Documents du débat

Cahiers d'acteurs

Les cahiers d'acteurs du débat public sont des contributions écrites d'acteurs du débat public, institutionnels ou associatifs, édités par la CPDP au cours du débat. Ils permettent d'éclairer le public, sur des questions touchant les nanotechnologies.

CLCV

Consommation Logement et Cadre de Vie


Les nanotechnologies : pour une gouvernance de l’innovation

 Créée en 1952, la CLCV est l’une des plus importantes associations nationales de consommateurs et d’usagers.

 

 Elle agit pour améliorer la qualité de la vie, pour des produits sains et loyaux accessibles à tous, pour des modes de production et de distribution respectueux de la santé et de l’environnement. Son action s’appuie sur la force d’un réseau de plus de 400 associations locales, départementales et régionales.

 

La CLCV est membre du Bureau Européen des Unions de Consommateurs et de Consumers International, fédération internationale des organisations de consommateurs.

 



 
Annonciatrices de progrès considérables selon les uns, sources de risques imprévisibles pour les autres, les nanotechnologies restent pour la plupart des citoyens mal connues.
 

 

Elles sont pourtant susceptibles de concerner l’ensemble des industries (bâtiment, transport, informatique, pharmacie, textile, agroalimentaire…) et donc de modifier en profondeur notre quotidien. Les perspectives pour l’amélioration de notre confort mais également pour le progrès médical sont nombreuses.

Mais tout aussi nombreuses sont les interrogations quant à leur innocuité. En effet, les propriétés toxiques des nano-objets restent à explorer. De plus, certaines voix s’élèvent pour mettre en garde contre les possibilités accrues de surveillance des individus liées à la nanoélectronique et les risques pour les libertés publiques.


Pour la CLCV, le développement des « nanos » doit être accompagné d’un dispositif d’évaluation scientifique et éthique indépendant. Nous considérons que la question de la sécurité pour les consommateurs de ces technologies devrait figurer parmi les priorités de la recherche publique.

 

Derrière la question des « nanos », l’enjeu est plus large. Il s’agit de construire collectivement une « gouvernance de l’innovation » qui permette à nos sociétés de tirer parti des avancées scientifiques en gérant au mieux les risques qu’elles peuvent comporter.

De quoi parle-t-on ?

Du grec « nano » signifiant « nain », on peut définir les nanotechnologies comme les technologies de l’infiniment petit.

 

Dans l’univers des « nanos », la matière présente des propriétés radicalement nouvelles et l’éventail des applications potentielles est considérable.

 

Il existe déjà des ciments « autonettoyants » et dans le secteur de l’épuration des eaux, les « nanos » ouvrent également d’importantes perspectives. Des produits cosmétiques courants intègrent des nanoparticules et l’on parle également de textiles capables de réagir à la température.

 

La recherche médicale est bien sûr concernée avec le développement d’outils de diagnostic miniaturisés et plus rapides.

 

Les « nanos » devraient conduire à des traitements plus efficaces et capables de cibler des organes, voire des cellules, en limitant les effets secondaires sur les autres tissus. 

Les risques des nanotechnologies sont encore mal connus

Depuis quelques années, de nombreuses agences d’expertise et instituts de recherche travaillent sur la question de la sécurité des nanotechnologies. C’est notamment le cas de l’Agence française de la sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, et de l’Institut national de l’environnement et des risques industriels. Le Conseil économique, social et environnemental a également rendu en 2008 un avis abordant l’ensemble des aspects du développement des nanotechnologies, y compris les risques potentiels.  

La CLCV constate que l’ensemble de ces travaux soulignent l’insuffisance des données aujourd’hui disponibles pour l’évaluation des effets toxicologiques des nanoparticules et nanomatériaux.

 

Au niveau européen, l’EFSA, agence de la sécurité alimentaire, et le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux ont eux aussi souligné la nécessité d’améliorer les méthodes d’évaluation des risques.

L’exemple des nanos tubes de carbone (source : avis du CESE de 2008).
 
Les nanotubes de carbone sont des assemblages d’atomes de carbone en forme de tube de 2 à 100 nanomètres de diamètre et de longueur de l’ordre du micron.
Très légers et résistants à la rupture tout en étant très souples, ils peuvent se comporter comme un métal mais également comme un semi-conducteur. Ce matériau permettrait par exemple de fabriquer des écrans vidéo plats et souples leur permettant ainsi d’être pliés, enroulés...

