Avis n°473 de : BOURDON BERNARD - le 31/03/2009
Le dossier du MOA est bien structuré mais trop neutre et souvent incomplet sur le plan pédagogique
Sur certains points jugés fondamentaux comme la prise en compte de l’évolution démographique, les dessertes et les gares nouvelles, je suis en opposition et je doute également de certaines prévisions de trafic et de certains résultats socio-économiques.
Puis je suggérer à la CPDP qu’en complément aux réunions du débat public puissent se tenir des réunions d’experts pour échanger sur certaines hypothèses et résultats présentés afin d’apporter les validations utiles ou procéder à des études complémentaire ?
Les observations sont reprises ci-après en respectant le plan du dossier MOA.
Observation générale sur l’introduction : le présent projet de LGV possède une particularité unique qui n’est pas assez mise en valeur : contrairement aux anciens projets de lignes nouvelles en France qui visent le plus souvent à relier des pôles importants aux extrémités et traverser des zones peu denses, le projet va traverser une zone exceptionnelle par sa densité démographique et son potentiel.
Chapitre 1.1 : un territoire attractif
L’analyse présentée est neutre à l’extrême, voire sceptique au point de considérer les atouts comme sources de fragilités !
La croissance démographique exceptionnelle (qui justifierait d’en faire le titre du point 1.1) concentrée dans la bande littorale, la constitution progressive d’une conurbation Nîmes-Montpellier-Sète de plus d’un million d’habitants sont des atouts uniques !
Quand on sait que, partout dans le monde, les populations et emplois se concentrent principalement le long des axes structurants de transport, c’est une chance de piloter un projet avec un tel potentiel !
L’analyse est trop souvent calée sur 2020, ce qui correspond à une analyse statique ; il vaudrait mieux se caler sur 2030 pour trouver la meilleure réponse dynamique aux besoins de services. Et pour mieux se projeter à 20 ans en avant, il est souvent intéressant de rappeler la situation 20 ans en arrière (1990), la cohérence d’ensemble et l’adhésion du public seraient bien meilleures!
Le dernier résumé de ce point 1.1 montre bien la prise de conscience du MOA de l’énorme potentiel de cet axe structurant de transport (en « générant un cercle vertueux », dixit) malgré l’emploi du conditionnel qui laisse deviner un fond de scepticisme ou de réserve.
Chapitre 1.2 : richesse et fragilité d’un patrimoine d’exception
L’analyse omet de faire le lien avec le tourisme qui génère des flux importants de déplacements en forte augmentation et est aussi un des enjeux du projet. N’est ce pas aussi ce qui justifie l’attractivité du Languedoc-Roussillon au niveau européen ? (cf évolution des trafics aériens à bas coût qui n’existaient pas il y a 20 ans!)
Chapitre 1.3 : transports
-concernant le fret, l’objectif de report modal est une évidence partagée, mais il y a de vraies contraintes qui ne sont pas évoquées : par exemple, quid du raccord au secteur industriel de Tarragone ou au secteur agricole de Valence, qui génèrent aujourd’hui des flux importants de camions sur l’A9 ?
-concernant le trafic Grandes Lignes, comment sont fabriquées les prévisions de trafic ? on comprend que l’on prenne une référence au moins égale à 2003 pour effacer l’effet du TGV Méditerranée ; mais depuis 2003, la croissance démographique n’induit-elle pas des progressions plus fortes (référence au cercle vertueux et au potentiel)? N’y a t il pas une estimation par défaut ?
-concernant le trafic TER, l’observation est la même. Quand on observe l’évolution générale des trafics TER, des difficultés croissantes des déplacements autour de Montpellier et le succès de son tramway, de la progression inéluctable du prix des carburants, les prévisions semblent sous-estimées, surtout dans la perspective de la future conurbation Nîmes-Sète.
Chapitre 1.4 : le transport au cœur des enjeux pour le territoire
Compte tenu de sa dimension pédagogique et stratégique, cet exposé conclusif n’est pas assez argumenté et mis en valeur. Chacun peut interpréter à sa façon ! Les néophytes ou les responsables politiques qui veulent promouvoir des intérêts locaux ne sont pas sensibilisés.
Par exemple, écrire au point 1.4.3 que « toute nouvelle infrastructure doit être dans une logique d’interconnexion au réseau TC existant » est fondamental, mais pourquoi ne pas argumenter par l’étude récente sur les gares nouvelles TGV ? je note que d’une part ce passage n’est pas écrit en caractères gras, et d’autre part que certaines positions des gares nouvelles proposées au point 2.3.3 ne respectent pas ce principe ! c’est pourtant, selon moi, l’erreur stratégique que le MOA ne devrait pas commettre s’il veut que son projet atteigne ses objectifs nationaux et européens.
