Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu de la réunion publique de Bordeaux

 

Voici la réponse sur les nanotubes de carbone : en Europe, les capacités de production sont comprises dans une fourchette allant de 30 à 200 tonnes/an de nanotubes de carbone. Je parle bien de capacité de production. La production réelle est de quelques dizaines de tonnes au maximum et la commercialisation se fait essentiellement hors d'Europe.
Quant à savoir combien il y a de nanotubes de carbone en kilos dans des articles de sport circulant en France, je ne suis même pas sûr que l'on puisse parler de kilos actuellement.
En revanche, toutes les batteries lithium-ion contiennent des nanotubes de carbone produits par un fabricant japonais depuis pratiquement vingt ans. Vous n'y pouvez rien : c'est un fait. Cela, ils ne le savaient pas.
Il faut bien en être conscient : on parle de nanos maintenant, mais cela a existé avant que l'on ne sache le mesurer, cela existe naturellement. Je ne répéterai pas ce qui a été dit moult fois dans tous les séminaires nanos (on a parfois l'impression de se répéter, mais ce n'est pas toujours le même auditoire) : même les Grecs et les Romains utilisaient des nanoparticules pour colorer le verre. Ce n'est pas nouveau.
La grande révélation a été le microscope à force atomique qui a permis de voir ce que l'on faisait avant et que l'on ne savait pas. On faisait des nanos comme M. Jourdain faisait de la prose.
Une personne a parlé d'un film tout à l'heure. Un autre film sera projeté sur France 5 : «Bienvenue dans le nanomonde». C'est un quatre fois 52 minutes. J'ai pu voir ce film en DVD, il est assez intéressant. J'espère qu'il sera projeté avant la fin de l'année : il pose des questions et apporte des réponses. Il pose aussi des questions fondamentales en expliquant d'où vient la notion de nano. Ce n'est pas venu du jour au lendemain, il ne faut pas croire que c'est une génération spontanée.
M. BERGOUGNOUX. - Nous allons arrêter là cette séquence. Je remercie les panélistes, ainsi que tous les intervenants. Sans doute certains n'ont-ils pas trouvé la possibilité de s'exprimer. J'ai ici des questions écrites auxquelles il n'a pas toujours été répondu. Elles apparaîtront sur le site et l'on s'efforcera d'y répondre aussi précisément que possible.
Merci à tous.
(Applaudissements.


Des nanosciences aux nanotechnologies

 

Mme JARRY. - Une seconde séquence va commencer. Nous allons essayer d'être plus brefs, plus simples, plus accessibles et de faire en sorte que ce soit aussi vivant que possible.
Merci à tous ceux qui sont restés, même si beaucoup sont partis…
Cette séquence s'appelle assez sérieusement «Des nanosciences aux nanotechnologies». L'idée était de vous présenter quelques chercheurs. On parle toujours de ces chercheurs qui sont dans leurs laboratoires et qui «bidouillent» on ne sait trop quoi : ils vont nous dire justement ce qu'ils font.
Il nous a semblé intéressant de parler de ceux qui sont à la base de toutes ces nanotechnologies, car il n'y aurait pas de nanotechnologies s'il n'y avait pas de développement des nano-objets dans les laboratoires.
Sont présents Philippe POULIN et Cécile ZAKRI, du centre de recherche Paul Pascal. Vont s'exprimer également Etienne DUGUET, qui travaille à l'Institut de Chimie de la Matière condensée (ICMCB), ainsi que le représentant d'une petite entreprise, David JACOB, qui dirige Cordouan Technologies, qui travaille à des solutions pour la mesure de taille des nanoparticules en voie liquide, si j'ai bien compris.
Je vais leur laisser la parole très vite. L'idée est que vous puissiez leur poser des questions précises sur leurs travaux, leurs objectifs, la manière dont cela commence et ce sur quoi cela débouche.