Nos propositions pour une gouvernance des nanotechnologies

Afin de concilier le développement des nanotechnologies et la sécurité des consommateurs, la CLCV recommande la mise en œuvre des principes suivants :

 

> Soutenir la recherche publique sur les risques en garantissant son indépendance

 La CLCV demande que d’importants efforts de recherche soient rapidement mis en œuvre sur la toxicité des nanoparticules.

Sur cette question essentielle, seule une recherche publique indépendante des professionnels permettra d’éviter les conflits d’intérêt.     Cette recherche est pour nous un préalable indispensable au développement des applications, la CLCV refusant la mise sur le marché de produits dont la toxicité n’aurait pas été évaluée.

Compte tenu de l’ampleur des investissements nécessaires, la question du financement de la recherche publique sur les risques est cruciale.

 

Nous proposons la mise en place d’un fond abondé par les industriels du secteur, sans que ceux-ci ne puissent intervenir dans le choix, la conception et le déroulement des études ainsi financées.

 

> Evaluer les risques et les bénéfices dans le cadre d’une expertise pluraliste et indépendante

L’évaluation a pour but d’identifier, et si possible de quantifier, les bénéfices et les risques d’une innovation, qu’ils soient de nature sanitaire, environnementale ou économique. Pour des applications susceptibles de nuire aux libertés individuelles (systèmes électroniques de surveillance par exemple), les enjeux éthiques devront aussi être analysés. La balance bénéfices/risques ainsi établie doit servir de base à l’action publique qui peut autoriser, le cas échéant sous condition, l’usage d’une technologie ou l’interdire.

 

Cette évaluation n’a de sens que si les experts qui en ont la charge sont indépendants des intérêts économiques en jeu. Il est donc indispensable qu’elle soit confiée à des scientifiques issus de la recherche publique et sans lien avec les professionnels du secteur concerné.

 

Bien souvent, les experts ont des points de vue différents voire opposés. La CLCV souhaite que les avis divergents puissent être présentés et débattus et que les résultats de ces évaluations soient rendus publics. Rappelons également que l’évaluation doit être un processus continu et actualisé en fonction de l’évolution des connaissances.

 

Par ailleurs, la CLCV souligne la nécessité de prendre en compte l’ensemble des étapes du cycle de vie des produits depuis la production des nanomatériaux jusqu’à leur recyclage.

 

Quant aux bénéfices potentiels, il importe de les identifier en distinguant ce qui relève du simple gadget et du progrès réel. Nous demandons que les bénéfices de quelque nature qu’ils soient profitent à l’ensemble de la société et pas seulement aux professionnels de tel ou tel secteur.

 

> Favoriser l’échange entre les citoyens et les experts

Aujourd’hui, les agences d’expertise (Afssa, Afsset) publient leurs avis et ils sont accessibles à tout un chacun sur Internet. Cette transparence de fait est pourtant loin d’être suffisante. En effet, ces avis rédigés par des scientifiques sont destinés aux pouvoirs publics et restent incompréhensibles pour la majorité des citoyens.

 

Au final, la CLCV considère que le travail des agences, qui organisent et restituent l’expertise collective, reste méconnu et peu valorisé. Cette situation est d’autant plus regrettable que, parallèlement, des discours pseudo-scientifiques et des rumeurs, diffusés notamment par Internet, recueillent un écho grandissant dans l’opinion.

 

S’agissant de risques et de bénéfices qui les concernent, les citoyens ont le droit de savoir et de comprendre. Pour cela, un important travail de vulgarisation de l’expertise devrait être mené sous des formes multiples : conférences de consensus, sites internet dédiés, débats publics, émissions de télévision ou de radio… Sans ces efforts de communication, les peurs irrationnelles et le charlatanisme prendront le pas sur l’information.

 

Par ailleurs, il est important que les citoyens aient la possibilité de débattre avec les scientifiques et les experts de leurs méthodes d’évaluation. Les organisations de la société civile et les élus, en particulier au travers de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, doivent susciter et contribuer à ces échanges.


