Documents du débat

Cahiers d'acteurs

Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.

Les Amis de la Terre

Un moratoire sur les nanotechnologies est aujourd’hui la seule solution raisonnable

Les Amis de la Terre
Au cœur du mouvement écologiste mondial depuis 1970, l’association les Amis de la Terre France est une fédération nationale d’associations territoriales, membre du Réseau International Friends Of the Earth, présent dans 77 pays et réunissant plus de 2 millions de membres.
 
Elle œuvre pour la protection de l’homme et de l’environnement ainsi que pour la promotion de sociétés soutenables au nord comme au sud.

 

Les Amis de la Terre ne veulent pas d’un Débat Public tronqué

La réflexion sur le développement des nanotechnologies ne peut se réduire aux seuls aspects, économiques, sanitaires et environnementaux même s’il s’agit de domaines cruciaux. Ces nouvelles technologies posent intrinsèquement un grave problème éthique : jusqu’où a-t-on le droit d’aller ? Des enjeux essentiels ne sont malheureusement pas du tout abordés, telles l’atteinte aux libertés individuelles ou la question de la propriété intellectuelle, car avec les nanotechnologies nous allons vers la privatisation du vivant, mais aussi de la matière inerte, voire de la matière hybride. L’occultation de ces points essentiels discrédite à elle seule les résultats des consultations antérieures. Pour les Amis de la Terre, le débat public doit impérativement aborder tous les aspects et y apporter des réponses dans le respect du principe de précaution.   Alerté depuis 2005 sur les conséquences préoccupantes des nanotechnologies – par des ONG internationales comme ETC Group (Canada), FOE (Amis de la Terre Australie, États-Unis, Europe) ou nationales comme Pièces et main d’œuvre, Fondation Sciences Citoyennes –, le réseau associatif français des Amis de la Terre a poursuivi une veille documentaire et a organisé différentes manifestations publiques afin d’informer les citoyens. 

 

Le constat est alarmant

Alors que des nanomatériaux entrent déjà dans la composition de centaines de produits commercialisés, des études récentes mettent en évidences des risques majeurs pour la santé et l’environnement.

Les fonds alloués aux études toxicologiques sont dramatiquement dérisoires comparés à ceux octroyés aux applications des nanotechnologies. Exemple frappant : sur les 70 millions d’euros par an de fonds publics qui vont être accordés aux entreprises et centres de recherche dans le cadre du projet NanoInnov, pas un centime ne sera attribué aux études toxicologiques ; « les nanotechnologies ne posent pas de problèmes nouveaux en matière de risques » estiment les porteurs du projet.
  Les Amis de la Terre déclarent totalement irresponsable le discours dominant des politiques, des chercheurs et des start-up prétendant que les nanotechnologies sont inéluctables et qu’il faut « être dans la course » à tous prix.
Dans un contexte réglementaire absent, les nanotechnologies se sont développées sans débat public, laissant le champ libre aux industriels et chercheurs. Par cette absence de tout encadrement, les pouvoirs publics démissionnent d’une de leur fonction essentielle : réguler la société au service du bien commun.

 

Les Amis de la Terre / Friends of the Earth États-Unis listaient déjà, en juin 2006, 116 crèmes solaires, produits cosmétiques et de soins corporels, alors qu’ils n’étaient soumis à aucune étude de risque indépendante ni soumis à aucune réglementation. « Des produits “miracles”, nous en avons vus !
Ne serait-ce que l’amiante, le DDT, les PCB et encore la liste ne s’arrête pas là ! À voir l’incapacité de nos gouvernements à prendre au sérieux les premiers avertissements concernant les nanomatériaux, on peut penser qu’ils n’ont tiré aucune leçon de cette longue liste de désastres ! » (“Nanomaterials, Sunscreens and Cosmetics : Small Ingredients, Big Risks”.

 

Rapport disponible sur le site des Amis de la Terre :

http://www.amisdelaterre.org/Nanoproduits-petites-molecules.html 

Des risques sanitaires et environnementaux négligés

À l’échelle nanométrique, les particules ont des comportements inattendus et des effets toxicologiques inconnus. En février 2008, la revue Toxicological Sciences (« Nanotechnology Safety concerns», 101-2008) examinait de façon objective les études existantes, retenant les risques pour la santé auxquels les nanoparticules nous exposent en pénétrant dans le corps.

Par inhalation : les nanoparticules de dioxyde de manganèse, inhalées par le rat, se retrouvent dans les zones profondes du cerveau, provoquant un stress oxydatif qui peut altérer gravement les neurones et favoriser les maladies neurodégénératives.