M. POULIN. - Merci à vous de rester aussi tardivement.
Avant de décrire nos travaux, je voudrais rappeler quelles sont nos missions, en tant que chercheurs CNRS. Nos missions premières consistent à développer la connaissance, rechercher de nouvelles propriétés de la matière et aussi communiquer ces nouvelles propriétés. Nous sommes d'ailleurs évalués sur ce que nous publions et communiquons, pas sur ce que nous cachons.
Il s'agit donc avant tout de chercher de nouvelles propriétés et de les communiquer.
Il se peut qu'au cours de ces recherches l'on trouve des opportunités technologiques. Là, selon leur personnalité et leurs envies, les chercheurs peuvent être intéressés, comme c'est mon cas, par ces transferts technologiques autour des nanotubes de carbone. Je m'investis beaucoup dans des projets technologiques autour des nanotubes, notamment en collaboration avec Arkema.
Nous travaillons aussi sur des projets en amont qui ne sont pas spécifiquement à visée technologique sur les nanotubes. Je remercie M. BERNARD pour sa description des nanotubes de carbone.
Je parlerai du contexte des travaux qui nous intéressent.

M. BERNARD a décrit la façon dont les nanotubes de carbone étaient synthétisés. Au centre de recherche Paul Pascal, nous travaillons plus sur leur utilisation et leur incorporation dans des matériaux. Le mot matrice a été employé tout à l'heure. Effectivement, le nanotube tel quel n'est pas directement utilisable : il faut qu'il soit combiné à une matrice, qui peut être un milieu polymère, un liquide, une peinture, une base ou des fibres. Nous nous intéressons beaucoup à des fibres chargées en nanotubes de carbone.
M. BERNARD a expliqué que les nanotubes avaient des propriétés exceptionnelles. Notre objectif est de passer de ce monde nanométrique, qui est un peu abstrait même pour nous, chercheurs (l'objet nanométrique, on ne le voit pas tous les jours. On a bien sûr accès aux microscopes électroniques, mais ce n'est pas très commun) au monde macroscopique, à notre échelle, en essayant de tirer parti de ces propriétés, en l'occurrence de celles, particulièrement intéressantes, des nanotubes de carbone.
C'est là que l'on travaille la chimie, que l'on manipule les nanotubes pour obtenir des matériaux macroscopiques qui pourront ensuite être utilisés peut-être pour des cadres de vélo, par exemple, mais aussi qui vont nous intéresser tout simplement pour voir quelles nouvelles propriétés peuvent apparaître à partir du moment où l'on a telle particule mélangée à une matrice polymère (plastique, si vous préférez) ou la façon dont elle se comporte dans des solutions.

Tel est le contexte général de nos travaux. Je vais laisser la parole à Cécile et à mes collègues…
Mme ZAKRI. - Bonsoir. Je travaille dans le même laboratoire que Philippe POULIN et nous sommes d'ailleurs dans la même équipe. Nous travaillons tous les deux autour des nanotubes de carbone.
Nous sommes un nombre assez important de chercheurs à nous poser des questions concernant les nanoparticules et les nanotubes de carbone. Comme l'a dit Philippe, nous sommes amenés à communiquer sur ce que nous faisons : nous ne sommes pas dans notre bulle, puisque nous parlons avec les gens, nous communiquons avec d'autres scientifiques. Nous sommes aussi souvent amenés à communiquer avec le grand public, à travers des actions comme la Fête de la Science, où régulièrement les gens viennent nous poser des questions sur ce que nous faisons et nous y répondons très volontiers.
Il y a aussi une exposition à Cap Sciences, où certains sont peut-être déjà allés, où l'on parle aussi des nanoparticules.

C'est un travail d'équipe : nous sommes plusieurs à nous pencher sur les problématiques autour des nanotubes de carbone et à réfléchir ensemble aux débouchés technologiques et aux propriétés de ces particules. Le fait d'être plusieurs donne des visions complémentaires et différentes et cela nous évite, pour ceux qui pourraient le craindre, d'être complètement sclérosés dans une certaine vision des choses. Nous sommes nombreux à réfléchir autour de cela.