CHAPITRE 2 : QUELS PROJETS ENTRE MONTPELLIER ET PERPIGNAN ?
Chapitre 2.1 : quels objectifs ?
Ce point est fondamental et devrait davantage être mis en valeur ! il faut aussi aller au bout de la déclinaison des principes énoncés pour être convaincant.
Bien d’accord pour « diminuer les temps de parcours et diffuser les effets de grande vitesse » mais écrire « connecter l’infrastructure au réseau classique » est trop vague : s’il s’agit de simples raccordements permettant aux trains de basculer d’une ligne sur l’autre, c’est nécessaire mais non suffisant. C’est valable pour un projet habituel de LGV de campagne, mais ç’est totalement inadapté pour la bande littorale qui va devenir une conurbation ! Dès lors qu’il y aura une ligne TER de type banlieue, l’interconnexion doit se faire impérativement dans des gares multimodales performantes! aucune gare nouvelle ne doit se situer hors du réseau existant, elles doivent toutes être mixtes TGV-TER, avec des correspondances les plus rapides possibles.
Il est étonnant que le MOA ne fixe pas à ce stade de la présentation un cadrage pour déterminer le projet le meilleur pour la collectivité et les outils associés d’évaluation objective. Cela permettrait de mettre en évidence les performances comparées des gares nouvelles interconnectées ou non.
Le MOA est friand de présentations animées lors des réunions du débat public, on aimerait la même chose pour comparer les correspondances avec et sans interconnexion ! (notamment pour la gare nouvelle éventuelle de la ville de Montpellier qui recherche une fonction de grande métropole). Ceci aurait mérité un exposé spécifique dans le dossier MOA ! et pourquoi pas la présentation d’une configuration idéale et souhaitable de gare nouvelle, c’est pourtant l’intérêt du MOA de faire la gare la plus performante possible pour attirer le plus de clients transporteurs. ( cf la contribution en annexe à cette note)
Chapitre 2.2 : quels couloirs de passage ?
RAS ; je note qu’aux premières réunions de débat public (Montpellier/Narbonne), ce sujet n’est pas discuté ; c’est bien la preuve que le plus important à ce stade concerne les fonctionnalités du projet.
Chapitre 2.3 : quelles dessertes pour les territoires ?
Le point 2.3.1 comprend des principes généraux et des précisions chiffrées de fréquence de dessertes.
Les principes sont de bon sens mais incomplets : la ligne nouvelle doit effectivement être complète de Montpellier à Perpignan, le cadencement et la double mission des Ter, intercités et périurbain correspondent bien aux attentes.
En ce qui concerne les TGV, le MOA a raison de poser la question de la pertinence de la desserte intercités via les gares actuelles, mais il devrait être plus pédagogique et citer des exemples actuels qui marchent.
- pour la pédagogie, il faudrait expliquer comment varie le trafic d’une liaison TGV(comme l’inverse du temps généralisé), et dire l’impact comparé des gains de fréquence et de temps de parcours, expliquer les pénalités pour correspondances…(augmenter les fréquences directes est souvent plus inducteur de trafic que gagner quelques minutes aux trains les plus rapides ; les objectifs de la SNCF ne sont pas ceux de RFF !)
- un exemple positif de desserte intéressant à méditer est la desserte Téoz de la transversale Bordeaux-Marseille ; elle est composée de 2 blocs : des Téoz rapides sans arrêt de Montpellier à Toulouse, et des Téoz assurant le cabotage Sète, Béziers, Narbonne, Carcassonne. Le résultat est probant car la SNCF augmente progressivement le nombre de Téoz rapides ! ne faudrait-il pas copier ce qui marche et rendre directs de Montpellier à Perpignan les TGV rapides pour Barcelone et compléter par des TGV de cabotage ? l’intérêt des gares intermédiaires mériterait une vraie analyse et un vrai débat!
En ce concerne les prévisions de fréquences, les villes de Sète et Agde ne peuvent être qu’en totale opposition : le nombre de fréquences quotidiennes, une quinzaine, est inférieur à la situation actuelle après avoir quasiment doublé en 2020 sans projet ! c’est en totale contradiction avec les développements démographiques, économiques et touristiques du secteur, en cours et à venir!
Il faut savoir que la ville de Sète a fait des propositions à la SNCF pour définir ensemble la desserte globalement la plus efficace en rapport coût-avantage : un consensus se dégage pour conserver une fréquence quotidienne de 5AR directs bien répartis dans la journée (intervalle de 4h en heures creuses et 2H en pointes) sur les grands axes Paris, Lyon Roissy, et l’arc méditerranéen. Cela représente globalement 30AR, cohérent avec la fréquence avant projet. La ville comprend l’attrait de la nouvelle ligne, mais c’est aussi l’intérêt de la SNCF de ne pas réduire les fréquences par rapport à la situation avant projet.
