Documents du débat

Cahiers d'acteurs

Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.

LES VERTS

Le dialogue entre science et société au fondement de la démocratie écologiste

Les nanotechnologies : entre scientisme et productivisme

 


Les Verts, parti politique français, membre du Parti Vert Européen, a pour objectifs la justice sociale, la défense des libertés et la protection de l’environnement. En rupture avec la logique productiviste et scientiste, il soutient le développement des connaissances mais l’inscrit dans le cadre d’un dialogue permanent entre science et société et de l’application du Principe de précaution.

 

 

Favorables à l’approfondissement des connaissances dans tous les domaines, les militants et les élus Verts sont également attentifs aux évolutions scientifiques et technologiques et à leurs conséquences possibles sur la société et l’environnement. Conscients des transformations radicales permises par la manipulation de la matière à l’échelle moléculaire, ils s’inquiètent du caractère irréversible de l’introduction subreptice de nano-objets dans l’environnement et la chaîne alimentaire. Ainsi, les mises sur le marché de centaines de produits contenant des nanoparticules de synthèse ne sont précédées d’aucune évaluation d’impact par des experts indépendants, en violation du Principe de précaution   – pourtant inscrit dans la charte de l’environnement de la Constitution française –et de l’esprit du règlement REACH. Les Verts constatent que l’explosion des financements publics et privés ciblés sur le développement des nanotechnologies, au détriment d’autres domaines de recherche, se fait sans réelle réflexion sur leur intérêt sociétal ou sur les risques afférents en matière d’éthique et de libertés. Les Verts réclament donc l’organisation de débats pluralistes menant à des décisions opérationnelles qui prennent en compte les spécificités exceptionnelles des nano-produits et nanotechnologies introduits dans l’espace public, et un renforcement de l’information des citoyens.  

 

Glossaire

 

Principe de précaution : Inscrit dans la constitution « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
 

Pour Les Verts, loin de bloquer l’innovation, cela la stimule en la réorientant vers le bien commun.

 

Moratoire : Décision politique de suspendre temporairement une activité. Par exemple en 1974 les recherches en génie génétique ont été suspendues jusqu’à la conférence d’Asilomar (risques pour les personnels de laboratoire, crainte de guerre bactériologique)

 

« Apocalypse nano » ou Principe de précaution ?

 

Les nanotechnologies : entre scientisme et productivisme, au détriment de la démocratie

Les citoyens sont absents et les politiques sous pression lors des décisions concernant les nanos. Mais les acteurs économiques sont à l’action, notamment les grands lobbies industriels. L’innovation technique est mise en avant pour transformer l’avancée des connaissances scientifiques en marchandises. Créer de la valeur, faire croître les profits, quel qu’en soit le coût sociétal, voilà leurs objectifs ! Parce qu’elles intéressent la plupart des domaines de la société (santé, transports, communications, agriculture, défense...), les nanotechnologies sont censées « relancer la croissance ». Cette logique marchande, cette « bulle nano » qui enfle (le marché nano était de 8 milliards d’euros en 2006, 20 actuellement et peut-être 1 500 en 2015 !) s’accompagnent d’une hyperspécialisation des territoires. Le passé a pourtant démontré les impasses d’un tel déséquilibre avec le dépérissement de régions entières autrefois consacrées à la sidérurgie, aux mines ou au textile.

En France, les crédits pleuvent donc sur les « nanos ». Récemment, juste avant le début de ce débat public national, le « plan de relance » gouvernemental attribuait plusieurs dizaines de millions d’euros à la construction en urgence de nouveaux bâtiments dédiés aux nanotechnologies : un à Grenoble, un à Toulouse et trois à Saclay !

 

La politique actuelle de développement des nanotechnologies à marche forcée incarne parfaitement deux idéologies, deux croyances que Les Verts critiquent : le scientisme et le productivisme.

