Réponse du 13/01/2014,
Réponse apportée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) :
Environ 900 000 colis de substances radioactives sont transportés chaque année. 85 % des colis transportés sont destinés aux secteurs de la santé, de l’industrie non-nucléaire ou de la recherche, dits "nucléaire de proximité", dont 30 % environ pour le seul secteur médical. L’industrie nucléaire ne représente qu’environ 15 % du flux annuel de transports de substances radioactives. On estime à environ 11 000 le nombre annuel de transports nécessaires au cycle du combustible, pour 141 000 colis. Le contenu des colis est très divers : leur radioactivité varie sur plus de douze ordres de grandeur, soit de quelques milliers de becquerels pour des colis pharmaceutiques de faible activité à des millions de milliards de becquerels pour des combustibles irradiés. Leur masse varie de quelques kilogrammes à une centaine de tonnes.
L’ASN est chargée du contrôle de la sûreté. La sûreté est l’ensemble des dispositions techniques et organisationnelles prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets.
Les risques majeurs des transports de substances radioactives sont les suivants :
- le risque d’irradiation externe de personnes dans le cas de la détérioration de la « protection biologique des colis », matériau technique qui permet de réduire le rayonnement au contact du colis ;
- le risque d’inhalation ou d’ingestion de particules radioactives dans le cas de relâchement de substances radioactives ;
- la contamination de l’environnement dans le cas de relâchement de substances radioactives ;
- le démarrage d’une réaction nucléaire en chaîne non contrôlée (risque de « sûreté-criticité») pouvant occasionner une irradiation des personnes, en cas de présence d’eau et de non-maîtrise de la sûreté de substances radioactives fissiles.
La prise en compte de ces risques conduit à devoir maîtriser le comportement des colis pour éviter tout relâchement de matière et détérioration des protections du colis dans le cas :
- d’un incendie ;
- d’un impact mécanique consécutif à un accident de transport ;
- d’une entrée d’eau dans l’emballage (l’eau facilitant les réactions nucléaires en chaîne en présence de substances fissiles) ;
- d’une interaction chimique entre différents constituants du colis ;
- d’un dégagement thermique important des substances transportées, pour éviter la détérioration éventuelle avec la chaleur des matériaux constitutifs du colis.
Cette approche conduit à définir des principes de sûreté pour les transports de substances radioactives :
- la sûreté repose avant tout sur le colis : des épreuves réglementaires et des démonstrations de sûreté sont requises par la réglementation pour démontrer la résistance des colis à des accidents de référence ;
- le niveau d’exigence, notamment concernant la définition des accidents de référence auxquels doivent résister les colis, dépend du niveau de risque présenté par le contenu du colis. Ainsi, les colis qui permettent de transporter les substances les plus dangereuses doivent être conçus de façon à ce que la sûreté soit garantie y compris lors d’accident de transport. Ces accidents sont représentés par les épreuves suivantes :
- trois épreuves en série (chute de 9 m sur une surface indéformable, chute de 1 m sur un poinçon et incendie totalement enveloppant de 800 °C minimum pendant 30 minutes) ;
- immersion dans l’eau d’une profondeur de 15 m (200 m pour les combustibles irradiés) pendant 8 h.
La sûreté des transports est également fondée sur la fiabilité des opérations de transport qui doivent satisfaire à des exigences réglementaires notamment en matière de radioprotection. L'ASN assure le contrôle de la sûreté des transports de matières radioactives. Enfin, la gestion des situations accidentelles est régulièrement testée lors d'exercices.
Réponse apportée par Guillaume Blavette, association Haute Normandie Nature Environnement :
Dans le dossier du maitre d'ouvrage, page 47, l'ANDRA déclare que le "transport par voie ferroviaire est privilégié" et précise que "cela représenterait au maximum une centaine de trains par an (avec une dizaine de wagons par train), soit de l’ordre de deux trains par semaine en pic, avec une moyenne de deux trains par mois sur la durée d’exploitation." Si on peut se féliciter de ces déclarations de bonnes intentions on peut cependant douter de leur exactitude.
L'expérience prouve que les matières radioactives ne sont pas transportées prioritairement par rail. La route reste dominante en particulier pour les déchets de faible et moyenne activité. Chaque semaine des camions partent des installations nucléaires de base vers les centres de stockage de l'ANDRA de Soulaines et Morvilliers. Quelques 8 camions arrivent chaque jour sur chacun de ces sites sans compter les transports de matériels destinés à l'entretien des installations.
