Dans un tel contexte, la plus grande vigilance doit être observée. En l’état actuel du droit, la réglementation générale existante est applicable aux nanoparticules, mais aucune de ces dispositions ne les vise spécifiquement. Cette situation est susceptible d’appeler l’adoption de mesures complémentaires assurant un développement responsable des nanoparticules.
Règlement européen REACH sur la protection contre les substances chimiques
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EXPLICATION
Qu’est qu’une substance chimique extrêmement préoccupante ? Selon la réglementation européenne REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), une substance chimique est classée comme extrêmement préoccupante si elle peut provoquer un cancer, endommager le matériel génétique ou perturber la reproduction. Toute substance qui ne peut être décomposée par la nature (persistante) et s’accumule dans l’organisme des êtres vivants (bioaccumulable), hommes ou animaux, est également classée comme extrêmement préoccupante, même s’il n’existe pas de preuve de sa toxicité. De nombreuses substances répondant à ces critères se sont en effet révélées toxiques alors même qu’on les pensait au départ inoffensives. Le passé en offre de multiples exemples : les polychlorobiphényles (PCB), le dichlorodiphényl-trichloroéthane (DDT), l’amiante ou le tributyl-étain (TBT). Enfin, cette catégorie comporte également les substances connues pour interférer avec le système hormonal (ou perturbateurs endocriniens).
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Ce que prévoit la réglementation alimentaire D’une façon globale, l’Europe s’est munie d’un ensemble de textes complets sur la sécurité sanitaire des aliments pour l’homme et l’animal : c’est l’ensemble dit Paquet hygiène développé entre 2002 et 2004. Au sein de cette architecture, le règlement (CE) n° 178/2002 dit food law, socle de la réglementation européenne et française, fixe de grands principes de sécurité auxquels ne dérogent pas les aliments nanos : l’opérateur est garant de la mise sur le marché de produits sûrs, offrant toute garantie d’innocuité. La législation alimentaire se fonde sur le principe de l’analyse des risques : l’évaluation indépendante des risques fondés sur les données scientifiques disponibles précède la décision de gestion des risques. Ingrédient ou aliment nano Toute denrée alimentaire issue des nanotechnologies et pour laquelle l’utilisation des nanotechnologies a entraîné des modifications significatives dans la structure, la valeur nutritive, le métabolisme ou la teneur en substances indésirables de l’aliment obtenu est considérée comme nouvelle (c’est-à-dire soumise au champ d’application du règlement novel food (CE) n° 258/97) et sa mise sur le marché est conditionnée à une autorisation préalable délivrée sur décision de la Commission assistée des États membres et obtenue après évaluation par, au minimum, une agence de sécurité sanitaire nationale. Chaque État a en effet la possibilité de consulter son agence nationale sur le dossier présenté. En cas de divergence dans les avis des agences nationales, l’Agence européenne est saisie. Ce règlement est actuellement en révision. Le Parlement européen et le Conseil s’accordent pour dire que toute denrée alimentaire contenant ou consistant en des nanomatériaux manufacturés (modifications significatives ou non) doit être considéré comme nouveau et donc faire l’objet d’une évaluation et autorisation. De plus le Parlement européen, dans sa résolution d’avril 2009, souhaite qu’aucune autorisation ne soit délivrée tant que des méthodes d’évaluation spécifiques des risques n’auront pas été développées. Additif, arôme ou enzyme nano Le Paquet améliorants (règlements (CE) n° 1332/2008, 1 333/2008, 1 334/2008) prévoit que tout additif, arôme ou enzyme déjà autorisé et donc inclus sur une liste communautaire et préparé à l’aide des nanotechnologies doit faire l’objet d’une réévaluation. Ces règlements entrent en application entre 2010 et 2011. Matériaux au contact des aliments Pour être déclarés aptes au contact alimentaire, les emballages doivent répondre au principe d’inertie : ils doivent être suffisamment inertes pour ne pas céder aux denrées des constituants en une quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine, entraîner une modification inacceptable de la composition des denrées ou entraîner une altération de leur qualité organoleptique. La seule dérogation à ce principe concerne les matériaux actifs, qui peuvent relarguer des substances autorisées par ailleurs pour l’ajout aux aliments (additifs). Le règlement (CE) n° 450/2009 institue des mesures spécifiques pour la catégorie des matériaux actifs et intelligents et une liste des substances autorisées dans ces matériaux. Il précise que des substances non autorisées peuvent être utilisées par dérogation lorsqu’elles sont séparées de ces denrées par une barrière fonctionnelle. Il exclut explicitement de cette dérogation les substances