Documents du débat

Cahiers d'acteurs

Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.

CFDT

Confédération française démocratique du travail

Il est temps que le débat s’engage


 La confédération française démocratique du travail (CFDT) est la première organisation syndicale de salariés française en nombre d’adhérents (814 000 en 2008). Elle est membre de la confédération européenne des syndicats et de la confédération syndicale internationale.

La CFDT fait du dialogue social le moyen de construire des compromis favorables à l’amélioration de la situation des salariés. Ses principaux axes de revendications portent sur la sécurisation des parcours professionnels, la qualité de la vie au travail, la réduction des inégalités, notamment de salaires et de revenus.

Elle inscrit son action dans la perspective d’un développement durable et dans le cadre de la construction européenne. Elle agit en particulier pour une Europe plus active en matière de politique industrielle et de recherche.

 

La CFDT, qui a su discuter très précocement des « dégâts du progrès » et de la gestion des risques, apprécie l’organisation de ce débat public. Les nanotechnologies sont, comme toutes les techniques, ambivalentes : porteuses de progrès mais aussi d’inquiétudes, voire de destructions.

La CFDT s’inscrit dans le soutien à l’innovation, au développement régulé à l’échelle européenne des systèmes de recherche publics et industriels, à la création de nouveaux espaces de dialogue entre scientifiques de bonne volonté et citoyens de bonne foi, à l’invention de nouvelles formes de discussion des connaissances bien au delà des seuls cénacles de spécialistes.

La singularité du débat sur les nanotechnologies

Les nanotechnologies sont banalisées, présentes depuis plus d’une décennie dans les industries de pointe (aéronautique, nouveaux médicaments, nouveaux matériaux en chirurgie de réparation, nouveaux outils de communication) et dans la vie quotidienne (pneus à longue durée de vie, peintures, cosmétiques, textiles pour l’habillement, puces des téléphones portables). Elles présentent un potentiel considérable de développement et d’applications dans des champs déterminants pour la compétitivité des acteurs économiques et pour l’amélioration de « biens sociaux » comme la santé et l’environnement.  

Malgré cette perception neutre ou positive des nanotechnologies et de leurs produits dérivés, des interrogations ont émergé a posteriori du sein des filières productrices et utilisatrices, concernant la santé des travailleurs en contact avec les nanoparticules, et de la généralisation du souci des contaminations environnementales, porté par le Grenelle.

 

Se sont greffées aussi des interrogations plus culturelles et sociétales : d’une part sur l’essence même ou la légitimité des nanosciences, qui manipulent et créent des entités à l’échelle des constituants fonctionnels du vivant ; d’autre part sur les possibilités d’applications subreptices en contradiction avec le respect de libertés fondamentales, à l’insu des utilisateurs.

Les attentes de la CFDT en matière de développement et de régulation des nanotechnologies

Préserver la santé des travailleurs

Après le scandale de l’amiante, qui a fait des milliers de morts, la CFDT n’accepte pas que des produits soient fabriqués et manipulés sans connaître leurs effets potentiels sur la santé humaine et l’environnement : l’identification et l’évaluation des risques doit être prise en compte bien avant le passage à la fabrication industrielle.

La loi du 3 Août (article 42) rappelle l’information due aux salariés en matière de nanotechnologies et la nécessité de l’améliorer. L’article 39 propose l’expérimentation concertée avec les partenaires sociaux de dispositifs assurant un meilleur suivi des expositions professionnelles aux substances nocives. La CFDT propose une traduction concrète de ces intentions  :

> Les travailleurs et les représentants du personnel doivent être informés, formés et responsabilisés dans l’évaluation des risques et les mesures de prévention spécifiques aux nanoparticules (suivi des expositions poste par poste).

> Les intérimaires et les sous-traitants doivent bénéficier des mêmes dispositions. L’exposition aux nanoparticules doit faire intégrer le dispositif de traçabilité des expositions professionnelles tout au long de carrière professionnelle des salariés à l’instar des CMR et des produits phytosanitaires.

  > Les nanomatériaux passent d’entreprise en entreprise tout au long de la fabrication et la distribution du produit final : tous les salariés des entreprises concernées doivent être informés et consultés au niveau des CHSCT. En l’attente de techniques de détection permettant la traçabilité des nanomatériaux qui doivent faire l’objet d’une recherche immédiate, seule la déclaration obligatoire prévue auprès de l’autorité administrative pourra garantir la continuité de la chaîne d’information entre les différents acteurs économiques et leurs salariés. Cette déclaration doit donc être notifiée d’entreprise productrice à entreprise utilisatrice. 

