Documents du débat

Cahiers d'acteurs

Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.

IReSP

Institut de Recherche en Santé Publique

« Risques pour la santé des nanotechnologies »

Groupe de Travail de l’IReSP

 

 Le GIS-Institut de Rechercheen Santé Publique, créé en 2007, répond à la volonté de ses institutions partenaires (opérateurs de la recherche en Santé Publique, ministères de tutelle, agencesde sécurité sanitaire et caisses d’assurance maladie) de développer et de promouvoir la recherche en Santé Publique. Les thématiques soutenues sont : (1) fonctionnement du systèmede santé, (2) politiques publiques et santé et (3) interactions entre les déterminants de la santé.

 

 

Les nano-objets intentionnellement manufacturés posent des questions de santé publique tout à fait nouvelles. On ne sait pas, de façon routinière et normalisée, en mesurer la taille ; ils sont susceptibles de ré-arrangements qui en modifient la configuration, la taille et les propriétés ; on ne connaît pas l’ensemble des modifications physiologiques et pathologiques qu’ils sont susceptibles d’engendrer. Enfin, il est pour le moment très difficile d’en connaître les sites de production et de transformation, encore moins les conditions et l’importance de l’utilisation, donc d’identifier les personnes potentiellement exposées, les niveaux et les voies d’exposition.   L’étude des conséquences potentielles de leur production et de leur utilisation constitue donc un vrai sujet de recherche, de la toxicologie à l’épidémiologie et la santé publique. En 2006, la Direction générale de la santé a demandé à l’Institut de Recherche en Santé Publique (IReSP) d’évaluer la faisabilité d’un dispositif de compréhension et de surveillance des effets sur la santé d’une exposition professionnelle aux nanomatériaux intentionnellement produits. 

Toxicologie

Les nanotechnologies sont définies comme l’ensemble des techniques visant à concevoir, caractériser et produire des matériaux à l’échelle du nanomètre dans au moins l’une de leurs dimensions. Ces nanomatériaux sont eux-mêmes constitués de nano-objets tels que des nanoparticules, des nanofibres ou des nanotubes. Leur dimension nanométrique leur confère, du fait des lois de la physique quantique s’exprimant essentiellement à l’échelle nanométrique, de nouvelles propriétés physico-chimiques et des comportements inédits.   Les applications des nanotechnologies sont multiples en cosmétologie, dans l’industrie, ou encore en médecine. La production et l’utilisation des nanomatériaux vont connaître une croissance très importante dans les années à venir. Des inquiétudes sont cependant émises sur les effets potentiels à court et à long terme des nanoparticules sur la santé, et sur leur biodégradabilité. Ces questions sont motivées par la connaissance des effets toxiques sur la santé des particules micrométriques de la pollution atmosphérique, et par la crainte de voir ces effets s’amplifier du fait de la nanodimension de ces nouveaux matériaux. 

 

Les études sur les effets toxicologiques des nanomatériaux sont relativement récentes. Il s’agit essentiellement d’études expérimentales réalisées in vitro (sur cellules en culture) et in vivo (sur des animaux exposés par différentes voies, principalement respiratoire). Les résultats obtenus suggèrent l’existence d’effets toxicologiques de certaines nanoparticules lors de certains types d’exposition, avec notamment la génération d’un stress oxydant, des effets pro-inflammatoires et pro-thrombotiques, la possibilité de survenue de fibrose ou d’emphysème pulmonaire, ou des dommages génétiques. Les organes cibles mis en évidence jusqu’au présent sont principalement les appareils respiratoire et cardiovasculaire. Deux points peuvent être soulignés concernant ces résultats : 1) il est parfois difficile de systématiser les résultats décrits compte tenu de la diversité des nanomatériaux étudiés et des protocoles expérimentaux utilisés, et 2) un certain nombre d’études ne comporte pas une caractérisation physique et chimique approfondie du nanomatériau étudié, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats toxicologiques.  