Le scientisme pose que sciences et techniques peuvent résoudre tous les problèmes, y compris ceux-là même qu’elles ont créés. Le productivisme prétend qu’il est nécessaire de produire toujours plus de biens matériels pour améliorer les conditions de vie de la plus grande partie des populations et pour le bon fonctionnement de nos sociétés. Avant de décider, les élus n’ont pas accès à une information complète. Ne leur impose-t-on pas de travailler dans une urgence toujours évoquée au nom de la compétitivité ou de la concurrence mondiale ?

Pour remplir sa  mission, le chercheur doit-il se tenir à l’écart « du bruit et des tumultes de la cité » ?

Pour Les Verts, les citoyens doivent participer à la détermination de ce qui est bon pour eux. Encore faut-il leur en donner les moyens. Et la République des groupuscules d’experts ne doit pas remplacer la délibération démocratique.

 

 
 
> Usine produisant des poudres de tungstène submicroniques nanostructurées en ville 

Vers une modification de la condition humaine ?

La marchandisation des nanotechnologies et la question des applications bonnes (médicales) ou mauvaises (militaires) ne doivent pas cacher un autre enjeu, encore plus essentiel. Le « mécano atomique » va brouiller les distinctions animal / végétal, animal / humain, vivant / inerte. C’est une transformation inédite du monde qui se profile. Les repères des humains et même la condition humaine pourraient en être transformés.

La frontière entre le vivant et le non-vivant s’estompe dès maintenant avec les programmes militaires français du type FELIN (Fantassin à Liaison INtégrée), l’implantation de nanopuces dans le cerveau à Grenoble ou l’appareil Braingate réalisé par la société Cyberkinetics du Massachusetts.

L’écologie politique distingue progrès technique et progrès humain. Le progrès technique favorise le progrès humain sous certaines conditions, esquissées notamment par Ivan Illich avec la notion de « technologie conviviale » : réparable, réversible, appropriable par chacun, à coût réduit, au service de besoins précis et définis… Les nanotechnologies en semblent bien loin, surtout si elles enclenchent des transformations irréversibles portant atteinte à l’identité même de l’humanité.

Les risques pour l’homme et l’environnement

Les considérations théoriques que Les Verts ont énoncées ci-dessus ne doivent pas masquer les effets bien réels des nanotechnologies et des nanoproduits, notamment sur notre santé. Dès maintenant, constatons que tout à leur euphorie industrielle, les décideurs cantonnent de plus en plus l’objet de la recherche scientifique à la « recherche finalisée ». On dit qu’il faut produire, diffuser, créer des besoins et qu’étudier, comprendre les nano-produits viendra plus tard. L’urgence est imposée par le principe de rentabilité à court terme. Déjà, plus de 1 000 produits contenant des nano-éléments sont commercialisés dans le monde. Cette production implique un changement radical de gestion des risques sanitaires; les lieux où le risque est produit et ceux où il s’exprime étant découplés, à l’instar des exemples des épidémies de maladie de la vache folle ou de grippe A. Aux questions de bio-dégradabilité, de nocivité à long terme, aucune réponse n’est apportée aujourd’hui.


Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) rappelait en 2006 que seules 0,4 % des dépenses mondiales dédiées aux nanotechnologies étaient consacrées à la recherche sur les risques, notamment pour la santé des salariés et des consommateurs. Or, les nanoparticules peuvent passer à travers toutes les barrières corporelles (la peau en présence de lésions, l’intestin, la barrière entre sang et cerveau...) et c’est ailleurs pour cela qu’il est envisagé de les utiliser en médecine. Certaines études montrent un effet inflammatoire sur les systèmes pulmonaire et cardio-vasculaire. Les nanotubes de carbone pourraient produire dans le poumon des effets similaires aux fibres d’amiante. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire et du Travail (AFSSET) notait en 2008 : « À notre connaissance, l’évaluation des expositions dans les laboratoires de recherche ou dans les entreprises nouvelles du secteur n’a fait l’objet d’aucune publication à ce jour. […] Les nanoparticules doivent être considérées et manipulées comme des matières dangereuses. » Tout récemment, de jeunes travailleuses chinoises ont été affectées par des troubles pulmonaires (deux sont décédées) après avoir travaillé pendant quelques mois, sans protection adéquate, dans une entreprise utilisant des peintures contenant des nanoparticules (European Respiratory Journal, septembre 2009).