Appliquer la règlementation REACH aux nanoparticules et nanomatériaux.

La CFDT soutient la résolution de la CES sur les nanotechnologies et les nanomatériaux (25 Juin 2008). Elle revendique l’extension et l’adaptation des dispositions du règlement européen REACH aux nanoparticules.

L’accord réalisé autour de REACH au niveau européen peut grandement faciliter une réglementation européenne sur les nanomatériaux.

 

Investir dans une Recherche visant autant l’action que la régulation

 

> Pour construire l’expertise publique

L’expertise est d’abord chez ceux qui sont praticiens des nanotechnologies, publics et industriels. Laisser le champ du développement des nanotechnologies à l’industrie seule, et confiner la recherche publique à un rôle de commentateur ou de lanceur d’alerte sur ce que les autres font serait reproduire la situation développée autour des PGM, source du retard peut-être irrattrapable que nous connaissons.

La communauté scientifique publique doit pouvoir conjuguer des recherches pour l’action (s’impliquer dans l’invention de nouvelles entités nanoparticulaires, en comprendre les propriétés, etc…) et la mise à disposition de la société d’une information accessible,
 
notamment sur les aspects de sécurité pour la santé humaine et environnementale. Les experts publics, après déclaration d’intérêt, et dans le respect du secret industriel, peuvent assumer ce rôle avec la confiance de tous.
 

La CFDT demande que tout projet nanotechnologique, industriel ou académique, soutenu par les agences de financement françaises, comporte non seulement un volet sur la sécurité et les conséquences économiques de l’innovation, mais aussi une section « pédagogique » dessinant l’explication au public de l’intérêt de cette recherche et de son respect des préoccupations éthiques et environnementales.


> Pour assurer une bonne synergie transdisciplinaire, préalable à une « nanotoxicologie ».

Le champ des nanosciences doit être défini au-delà de la seule référence à la taille physique des nanoparticules, vision restrictive qui induit des recherches en termes de sécurité essentiellement appuyées sur la physique. Une synergie transdisciplinaire faisant appel aussi bien à la chimie qu’à la biologie structurale ou cellulaire, à la virologie structurale ou à la biologie des membranes, permettra de mettre au point des modèles prédictifs des modes d’impact sur le vivant des nanoparticules, favorablement ou dangereusement.   La mise au point de modèles toxicologiques fiables et standardisés adaptés aux nanoparticules exige le dialogue interdisciplinaire. La CFDT demande que les agences de financement soient exigeantes voire contraignantes sur le dialogue entre disciplines (y compris sciences humaines) autour des nanotechnologies. 


Rénover la pédagogie à l’adresse des citoyens et des consommateurs

Si l’on veut éviter que les nanotechnologies aient à réaliser une « reconquête de l’opinion »,

le devenir des nanoparticules tout au long du cycle de fabrication et d’utilisation des produits (jusqu’à leur élimination comme déchets) doit être expliqué : les formes libres sont-elles seules actives sur la santé humaine, l’environnement ? Lorsque les nanoparticules sont intégrées à une matrice (pneu, vernis) leur réactivité spécifique est-elle confinée définitivement, ou peut-elle « s’échapper » par usure, travail ou destruction ultime du matériau ? Ces questions ont un enjeu fondamental (comprendre comment l’incorporation de nanoparticules confère des propriétés nouvelles à un matériau composite), mais aussi appliqué (durabilité d’un matériau, mesures de sécurité à anticiper, traçabilité des nanoparticules) et enfin pédagogique : elles sont au cœur des inquiétudes des non-spécialistes, auxquelles il faut répondre en termes compréhensibles.

 

Des métiers transversaux de « passeurs de connaissances » en direction de tous les publics (adultes et scolaires) pourraient être créés, assurant un débouché à des doctorants et popularisant le travail de régulation de développement de la connaissance des Agences et des organismes spécialisés (AFSSA, AFSSAPS, AFSSET, INERIS, INRS).