Néanmoins, l’analyse approfondie et critique des données sur la toxicologie des nanomatériaux étudiés permet de proposer des pistes pour cibler les possibles effets sur la santé dans le cadre de l’étude épidémiologique des personnes exposées aux nanomatériaux. D’autre part, les études toxicologiques qui se développent actuellement et qui tiennent compte des limitations évoquées précédemment, devraient permettre l’étude comparative de la toxicité des nanoparticules, en faisant varier leur forme, composition chimique, taille…Ceci devrait cibler, d’une part, les nanoparticules qui pourraient être les plus à risque, et d’autre part les situations qui justifieraient d’une priorité pour des études chez l’homme. 

Identification des entreprises concernées

Le repérage des entreprises produisant, utilisant ou transformant des nanomatériaux en France est indispensable afin de pouvoir tracer les expositions des travailleurs, proposer des mesures adéquates de prévention des expositions et, selon l’évolution des connaissances scientifiques, adapter la surveillance médicale des travailleurs. C’est par ailleurs un préalable nécessaire à l’inclusion des travailleurs dans un dispositif de surveillance épidémiologiques des personnes exposées professionnellement aux nanomatériaux.

 

Pour ce qui est des entreprises produisant des nanomatériaux, l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) a mené une étude de filière sur les nanomatériaux produits en France en quantité importante (plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an) ou présentant un caractère émergent (terres rares et nanotubes de carbone).
 

En 2007, 20 sites industriels étaient concernés par la production de nanomatériaux dont 2 sites en cours de développement soit 3 340 salariés. Il est à noter que ce chiffre correspond au nombre total de personnes employées sur les sites et non aux nombres de personnes travaillant sur les procédés de production des nanomatériaux.

 

La plupart des entreprises appartiennent au secteur de la chimie et utilisent des procédés industriels classiques faisant appel au génie chimique. L’INRS travaille actuellement à étendre l’étude de filière aux entreprises utilisant ou transformant des nanomatériaux, probablement les plus nombreuses. 

 

Dans son second rapport de juillet 2008 portant sur la sécurité au travail en lien avec les nanomatériaux, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) donne les résultats d’une enquête visant à évaluer la prise en compte du risque nanomatériaux dans les entreprises et les laboratoires de recherche produisant ou manipulant des nanomatériaux. Les faibles taux de réponse obtenus (15 % des entreprises) ne permettent pas de dresser un bilan complet des entreprises françaises manipulant des nanomatériaux.

Pour contribuer à ce repérage, le groupe Toxicologie du département ASMT (Action Scientifique en Médecine du Travail) du CISME (Centre Interservices de Santé et de Médecine du Travail en
 

Entreprises) a prévu d’apporter une aide aux médecins du travail et aux intervenants en prévention des risques professionnels des services de santé au travail, afin de faciliter leur travail d’identification des risques et de conseil, par la création d’un kit d’aide au repérage et de questionnaires permettant de décrire et de quantifier les expositions. Ce projet permettra également d’assurer la traçabilité des expositions et de repérer des cohortes de salariés qui pourront faire l’objet d’un suivi de santé (ou d’une veille sanitaire).

 

Ce groupe toxicologique travaille en étroite collaboration avec l’Afsset, l’InVS, l’INRS et l’inspection médicale du travail.

Mesure des expositions des travailleurs

Pour l’exposition des travailleurs, les mesures de concentration des poussières en masse ne sont pas suffisantes. Il convient, en effet, de mesurer des concentrations en nombre, les distributions en taille, voire même la surface développée des aérosols de nanoparticules. Ces mesures requièrent des équipements spécifiques multiples qui sont d’ores et déjà disponibles mais, pour certains d’un coût élevé, et dont la mise en œuvre peut être complexe, nécessitant un personnel qualifié. Ils permettent la mise au point de procédés surs autorisant le confinement des nanoparticules et des mesures en continu des ambiances de travail, mais ne sont pas adaptés à l’évaluation des expositions individuelles. Des difficultés supplémentaires proviennent de l’existence d’un « bruit de fond », plus ou moins important et variable dans le temps, apporté par la pollution ambiante ou par d’autres sources de nanoparticules dans les lieux de travail, tels que des appareils de chauffage ou des chariots automoteurs avec des risques d’agrégation des nanoparticules.

L’identification des nanoparticules fabriquées repose alors sur des techniques d’identification chimique ou par microscopie électronique à partir d’échantillons prélevés sur filtres.