 

 

Les méthodes habituelles d’évaluation de toxicité sur des bases chimiques sont insuffisantes car une partie des risques est liée à l’aspect physique (particules isolées ou agglomérées, sous forme cristalline ou de bâtonnet…). De plus, une nanoparticule primaire donnée peut se comporter différemment dans un autre milieu et même se transformer en nanoparticule secondaire. Dans ces conditions, comment les agences sanitaires indépendantes, manquant de moyens humains et techniques, pourraient-elles certifier l’innocuité des nanomatériaux commercialisés ?

 

Quand bien même la toxicité de telle ou telle nanoparticule serait avérée subsisterait le problème de la mesure de l’exposition. Avec les techniques de métrologie actuelles, il est impossible de discerner, dans un prélèvement, les nanoparticules manufacturées de celles générées par les processus de combustion. Il sera nécessaire de mettre au point des méthodes complexes pour déterminer la « carte d’identité » des familles de nanoparticules : nombre, propriétés morphologiques (distribution en taille, forme des particules élémentaires et des agrégats, surface libre), propriétés chimiques et physiques.

 
Nombres de techniques de détection, utilisables en laboratoire, se révèlent inadaptées à la caractérisation de prélèvements extérieurs, qu’ils soient effectués dans les eaux, les sols ou l’air. Elles sont coûteuses et demandent un haut niveau de compétences. L’équivalent des compteurs Geiger qui mesurent la radioactivité ambiante n’existe pas (ou pas encore) pour les nanoparticules. Comme le disait l’AFSSET en 2006 : « En tout état de cause, il paraît utopique de disposer avant plusieurs années d’un outil de terrain polyvalent, capable d’assurer une surveillance des milieux naturels en continu. »

Les failles juridiques

L’expérience montre que la confiance en ceux qui développent des technologies radicalement nouvelles doit rester modérée. Car si cela tournait mal, qui en assumerait les conséquences ? L’absence d’une définition unifiée des nano-produits (substances) qui tienne compte à la fois de leur taille, de leur forme et de leurs propriétés spécifiques à l’échelle nanométrique, a pour conséquence qu’ils échappent pour l’heure à différentes réglementations, donnant lieu à de multiples situations d’exposition non évaluée :
>
Législation de la santé au travail (notamment pour la protection et la surveillance médicale)
> Sécurité des produits, en particulier dans les domaines des cosmétiques, des emballages et des additifs alimentaires
> Réglementation générale sur les substances (REACH), avec obligation d’enregistrement et d’évaluation des risques préalables.

 

 De ce fait, aucun étiquetage n’est pratiqué. Il est donc impératif qu’un texte cadre puisse fournir les définitions nécessaires ainsi que les conditions d’application des règlementations sectorielles. En outre, dans le cadre du règlement REACH, le critère de seuil de quantité produit (1 tonne par an) devrait être expressément cité comme inapplicable aux nanomatériaux, obligeant ainsi à la production systématique d’un rapport de sécurité. En outre, une substance classée inerte chimiquement peut être très réactive à l’échelle nanométrique comme le montrent les exemples de l’argent ou du dioxyde de titane.

Certes, la loi Grenelle 1, dans son article 42, a posé des jalons pour que : « la fabrication, l’importation ou la mise sur le marché de substances à l’état nanoparticulaire ou des matériaux destinés à rejeter de telles substances, dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation, fassent l’objet d’une déclaration obligatoire, relative notamment aux quantités et aux usages, à l’autorité administrative ainsi que d’une information du public et des consommateurs. » Mais que sont les « conditions normales d’utilisation » ? De quelle autorité s’agit-il ? On est loin du « no data, no market ».