Philippe a dit que nous cherchons les propriétés de ces matériaux. Je voudrais revenir sur l'idée de mesure. Nous en avons beaucoup parlé, puisque c'est un point – il ne faut pas s'en cacher – qui sans doute pèche actuellement : comment détecter les nanoparticules et les mesurer ? Nous avons beaucoup entendu parler de traçabilité, d'impact sur l'environnement, etc.
Je voulais dire ceci aux personnes qui demandent un moratoire sur les recherches et sur la connaissance : comment peut-on prétendre trouver les outils de mesure sans rechercher des moyens de mesurer cela ? Ce n'est pas du tout évident de détecter où elles se trouvent et de mesurer les quantités de nanoparticules. Nous travaillons en particulier sur ces aspects. Nous allons chercher à développer des instruments de mesure, des techniques de mesure, à réfléchir aux méthodes qui vont nous permettre de mieux connaître ces particules. Qui dit mieux les connaître, dit mieux les maîtriser et mieux les contrôler. Cela a donc un impact sur la suite des choses.
Je pense que M. JACOB en parlera également, puisqu'il développe aussi des instruments de mesure autour des nanoparticules. Je vais laisser parler Etienne.

M. DUGUET. - Bonsoir à tous. Je travaille dans un laboratoire qui n'est pas très loin du centre de recherche Paul Pascal, qui s'intéresse au domaine des matériaux depuis très longtemps : matériaux pour l'énergie, matériaux magnétiques et matériaux pour l'optique.
C'est une évolution naturelle, ces quinze à vingt dernières années, de voir évoluer les propriétés de ces matériaux avec la taille. Il y a eu un glissement d'un certain nombre de thématiques vers les nanomatériaux.
Je vous parlerai plus particulièrement de ce que l'on fait dans notre équipe. Ce qui excite vraiment les scientifiques par leurs propriétés, ce qui inquiète les toxicologues, ce qui interroge les citoyens - que je suis aussi -, ce sont les nanoparticules.
Ce sont de petits morceaux de matière, qui ont des dimensions nanométriques. Nous allons travailler, en tant que chimistes, à la voie de synthèse de ces nanoparticules. En particulier, l'effort est mis sur la synthèse de ces particules dans des milieux liquides. C'est très exceptionnel de passer par une phase gazeuse, où l'on a le risque de voir ces nanoparticules nous échapper. Elles naissent dans un liquide, elles vivent dans un liquide et elles meurent dans un liquide, parce qu'en général, c'est là qu'au final, lorsque l'on voudra s'en débarrasser, on rajoutera quelques traces d'acide ou de base, en fonction de la nature de ces particules, pour les dissoudre.

C'est un travail important dans notre laboratoire, qui consiste à développer des voies de synthèse qui permettront de conditionner ces nanoparticules.
Le deuxième point important est de développer la caractérisation des nanoparticules. On a parlé de la taille et de la forme, mais d'autres facteurs sont aussi importants, comme la composition chimique qui, dans le cœur des nanoparticules, est souvent différente de celle à leur surface.
Il est important de comprendre cela, car la réactivité dont parlait le professeur BROCHARD dépend vraiment de ces quelques atomes, qui ne sont pas nécessairement très nombreux, à la surface des particules.
On a une expertise dans ce domaine et on met d'ailleurs à disposition des toxicologues (et en particulier l'équipe du professeur BROCHARD) des nanoparticules pour toutes leurs études ou l'on est capable de leur fournir des lots bien calibrés en taille, en forme, en chimie de surface pour qu'ils puissent mener des études et mieux comprendre les mécanismes.
On travaille aussi sur l'étude des propriétés. Une particule magnétique, dès qu'elle devient suffisamment petite, devient superparamagnétique. L'or, par exemple, dès qu'on va le mettre à l'échelle nanométrique, va émettre de la lumière. Il y a vraiment des propriétés intéressantes et fascinantes à découvrir à ce niveau.
Ma spécialité, ainsi que celle de certains de mes collègues, au sein du groupe, consiste à développer les nanoparticules pour des applications médicales. Ces nanoparticules que l'on a mises initialement, que l'on a fait naître dans un liquide et que l'on va manipuler dans un liquide présentent ces fameuses propriétés dont je vous parlais, mais aussi une autre grande propriété : leur taille. Dans le milieu humain, elles vont nous servir de vaisseaux pour visiter, diagnostiquer, voire traiter certaines pathologies.