Le MOA gagnerait à observer que les flux TGV Sète/Agde pour Paris sont équivalents à Béziers et largement supérieurs à Narbonne, malgré une desserte moindre ! En arriver à des fréquences Béziers et Narbonne 4 fois supérieures à Sète et Agde ne manque pas d’interpeller !
L’offre d’environ 15AR quotidiens, si elle est associée à un positionnement Est de la gare nouvelle de Montpellier revient à souhaiter la mort des villes de Sète et Agde! (et à faire perdre aussi pas mal de recettes à la SNCF, ça n’a pas de sens !)
Les points 2.3.2 et 2.3.3 concernant le positionnement des gares nouvelles éventuelles laissent penser que le MOA est neutre sur le sujet et joue les Ponce Pilate. C’est pourtant son intérêt de fabriquer un réseau au meilleur potentiel qui va attirer ses clients transporteurs futurs !
Que penser en effet d’une gare nouvelle à Montpellier Est, déconnectée du réseau Ter ? alors que la future conurbation se forme, que la libération de sillons TGV va permettre une desserte Ter renforcée en fréquence et points d’arrêts, obliger les voyageurs en continuation à une double rupture de charge, longue de surcroît, est un non sens ! la gare nouvelle de Montpellier Est serait une erreur stratégique majeure à l’échelle régionale et nationale ! la seule gare nouvelle qui a un sens est celle de Montpellier ouest, avec une correspondance performante TGV/Ter.
Une autre observation concerne le statut de Montpellier qui aspire à devenir une grande métropole : il suffit de regarder ailleurs, en France et en Europe, pour constater que les gares performantes des métropoles sont toutes situées en centre ville, même quand elles sont nouvelles (ex Lyon Part Dieu)
Que penser également de la cohérence d’aménagement des transports à Montpellier : le réseau tramway est centré sur la gare Saint Roch et son trafic a toujours été largement supérieur aux prévisions d’origine! N’est-ce pas là l’effet du fameux cercle vertueux et de la synergie entre les modes complémentaires TGV et Ter, chaque mode faisant progresser les autres ?
Il est clair que la position de gare Montpellier Est « casse » le cercle vertueux tant recherché de synergie entre les modes TGV/Ter/urbains.
Il est probable que la ville perdrait beaucoup en abandonnant sa gare actuelle de plein centre ville…et si un problème de saturation existe à terme, une solution ne consiste-t-elle pas à alléger sa fonction de terminus-origine, et à reporter ceux-ci à Sète ou Béziers, et mieux répondre ainsi au besoin de desserte TGV du littoral ? nous avons un sentiment diffus de défaut d’étude approfondie de la part du MOA …
En ce qui concerne les autres gares, il me semble que la multiplication des gares nouvelles diminue la pertinence du projet et j’observe que le SRADDT LR prévoit un regroupement Béziers-Narbonne. Si le besoin d’une gare nouvelle est démontré, il me semble qu’une gare unique vers Nissan, avec des correspondances rapides sur des Ter nombreux et cadencés serait sûrement la meilleure solution.
CHAPITRE 3 : QUELS SCENARIOS PROPOSES AU PUBLIC ?
Il convient au préalable de redire avec force notre opposition totale aux tableaux de dessertes présentés en ce qui concerne la réduction inacceptable des fréquences lors de la mise en service ; ce qui se conçoit pour les lignes de campagne des anciens projets LGV de la SNCF n’a aucun sens à la traversée du Languedoc (cf argumentaire précédent concernant le point 2.3)
Le scénario 2, avec une fréquence de desserte d’au moins 30TGV, est à retenir pour les raisons suivantes:
-le scénario 1 « uniquement TGV » et le scénario 4 « maintien de la ligne actuelle » n’ont pas de potentiel de progression et ne répondent pas aux besoins exponentiels de déplacements dans la future conurbation littorale
-les scénarios 1 et 3, qui cherchent des vitesses TGV de 300km/h et plus, sont des projets à risques à cause de la tramontane fréquente et violente dans le secteur narbonnais. Il est surprenant que le MOA ne cite pas dans le dossier la faible vitesse limite du tronçon Narbonne-Perpignan et les mesures de réduction de vitesse en cas de vent fort.
-le scénario 2 est celui qui est le plus solide et de nature à répondre aux besoins futurs voyageurs et fret (référence Tours-Bordeaux depuis 20 ans). A noter que la VL220 est liée à l’observation de la signalisation latérale : les progrès attendus de signalisation embarquée et de freinage des TGV pourraient peut-être permettre à terme d’accélérer au moins certains TGV rapides sans arrêt…
Ce chapitre présente des prévisions de trafic et en déduit des indicateurs de rentabilité socio-économiques.