Par contact : une peau irritée ou présentant une plaie semble ne pas être une barrière efficace. Alors que des nanoparticules sont utilisées depuis plusieurs années dans les cosmétiques, comme par exemple le dioxyde de titane dans les crèmes solaires, on a
« oublié » par exemple – ce qui est un comble ! – que le TiO est photo dépendant toxique et qu’il peut provoquer des cancers de la peau et du colon !

Enfin, l’ingestion : chez le rat, on a constaté que, via l’intestin, les nanoparticules touchent le système immunitaire. Le tissu lymphoïde déclenche des réactions de défense exacerbées entraînant des réponses inflammatoires et un stress cellulaire avec son panel d’altérations susceptibles de provoquer des maladies graves – cancers, allergies, troubles neurodégénératifs .

Ces dangers entraineront à terme un coût social et humain largement négligé par les firmes qui commercialisent déjà ces nanoparticules.

Les nanotubes de carbone aussi nocifs que l’amiante !

Lors du Nanoforum du 23 octobre 2008, Marie-Claude Jaurand, Directeur de recherche à l’INSERM, a présenté les dernières études (américaines, japonaises, anglaises) sur la toxicité des nanotubes de carbone.

Leurs conclusions : « mise en évidence d’effets similaires à ceux de l’amiante en ce qui concerne : réponse inflammatoire, production de lésions de l’ADN, formation d’aberrations chromosomiques, induction de mésothéliomes après exposition des cellules mésothéliales ». Même si les études sont encore peu nombreuses, les résultats sont si alarmants que la firme japonaise Mitsui Chemicals a arrêté sa production de nanotubes de carbone à la publication des résultats.

Des matières reconnues dangereuses

Le rapport de l’AFSSET de juillet 2008 confirmait qu’« au vu des incertitudes quant aux effets sanitaires des nanoparticules, il est prudent de déclarer les nanoparticules comme niveau de danger inconnu et les manipuler avec la même prudence que les matières dangereuses ».

Des instituts de recherche sur la sécurité des travailleurs (INRS français et IRSST canadien) formulent les mêmes préoccupations et mises en garde : « Quoique de grandes tendances se dessinent et démontrent de nombreux effets toxiques reliés aux NP, il ressort que chaque produit pourrait avoir une toxicité qui lui est propre. Les effets toxiques documentés sur des animaux de même que les caractéristiques physicochimiques des NP justifient, sur la base d’une approche de prévention et du principe de précaution, de prendre dès à présent toutes les mesures nécessaires pour limiter l’exposition et protéger la santé des personnes potentiellement exposées » («Effets sur la santé reliés aux nanoparticules », IRSST, avril 2008).

 

De même, les syndicats se mobilisent, car le nombre de travailleurs exposés aux nanomatériaux risque de fortement augmenter dans les prochaines années, autant dans les laboratoires que dans les secteurs de production ou de transformation (pharmacie, cosmétique, matériaux, automobile, aéronautique, alimentation, agriculture, énergie, microélectronique, etc.). La Confédération Européenne des Syndicats, dans sa résolution sur les nanotechnologies et nanomatériaux du 25 juin 2008, affirme : « Après le scandale de l’amiante, qui a fait des centaines de milliers de morts parmi les travailleurs, et alors que l’UE vient de se doter d’une nouvelle législation sur les produits chimiques qui reconnaît le principe du transfert de la charge de la preuve sur les fabricants, la CES ne peut plus accepter que des produits soient fabriqués sans connaître leurs effets potentiels sur la santé humaine et l’environnement ou, si tel est le cas, sans qu’une approche reposant sur le principe de précaution ait été mise en place et rendue transparente pour les travailleurs ». Position reprise le 23 octobre 2008 par la CFTC lors du nanoforum du CNAM : « pas de données, pas de marché ». Il n’existe pas encore d’équipements fiables pour protéger les travailleurs des nanoparticules, pas plus que de méthodes pour mesurer et caractériser l’exposition aux nanomatériaux !

Des études trop lacunaires sur des risques environnementaux pourtant avérés

L’Observatoire des micro et nanotechnologies soulevait déjà des données préoccupantes en février 2008 : « Des altérations du développement embryonnaire ont été mises en évidence chez le poisson zèbre, ainsi que des troubles des capacités respiratoires chez la truite arc-en-ciel [...] certaines nanoparticules peuvent fixer et transporter des quantités importantes de substances contaminantes (arsenic, cadmium, etc.) et provoquer leur accumulation dans l’organisme de poissons comme la carpe, donc dans la chaîne alimentaire ».

