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Documents du débat
Cahiers d'acteurs
Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.
SEPANSO
Non aux nanotechnologies sans application préalable du principe de précaution
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La
SEPANSO est la Fédération Régionale des Associations de Protection de
la Nature de la région Aquitaine. Déclarée d’utilité publique, elle
comprend des sections départementales, locales ou spécialisées. Elle
représente en Aquitaine la Fédération nationale France Nature
Environnement. Elle est ouverte à l’adhésion de nouvelles associations
locales désirant s’affilier à FNE. Depuis 40 ans déjà, elle suit
l’évolution des milieux naturels en Aquitaine, elle étudie et surveille
les risques et les conséquences des activités de l’homme sur la nature.
La SEPANSO assure enfin, directement ou au travers de ses sections
départementales, la gestion de quatre Réserves Naturelles Nationales
pour le compte de l’État.
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La
complexité du développement des nanotechnologies est telle qu’elles
posent un certain nombre de questions essentielles, au sens fort du
terme. On avance ici dans une dimension de l’action humaine qui pose
d’énormes problèmes dans son développement éventuel. On est donc en
droit de s’interroger sur ce qui, selon nous, est un véritable
dévoiement de la procédure de la Loi Barnier, éveillant le soupçon
d’une utilisation de cette procédure pour forcer l’acceptabilité
sociale de cette voie technique. Nombre d’entre nous ont balancé de ce
fait sur l’éventualité d’un boycott de ce Débat. Si nous choisissons
d’y participer par le biais de ce Cahier, c’est parce que nous pensons
que ce sera l’occasion de souligner, de montrer, les très graves
dysfonctionnements de la recherche appliquée, en France et plus
largement, dans l’Union Européenne. Ce travail de la SEPANSO fait appel
à deux documents de référence :
> la Contribution
présentée lors du Débat à Bordeaux le 3 novembre, et due à notre membre
associatif, le Professeur Simon Charbonneau (1),
> l’analyse
de la question des nanotechnologies vue à l’échelle de l’Union
Européenne par le Bureau Européen de l’Environnement (BEE) titrée
« Nanomaterials : health and environment concerns »(2).
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Un fait accompli inacceptable : les nanotechnologies déjà entrées en application
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M.
P. Brochard, Professeur d’épidémiologie à l’Université de Bordeaux I
« a incité, fort justement et pour le moins, à la prudence. Évoquant
les publications scientifiques sur le sujet, il a rappelé que l’impact
des nanoparticules sur les cellules semblait d’autant plus important
que ces substances et ces matériaux étaient de très petite taille.
Autrement dit, plus on se rapproche du nanomètre et plus les
nanoparticules peuvent échapper à la vigilance habituelle des cellules
macrophages, cellules qui se trouvent dans le système respiratoire et
qui sont là d’habitude pour phagocyter, c’est-à-dire englober, ces
particules afin de les éliminer. D’où, dans certains cas, un risque
potentiel de pénétration de ces nanoparticules jusqu’aux alvéoles
pulmonaires, puis jusqu’au sang. À partir de ce moment-là, elles
peuvent être diffusées par voie hématogène dans tout l’organisme… Le
risque est d’autant plus important lorsque les particules ont une
forme allongée, ce qui est, par exemple, le cas des nanotubes de
carbone, qui font l’objet, en Aquitaine, de gros travaux de recherche
et pré-industrialisation… »(3)
On retrouve la même
préoccupation dans le document de la Commission Prévention-Précaution
(2006), mis en ligne sur le site du Débat à la demande du Ministère de
l’Ecologie : « de multiples arguments indiquent l’existence d’une
réactivité biologique particulière des nanoparticules en rapport avec
leur très petite taille, comparée à celle qui est observée avec des
particules de même composition mais de plus grande taille (de l’ordre
du micromètre ou plus). Cette réactivité cellulaire et tissulaire peut
constituer un danger chez l’homme si celui-ci est exposé par
inhalation, ingestion ou passage transcutané, à ces particules. »(4)
Les
travaux anglais très récents, relatifs aux effets des nanoparticules
sur l’ADN, renforcent nos réticences vis-à-vis de la mise en service
des nanomatériaux dans les conditions actuelles.(5)
On est
déjà à ce stade dans une problématique de santé publique et nous
déplorons qu’en guise de réponse, tous les orateurs qui ont succédé au
Pr. Brochard aient vanté systématiquement les précautions prises avec
une belle assurance. Exemple : « Tout ce qui est vie, faune et flore,
repose sur la chimie du carbone… La chimie du carbone est au centre de
notre vie et les nanotubes sont un élément qui vient se rajouter à
cela… »(6) C’est pousser loin la banalisation des dangers de produits
déjà en circulation ! Pourtant si on observe le luxe de précautions
prises pour protéger les travailleurs de cette industrie – c’est bien –
les consommateurs n’ont même pas droit à l’information de base.