On peut imaginer déléguer cette mission en partie à une Haute Autorité nouvelle : mais le CSRT d’une part, le Haut Comité des Biotechnologies d’autre part (qui examinera les nanobiotechnologies), tous deux associant la société civile, tous deux ayant vocation de communication à l’égard des Parlementaires et des citoyens, pourraient peut-être y veiller de concert ?


Agir en cohérence européenne

La CES, les organisations de consommateurs par leur position unifiée, plusieurs ONG, ont montré leur capacité à construire des consensus au niveau européen. Il serait impensable, autant au plan technique (les produits circulent librement en Europe) qu’au plan politique, que les salariés et les citoyens soient en avance dans cette aspiration à une régulation européenne sur des gouvernants protectionnistes, des entreprises timorées ou une Commission qui ne semble plus porter de projet européen. La CFDT, avec la CES, fera tout pour forcer à une régulation européenne des nanotechnologies.

 

En appeler à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises

C’est la pierre de touche de la préoccupation du Développement Durable au sein des entreprises, comme vis-à-vis de leurs partenaires. La RSE appelle une révision des priorités stratégiques : en comparaison des investissements financiers consacrés à la recherche et au développement commercial des produits, les efforts consacrés à la prévention et aux études de risque doivent être accentués et intégrés par anticipation à la stratégie d’innovation des entreprises, ou contractualisés avec des organismes compétents.

 

Bien soupeser l’impact des nanotechnologies sur la compétitivité des entreprises, les créations d’emplois, les nouvelles qualifications.

Les nanotechnologies sont l’objet d’une intense compétition internationale et peuvent être motrices pour la compétitivité et l’indépendance technologique. Les évaluations en termes d’emplois futurs sont pour l’instant incertaines. Ces deux aspects méritent un vrai travail de modélisation, et donc de recherche. Les nanotechnologies ne doivent pas être un miroir aux alouettes comme les biotechnologies, faute d’engagement des entreprises.

 

Gérer aujourd’hui le futur : que chacun assume ses responsabilités !

 

Un article de Syndicalisme Hebdo (juillet 07) extrait :

« Le nanomonde, entre fiction et réalité, émerveille et effraie »

Côté pile, les nanotechnologies offrent d’immenses potentialités de productions innovantes et utiles.
Côté face, elles suscitent de multiples questions d‘éthique.

 

Les nanos sont là.

La plupart des applications sont au stade de promesses. Néanmoins, des produits intégrant des nanos sont d’ores et déjà commercialisés, ceci en dehors de toute norme et de toute réglementation. Ainsi des oxydes de titane nanométriques sont-ils introduits dans les crèmes solaires et des nanotubes de carbone renforcent déjà de nombreux produits. Les verriers développent des vitrages autonettoyants… Mais, les nanotechnologies, aussi prometteuses soient-elles, suscitent de multiples questions. En France, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), soulève, dans un rapport du 1er février 2007, la question de la traçabilité : « Si les nanoparticules échappent du fait de leur taille aux moyens de détection habituels, il serait imprudent de les introduire subrepticement dans l’environnement et le corps humain.». L’IRSST (Institut de recherche en santé et en sécurité du travail), au Québec, affirme que « des nanoparticules inhalées peuvent se retrouver dans le sang en ayant franchi tous les différents organes et s’accumuler sur certains sites spécifiques. Par ailleurs, une substance reconnue comme non toxique, le dioxyde de titane, démontre une importante toxicité pulmonaire lorsqu’elle est de dimension nanométrique ».  

Au-delà des risques sanitaires, les nanotechnologies soulèvent également des questions relatives à la transformation de l’humain, et à la création de la vie. Quant aux considérations éthiques relevant des informations recueillies sur la personne à partir de nanopuces, le CCNE estime indispensable « une réflexion sur leurs finalités avant de les mettre en pratique ».

La CFDT souhaite que « la priorité soit donnée aux mesures de protection nécessaires aux travailleurs en contact avec des nanomatériaux, et au confinement des lieux d’étude et de production ». Jean-Pierre Bompard, délégué confédéral au développement durable, considère qu’en raison de l’insuffisance des connaissances, « il faut développer les recherches en toxicologie et établir des normes ». Et si le principe de précaution doit s’appliquer dans ce champ scientifique et technique, « il doit être lu de manière offensive, en engageant plus de recherche dans un contexte de compétition mondiale ». Le syndicalisme international a donc devant lui un vrai champ de coopération.

 

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