 

Cependant, si les stratégies de mesure sont de mieux en mieux définies, un consensus reste à établir sur le choix de l’indicateur de dose le plus approprié pour prédire les effets sur la santé : nombre, surface développée, voire masse dans certains cas.

 

Dans l’état des connaissances actuelles des effets potentiels sur la santé de l’exposition aux nanoparticules, les travailleurs potentiellement exposés devraient bénéficier d’une surveillance médicale spécifique, la priorité restant aux mesures de prévention. Le protocole de ces mesures de prévention a encore besoin d’être approfondi, compte tenu de la faiblesse des connaissances. Indépendamment de cette approche qui se construit, ainsi que le stipule le code du travail, toutes les données permettant de caractériser les expositions aux nanoparticules, données qualitatives des études de poste ou résultats de mesure, devraient être consignées dans le dossier médical afin d’assurer la traçabilité des expositions.

Surveillance médicale des travailleurs

Compte-tenu de l’état des connaissances, il parait difficile aujourd’hui de proposer un protocole de suivi médical permettant de dépister de façon à la fois sensible et spécifique des effets biologiques ou des indicateurs d’une exposition aux nanoparticules.

L’appareil respiratoire et le système cardio-vasculaire pourraient être ciblés. La pratique de la radiographie pulmonaire, d’épreuves fonctionnelles respiratoires, de l’électrocardiogramme ou de la mesure en continu de la fréquence cardiaque seraient susceptibles d’être prescrits. Certains d’entre eux sont d’ailleurs difficilement réalisables en routine et méritent d’être évalués dans le cadre « exploratoire ».

Le dosage dans les milieux biologiques (sang, urines ou air expiré) de marqueurs de l’inflammation ou de protéines pro-inflammatoires constitue une voie de recherche à un stade qui ne permet pas à ce jour de le proposer en pratique de routine.
 

Les travailleurs potentiellement exposés devraient donc bénéficier d’une information sur les nanoparticules et les mesures de prévention, d’un suivi médical prévu par les dispositions réglementaires sur la médecine du travail, assorti éventuellement d’examens particuliers prescrits en fonction de l’état de santé de chacun.

 

Par ailleurs, toutes les données permettant de caractériser les expositions aux nanoparticules, données qualitatives des études de poste ou résultats de mesure, devraient être consignées dans le dossier médical en santé au travail, afin d’assurer la traçabilité dans le temps des expositions.

Epidémiologie

Si la mise en place d’un dispositif de surveillance épidémiologique des travailleurs exposés aux nanomatériaux intentionnellement produits est tout à fait nécessaire, elle relève d’un véritable challenge pour l’épidémiologie1. En effet, les seules données sur les effets sanitaires viennent d’études toxicologiques ou d’études expérimentales, aucune étude épidémiologique n’ayant été menée à ce jour. Il est donc quasi impossible d’identifier précisément les évènements de santé qu’il faut surveiller en priorité. De plus, l’extrême diversité des nanomatériaux, le nécessaire changement de métrique et le manque de méthodes validées pour la mesure en routine des aérosols atmosphériques nanoparticulaires rendent très difficile l’évaluation des expositions des populations au travail.

 

Enfin, l’identification des salariés potentiellement exposés passe par le repérage et la collaboration des entreprises françaises produisant, transformant ou utilisant des nanomatériaux.

 

Malgré ces difficultés, un protocole de surveillance épidémiologique des personnes exposées professionnellement doit être proposé en France par l’Institut de Veille sanitaire. S’il n’est pas encore finalisé, il est possible d’en donner les principales orientations. Ce dispositif devra d’une part permettre un suivi d’éventuels effets sur la santé globale, à moyen et long terme, d’une exposition professionnelle aux nanomatériaux, et d’autre part il devra être conçu pour permettre avec une réactivité suffisante des études plus ciblées explorant des hypothèses de recherche spécifiques. Il devra constituer un véritable outil de veille épidémiologique conçu pour l’avenir.

 

Dans un premier temps, il a été nécessaire de choisir les nanomatériaux d’intérêt : le choix s’est porté sur les poudres de nano-objets incluant leurs formes agrégées ou agglomérées.