> Adapter les réglementations existantes

La réglementation européenne sur les risques sanitaires et environnementaux est un ensemble complexe de textes couvrant des domaines particuliers (produits chimiques, pesticides, eau…).

 

Ce cadre réglementaire, qui vise à concilier liberté de marché et sécurité maximale pour les consommateurs et les salariés, s’applique évidemment aux nanotechnologies même s’il a été conçu antérieurement à leur invention.

 

Toutefois, la CLCV demande un certain nombre d’adaptations importantes pour réellement prendre en compte les spécificités des nanotechnologies.

 

La réglementation sur les substances chimiques (règlement REACH) prévoit par exemple un seuil d’une tonne pour la déclaration obligatoire d’une substance. Or, ce seuil est considéré par de nombreuses instances comme inadapté au cas des nanoparticules.

 

Nous estimons que la mise en place immédiate d’un système d’identification et de traçabilité des différentes nanoparticules s’impose. Un répertoire des utilisations des nanomatériaux accessible à tous devrait systématiquement être renseigné par les professionnels concernés.

 

 

> Prévenir l’émergence de monopoles

 Plusieurs exemples récents (biotechnologies et OGM, traitement du SIDA, industrie du logiciel) nous rappellent que le développement d’innovations s’accompagne bien souvent de l’instauration de monopoles. Une ou quelques firmes se trouvent alors seules détentrices d’un procédé, protégé par un brevet et qu’elles valorisent comme bon leur semble.    De telles situations peuvent conduire par exemple à priver certaines populations d’un traitement vendu trop cher ou à freiner le développement de nouvelles recherches. On est alors très loin de l’idée d’un progrès bénéficiant au plus grand nombre et accessible à tous. La CLCV recommande donc que des mesures soient prises pour prévenir l’émergence de monopoles autour des nanotechnologies. Une politique des brevets adaptée, une recherche publique dynamique et l’application du droit de la concurrence sont nécessaires.

> L’action au plan international est indispensable
La recherche-développement sur les nanotechnologies est aujourd’hui en plein essor au niveau mondial, en particulier aux Etats-Unis et au Japon, mais aussi en Inde, en Chine et en Corée du Sud. L’Europe et la France ne peuvent pas rester en retrait dans cette course, sous peine de se voir imposer des développements qu’elles ne souhaitent pas sans pouvoir proposer d’alternative.  

Par ailleurs, les dispositions réglementaires que nous appelons de nos vœux ne peuvent pas se limiter à l’échelon européen. Si tel était le cas, elles ne manqueraient pas d’être attaquées par d’autres états en tant que barrières au commerce international.

 

Les acteurs concernés (pouvoirs publics, professionnels, organisations non gouvernementales) doivent donc travailler à une harmonisation internationale des réglementations.

 

 SYNTHÈSE

En l’état actuel, la CLCV considère que d’importants efforts doivent être conduits pour mieux évaluer et encadrer le développement des nanotechnologies. En effet, des questions essentielles, dont celle de la toxicité, restent encore en suspens et la CLCV est opposée à la mise sur le marché de produit dont l’innocuité resterait à démontrer.

 

Cependant, si tant est que des progrès soient faits en matière d’évaluation, les réponses seront, comme toujours en science, des réponses partielles à des questions précises.
 
C’est ce que les agences d’expertise nous rappellent lorsqu’elles précisent qu’elles se basent sur les connaissances et les méthodes dont elles disposent au moment de leurs évaluations. En d’autres termes, des risques aujourd’hui inconnus seront peut-être décelés demain et à certaines questions légitimes, la science n’a pas toujours les moyens de répondre.
 
Face à cette incertitude fondamentale, seul le rejet systématique de toute
innovation technologique garantirait l’absence de nouveau risque, ce qui reviendrait en retour à priver la  collectivité de tout bénéfice et perspective de progrès.
 

Entre confiance béate dans le progrès et catastrophisme irrationnel, la CLCV considère que nous n’avons donc d’autre choix que de trouver une voie médiane. Celle-ci suppose une évaluation indépendante, contradictoire et transparente des risques et des bénéfices, une recherche publique en pointe dans ce domaine et une réglementation à la fois protectrice pour les consommateurs et harmonisée au niveau international.

 

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