nanos présentant des propriétés chimiques et physiques fonctionnelles sensiblement différentes de celles de particules plus grandes. Des recommandations de prudence Dans le cadre des réflexions sur les évolutions réglementaires à venir, des instances consultatives ont été saisies. Dans son avis du 10 juin 2009, le Conseil national de l’alimentation préconise « qu’en cas d’absence de méthodologie d’évaluation des risques ou de données reconnues comme suffisamment fiables (ce qui est le cas aujourd’hui des nanomatériaux manufacturés), la mise sur le marché de toute denrée alimentaire issue de ces nouvelles technologies ne soit pas autorisée ». Pour autant, afin de ne pas freiner l’innovation, source de compétitivité et de croissance, le CNA recommande que les lacunes actuelles puissent être comblées dans les meilleurs délais en stimulant les programmes de recherche, tant publics que privés. L’Afssa indique également dans son avis de mars 2009 que la prudence s’impose à l’égard de l’utilisation de nanomatériaux en alimentation humaine et animale. |
L’utilisation des nanotechnologies dans les aliments et les matériaux au contact de ceux-ci est couverte par la réglementation communautaire actuelle et les différents systèmes d’autorisation préalables à la mise sur le marché. Toute nouvelle formulation sous forme nano doit faire l’objet d’un dossier déposé auprès des autorités afin qu’une évaluation démontrant son innocuité puisse être conduite par une agence sanitaire. La décision d’autorisation n’est prise par les autorités qu’en présence de telles données.
Cette couverture implicite est progressivement renforcée par l’introduction de dispositions explicites (comme pour les additifs) et une révision en cours du règlement relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires (novel food) (CE n° 258/97) devrait également imposer une nouvelle évaluation à toute formulation sous forme de nanomatériaux. Ces différentes dispositions font du domaine alimentaire un des domaines pour lequel la protection réglementaire est la plus avancée.
À ce jour, l’indication sur l’étiquetage de la forme nano n’est pas obligatoire bien que souvent revendiquée sous la forme d’une allégation marketing. Dans le projet de révision du règlement sur les nouveaux aliments, il est précisé qu’un étiquetage additionnel peut être exigé selon une approche au cas par cas. Le Parlement européen a demandé (dans sa résolution du 25 mars 2009) qu’il soit obligatoire pour la forme nano des ingrédients. La Commission et le Conseil réfléchissent, quant à eux, à un examen des conditions de l’autorisation et des règles d’étiquetage au cas par cas. Les discussions se poursuivent actuellement.
En France
Le sujet des nanotechnologies, bien que largement méconnu du grand public, suscite depuis plusieurs années des réflexions importantes dans les institutions spécialisées :
* organisation par la direction générale de la santé (DGS) d’un séminaire gouvernemental en octobre 2006 avec la participation des agences de sécurité sanitaire et animation de réunions avec les services et organismes compétents ;
* création en janvier 2008 d’un groupe de veille sur les impacts sanitaires liés aux nanotechnologies sous l’égide du Haut Conseil en santé publique. Ses missions : assurer une veille scientifique sur les publications relatives aux impacts sanitaires, environnementaux, sociaux et juridiques des nanomatériaux et des nanotechnologies ; inventorier les recherches en cours ; émettre des recommandations à destination du Gouvernement. Ce groupe a fait l’objet en juin 2008 d’une saisine de la DGS relative à la toxicité potentielle des nanotubes de carbone pour des travailleurs potentiellement exposés et a rendu un avis en janvier 2009;
* lancement, en juin 2007 à la demande de la direction générale du Travail (DGT), d’une étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) en lien avec l’Institut de recherche en santé publique (Iresp) sur la faisabilité de travaux de suivi de cohorte épidémiologique ;
* inscription au programme 2008 du Conseil national de l’alimentation (CNA) d’une réflexion sur le thème du « développement de nouvelles technologies dans la fabrication, le conditionnement et la conservation des denrées alimentaires : conséquences, responsabilités des opérateurs et acceptabilité sociale ». Le CNA a rendu son avis le 10 juin 2009 ;
* lancement, en juin 2006 et à la demande de la DGS, d’une expertise par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Cette expertise a pour but d’identifier et de répertorier les produits contenant des nanoparticules parmi les aliments destinés à l’homme ou à l’animal ou parmi les matériaux destinés à entrer au contact de ces derniers. Pour les produits identifiés, une quantification de leur utilisation et une évaluation bénéfices/risques sont ensuite menées. Un premier rapport concernant l’eau a été remis en février 2008. Un second rapport concernant les aliments a été remis plus récemment en mars 2009.
