Question n°384 posée sur le site Internet de : MARCUS Jean-Claude- 95440 ECOUEN - le 23/07/2010 Que dit RFF à la lecture de l'article ci-dessous ?
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ANALYSES
Qu'elle était jolie, dans les années 60, cette plaine de France, avec ses blés ondulant à perte de vue sur une des meilleures terres d'Europe. Mais le destin de Roissy – petit village tranquille de 1 700 habitants – bascule quand les dirigeants d'Aéroports de Paris (ADP) arpentent la région parisienne à la recherche d'un site pouvant succéder à Orly, qui sature. Ils jettent leur dévolu sur « le seul endroit à 30 kilomètres de Paris-Notre Dame où il suffisait d'exproprier trois fermes pour pouvoir obtenir 2 900 hectares... » (phrase entendue personnellement lors d’une réunion au siège d’ADP). Aveu doublement éloquant : avec une telle taille d'exploitation, les propriétaires ne sont plus des agriculteurs, mais de véritables industriels. Quant au choix du territoire, il s'agit d'une pure opportunité foncière qui permet d'acheter au prix agricole un substantiel pactole de terres à bâtir. Mais, pour obtenir les autorisations d'aménagement successives, pendant quarante ans, le discours de
l'État, relayé par la plupart des élus de gauche et de droite, est de déguiser cette opération spéculative en faisant croire aux habitants que Roissy va générer une manne de richesses économiques et d'emplois considérable, à laquelle il faut absolument « accéder ». C'est pourquoi il faut sans cesse urbaniser la Plaine de France pour continuer à bénéficier des retombées supposées mirifiques de l'aéroport.
Mirages en tous genres
Pour obtenir ce résultat, tous les moyens sont bons : surestimation des emplois directs et induits du pôle et de son bassin, sous-estimation des nuisances, perspectives de développement alléchantes, engagements d'amélioration des conditions de logements et de transports, etc. À la fin des années 60, le rapport du préfet Lachaize avait arraché l'accord des
communes rurales (qui, au départ, avaient refusé cette implantation) avec la promesse d’une dot somptueuse de 70 000 emplois en 1975. Le mariage entre l’aéroport et sa terre d’accueil est célébré en grande pompe en 1974. En 1978, on comptera péniblement 18 000 postes, après avoir réaffecté les emplois d'Orly à son bassin . Plus tard, Jean-Claude Gayssot négociera deux pistes supplémentaires à Roissy, contre l'assurance pour les riverains,
excédés par les nuisances, d'un seuil maximum de 55 millions de passagers et la perspective d'un troisième aéroport ailleurs, promesse abandonnée ensuite. Aujourd'hui, il en est de même : quel décideur politique d'un territoire aussi déficitaire en emplois que l'est du Val-d'Oise (1) pourrait passer à côté des perspectives de « 440 000 emplois en 2025 », contenues dans le rapport de Christian Blanc dans le cadre du Grand Paris ? Peu importe qu'elles soient basées sur des statistiques de 2007, ce qui permet de ne pas tenir compte de la crise des activités aéroportuaires (- 6 % en 2008 et - 6 % au cours du 1er semestre
2009...) et de prolonger allègrement une courbe de croissance de + 4,6 % par an jusqu'en 2025, fondée pour l'essentiel sur l'explosion du fret aérien constatée au cours des dix dernières années (+ 78 %) ! Le territoire pris en compte, appelé abusivement « bassin de Roissy », englobe, au Sud, des communes d'autres bassins (comme Drancy, rattachée à la Courneuve, elle même dans l'aire d'attraction de Saint-Denis) ou des pôles d'emplois qui
possèdent leur propre aire d'attraction (Pantin, Bobigny et les communes de son aire d’attraction, Pavillonssous-Bois et Bondy...). Le rapport atteint ainsi le chiffre triomphaliste de 280 000 emplois en 2007 (probablement surestimé d'environ 100 000), ce qui permet d'annoncer allègrement les chiffres prévus d'ici 2025 ! Or, qui connaît l'avenir de toutes ces activités, qui ont comme point commun leur caractère « non durable » ? Sait-on
que le développement du fret aérien repose sur une exception inacceptable pour sauvegarder notre climat : la non-taxation du kérozène ? Et aussi sur l'autorisation de vols de nuit, dont les nuisances touchent un million de personnes, et qui sont interdits à Orly depuis longtemps ? Peut-on envisager sérieusement, comme le dit le Roissy : un mirage Blanc
On a beaucoup parlé de l'opacité du ciel clouant les avions au sol avec les fumées du volcan Eyjafjöll. Mais voilà près de quarante ans que règne une absence totale de visibilité sur les décisions qui ont prévalu à la création et au développement du pôle de Roissy, censé avoir des retombées « miraculeuses » en termes de richesses économiques et d'emplois.
