en matière de cosmétiques il est désormais obligatoire de déclarer la présence de nanoparticules. Pour les autres produits, ce n’est pas le cas, mais le débat peut apporter une réponse. En revanche, d’une manière générale, le producteur est soumis à l’obligation générale de sécurité.

Un intervenant fait état de différentes approches en matière de dangerosité : les nanoparticules elles-mêmes, les risques lors de la fabrication, et la durée du produit.

Pour ce qui est de la taille des particules, Éric Gaffet confirme l’existence d’une norme ISO. Toutefois, les particules dépassant les 100 nanomètres sont prises en compte en tant que nanoparticules dans la mesure où elles changent de propriétés, et c’est cela qui est déterminant. En réponse à la question sur le traitement des déchets, il fait état de leur inexistence dans son laboratoire, la recuisson des poudres dans des fours par des torches à plasma leur faisant perdre leur caractère polluant.

Gérard Tiborg, annonce que, depuis 2001, le Conseil économique et social régional, composé entre autres de représentants des organisations de salariés et d’employeurs et dont il représente ici le président, travaille sur les microtechniques en vue de promouvoir le pôle de compétitivité et a produit un cahier d’acteurs.

Un intervenant de 90 ans tient à faire partager sa longue expérience des pollutions successives dont on a nié la dangerosité. Il exhorte les pouvoirs publics à ne pas laisser les industriels s’accaparer les produits et déplore une indifférence générale et l’incapacité des pays comme de l’Europe à gérer tout cela et, au soir de sa vie, il forme le vœu d’un monde où ses enfants et petits-enfants pourront respirer un air sain.