Avis n°142
Un centre commercial superflat
le ,Les porteurs du projet d’EuropaCity visent officiellement à créer un lieu « de détente, de loisir et de culture. » Nulle part il n’est question de consommation et de rentabilité qui sont en toute bonne foi les deux éléments fondamentaux de la justification d’un tel projet.
La densité d’un espace vide : Le projet EuropaCity se veut « dense » selon ses concepteurs et commanditaires. Pis, le projet se veut « rendre de la cohérence et de la continuité » à un « territoire morcelé. » La traduction concrète de cette cohérence, au-delà de tout concept abscons, est celle d’une zone urbaine continue où la nature relève du pot de fleurs posé sur un toit et où l’agriculture n’est acceptée « qu’urbaine » ou rejetée vers un ailleurs abstrait. Soyons clair, le projet d’EuropaCity représente 550 000 m² soit 55 ha sur une surface de 80 ha, c’est-à-dire une densité de construction inférieure à 1 (celle d’une parcelle parisienne étant en moyenne de 4,2). Non seulement la densité du projet d’Europacity peut être comparée à celle de l’œuf au plat, mais l’installation d’un tel complexe relève de l’étalement urbain, du grignotage de la ville sur la campagne. Parler de densité pour EuropaCity s’apparente donc à un élément de langage commercial ce qui nous ramène à la raison première d’existence de ce projet.
La périphérie embouteillée : Le projet d’Europacity est prévu en « périphérie urbaine. » Adeptes de la litote, les porteurs du projet disent y prévoir à terme une « amélioration significative de sa desserte par les transports en commun. » Il s’agit en fait d’un site ou sera créé ex-nihilo un service de transports en commun. Son calendrier correspond peu ou prou à celui du grand-Paris express dont la gare aurait pu être construite dans une des villes limitrophes déjà constituée. Pour le comprendre il suffit de préciser que le projet prend littéralement la place de champs cultivés dont les actuels habitants n’éprouvent pas la nécessité de prendre le bus ou le métro. Heureusement, nous dit-on, 50% des déplacements vers le lieu se réaliseront en « transport collectif et modes doux. » Un rapide calcul nous permet de prévoir 16,5 millions de personnes se rendant chaque année sur place en transports individuels polluants et consommateurs d’espace de stationnement. Ce fait rappelle le défaut d’une installation en périphérie et l’absence alarmante de réflexion urbaine sur une situation expérimentée, connue et largement décriée par les professionnels du sujet autant que par les pauvres bougres qui se retrouvent coincés dans les embouteillages.
Un espace ouvert à la consommation du public : Le site du projet et ses créateurs vendent à qui veut l’entendre de généreux « espaces ouverts au public (…) ouverts à tous et libres de droit d’entrée. » D’aucun se demandera à raison s’il a déjà déboursé un centime pour pénétrer dans l’enceinte d’un supermarché, le principe en est parfaitement respecté. La différence tiendrait donc dans la largesse desdits espaces : environ 100 000 m² sur un total de 550 000 m². Cela laisse donc 450 000 m² d’espaces potentiellement payants. Les autres ont un nom technique autant qu’anglo-saxon, les POPS : Privately Owned Public Spaces. Ils sont par exemple caractérisés par les règles qui s’appliquent en leur sein, notamment l’interdiction d’y exprimer de manière publique son opinion ou l’interdiction de séjours de personnes jugées indésirables. Le service d’ordre d’un tel non-lieu ne relevant pas de l’ordre public, mais de celui de l’intérêt privé : toute activité ne relevant pas de ce qui y est prévu en est de fait bannie. Cela laisse peu de place à l’innovation des usages mise en avant par les porteurs de projet d’EuropaCity. Pour eux, les espaces laissés ouverts ont une rentabilité autre, celle de l’image de liberté qu’ils prétendent représenter ; Big Brother n’est pas loin.