Désintox.
! Jacqueline Lorthiois, urbaniste, socio-économiste.
Quel décideur politique pourrait passer à côté des perspectives de « 440 000 emplois en 2025 » ?
1 Les trois seules communes de Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesses et Sarcelles cumulent un déficit de 50 000 emplois, le record des 1 200 communes d’Île-de-France.
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ANALYSES
rapport Blanc, 100 000 tonnes de fret aérien supplémentaires par an, et ce jusqu'en 2027, si enfin les exigences environnementales obligent à la vérité des prix ? (2) Que deviendront également les filières de l'automobile (Citroën-PSA à Aulnay-sous-Bois), des
transports routiers (Garonor) ; du tourisme lointain et d'affaires (parc d'expositions de Villepinte), etc. ?
Manne ou leurre d'emplois ?
N'en déplaise aux politiques, Roissy n'est pas un pôle d'emplois (concentration d'emplois offrant un éventail suffisamment diversifié de postes de travail pour attirer la majorité des actifs
d'un territoire local) générant une aire d'attraction intitulée « bassin d'emplois », mais un pôle d'activités (concentration d'entreprises spécialisées dans quelques filières) qui a dû, dès sa création, recruter sa main-d'oeuvre sur une « aire diffuse » gigantesque qui couvrait l'ensemble de l'Île-de-France. Au fur et à mesure que le pôle s'est développé, il n'a pas intensifié son recrutement sur son territoire local, mais élargi de façon considérable son aire d'attraction au Nord en adjoignant une partie de plus en plus grande de la Picardie. Au détriment des communes de proximité dont les actifs travaillent de moins en moins à Roissy.
L'analyse du passé renseigne sur l'évolution du futur. Plus le temps passe et moins Roissy recrute localement, au point d’atteindre le record de tous les bassins : pour qu'un emploi profite au territoire local, il faut en implanter sept. Aujourd'hui, sur un total de 100 000 emplois, il n'y a plus que 15 000 postes détenus par des Vald'Oisiens, contre 19 500 pour la Picardie et 19 200 pour la Seine-et-Marne.