 

Quatre nano-objets emblématiques ont été sélectionnés : les nanotubes de carbone du fait de leur similitude de forme avec les fibres d’amiante et de leur développement industriel attendu, le noir de carbone et l’oxyde de titane tous deux produits en France en quantité importante et classés en tant que matériau comme cancérogènes possibles pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer et enfin les silices amorphes, produites en France à fort tonnage.

 

Les nombreuses lacunes dans les connaissances scientifiques actuelles ont conduit à proposer un dispositif de surveillance simple et évolutif :

Un registre de personnes travaillant sur des procédés industriels (et de recherche) produisant ou mettant en œuvre des poudres de nano-objets devrait être créé. Les travailleurs inclus dans le registre seront volontaires pour participer à l’étude. Pour les identifier, un partenariat étroit avec les entreprises est indispensable.

 

Dans un premier temps, l’exposition serait évaluée simplement par la collecte d’informations telles que l’emploi occupé, le secteur d’activité, la description des tâches réalisées et la durée dans l’emploi. Le suivi de leur santé serait « généraliste » à travers l’interrogation des bases de donnés de consommation de soin et des causes de décès. Les informations médicales recueillies de façon systématique par les services de santé au travail pourront également enrichir le dispositif. Les travailleurs inclus dans le registre recevront en outre un questionnaire annuel sur leur état de santé.

Ultérieurement et lorsque les méthodes de mesure des expositions seront au point pour des mesurages sur les lieux de travail, le dispositif serait complété par une évaluation quantitative des expositions. Si des hypothèses fortes se précisaient concernant les effets sur l’homme d’une exposition aux nanomatériaux, des examens cliniques et para-cliniques spécifiques pourraient être proposés. La constitution d’une biothèque est souhaitée par les chercheurs. La décision de mettre en place une collecte et une conservation d’échantillons biologiques paraît actuellement prématurée.

 

Un second dispositif de surveillance fait l’objet d’une réflexion en collaboration avec les services de médecine du travail. Il consisterait en des enquêtes répétées périodiquement parmi les travailleurs d’entreprises utilisatrices de nano-objets. Ce dispositif concernerait tous les nanomatériaux.

Les équipes françaises se sont rapprochées de leurs homologues au plan international et d’autres pays, en particulier les Etats-Unis, s’apprêtent à proposer des dispositifs comparables. En travaillant dès à présent et de façon concertée sur les protocoles épidémiologiques, nous disposerons des atouts indispensables à l’amélioration de la connaissance sur les effets sanitaires possibles de ces nano-objets.

Conclusion

Il est rare que l’émergence de technologies nouvelles s’accompagne de la mise en place d’un dispositif de recherche et de surveillance spécifiquement adapté aux questions qui sont posées, une telle entreprise est en train d’être réalisée pour les nanotechnologies. En effet, la production et l’utilisation de nano-objets, qui sont susceptibles de développements éventuellement très importants, rassemblent toutes les caractéristiques de « technologies potentiellement porteuses de risques (TPPR) », selon l’expression du « Grenelle des ondes ». Ils doivent, à ce titre au moins, faire l’objet d’investigations scientifiques appropriées et transparentes, dont les résultats doivent être portés dans le débat public. Ceci constitue l’objet de notre contribution au débat actuel.

 

Le groupe de travail « Risques pour la santé des nanotechnologies » 

Afssaps : Pascale Maisonneuve, Stéphane Palies

Afsset : Nathalie Thieriet

CEA : Daniel Bloch

CNRS : Jean-Claude André, Pierre Beauvillain

DGT : Patricia Maladry, Raphaël Chevallier

 

INRS : Anca Radauceanu, Olivier Witschger, Bertrand Honnert

Inserm : Jorge Boczkowski, Rachel Nadif, Marcel Goldberg, Danièle Luce, Jean-Claude Pairon

InVS : Odile Boutou-Kempf, Jean-Luc Marchand, Ellen Imbernon

Université : Francelyne Marano

IResP : Alfred Spira, Hélène Lacroix, Nathalie de Parseval

 

COORDONNÉES

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1. Schulte PA, Schubauer-Berigan MK, Mayweather C, Zumwalde R, McKernan JL. Issues in the development of epidemiologic studies of workers exposed to engineered nanoparticles. Journal of occupational and environmental medicine. 2009. 51 (3) : 323-35.