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Avis n°152

Contribution de Guillaume Coti, coordinateur du Collectif Pouvoir d'agir

Ajouté par Guillaume COTI (Paris), le
[Origine : E-mail]

Ce projet évoque de la consommation de masse, un flux énorme de personnes, d'innombrables espaces commerciaux. Ça ressemble à ce qu'on a aux Etats-unis, ça paraît étranger, massif.
Pour ce qui concerne les loisirs, c'est démesuré.
La question centrale pour moi est de savoir pourquoi on envisage de construire ce centre commercial, alors qu'il existe d'autres besoins bien plus essentiels sur ce territoire ?

C'est une grosse entreprise qui promet des emplois mais quels types d'emplois ? Des emplois mal payés au service de grands groupes. Donc quel est l'apport de ce projet ?

Personnellement je ne suis pas attiré par ce que pourrait proposer Europacity, je préfère le commerce de proximité, les choses accessibles. Ce projet a quelque chose d'inhumain pour moi.

Pour ce qui concerne l'aspect culturel, pourquoi pas mais pourquoi ne pas intégrer ces espaces culturels dans les villes. Il faut arrêter de rejeter la culture vers l'extérieur des villes, en faire des endroits cloisonnés. Même s'il est certain que pour les centres de loisirs, les fablabs et les pistes de ski sont intéressants.

Une fois construit, le site peut être sympathique, pourquoi pas. Personnellement, je pourrais être amené à y aller avec mon fils et ma belle-mère qui habite près de Sarcelles.

L'un des problèmes du projet est la privatisation de la culture. Par exemple, il est important d'avoir des cinémas comme le Meliès en centre ville à Montreuil. Pour les élus, le fait que la culture soit à l'extérieur c'est un confort, c'est la facilité, car ils peuvent se concentrer sur des choses qui leur paraissent plus importantes.
Mais c'est un modèle global de développement destructeur, et il semble avec ce projet Europacity qu'on s'obstine à ne pas le comprendre.

Je n'ai pas vraiment d'avis sur la viabilité économique du projet, mais une chose est sûre, tout sera fait pour les touristes, l'avis et la vie des habitants du coin n'intéressent pas le porteur du projet, qui peut très bien faire sans, ce ne serait pas la première fois qu'on ferait sans les « laissés-pour compte ». C'est une tendance lourde au delà du projet.

Pourquoi Auchan n'envisagerait pas d'associer les acteurs du social dans leur projet : associer le social, l'économique et le culturel, car dans les quartiers populaires notamment il y a une intelligence et un esprit d'entreprise riches et spécifiques qui gagneraient à être valorisés.

Dans la façon dont les politiques publiques sont élaborées, l'offre de participation est mal construite, elle ne rencontre pas la demande de participation. Il y a une crise de l'offre plus que de la demande. C'est à ça qu'il faut réfléchir après 30 ans de « démocratie participative ». 6 raisons notamment expliquent les échecs actuels dans les démarches de concertation :
les citoyens n'ont pas le choix des sujets
il n'y a pas de concertation en amont des projets
il n'y a pas de pouvoir de décision réel
il n'y a pas de pouvoir d'agir réel
il n'y a pas de prise en compte de la colère et des conflits potentiels
les formes de la concertation ne sont pas adaptées (plénière, tous assis, etc)

Des démarches participatives peuvent marcher si les conditions ont été réunies pour qu'elles marchent, avec par exemple le centre social 3 cités à Poitiers. Une série de séminaires a été organisée avec deux fondamentaux : le respect de la dignité des gens et l'importance de l'utilité du projet pour les personnes concernées. Résultat : un centre de santé a été crée et il répond aux besoins des habitants !

Autre exemple dans le 19ème à Paris, dans le centre social J2P (Jaurès, Petit, Pantin), est mené un travail de recherches action depuis 2013 avec un enjeu : comment les centres sociaux peuvent redevenir un levier sur le territoire ? Des entretiens non directifs ont été menés, des « controverses » (travail en petits groupes) ont été organisées sur les thèmes qui préoccupaient les habitants : logement, emploi, inégalités face à l'école, rapport à une police souvent oppressive. Ce travail a permis de dégager d'autres manières d'appréhender les quartiers populaires, par exemple sur la question de la parentalité. Traditionnellement, quand on parle de parentalité, on parle de parents démissionnaires dans une approche culturaliste. Là, on a parlé de parents qui veulent s'organiser dans le rapport qu'ils ont aux institutions comme l'école ou la police. C'est à dire qu'on considère ces habitants comme des sujets capables et dignes. Car dans les quartiers populaires, il y a une énergie, une intelligence, de la débrouille, une économie parallèle bricolée mais efficace, des ressources pour s'en sortir...

il s'agirait pour les pouvoirs publics de changer de regard et de changer de pratiques dans la manière dont ils appréhendent les quartiers populaires.

J'ai l'espoir assez fort que ça puisse bouger, même si la question du partage du pouvoir est problématique pour les décideurs.