La démarche est classique, mais encore faudrait il expliciter les chiffres présentés pour les faire valider car rien ne garantit leur fiabilité :
-il est surprenant de constater que le trafic grandes lignes augmente plus vite sans projet que le trafic Ter : avec les nouveaux tarifs multimodaux, la concentration à venir sur le littoral, l’augmentation inéluctable du prix des carburants, il est probable que le Ter va augmenter davantage que prévu…
-avec le projet, les évolutions des trafics sont également surprenantes selon les scénarios…
-enfin, la part du report modal route/fer est énorme par rapport à l’aérien, quid de la part Ter ?
-l’évaluation socio-économique est un peu surprenante et doit être explicitée : comment sont calculées les prévisions de trafic durant la vie du projet ? les extrapolations ne peuvent être identiques dans chaque scénario pour les différents trafics, dès lors qu’il y a impossibilité de répondre aux progressions de trafics fret et Ter après 2020 dans certains scénarios.
-compte tenu des performances proposées par ce scénario 2 par rapport aux scénarios 1 et 3 (faible écart de temps de parcours TGV, fort potentiel de progression fret et Ter,…), nous doutons des résultats et souhaiterions avoir des échanges entre experts sur le sujet.
-enfin, ne pas proposer une analyse comparative socio-économique des positions des gares nouvelles revient à laisser croire que c’est neutre ! Qui peut soutenir par exemple que les trafics TGV et Ter sont équivalents pour les deux positions de gares nouvelles à Montpellier : l’une alimente le cercle vertueux de la synergie entre modes, et l’autre le casse. Ne pas en parler, en sachant les projets des collectivités, pose un problème immédiat de crédibilité du MOA et de la CPDP, et des difficultés futures pour une conception partagée du meilleur projet pour la collectivité.
Annexe à la note d’analyse et d’observations
CONTRIBUTION PARTICULIERE CONCERNANT
LES ZONES DE CROISEMENTS DES LIGNES
ET LES GARES NOUVELLES EVENTUELLES
La ligne nouvelle Nîmes-Montpellier-Perpignan est mixte pour répondre aux objectifs stratégiques exposés dans le dossier du MOA.
Pour obtenir le maximum de performance, l’idéal est de répondre à deux conditions :
- [endif]Pour l’exploitation et la circulation des trains, il faut pouvoir basculer les trains d’une ligne sur l’autre, soit de façon organisée, soit inopinément en cas d’incident. Les raccordements doivent intégrer un sas entre les deux lignes pour ne pas rigidifier leur exploitation ;
- [endif]Pour l’exploitation commerciale, il faut que les correspondances TGV-TER soient les plus rapides possibles.
RFF, maître d’ouvrage et gestionnaire de l’infrastructure, doit rechercher le meilleur potentiel des installations. On peut très bien concevoir les croisements des lignes nouvelle et classique pour y intégrer à la fois les raccordements souhaités et les quais pour une gare éventuelle. Il faut pour cela essayer de faire un tracé mixte commun ligne nouvelle/ligne classique au niveau de la zone centrale pour des quais éventuels (quai TGV sur le sas, quai Ter sur la ligne classique).
Le tracé de la LGV peut être infléchi en conception et celui de la ligne classique, moins performante , modifié sur environ 2km (cela peut aussi faciliter les travaux de mise en œuvre). Le scénario 2 est évidemment le plus favorable et offre le meilleur potentiel de ce point de vue.
Deux options sont proposées ci-après pour les zones de croisements selon le cahier des charges souhaité pour l’exploitation gare.
Option 1 : gare à un seul niveau
Les correspondances TGV/Ter sont les plus rapides quand elles se font quai à quai : c’est le plus efficace quand on exploite par sens (les deux trains en correspondance allant dans le même sens). Des raccordements LGV/Lcl sont intégrés de part et d’autre des quais pour organiser les basculements entre les deux lignes, les quais sont intégrés entre le sas (voie à quai TGV) et la ligne classique (voie à quai Ter)..
Le schéma correspondant est représenté page 2 avec la LGV intérieure en passage rapide, des variantes sont bien entendu possibles tout en permettant les mêmes fonctionnalités
Option 2 : gare à deux niveaux
Dans le cas de gares nouvelles comme Nissan, ou comme Montpellier Ouest, on a intérêt à dispatcher les flux TGV vers les deux sens de circulation Ter et à rechercher la même performance pour les deux sens de circulation. C’est possible avec une gare à deux niveaux et une exploitation en quai central TGV qui couvre le quai central Ter (ou vice versa)
Des raccordements sont intégrés de part et d’autre des quais pour organiser les basculements entre les deux lignes
Le schéma correspondant est représenté page 2 avec la LGV au niveau supérieur, des variantes sont bien entendu possibles tout en permettant les mêmes fonctionnalités
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