Il faut savoir qu'une nanoparticule, qui fait 100 nanomètres, lorsqu'elle arrive à proximité d'une cellule, si elle est capable d'y rentrer, aura un espace à visiter qui est le même que vous lorsque vous êtes rentrés dans cette salle. Elle va pouvoir aller visiter tous les recoins de cette salle (donc les différents éléments qui composent les cellules).
Ces nanoparticules dont je vous parle et qui sont à vocation médicale sont aujourd'hui développées, mais pas du tout en tant que médicament de demain que vous aurez à disposition à la pharmacie ou que vous pourrez même prendre par automédication. Ce sont des nanoparticules qui seront mises à disposition des médecins dans les hôpitaux, car elles seront essentiellement administrées par voie intraveineuse. Il y a donc tout un protocole, etc.

Si elles sont magnétiques, ces particules peuvent par exemple circuler dans le corps. En fonction des endroits où elles vont aller s'accumuler naturellement, elles vont créer un contraste sur les images IRM que le radiologue fera à ce moment-là. Si ces particules sont capables de reconnaître une pathologie particulière, une tumeur (elles sont équipées en surface, les fonctions chimiques sont capables de reconnaître cette tumeur), elles vont circuler dans le compartiment sanguin. Je ne dis pas que c'est simple, car notre système immunitaire est très bien fait, il a beaucoup de processus pour éliminer ces particules et s'en débarrasser, mais si l'on connaît ces mécanismes, on est tout de même capable de les envoyer au même endroit et donc de faire ces images, qui améliorent fortement la valeur du diagnostic et permettent d'établir des diagnostics beaucoup plus précoces.

On peut aussi imaginer que des nanoparticules (d'ailleurs, quelques-unes sont vraiment bien avancées en essai clinique) soient capables de transporter des médicaments. Lorsque l'on injecte un médicament sous forme de molécule, celle-ci sera rapidement éliminée par les reins. Une nanoparticule n'est pas éliminée par les reins : elle a une autre voie d'élimination et l'on sait (je vous l'ai expliqué tout à l'heure) éviter qu'elle ne soit éliminée trop vite. Par conséquent, la particule qui transporte le médicament va pouvoir circuler et trouver sa cible (comme tout à l'heure l'agent de contraste pour faire le diagnostic) et de libérer à cet endroit, quand on le voudra, le médicament.
Nous pouvons même imaginer quelque chose d'encore plus sophistiqué et c'est ce sur quoi nous travaillons, c’est-à-dire que cette particule soit capable de libérer des médicaments et ait aussi une composante magnétique. Si elle a une composante magnétique, nous allons pouvoir la suivre par IRM et vérifier qu'elle arrive au bon endroit.

Lorsqu'on la met dans un champ magnétique à une certaine fréquence (bien évidemment compatible avec la physiologie humaine), la nanoparticule va absorber cette énergie magnétique et la convertir sous forme de chaleur. Nous allons donc pouvoir échauffer localement. Or, des tumeurs s'arrêtent de croître dès que l'on dépasse une température de 44 degrés ; une cellule saine, au contraire, supportera jusqu'à une température de 47 degrés. On a donc une fenêtre thérapeutique que l'on appelle l'hyperthermie, qui peut permettre, si l'on a envoyé beaucoup de particules magnétiques à proximité de ces cellules tumorales - voire à l'intérieur de ces cellules -, de nécroser sélectivement ces cellules. Il y a beaucoup de problèmes à régler, mais des prototypes assez basiques sont déjà en phase clinique II en Allemagne, à la clinique Charité à Berlin.
On peut imaginer que ces nanoparticules magnétiques puissent à la fois tuer des tumeurs directement par la chaleur, mais aussi en libérant un médicament anticancéreux et ainsi avoir un effet encore plus complet.
Je ne voulais pas monopoliser la parole, mais je souhaitais juste vous donner quelques informations sur ce que nous faisons.
Cela fait un bon moment que j'ai noté que je devais venir ici ce soir, mais cela ne fait que 10 jours que je sais que je ne serai pas dans la salle, mais à la tribune. Je veux dire que je suis chercheur : je connais un peu le domaine sur lequel je travaille, tout au moins les aspects chimiques du sujet très pluridisciplinaire dont je viens de vous parler.
Je suis aussi citoyen et père de deux enfants. Je sais très bien que c'est la recherche d'aujourd'hui qui va faire leur avenir demain et je me pose aussi beaucoup de questions.
Les chercheurs ne sont pas remplis de certitudes sur ce qu'ils font. Ils connaissent bien leur science, la façon de l'aborder et toute la rigueur qu'il faut apporter pour être certain que le résultat soit scientifique, publiable et que d'autres personnes puissent l'utiliser derrière. Au-delà de cela, dans d'autres domaines que ceux dont je vous parle, dans le développement, la production industrielle, je me pose les mêmes questions que vous, il est important de le préciser.

