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AVIS
Comment comprendre ce projet LNPN tel qu’il se dessine aujourd’hui
par Michel JUHEL, RETRAITÉ CHEMINOT (REGNÉVILLE SUR MER), 30/01/2012
Pour répondre à cette question difficile, il faut partir de l’état actuel du réseau, de l’intérêt général et des évolutions qui s’imposent réellement.

Mais en préambule, hors tout programme de création de ligne, il y a effectivement deux problèmes incontournables à résoudre pour améliorer la desserte ferroviaire des régions Haute et Basse Normandes : le tronçon Mantes St Lazare qui est totalement saturé et le contournement du goulot d’étranglement de la gare de Rouen.
On n’échappe pas à l’obligation de traiter ces deux points noirs et penser la résolution des ces problèmes en même temps que celui de la desserte du Havre ou de la Basse et Haute Normandie est cohérent.

Mais qu’en est il vraiment du projet de la LNPN ?

Tout le monde sait qu’il s’agit d’une commande du chef de l’Etat dans le cadre de la réalisation du Grand Paris : Le Havre porte maritime de Paris. Vient alors ce projet de ligne nouvelle vers le Havre puis la desserte vers Caen.
On ne peut se prononcer sur ce projet sans comprendre d’où il émane ni dans quel contexte politique et économique il est proposé.

Réseau Férré de France

Le promoteur de cette ligne nouvelle est RFF. Mais C’est quoi RFF ?
C’est l’instrument par lequel l’Etat Français, en accord avec les objectifs de libéralisation et de mise en concurrence du ferroviaire, a substitué au service public ferroviaire SNCF la maîtrise de son réseau et la gestion des sillons ferroviaires, ouvrant la voie aux privatisations.
En tout premier lieu, RFF a organisé l’entrée en masse des entreprises privées dans la réalisations des chantiers de la voie : création de ligne, renouvellements et même dans l’entretien des lignes. Dans le même temps, RFF organise la distribution des sillons aux opérateurs privés.
Privatisation effective de FRET avec les résultats que l’on sait : 3 fois moins de fret sur le fer qu’avant la privatisation.
Privatisation de la vente de billets TGV via la filiale I-TGV.
Début de l’ouverture aux trains de voyageurs privés avec le premier train international privé vers l’Italie et aujourd’hui des fortes pressions sur les régions afin d’y ouvrir le trafic TER.

Dans le même temps la direction de la SNCF effectuait un dé-tricotage massif du tissu de l’entreprise publique par la mise en place de la gestion par activité, avec chacune leur propre gestion, leurs propres objectifs ainsi que la mise en concurrence interne dans l’entreprise entre régions par exemple dans le domaine de l’entretien du réseau.

On peut rappeler ici un des résultats les plus impensables de système où l’on voit les mécaniciens et les motrices affectés soit au trains de marchandises soit aux trains voyageurs. Il y a tout à parier que l’on aura bientôt des mécaniciens affectés au TER et d’autres au trains Intercités. Ce qui abouti à un recul énorme des capacités de réactivité de l’entreprise.
A preuve l’incident scandaleux de décembre 2010 qui a vu un train prendre 12 heures de retard pour rallier Strasbourg à Nice.
Extrait de la déclaration de Sud Rail à cette occasion :
L’organisation en activités séparées, décidée par la direction SNCF, organise ces dysfonctionnements récurrents. Cheminots et matériel (locomotives par exemple) sont ainsi cantonnés dans une activité (Granges Lignes ou TER ou Fret, etc.) au dépens de l’interactivité qui était une des forces de l’entreprise publique SNCF.
Il est aberrant que seul un conducteur de Lyon envoyé en taxi de Lyon à Belfort (pendant que les usagers patientaient) ait pu assurer la relève du train en question parce que les conducteurs disponibles sur Belfort, Besançon, … ne dépendent plus de l’activité Grandes Lignes et ne sont donc ne sont plus autorisés à la conduite de ce matériel roulant ! Combien d’heures perdues pour les voyageurs, au nom du dogme libéral de l’éclatement de l’entreprise publique SNCF ?

C’est donc dans ce contexte que ce projet est avancé et c’est sous cet angle qu’il faut en analyser les effets réels prévisibles.

Intérêt Général ou intérêts privés ?

C’est tout ce qui se joue en ce moment.
Il n’y a rien d’anormal à ce que RFF avance son projet de ligne nouvelle. C’est son boulot, c’est ce pourquoi il a été créé. Il n’ y a aucun doute non plus au sujet de la LNPN dans le contexte présenté précédemment, ce projet a pour vocation d’offrir à des opérateurs privés de sillons à forte rentabilité !
Ce n’est donc pas à RFF que je m’adresse, mais à nos élus et principalement à nos élus Régionaux Bas Normands.