Trois bassins d'emplois emboîtés Car, en réalité, la Plaine de France n'est pas composée d'un territoire, mais de deux. Il n'y a pas un bassin de Roissy, mais deux bassins de banlieue. Au Sud, dès la ville de Drancy, les attractions se font vers le Sud, vers les trois communes
du pôle de Saint-Denis (qui comprend aussi Saint-Ouen et Aubervilliers) et qui draine un territoire en forme de papillon, avec deux ailes : les bassins satellites de Sarcelles et de Bobigny. Et, venant se superposer à ces deux bassins, l’influence de Paris intra-muros,
avec le pôle de Paris-Nord (dit « des deux gares », de l'Est et du Nord). Pourquoi croit-on que les habitants de Villiers-le-Bel, de Sarcelles, de Garges-lès-Gonesse consentent à tellement de
sacrifices pour aller travailler ? Sont-ils atteint d'un masochisme particulier, propre aux habitants de ces communes ? Reconnaissons tout simplement qu'ils sont prêts à tout endurer pour conserver leur emploi. Et pourquoi donc ? Parce que les activités, les postes de travail du bassin de Saint-Denis et de Paris-Nord correspondent à leurs compétences et qualifications. Et qu'ils ne sont pas interchangeables. Et qu'ils sont prêts à perdre sept ans complets (comptabilisées en années de travail) de leur vie dans les transports, plutôt que d'en changer. L' évidence que ces deux types de bassins n'ont absolument pas la même structure d'emplois est niée, parce que les seules statistiques connues (et étudiées) sont celles qui concernent les chômeurs de l'est du Val-d'Oise qui, par définition, sont en inadéquation avec les deux pôles Saint-Denis / Paris-Nord. Alors, on croit que la partie émergée de l'iceberg (les chômeurs val d'oisiens) sont représentatifs de la partie immergée (les actifs occupés qui se déplacent).
Alors que c'est justement leur différence qui les exclut.
Améliorer les transports ?
Il existe actuellement un débat public sur la future liaison ferrée Roissy-Creil, qui suscite un tollé chez les élus de l’est du Val-d’Oise. Ils défendent le « barreau de Gonesse », qui relie les deux lignes de RER C et D et refusent de faciliter l’accès de Roissy aux actifs picards, censé les mettre en concurrence avec les travailleurs du 95. Or, si l’on améliore les transports des Vald'Oisiens qui travaillent dans le bassin de Saint-Denis vers Roissy, que se passera-t-il ? Pas grand chose, puisque ça ne correspond pas aux besoins des actifs ayant un emploi. Ce n'est pas en faisant une liaison Est-Ouest qu'on améliorera les conditions de transports de travailleurs qui se déplacent du Nord au Sud le matin et du Sud au Nord le soir. Par contre, cela va générer une demande de logements des actifs d'autres bassins travaillant à Roissy. Et pourquoi ne pas urbaniser, comme l'incite l'Épa Plaine de France, puisque cet organisme, prétendument public, se rémunère sur la spéculation immobilière, ses intérêts coïncidant avec ceux que les urbanistes appellent la « bande des trois » (Bouygues, Eiffage, Vinci) ? Et aussi avec les intérêts d'un quatrième moins connu : Unibail, un fonds de pension qui vient d'acquérir le terrain du parc des expositions de Versailles, et qui rêve de! Le développement du fret aérien repose sur une exception inacceptable pour sauvegarder notre climat : la non-taxation du kérozène. ! Pour qu’un emploi profite au territoire local, il faut en implanter sept autres.
CC Yakusa772
À Roissy, parler « fret aérien », c’est parler FedEx. La compagnie américaine aux 32 milliards de dollars de chiffre d’affaire (2008) y a installé son hub pour toute la zone Europe, Moyen Orient et Afrique, depuis 1999. Les piliers de sa réussite francilienne sont : temps partiels subis et rigueur salariale, vols de nuit, et kérozène détaxé.
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ANALYSES
Roissy, un mirage Blanc transférer toute l'activité du parc des expositions de Villepinte pour pouvoir réaliser une super opération immobilière de logements haut de gamme dans le 15e arrondissement, avec la « tour triangle » comme signal urbain. Est-ce que faciliter les affaires d'Unibail ou de Bouygues va améliorer les conditions de vie des Val-d'Oisiens ? À la marge, pour des chômeurs positionnés sur les emplois peu qualifiés de Roissy. Mais jamais une hôtesse de l'air qui décolle une fois d'Orly, pour deux fois de Roissy ne quittera son coquet pavillon de la vallée de Chevreuse pour s'enterrer à Goussainville. Et pour les actifs du bassin de Saint-Denis, jamais un cadre de la banque Generali à la Plaine-Saint-Denis, pas plus qu'une travailleuse sociale de la Caf, ou un géomaticien de Siemens-carrefour Pleyel ne trouveront de travail à Roissy.