M. JACOB. - Bonsoir. Tout d'abord, en introduction du petit exposé que je vais vous faire, j'aimerais vous dire quelques mots sur la société Cordouan Technologies.
Basée à Pessac, cette société est une petite PME qui a été créée en septembre 2007. Cette société comprend aujourd'hui 11 personnes, principalement des docteurs, des ingénieurs, des techniciens et deux ou trois commerciaux. Elle est spécialisée dans l'industrialisation, la mise au point, la fabrication et la commercialisation de solutions de caractérisation de nanoparticules, notamment pour la recherche et l'industrie.
On l'a compris dans les exposés précédents : le développement des nanoparticules doit s'accompagner aussi de nouveaux outils de caractérisation, puisque l'on a affaire à de nouveaux objets pour lesquels les techniques conventionnelles ne s'appliquent plus.
Ces techniques de caractérisation peuvent intervenir dans différentes finalités, que ce soit dans les phases de synthèse des nanoparticules ou pour des études sanitaires ou environnementales où l'on va vouloir essayer de caractériser les objets en présence pour voir leur biodisponibilité ou leur impact sur la santé.

Concernant la caractérisation des nanoparticules, différents paramètres peuvent être mesurés, mais, parmi les paramètres physiques qui vont intéresser les chercheurs et les personnes qui font des études sur ces nanoparticules, il y a principalement la taille. Nous avons vu l'importance de ce paramètre ; on peut aussi citer la forme, la charge et aussi la composition.
Pour caractériser ces différents paramètres, il existe déjà différentes technologies et techniques depuis relativement longtemps, mais elles sont lourdes à mettre en œuvre et assez coûteuses à l'entretien. On a parlé de microscope à force atomique, de microscope électronique à balayage ; d'autres techniques encore sont appliquées, comme les systèmes de diffusion de rayons X aux petits angles.
Par ailleurs, les solutions classiques de microscopie optique ne s'appliquent plus dans ces cas-là, puisque les objets observés sont beaucoup trop petits. Il faut donc développer de nouvelles solutions et c'est sur ce créneau-là que Cordouan Technologies s'est positionné.

Principalement, notre première préoccupation a été de proposer des solutions permettant de caractériser la taille de nano-objets présents dans des liquides ou des crèmes.
Pour cela, nous avons développé, en partenariat avec l'Institut français du Pétrole, un instrument que l'on appelle un granulomètre laser, qui permet de caractériser la taille de nano-objets, qui vont de l'ordre du nanomètre jusqu'au micron. Cela permet de caractériser ces objets et de vérifier leur capacité à s'agréger ou non lorsqu'ils sont mis en suspension dans des solutions.
Des travaux sont déjà menés sur ces sujets depuis cinq à dix ans, mais de nouvelles solutions apparaissent, du fait de l'avènement et de la maturité de certaines technologies en optoélectronique, notamment sur les lasers et les détecteurs.

Pour vous donner une idée, la physique qui est derrière le principe de cet instrument que nous avons développé avec l'IFP date du temps d'Einstein, puisqu'il avait développé des modèles physiques à l'époque, prédisant le comportement de très petits objets en suspension dans un liquide. On a pu mettre au point des instruments de laboratoire que l'on peut déployer de manière plus importante aujourd'hui que tout récemment.
On voit que la science avait déjà pensé à traiter la problématique de ces petits objets, mais il a fallu attendre cette maturité technologique.
Aujourd'hui, nous commercialisons cet instrument auprès de différents laboratoires en France et nous commençons aussi à nous attaquer à des marchés européens. Nos collègues du CRPP utilisent l'un de nos appareils et c'est un laboratoire référent qui nous a permis aussi de maturer notre appareil et de discuter avec des chercheurs pour mieux comprendre leurs problématiques et voir comment faire évoluer les performances de ces appareils, afin de répondre à leurs attentes.
Parallèlement à cela, nous avons différentes activités qui sont moins orientées sur la synthèse des nanomatériaux, mais plutôt sur des aspects environnementaux et sanitaires.
Nous travaillons notamment sur un projet de mise au point d'un appareil de mesure d'aérosol (toujours d'objets nanométriques, mais cette fois-ci, en suspension dans des gaz). Cela concernera directement par exemple les gens qui veulent analyser des gaz de combustion aux sorties des moteurs. L'industrie automobile, notamment, peut être intéressée par cela.