Quel est l’intérêt des usagers de notre région et ce projet y répond-il ?

Nul doute que la proposition centrale de ce projet qui fait miroiter la perspective de rallier Caen à Paris en une heure trouvera un public, je dirais « une clientèle ».
Tant parmi ceux qui font quotidiennement le trajet Caen Paris, Lisieux Paris ou encore Bernay Paris, que parmi la population qui travaille à Paris et qui verrait là l’opportunité de déplacer son habitat vers la Basse Normandie. C’est d’ailleurs l’effet principal des relations TGV courtes, telles que Paris Tours, qui voient se produire immédiatement une explosion de l’immobilier dans ces villes.

Nul doute donc que des opérateurs privés y trouverons des créneaux extrêmement juteux. Nul doute non plus que le système économique proposé pour ce projet, la Partenariat Public Privé (PPP) soit appelé de leurs vœux !

Mais qu’en sera-t-il de la majorité des usagers qui sont sur des parcours régionaux tel que Caen Lisieux, ou Lisieux Bernay, ou encore Caen Bernay, pour parler de ceux qui se trouvent directement sur l’axe promis à la LNPN ?
Là, les perspectives sont beaucoup moins évidentes car on sait que cette nouvelle ligne ne sera pas directement accessible des villes de Lisieux Bernay et Evreux.
Pour ces villes-là, il y aura peut-être une amélioration du temps vers Paris, mais vraisemblablement pas pour ce qui est des autres relations. Il y a même à craindre une détérioration de ces relations, la priorité sera alors de rentabiliser la ligne nouvelle vu la masse d’investissement qu‘elle aura nécessité.

Qu’en sera-t-il aussi de ceux qui sont sur des parcours Cherbourg Paris, Cherbourg Caen, ou Coutances St Lô vers Caen ou Paris ?
Là, peu d’espoir que les opérateurs privés acceptent de faire voyager leurs trains sur ces tronçons moins fréquentés donc peu rentables.
Par contre, c’est à coup sûr une détérioration car il y aura à l’évidence rupture de charge avec tous les problèmes de correspondances qui s’y rattachent. On sait que l’un des freins majeurs du voyage en train c’est justement la rupture de charge, le changement de train bagages à la main avec escaliers et autres couloirs.

D’autre part, pour l’ensemble des relations, on voit aussi que ce projet aboutira très vraisemblablement au transfert de la gare d’arrivée de St Lazare vers La Défense avec vraisemblablement aussi, au bout du compte une perte de temps pour rejoindre Paris.

Au final, le risque est très clair de voir cet investissement énorme ne profiter réellement qu’à un petit nombre d’usagers du chemin de fer et entraîner par contre une dégradation pour une grande partie des autres.
Les seuls vrais gagnants ne seront que les opérateurs privés que l’on aura immanquablement placé sur les meilleurs créneaux horaires … sinon pourquoi investiraient-ils ?
Le service public n’est pas leur préoccupation.

Impact économique

C’est là aussi un argument très incertain.
Autant l’amélioration des relations ferroviaires est important dans le cadre d’un développement économique d’une région autant l’amélioration des relations n’est pas le facteur qui permet le développement économique. Il faut pour que des industries s’implantent beaucoup d’autres paramètres que celui là. On le voit dans l’impact des relations TGV. Autant elle ont rempli un rôle dans les relations entre pôles économiques forts autant elle n’ont souvent favorisé que le marché de l’immobilier ailleurs.

Argument Marchandises.

Les promoteurs du projet prétendent que la libération de sillons sur les lignes classiques permettra de retrouver des sillons pour le transport FRET.
Dans l’absolu, c’est vrai.
Mais encore faudrait il une véritable politique de transport public FRET.
Or pour le moment, c’est tout l’inverse. On a délibérément abandonné le wagon isolé, c’est à dire la possibilité pour toute entreprise de transporter ses marchandises par le Fer, au profit d’un trafic unique de trains complets, réservés aux gros chargeurs.

Comment réaliser une telle politique aujourd’hui, alors qu’on a démantelé pratiquement toute l’infrastructure qui permet d’organiser ce transport ! Fermeture des triages de Mézidon de Sotteville. Démantèlement des installations des petites gares et des embranchements particuliers.
Et on continue encore aujourd’hui à le faire : qu’en est-il des installations de triages et des plateaux FRET de la gare de Caen ?
N’est-on pas en train de s’en débarrasser au profit de projets immobiliers beaucoup plus juteux dans l’immédiat ?
Ce ne sont pas les nouveaux sillons FRET possibles qui remédierons à ce problème. On est là dans ce que je nommerait « enfumage ».