Au niveau international
* publication par la direction générale recherche de la Commission européenne du code de conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies (février 2008) ;
* soutien par la présidence française du deuxième atelier de dialogue sur la sécurité de la nanotechnologie organisé par la direction générale santé des consommateurs de la Commission européenne, réunissant tous les décideurs et faisant l’état de l’art en matière d’expertise et de réglementation (octobre 2008). Les dix actions issues de cet atelier comprenant, entre autres, un inventaire des produits et la création d’un réseau européen d’expertise font l’objet d’une attention particulière de la France ;
* en novembre 2007, l’OCDE a lancé un programme de parrainage afin de faciliter la conduite de tests de sécurité sur un échantillon représentatif de 14 types de nanomatériaux manufacturés. Ce programme s’étend sur deux phases, dont la première (2008-2010) consiste en la collecte de données disponibles et de génération de tests pour l’identification et la caractérisation du danger potentiel de ces nanomatériaux. La deuxième phase prendra en compte l’évaluation du risque ;
* la VIe session du forum intergouvernemental sur la sécurité chimique tenue à Dakar, sous l’égide de l’OMS en septembre 2008, à laquelle la France a participé, a consacré une journée entière aux nanotechnologies et nanomatériaux. Elle a donné lieu à une déclaration sur les nanomatériaux manufacturés adressée aux gouvernements, organisations intergouvernementales et autres parties prenantes (industriels notamment) ;
* l’Unesco a invité des experts en nanotechnologies à faire un état des lieux de leur discipline, à examiner les controverses entourant la définition des nanotechnologies et à explorer les sujets éthiques et politiques liés. Un livre, qui réunit leur réflexion, a été publié en mai 2007.
EXPLICATION
Le premier rapport de l’Afssa sur la présence éventuelle de
nanoparticules dans l’eau fait apparaître que « la réglementation
relative au traitement de l’eau (dispositifs fixes ou mobiles),
permettrait d’utiliser certains dispositifs contenant des
nanoparticules manufacturées sans que ces procédés ne fassent l’objet
d’une évaluation préalable particulière.
Compte tenu de l’importance des lacunes actuelles des connaissances sur les nanoparticules, une grande prudence s’impose par rapport à leur utilisation en tant que composants de nanomatériaux ou sous formes libres. C’est pourquoi, la mise en place d’un dispositif (type autorisation) permettant de recenser la mise sur le marché de tout produit contenant des nanoparticules apparaît nécessaire, notamment dans le domaine de l’eau. Ce dispositif contribuerait notamment au recueil d’informations relatives aux sources, structures et caractéristiques des nanoparticules. Il permettrait également de mieux appréhender les besoins pour l’évaluation des risques liés à ces particules dans l’eau ».
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Dès mai 2007, l’Unesco a réuni les contributions de
nombreux experts en nanotechnologies dans Les nanotechnologies,
l’éthique et les politiques. L’ouvrage engage une réflexion éthique sur
les enjeux liés à la santé et à l’environnement, le contrôle des
dispositifs à l’échelle nanométrique et les risques liés aux
applications militaires et biomédicales. Il pose enfin la question des
opportunités que les nanotechnologies pourront apporter à la
coopération internationale pour s’adresser aux besoins les plus
importants des pays en voie de développement. |
Les associations revendiquent de plus en plus clairement une participation aux évaluations risques/bénéfices et aux choix dans la mise en œuvre des applications scientifiques et technologiques. Elles questionnent les modes de gouvernance actuels où les préoccupations sociales, environnementales et éthiques sont, selon elles, insuffisamment intégrées dans les processus d’innovation. Elles se font l’écho de questions récurrentes posées lors des débats publics.
En France