Jusqu'à présent, on a beaucoup parlé de nanoparticules en tant qu'objets de synthèse issus directement d'une volonté créatrice, mais beaucoup de nano-objets sont présents dans la nature, issus d'activités humaines ou présents à l'état de traces, naturellement.
Cela concerne la pollution des nappes phréatiques par des nanoparticules, par des métaux lourds, par des radioéléments. Cela intéresse de plus en plus de personnes dans les filières de traitement des eaux domestiques. Nous travaillons sur un deuxième projet afin de mettre en place des outils de caractérisation de nanoparticules à l'état de traces dans l'eau.
Je pense que ces solutions ont un bel avenir, puisque l'on voit qu'au niveau de VEOLIA, SUEZ, etc., il y a des activités importantes sur la dépollution des eaux.

Tout ce travail se fait dans un contexte normatif : on ne peut pas proposer des solutions sans être à l'écoute de ce qui se fait au niveau des normes. Notre société est aussi impliquée dans les comités de normalisation, notamment le comité AFNOR sur les nanotechnologies, ce qui nous permet de participer activement aux discussions sur tout ce qui touche à la normalisation et à la caractérisation des nanoparticules.
A ce sujet, nous sommes intégrés dans un groupe de travail de manière active afin, au niveau national, de définir une position commune avec d'autres industriels et des chercheurs, et de faire remonter ces informations à un niveau international dans les comités de normalisation.
En résumé, il y a encore beaucoup de travail à faire dans le domaine de la caractérisation des nanoparticules, mais c'est en tout cas un domaine passionnant qui répond aux attentes des chercheurs qui travaillent en amont dans les phases de synthèse et aussi aux attentes de ceux qui sont soucieux de l'impact de ces nanoparticules sur l'environnement et la santé.
Mme JARRY. - Merci beaucoup. Y a-t-il déjà des questions ?

Dans la salle. - C'est très bien, ce que vous nous dites. On est content : on va avoir les moyens de caractériser les nanoparticules dans l'environnement. Le souci est qu'elles sont déjà l'environnement et que l'on ne sait toujours pas les caractériser. Il y en a déjà qui se promènent un peu partout…
Sera-t-on capable, en les ayant caractérisées, de les récupérer pour les retraiter ? J'imagine que cela va encore prendre quelques années de développement. Ce ne sera pas simple de récupérer des nanoparticules dans un lac ou une rivière. C'est donc bien de savoir qu'elles sont là, mais que fait-on après ?
C'est la même chose concernant les déchets. Si l'on caractérise les nanoparticules dans les déchets ménagers, cela pose aussi la question de savoir ce que l'on en fait. Quel est leur devenir ? Ce qui ne me rassure pas dans ce que j'entends ce soir, c'est que nous sommes déjà après l'événement. Les nanoparticules sont déjà fabriquées, déjà libérées et c'est maintenant que l'on se pose la question de savoir comment faire pour aller les récupérer.

Quand on voit la lourde machinerie dans les laboratoires pour les caractériser, les voir et travailler dessus, on ne va pas se promener dans la nature avec un spectromètre de masse pour récupérer des nanoparticules. Cela m'inquiète donc plus que cela ne me rassure. Lorsque l'on a mis une crème solaire et que l'on se lave, que deviennent les nanoparticules de titane qui sont dedans ? Est-ce qu'on les retrouve dans l'eau ? Elles sont déjà dans l'eau, dans la mer et les rivières.

