Avis n°143
EuropaCity, une centralité vide
le ,EuropaCity se définit comme une nouvelle centralité du Grand Paris. Dénoncer la vacuité de ce projet ne suffit pas, il nous semble nécessaire d'en déconstruire les prétentions, et d'en esquisser les alternatives.
Le projet d'EuropaCity constitue un vide intellectuel, non qu'il soit impossible à définir comme l'affirme les porteurs de ce projet mais bien parce qu'il nait d'un programme urbain extrêmement banal, associant commerces, loisirs et culture comme l'ont fait toutes les grandes villes européennes depuis plusieurs siècles, avant l'apparition des zones commerciales. EuropaCity oublie cependant la fonction urbaine la plus essentielle : l'habiter. Sans logement EuropaCity n'est pas un morceau de ville, c'est un mélange de parc à thème et de centre commercial. Nous pouvons cependant nous réjouir que cette mixité de programme ébahisse les institutions publiques et les responsables politiques : cela permettra peut-être d'en finir avec l'urbanisme des zones spécialisées monofonctionnelles et du morcellement du territoire en zoning, séparant et ségrégant les fonctions et les usages urbains en zones de logements dortoirs, zones d'activités, zones commerciales, zones industrielles...
Si EuropaCity a le mérite de réintroduire un semblant de mixité, le projet reste symptomatique des politiques urbaines du passé, de l'urbanisation surconsommatrice de sol, d'énergie et de matériaux non renouvelables, amplifiant les déplacements automobiles et la pollution. EuropaCity est emblématique aussi de la privatisation de l'urbanisme, la ville et la pensée urbaine sont laissées à la merci des promoteurs privés. Les intérêts privés ne pensent pas la ville en termes d'urbanité mais bien de foncier et de rendement. Le projet est un quartier commercial fermé, détaché de son environnement, où les singularités et le sens de solidarité collective disparaissent dans l'autisme de longues vitrines des galeries marchandes. Europacity résulte de la spéculation foncière sur les derniers terrains agricoles proches de la capitale. Le projet contraint les pouvoirs publics à mettre en place des infrastructures coûteuses en investissement et en entretien, seulement pour des intérêts privés.
Si le programme commercial est ambiguë, le projet ne pouvant à la fois répondre aux attentes des habitants du territoire et constituer une alternative au boulevard Haussmann pour les touristes. Les intentions du Maitre d'Ouvrage semblent claires : Europacity est avant tout un projet immobilier où il est vendu ou loué des mètres carrés de coque vide. L'objet est de générer des rentes immobilières, aussi le programme n'est ni destiné à la population locale ni destiné aux touristes mais bien destiné aux enseignes commerciales. A charge des preneurs de trouver leur clientèle.
Certes le projet est clinquant, fardé de signes et de paillettes, de représentations en vogue, mélangeant montagnes russes et sculptures à facettes de Xavier Veilhan, vitrines Vuiton et panneaux solaires, toitures végétalisées et piste de ski. Le projet doit séduire et le joyeux mélange d'espaces festifs et commerciaux est vendeur, mais ces belles images pour ipad et papier glacé ne montrent que la vacuité du sens de ce projet ; poursuivant les paradigmes d'un développement non soutenable : citoyens et touristes n'y sont que des consommateurs branchés, festifs et désœuvrés. En cela, le projet se trompe clairement de direction, une majorité de parisiens refuse la passivité des consommateurs et la docilité des téléspectateurs au cerveau disponible.
A la lecture des réponses du Maître d'Ouvrage, lors de ce débat, il apparait que le projet est inébranlable, qu'il est sans alternative possible. Il a été mis en place en concertation et en partenariat avec les acteurs publics, le préfet du Val d'Oise, le maire de Gonesse, les services de l'Etat, la Région Ile-de-France, l'association des collectivités du Grand Roissy et l'EPA Plaine de France. Pourtant le projet se trompe de direction car il est contraire au développement durable de la métropole parisienne. Compte tenu de la disparition programmée des ressources et des bouleversements climatiques et alors qu'il est temps de mettre en place une véritable transition énergétique et une société sobre en ressources, le projet d'EuropaCity va à l'encontre des politiques publiques et des engagements européens et mondiaux pris ces dernières années.
Le projet imperméabilise de précieuses terres agricoles, il s'oppose aux politiques de densification urbaine et de limitation de l'étalement urbain. Il augmente l'offre commerciale et vient en concurrence d'offres déjà présentes autour de l'aéroport de Roissy. Il accentue les déplacements automobiles, la congestion des routes et de la pollution atmosphérique.
Ce projet n'a pas pris conscience de la transition écologique en cours. Il ignore que dans notre monde contemporain les citoyens se regroupent pour constituer de nouveaux modes de vie, pour cultiver collectivement une alimentation saine, pour créer leur propre monnaie, pour produire des énergies alternatives ou pour bâtir leur logement en habitat groupé sans bailleur ni promoteur...
Le projet d'EuropaCity prolonge l'époque de la malbouffe, des gaspillages et de l'obsolescence programmée. Il ne voit pas la mise en place d'une société qui se nourrit des valeurs de solidarité, de coopération, de respect des humains et des écosystèmes. Une société qui ne s'émerveille plus des somptueuses usines à bétail, des superbes horizons de monocultures dopées au nitrate, ni même du gigantisme des centrales nucléaires. Cette société qui s'indigne du bétonnage des terres agricoles pour étendre un parking d'hypermarché ou construire un aéroport.
Le projet d'EuropaCity donne l'image d'un futur dépassé, il ne perçoit pas les nouvelles pratiques touristiques comme une recherche de sens, d'authenticité. L'avenir promis par EuropaCity n'incarne par un progrès mais bien un retour à un consumérisme révolu. L'avenir, le véritable progrès serait au contraire, d'ouvrir la voie à de nouveaux modes de pensée qui rendent la vie humaine à nouveau compatible avec l'équilibre de notre planète.
Si le Maître d'Ouvrage souhaite investir 3,1 milliards d'euros dans un projet contemporain au nord de l'Ile de France, il pourrait les investir dans un projet urbain soutenable, pour réparer l'urbanité du Grand Paris. D'autres scénarios existent, à la fois agricoles et urbains, pour maintenir d'une part les riches terres agricoles et densifier les espaces déjà urbanisés alentours dont l'occupation actuelle est distendue. Investir dans un projet durable et vertueux pour le nord de l'Ile de France permettrait de repenser, résorber, réparer les carnages de l'ère industrielle. Commerces responsables, culture et loisirs pourraient s'associer à des équipements de formation, d'éducation, de santé, ainsi qu'à la rénovation énergétique de logements nécessaires aujourd'hui. Cette nouvelle direction représente un chantier formidable, porteur de sens, le début d'un cercle vertueux indispensable pour le Grand Paris.
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