Je considère donc, pour ma part, que ce projet ne répond pas réellement à l’intérêt général des usagers ni au développement du ferroviaire dans notre pays.

Il y a d’autres options possibles.

Ceci étant dit, faut-il pour autant abandonner les objectifs recherchés par la région en terme économiques et de vitesse par les usagers ?
Certes pas car il y a d’autres choix possibles.

Messieurs les conseillers Régionaux, si vous envisagez vraiment de réaliser de nouveaux investissements, pourquoi ne pas choisir plutôt de renforcer le projet rail 2020 pour lequel vous avez prévu un investissement d’environs 5 milliards d’€ ?

Tous les éléments proposés dans ce plan régional sont fort intéressants et correspondent en grande partie à l'intérêt de la majorité des usager du ferroviaire en BN.
Dans ce projet, il y a aussi une belle amélioration du temps de trajet vers Paris le réduisant à 1H30 et il y a fort à parier qu’à investissement public égal avec celui proposé pour la LNPN, on peut encore gagner et du temps et du confort tout en gardant le trajet existant.

Des améliorations techniques telles que l’augmentation des IPCS, l’amélioration de la plate-forme et du parcours entre Bernay et Mantes peuvent déjà apporter une nette amélioration.
Il y a aussi à faire du côté du matériel ferroviaire. Le train pendulaire, refusé en son temps du fait du choix des décideurs de favoriser le constructeur Français Alsthom détenteur du brevet TGV, pourrait être repris, Alsthom produit aussi aujourd’hui des trains pendulaires de qualité. Et bien d’autres éléments techniques trop long à développer ici. Voir pour cela la contribution fort bien argumentée de la CGT cheminot.

Certes, il faudra de toutes façons en passer par un investissement important en région Parisienne, c’est incontournable.
Certes il faut aussi améliorer beaucoup plus le lien entre Caen et Rouen aujourd’hui abominablement lent. Là, peut être un projet de repositionnement de la ligne se justifierait.

Mais en ajoutant les 5 millards prévus pour la LNPN aux 5 milliards du projets Rail 2020, il y a de quoi faire quelque chose qui tienne « le rail ».

A moins … et c’est là une question brûlante, que les projet 5milliard Rail 2020 se confonde avec celui des 5 milliards LNPN ?
Ce qui serait extrêmement pénalisant pour tout le reste du réseau Local et Régional .

Le choix de fond

La question de fond est de savoir si l’on cherche à développer le mode ferroviaire ou simplement à saisir une opportunité de développer une ligne commerciale avec apport de fond publics ?
Je crois que c’est plutôt la seconde voie qui est à l’œuvre, à preuve, l’un des défauts majeurs de ce projet qui est de favoriser une fois de plus le trajet Parisien !
Pourtant, quelle que soit le temps de parcours, plus ou moins rapide, il est toujours facile, en partant d’à peu prés toutes les régions de France de rejoindre Paris facilement.

Par contre le système de relations interrégionale est complètement obsolète !
D’abord victime du tout TGV, puis ruiné par les impératifs de rentabilité directe, il se trouve aujourd’hui considérablement affecté par la Régionalisation et la déstructuration de l’entreprise publique SNCF (gestion par activités, mise en concurrence).

Développer le mode ferroviaire est une nécessité écologique au regard des problèmes de pollutions carbone et de l’encombrement des routes qui se traduit par leur développement continuel très budgétivore et consommateur d’espaces.
Le problème des ressources en pétrole ne fait que renforcer cette nécessité.

Le développement du ferroviaire devrait d’abord être réfléchi en terme d’aménagement du territoire et non en fonction de « l’espoir » d’un développement économique. Il devrait s’appuyer sur un maillage réel des régions via une vraie politique de correspondances maîtrisée nationalement et non en fonction de l’intérêt ou non d’une région pour telle ou telle liaison, comme c’est le cas assez criant aujourd’hui entre Caen et Rennes.
Il devrait aussi inclure de façon prioritaire le transport FRET en revenant au trafic de wagon isolé et en développant partout le ferroutage.
Le projet LNPN n’est pas du tout conçu dans cette perspective.

Notre Région a fait de très gros efforts pour améliorer et développer le ferroviaire et les cheminots en sont conscients. Les cheminots ont aussi permis, à certains moments, d’éviter à notre région de tomber dans certains pièges.
Aujourd’hui, je crains fort que le projet proposé n’en soit un beau et ne risque à terme de pénaliser le service public en phagocytant les investissements et les énergies pour une longue période.
Il est de votre responsabilité, et je sais que ce n’est pas facile, de faire au final, ce choix.