M. POULIN. - Je répondrai à certains points, peut-être pas à tous.
D'abord, si vous utilisez des produits cosmétiques, même sans nanoparticules d'oxyde de titane, même avec du savon de Marseille, vous formez des nanoparticules, des auto-assemblages de molécules tensio-actives des savons, donc titane ou pas titane, nous sommes aussi dans le domaine des nanotechnologies.
En ce qui concerne la récupération des nanoparticules dans la nature, le problème n'est pas nouveau. Il y a des nanoparticules dans les eaux usées. Il existe justement aujourd'hui des méthodes par des moyens chimiques, des additifs. En fait, ce sont des longues chaînes polymères qui font coaguler ces particules et les font sédimenter. On étudie proprement ce genre de problème et les nanoparticules sont une opportunité pour avancer dans ces recherches pour un meilleur traitement des eaux usées.
Vous avez entièrement raison : il faut savoir éliminer les particules des eaux. Il existe des technologies, qui sont à améliorer ; cela fait partie des projets de recherche autour des nanotechnologies, pour les particules synthétiques, comme pour les particules minérales. C'est donc vraiment intéressant.

Mme JARRY. - Il y a une question de M. MONTELEON.

M. MONTELEON. - Je voudrais revenir sur les applications de la santé, sur le débat précédent. Comment les chercheurs se protègent-ils ? Par exemple, concernant les cytostatiques, on sait que les soignants et les personnes qui accompagnent les malades sont les «victimes» des médicaments anticancéreux. Qu'en est-il des nouveaux médicaments ? Prend-on les précautions adéquates ? S'intéresse-t-on aux travailleurs qui auront à les utiliser ? On dit que c'est réservé aux médecins, mais auront-ils la protection adéquate dans les hôpitaux ? Les médecins, infirmières, aides-soignantes, etc., et surtout les personnes qui accompagnent les malades pourront éventuellement être exposés.

M. DUGUET. - Je vais donner une réponse de chimiste à une question qui ne concerne pas que la chimie.
Au laboratoire, toutes les précautions sont prises. Les nanoparticules sont confinées dans de l'eau et elles ne peuvent pas sortir du liquide et n'ont aucune possibilité de s'évaporer, de partir dans l'atmosphère. Elles sont donc confinées dans de l'eau en général, quelquefois dans un mélange hydro-alcoolique. Elles sont toujours manipulées de cette façon.
Puis, les étudiants et les chercheurs utilisent des masques, des gants, des sorbonnes et des hottes qui vont permettre de ventiler, comme pour tout produit chimique.
Je n'ai pas précisé tout à l'heure la nature des nanoparticules utilisées pour les applications médicales. Je vous ai parlé des nanoparticules pouvant servir d'agents de contraste sur les images en IRM. Sachez que c'est «tout simplement» de l'oxyde de fer, c'est-à-dire un petit morceau de rouille, suffisamment petit pour circuler et avoir ces propriétés superparamagnétiques qui lui apportent cet effet de contraste sur les images.
Notre corps contient un pool de fer entre 3 et 5 grammes environ. Lorsque l'on injecte les nanoparticules au patient, on injecte un milligramme de fer – les médecins m'excuseront - par «kilo de patient». Pour un patient de 80 kilos, on injectera 80 milligrammes de fer sur un pool général qu'il a, lui, de 5 grammes. Le corps sait dissoudre du fer à un endroit pour aller le stocker ailleurs ou en éliminer, s'il y en a trop.

La nature des nanoparticules utilisées n'est pas en elle-même toxique, puisque le fer est un élément endogène, que nous avons déjà dans notre corps. En revanche, lorsque l'on associera à ces nanoparticules un médicament, on se retrouvera alors dans un problème de pharmacologie classique. Là, ce sera la toxicité du médicament qui accompagnera la particule, même si l'on peut imaginer que le médicament confiné dans la particule sera peut-être moins toxique et moins volatil que dans une solution plus classique.

M. MATET. - (?) Je suis Loïc MATET, simple citoyen. Je voudrais poser une question par rapport au système de mesure. Les outils de mesure actuels sont-ils suffisants pour confirmer l'absence de nanoparticules dans l'usage de produits de consommation courante contenant des particules agglomérées, dont ce n'est pas le but, bien sûr ?

Mme JARRY. - Voulez-vous parler des produits de consommation courante ?

M. MATET. - Oui.