 

Une évaluation de l’utilité sociétale de ces produits est aussi souhaitable. L’Académie des Sciences des pays émergents a dit dès 2005 : « oui à des produits utiles, mais pas futiles ».

La Haute Autorité de Santé devrait mettre en garde sur le vide règlementaire qui existe lorsque l’on passe « discrètement » de la pharmacologie classique à la pharmacologie « nano ». Les processus d’évaluation des médicaments, garde-fou indispensables, pourraient être court-circuités dès lors qu’il s’agit d’objets technologiques comme une caméra embarquée ou un robot.

Les libertés publiques sont gravement menacées par les potentialités des « RFID » ou des « smart dust », poussières qui permettraient de suivre n’importe qui à son insu. Actuellement, même dans un état démocratique comme la France, la multiplication des fichiers policiers ou consuméristes, pour lesquels la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) n’a pas la capacité de jouer son rôle de contrôle, fait débat. La situation va encore s’aggraver avec l’augmentation explosive des informations collectées. Et comment ne pas s’inquiéter de ce qui se passerait dans des pays dépourvus de toute agence de contrôle ?

 

Dans le cadre du programme de R&D coopératif Nano 2012, les élus Verts de la Région Rhône-Alpes ont réussi à imposer certaines conditions préalables au financement par des fonds publics. Ces demandes ont été relayées par les élus écologistes d’autres collectivités locales (Conseil général de l’Isère, mairies…) où elles étaient auparavant balayées d’un revers de main. Une clause de révision de la convention a été intégrée concernant le nombre d’emplois créés, principal argument avancé. Cependant, si les préconisations concernant la minimisation des impacts enviro nnementaux (consommation d’énergie, d’eau) ont été rapidement reprises par l’entreprise subventionnée (ST-Microelectronics y trouvant son compte et financièrement et pour son image), la rédaction et le chiffrage du lot concernant l’étude indépendante des impacts sociaux et sociétaux tarde.

Dans tous les autres cas (Minatec 1 et 2, le pôle de compétitivité Minalogic, Clinatec, etc.) nos efforts ont été vains. Nous avons donc voté contre, avec des motivations claires mais qui ne sont guère entendues vu le scientisme général. 

 

Béatrice Janiaud, Conseillère Régionale Verte de Rhône-Alpes

 

 > Militaire équipé de nano produits.

SYNTHÈSE

Principe de compétitivité ou principe de précaution : pour un usage public des nanotechnologies.

Parce qu’elles mêlent scientisme et productivisme de façon caricaturale, les Verts dénoncent avec force le traitement privilégié réservé aux nanotechnologies. Toutefois, soucieux de ne pas priver la société de technologies potentiellement utiles, notamment en matière de santé, les Verts promeuvent un usage à bon escient du Principe de précaution afin de réconcilier la science, ses applications et les citoyens.

 

À cette fin, les Verts préconisent :

 

> l’instauration de débats publics permanents et d’informations complètes des élus, bien en amont des décisions, pour dépasser le stade de l’acceptation par la population

> l’instauration d’un moratoire sur la commercialisation de produits contenant des nanoparticules suivi de la mise en place d’une autorisation européenne de mise sur le marché des nano-produits (AMMN)

 

> l’arrêt des investissements publics massifs (collectivités, Etat) au profit de grands groupes industriels et des développements militaires, jusqu’à ce qu’une stratégie européenne de recherche et de production soit définie et mise en place

> La négociation d’un règlement REACH II pour inclure les spécificités nanos

> La moitié des financements de recherche sur ces nouvelles techniques, en terme d’équipes et de budgets fléchés sur les questions sanitaires, environnementales et sociales.

 

 

COORDONNÉES

Les Verts

247, rue du Faubourg Saint-Martin

75010 Paris

Email : lesverts@lesverts.fr

http://lesverts.fr/

Tél. : 01 53 19 53 19

Fax : 01 53 19 03 93