Mais
au-delà ? On assiste, incrédules, à une répétition des errements déjà
observés à d’autres occasions de l’intervention de l’homme, non
seulement sur l’homme, mais sur l’immensité de la chaîne vivante, des
écosystèmes. Or de l’aveu même d’Arkéma : « Pas de donnée toxicologique
ou écotoxicologique fiable, pas de méthode d’évaluation ou de loi
spécifique aux nanoparticules… »6 Ce que confirme la Contribution du
Dr. Mano, Médecin du Travail à Bordeaux : « On peut dire aujourd’hui
que les connaissances scientifiques sur les nanoparticules en matière
de risques professionnels sont insuffisantes et ne nous permettent pas
de prévoir l’impact de ces expositions à long terme tant sur le plan
individuel que collectif. »(7)
Même si l’on peut imaginer – on
s’en occupe, semble-t-il – un contrôle acceptable du dernier stade
d’utilisation, celui du déchet, il y a une infinité de possibilités de
migrations des nanomatériaux vers l’air, l’eau, les écosystèmes, la mer…
Contrairement
à ce qui a été dit lors du débat, le problème des déchets n’est pas
réglé, et la solution proposée, l’incinération, n’a jamais résolu aucun
problème de déchets. On ne pourra incinérer des nanoparticules que
lorsqu’on aura démontré l’innocuité de ce procédé. De plus les plans de
traitement de déchets, y compris ceux pour les déchets dangereux
(PREDD), ne prévoient pas le traitement des nanoparticules et donc
aucune maîtrise de leur éventuelle toxicité et de leur dispersion.
C’est
ce que souligne le document du BEE2, à propos des « voies d’exposition
pour l’environnement »2, pages 5 & 6. Ce document cite plusieurs
exemples, des écrans solaires aux carburants, des cosmétiques aux
peintures, et même... au fœtus. Et cela de leur stade de fabrication à
celui de leur mise en décharge ou incinération.
Toutes les
études et précautions en cours ne tiennent pas compte des migrations
possibles, avec une toxicité possible, vers les milieux naturels.
Est-il besoin de rappeler les erreurs commises avec le DDT, les
pesticides ou les OGM ? Ou celles ignorées délibérément ou
sous-estimées avec les effluents dits « normaux » de l’industrie
nucléaire ? Sur lesquels quelques chercheurs plus consciencieux
commencent à s’interroger…
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1. « Nanotechnologies : une logique de fuite en avant dans une innovation déboussolée », S. Charbonneau.
2.
« Nanomaterials : health and environmental concerns », Bureau Européen
de l’Environnement, 2009, version française téléchargeable sur
www.sepanso.org .
3. Verbatim du débat de Bordeaux, 13 novembre 2009.
4.
« Nanotechnologies, nanoparticules : quels dangers, quels risques ? »,
Comité Prévention Précaution, Ministère de l’Ecologie, 2006.
5.
« Nanoparticles can cause DNA damage across a cellular barrier »,
Bhabra G, Sood A, Fisher B & al, Bristol Implant Research Centre,
Nature Nanotechnology, novembre 2009.
7. « Contribution au Débat Public Nanotechnologies », Dr. Mano, Bordeaux, 17 novembre 2009.
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Le « principe de précaution » n’est pas appliqué. Cela aussi est inacceptable.
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Une
revue scientifique récente (cf. bibliographie du document BEE)
concernant les impacts sur l’environnement, la santé et la sécurité des
nanomatériaux soulève des inquiétudes au moins pour trois matériaux :
nanotubes de carbone, nanoparticules d’argent et dioxyde de titane.
On
a la preuve que les nanotubes de carbone peuvent avoir un effet néfaste
sur la santé humaine et que les particules d’argent et de dioxyde de
titane portent atteinte à l’environnement. Dans ces trois cas, la revue
suggère qu’on a besoin d’études complémentaires et, en attendant, qu’on
applique le « principe de précaution ». Rappelons ce principe qui est
l’un des principes fondamentaux de la législation de l’UE : s’il n’y a
pas de données montrant que le produit est sûr, il ne devra pas être
autorisé à la vente.
La preuve n’est pas bien établie pour
le nano-oxyde de zinc. Cependant, il y a des données inquiétantes qui
laissent à penser que ce matériau n’est peut-être pas sûr. Nous
émettons ainsi des réserves sur les nanotubes de carbone, le
nano-argent, le nano-oxyde de zinc et le nano-dioxyde de titane. Ces
quatre-là sont les nanomatériaux les plus couramment utilisés, et ce
sont donc eux qui présentent les plus grands risques, étant donné
qu’ils sont utilisés en quantités importantes dans des biens de
consommation que l’on trouve déjà en vente actuellement (aliments,
vêtements, cosmétiques, peintures, micro-électronique).