Les Amis de la Terre / FOE, dans leur rapport « Du labo dans nos assiettes : les nanotechnologies dans l’alimentation et l’agriculture », rappellent que « des études environnementales récentes laissent penser aussi que ces namomatériaux peuvent être toxiques pour des espèces écologiquement importantes ».

En février 2009, une équipe de l’Université de Clemson (USA) publie une étude (Uptake, translocation, and transmission of carbon nanomatérials in rice plants) mettant en évidence que le riz, exposé à des nanoparticules peut subir des impacts importants.

Ce ne sont sans doute que les premiers signaux d’alerte...

Quant à l’idée répandue que la production à l’échelle nanométrique serait écologique et propre, elle est mise a mal par une étude de l’université de l’Ohio (octobre 2008) qui montre que l’impact environnemental du cycle de vie des nanofibres de carbone pourrait être 100 fois plus important que celui des matériaux traditionnels.

 

Combien faudra-t-il encore d’études pour obliger les industriels à s’assurer de l’innocuité des nanomatériaux qu’ils produisent ? Combien pour que nos dirigeants osent enfin demander un moratoire pour appliquer le principe de précaution ? Faut-il attendre un − probable − scandale sanitaire ?

 

Contrôle social et dérives « post-humanistes »

Les nanotechnologies permettent la miniaturisation à l’extrême des RFID (Radio Frequency Identification), puces électroniques « intelligentes » pour nous suivre à la trace, amplifiant la surveillance des objets et des gens, limitant d’autant les libertés individuelles.

Les recherches pour l’augmentation des capacités humaines, avancées comme réponse aux maladies et aux handicaps, nous font craindre une dérive vers société où une minorité serait « améliorée », et l’autre pas. Où sera la frontière entre le soin et la transformation structurelle de l’humain ? Le déploiement généralisé des nanotechnologies risque de liquider la perspective humaniste qui fonde nos sociétés.

 

Les Amis de la Terre/FOE Australie/Europe/États-Unis, publient en mars 2008 un rapport qui fait référence « Du labo à nos assiettes : les nanotechnologies dans l’alimentation et l’agriculture » où ils répertorient les produits intégrants des nanoparticules mais aussi les études démontrant la toxicité de ces nanomatériaux :
« Il a été prouvé, par exemple, que les nanoparticules d’argent, de dioxyde de titane, de zinc ou d’oxyde de zinc – matériaux actuellement utilisés dans des compléments
 

alimentaires, des emballages alimentaires et des matériaux en contact avec les aliments – sont hautement toxiques pour les cellules dans des tests in vitro ».

 

 

 

 

Version anglaise du rapport :

http://nano.foe.org.au , Un résumé en français : www.amisdelaterre.org/IMG/doc/Resume_site.doc

Tous cobayes d’un nouvel emballement industriel

Pour l’instant les principaux budgets en nanotechnologies sont alloués aux usages militaires et aux dispositifs de surveillance, mais les appétits économiques sont considérables. Comme le constatait la trentaine d’associations réunies à Montpellier en novembre 2008 : « Les scientifiques sont incités à breveter leurs découvertes et à créer des entreprises qui seront in fine absorbées par les grands de la biotechnologie qui possèdent les portefeuilles de brevets les plus conséquents ». Une seule invention peut servir à une foule d’applications dans des champs connexes. Aussi assiste-t-on à une nouvelle ruée sur les brevets pour s’assurer le contrôle de la matière inerte et vivante. Ainsi progresse une logique mortifère de privatisation et d’artificialisation des conditions les plus fondamentales de la vie.

 

Sous prétexte d’innovation, les pouvoirs publics financent en priorité la recherche appliquée, pour de nouvelles technologies, asséchant tous les fonds au détriment d’autres explorations qui pourraient être plus utiles socialement. C’est ainsi que le « technoscientisme » nous détourne de la résolution des véritables problèmes de société qui indifférent les financeurs : les inégalités, la préservation du milieu, l’accès équitable aux ressources, l’éducation, etc.

 

> Pour en savoir plus consulter nos rapports et communiqués de presse de notre site www.amisdelaterre.org

 

SYNTHÈSE

Avant de débattre du développement des produits contenant des nanoparticules, il est indispensable que tous les problèmes – sanitaires, environnementaux, sociaux, économiques, éthiques – que posent ces produits soient traités en amont et qu’une réponse y soit apportée dans le respect du principe de précaution.   Il ne saurait être question, à défaut de réglementation, de se contenter de « règles de bonne conduite ». Pour les Amis de la Terre, un moratoire sur la recherche et la commercialisation des nanotechnologies est la seule attitude raisonnable. 

 

COORDONNÉES : Les Amis de la Terre – France

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