Culture du superflat : La culture serait un des éléments phares de l’innovation d’EuropaCity selon les porteurs du projet. Au-delà de la place ridicule des espaces dits « culturels » dans ce lieu, c’est la définition même du mot qui se pose. Pour y remédier, viennent les références voulues ronflantes du Louvre-Lens (dont Auchan, un des mécènes bâtisseurs, a exposé des reproductions d’œuvres emblématiques au sein de son supermarché à Noyelles-Gaudault, à côté d’Hennin-Baumont) et du Pompidou-Metz. Leur prétendue réussite est vite rattrapée par la réalité : fréquentation en baisse constante et en dessous des prévisions. Comment remédier à cela ? Par l’innovation : ainsi le Louvre-Lens a organisé une exposition sur les supporters du RC Lens pendant la coupe d’Europe de foot (http://www.louvre.fr/expositions/rc-louvre ) et propose à ses visiteurs de contribuer par des dons en liquide au devenir du musée via des urnes astucieusement installées dans le musée. Autres solutions ? Les expositions « Block-busters, » c’est-à-dire exposer d’illustres inconnus tels que Pablo Picasso, Gustave Hopper, Andy Warhol ou Jeff Koons (qui peut par ailleurs financer tout ou partie de l’exposition) ; les expositions populaires, Batman, 007 ou Barbie ; les expositions à la gloire du projet d’EuropaCity ou de BIG feront l’affaire également en proposant dans la boutique, opportunément installée en fin de visite, un « mug » reprenant la forme du bâtiment donc probablement impropre à l’usage et une carte postale des espaces agricoles sponsorisés par Auchan en guise de compensation des irrémédiables dégâts du projet. Cette définition de la culture relève de ce qu’a défini Takashi Murakami pour vendre ses grandes figurines en plastique à de riches personnes à la recherche de faire-valoir, le « superflat. » Comprenez : tout est consommation.
Enfin, elle vient toujours en dernier mais constitue un enjeu majeur, l’écologie, ici au rabais. Le choix d’artificialiser parmi les dernières terres agricoles aux excellentes potentialités agronomiques d’Île-de-France est entièrement rejeté par les porteurs du projet d’EuropaCity sur « les élus régionaux et les pouvoirs publics. » Ces derniers apprécieront la reconnaissance de leurs lobbyistes. Ces terres, les plus fertiles d’Île-de-France, ont par ailleurs été décrédibilisées lors des réunions publiques organisées par les susdits pouvoirs publics. Par exemple en plaçant à l’aide d’un large ovale jaune imprécis l’ancienne décharge sauvage de Gonesse juste en dessous de la future gare et à l’emplacement exact du projet d’Europacity (p.40 de la présentation faite par la ville de Gonesse le 25 novembre 2014 : https://www.societedugrandparis.fr/wp-content/uploads/2014/11/rp-gonesse...) alors qu’elle était en fait plus à l’ouest, en lieu et place de l’actuel Parc de la Patte d’Oie de Gonesse. La question de l’artificialisation des sols soulève des questions légitimes parmi les citoyens qui se voient proposer dans les centres commerciaux Auchan (entre autres) des tomates espagnoles en plein hiver. Cette même problématique est soulignée comme alarmante de manière plus officielle par les pouvoirs publics sur le site du ministère de l’écologie (http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/272/... ). La réponse des porteurs du projet d’EuropaCity sur ce sujet relève des approximations systématiques : « le type de construction choisi peut réduire de manière significative lesdites émissions [de Gaz à Effet de Serre] » ou « les solutions énergétiques étudiées permettant de diviser les émission [de GES] par 4. » L’interprétation est libre, la « division par 4 » ne précise pas par rapport à quelle référence elle est effectuée. Voilà ce qu’on peut appeler de l’écologie de moyen mal à propos.
Le projet d’EuropaCity est celui d’un centre commercial autiste coiffé d’un chapeau vert. Ainsi fardé, il pense échapper à sa définition. Ce centre commercial de plus serait un pas supplémentaire vers l’omniprésence supposée de la consommation et de la nouveauté dans la vie des citoyens. Ces derniers étant d’abord perçus comme des consommateurs par une élite économique déconnectée du milieu naturel et humain complexe dont ils voudraient s’abstenir d’être un élément. L’économiste et statisticien Arnaud Degorre replace le projet d’EuropaCity dans la rationalité qui l’a vu naître : un lieu où l’insuffisance de l’offre commerciale ne doit plus exister, diminuant au maximum la distance symbolique qui sépare un consommateur de son acte d’achat. EuropaCity est la promesse d’une consommation tout-en-un incluant la « culture » et la « détente » mais ayant oublié que la terre sur laquelle il souhaiterait s’installer, des surfaces fertiles et précieuses sont un bien que nous ne faisons qu’emprunter.