Il y
a de nombreux autres métaux, oxydes métalliques, structures carbonées
et d’autres matériaux que l’on commence à utiliser à l’échelle
nanométrique. Malheureusement on sait peu de choses à propos de leurs
effets néfastes potentiels pour l’homme ou pour l’environnement. Une
évaluation complète des effets de l’exposition aux nanomatériaux
nécessite la connaissance des conditions de fabrication, du volume de
production, des applications industrielles, des biens consommés, du
comportement des consommateurs, de l’utilisation dans l’environnement
et de la distribution. Actuellement ce genre d’information n’est
disponible pour aucun matériau, ce qui rend virtuellement impossible
l’évaluation des niveaux d’exposition.(2)
Toutefois, par
exemple, les nanotubes de carbone multicouches sont devenus récemment
un sujet de grande inquiétude, dans la mesure où s’est trouvée
confirmée la crainte exprimée par des scientifiques que certains NTC
ressemblent aux fibres d’amiante, et risquent de causer des problèmes
de santé similaires.
Le nano-dioxyde de titane (TiO2), lui,
a fait l’objet d’un constat comme concentrateur de la pollution par le
cadmium, lequel est un toxique puissant. On se souvient de la présence
de grandes quantités de cadmium, issues des mines du Massif Central,
accumulées dans les sédiments et vases du Lot et de la Garonne, et qui
ont conduit à l’interdiction d’exploitation des gisements ostréicoles
de la Gironde. On imagine donc facilement les effets de synergie avec
les TiO2, sachant par ailleurs que les effluents de la Gironde peuvent
affecter, par le jeu des courants, le bassin ostréicole de
Marennes-Oléron (Seudre). Par un effet d’accumulation toxique, ce
serait donc là tout un bassin économique qui risquerait d’être affecté.
Qui donc s’en inquiète ? Jusqu’à présent, aucune étude ne cible ce
genre de problématique environnementale.
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La Loi Barnier est dévoyée. Cela encore est inacceptable.
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En
soi, le principe d’un Débat Public sur les sujets nouveaux et
controversés est positif. Nos associations n’ont pas critiqué à sa
naissance la Loi Barnier qui instituait la Commission Nationale du
Débat Public, admettant certains aspects positifs de ce nouvel outil.
De même que sa transformation en « Autorité Administrative
Indépendante » en 2002 – sans se leurrer sur le niveau de son
« indépendance ». Notre association, ayant déjà participé à divers
Débats Publics, a pu faire une analyse lucide et critique de cette
institution et porter celle-ci au Séminaire de Lille (2006).
D’après
la Loi Barnier, le Débat Public porte d’abord sur la nécessité ou non
de réaliser le « projet » d’un maître d’ouvrage. Le présent Débat
répond-il à ce principe, alors que l’étude des nanotechnologies date de
plusieurs années et que les produits issus de cette industrie sont déjà
largement en circulation, sans application aucune du principe de
précaution ? À l’évidence – déplorable – la réponse est non ! Notre
association n’a d’ailleurs jamais eu, à travers les Débats Publics
auxquels elle a participé, le sentiment que la question était posée.
D’autre
part, nous avons pu éprouver une faille majeure de la Loi Barnier, en
ce qu’elle n’oblige en aucune façon le maître d’ouvrage à tenir compte
de l’expression de l’opinion publique qui s’est exprimée. Nous
rejoignons de ce fait les conclusions du Collectif « Pièces & Main
d’œuvre », qui considère que la procédure du Débat Public est de fait
un outil qui vise, au prétexte d’une « démocratie technique », à
imposer l’acceptabilité des solutions technologiques que le public, le
plus souvent, refuse. Le dit Collectif en a tiré argument pour
boycotter le Débat sur les nanotechnologies.
La SEPANSO,
après la contribution de Simon Charbonneau, a préféré apporter les
raisons de son opposition au développement des nanotechnologies parce
qu’aucune exigence de base pour un saut technique de cette ampleur
n’est respectée. Le fait que le maître d’ouvrage, dans ce cas, soit un
groupe de ministères ne change rien au problème.
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SYNTHÈSE
Notre
réponse au développement des nanotechnologies est donc clairement
négative. Ce ne sont pas des promesses d’études trop tard venues, des
étiquetages in extremis, ou des propos lénifiants qui seront aptes à
résoudre cette question. On est bien là dans le même schéma que celui
des OGM, des pesticides, de l’ESB, et autres plaies contemporaines : le
désir de réaliser des profits et de gagner une certaine compétition
scientifico-économique tue, chez les scientifiques, les industriels et
les élus, toute conscience morale sans laquelle, comme chacun sait, il
n’y a « point de science », mais « ruine de l’âme » (Rabelais, 1550) !
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