Quel intérêt général ? Alors, peut-on imaginer une réponse formation, en aidant des Val-d'Oisiens à accéder à ces emplois ? Problème éthique : l'essentiel des prévisions de croissance porte sur le fret aérien, dont le développement repose sur une exception inacceptable : la non taxation du kérosène. Le jour où la vérité des prix se rétablira, il est bien évident que le marché du fret aérien s'effondrera. Quant aux prévisions de croissance du transport aérien, certains observateurs prédisent que nous ne sommes qu'au début d'une énorme crise. Les autres activités du pôle sont également très touchées par la nécessaire reconversion écologique : construction automobile à Aulnay-sous-Bois, grandes surfaces d'équipement de la maison à Parinor, transport routier à Garonor, tourisme d'affaires à Villepinte, entreposage dans les zones d'activités. À plus long terme, on peut imaginer que l'existence même de l'aéroport, beaucoup trop près de l'urbanisation, deviendra inacceptable et qu'il faudra peut-être envisager un « Longwy » francilien, avec tous les drames humains liés à la suppression de tous ces emplois non durables. Donc, si on veut défendre l'intérêt général des habitants de l'est du Vald'Oise, les priorités seraient plutôt : de créer des activités durables de proximité dans les bassins de vie val d'oisiens et des centres de télétravail pour réduire les longs déplacements sans pour autant renvoyer les actifs à leur domicile ; de développer les transports en commun internes à chaque bassin ; et de privilégier les liaisons avec les pôles de Saint-Denis et de Paris-Nord. Quant aux deux barreaux de transport de Roissy-Creil et de
Gonesse, ils n'améliorent qu'à la marge le quotidien des travailleurs Val-d'Oisiens. Il est bien évident quand on voit chaque matin les flux de voitures qui partent vers le sud de la Plaine de France, qu'il est beaucoup plus pertinent de prolonger le Tram…
Qu’aurait-on pu faire d’autre ? En ce qui concerne les habitants de la Picardie, mieux vaut défendre l'autonomie de la Région par la création d'emplois locaux, plutôt que d'accroître sa dépendance par rapport à l'Île-de-France, et d'aggraver encore les inégalités entre la région la plus riche d'Europe et une des régions les plus pauvres de France. Quant à Roissy, moins on le fera grossir, moins ce sera difficile de le reconvertir, voire d'accompagner sa fermeture. À cet égard, l'urbanisation du dernier espace vacant au sud de l'aéroport (le « triangle » de Gonesse, en plein dans les courbes de bruit et pour accueillir encore des activités logistiques non durables) pose de graves questions éthiques et écologiques. Dernier point et non des moindres : qu'est-ce qu'on aurait pu faire avec la même somme, affectée à d'autres priorités ? Deux exemples. En 1992, Eurodisney a coûté 23 milliards de francs pour 12 200 emplois, soit près de 1,9 million de francs de l'époque chaque emploi. Avec la même somme, on aurait pu créer 230 000 emplois dans les associations. À Valenciennes, l'implantation de Toyota a créé 2 000 emplois en deux ans. Des actionnaires solidaires, en créant la Caisse solidaire du Nord, ont fait le pari qu'ils créeraient autant d'emplois que l’usine japonaise. En quatre ans, ils ont financé 2 600 créateurs d'entreprises solidaires, dont la moitié s'est soldée par un échec. Les 1 300 autres ont créé 1,5 emploi en moyenne, soit 2 000 postes, en deux fois plus de temps mais… pour 56 fois moins cher. De plus, une fois 2 000 emplois, ça fait au mieux un gros arbre dans le paysage. Tandis que 1 300 petites pousses, ça peut faire, à terme, une forêt sur le territoire !! Il faudrait privilégier les liaisons de l’est du Val-d’Oise avec les pôles de Saint-Denis et de Paris-Nord. !
IAU
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