Ainsi donc on peut imaginer, en dépit des déclarations du maitre d'ouvrage, qu'une part non négligeable des déchets destinés à être stockés à Bure sera acheminé par la route. C'est le cas en particuliers des déchets métalliques de moyenne activité aujourd'hui entreposés dans les piscines de désactivation des 58 réacteurs nucléaires en exploitation. On peut aussi penser aux matières radioactives des anciens réacteurs dits graphite gaz. Des milliers de tonnes de métaux et de graphites sont aujourd'hui entreposés sur les sites de la Loire notamment en attente de modalités de gestion durable. Fort est à parier, faute de raccordement ferroviaire des centrales nucléaires, qu'ils seront acheminés sur tout ou partie du trajet vers Cigéo par la route.
Si on compare ces prévisions de trafic avec les transports qui ont lieu aujourd'hui. Cigéo entrainerait un doublement du nombre de convois de matières radioactives à l'échelle de la France avec une concentration des flux en Meuse et Haute-Marne.
Un dispositif de gestion de crise est prévu dans le cas où un accident surviendrait. Il vise à limiter les conséquences des incidents ou accidents et en particulier à mettre en place les mesures éventuelles nécessaires pour la protection du public. La mise en œuvre des plans d'urgence est coordonnée par le préfet et fait intervenir à la fois les pouvoirs publics et l'industriel.
Comme souvent dans le domaine du nucléaire, on doit reconnaître les efforts faits pour envisager une stratégie efficiente pour intervenir sur un accident technologique et en limiter les conséquences. Cependant entre la théorie et la pratique l'écart est important. Des exercices de crise et des expériences passées donnent à voir que la prise en charge d'une situation accidentelle est difficile et déroge toujours aux scénarios conçus dans des bureaux.
Concrètement. Si un accident survient sur un transport de matières radioactives, les dispositifs classiques prévus par les plans d'urgence (PUI-TMR) et les plans d'organisation des secours (ORSEC) seront mis en œuvre (sirènes, messages radiophoniques, etc.) Mais la population saura t elle quoi faire pour se protéger ? Beaucoup ne céderont ils pas à la panique ? Quelques curieux ne se mettront ils pas en danger ? Voilà des questions qui se posent dans un pays où la culture du risque est encore balbutiante.
Il conviendrait de préciser à l'occasion du débat Cigéo, projet qui impliquerait au bas mot un doublement du nombre de transports de matières radioactives pendant un siècle, la doctrine de gestion de crise et les modalités d'information du public.
Réponse apportée par Guillaume Blavette, association Haute Normandie Nature Environnement :
Le maître d'ouvrage n'a pas apporté de réponses convaincantes au cours de ce débat public pour préciser quels seront les moyens mis en œuvre pour garantir la sécurité des transports. Le dossier du maître d'ouvrage esquive totalement cette question se contentant d'indiquer quels seraient les moyens et les itinéraires utilisés pour acheminer les colis de déchets sur le site de Cigéo.
Lors du débat contradictoire du 23 octobre 2013, Igor Le Bars de l'IRSN a été très évasif pour répondre aux questions du public concernant la sécurité des transports pour la simple raison que cela ne relève pas de son champ de compétence. Il s'est donc contenté de rappeler quelques considérations générales en vigueur aujourd'hui (verbatim du débat du 23 octobre pages 12 et 16). Si l'IRSN suit les transports de matières radioactives ce n'est pas tant pour veiller à leur sécurité mais surveiller leur sûreté. La sécurité relève du ministère de l'intérieur et du haut fonctionnaire de défense rattaché au ministère de l'environnement comme l'a rappelé Christophe Quintin à l'occasion de la 25e conférence nationale des CLI qui s'est tenu le 11 décembre dernier à Vincennes.
Tout cela ne nous dit pas grand chose sur les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour garantir la sécurité des transports qui apporteront les dizaines de milliers de mètres cubes de déchets que l'Andra veut enfouir à Cigéo. En tout cas, il convient de bien distinguer ce qui relève de la sureté et ce qui relève de la sécurité. Le ministère de l'environnement définit de la manière suivante ces deux principes :
La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets.
La sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident.
La sécurité englobe donc la sureté et la radioprotection, dont il a été largement question le 23 octobre, pour y adjoindre non seulement la prévention d'actes dits "de malveillance" mais la protection des convois. Ainsi, la nature particulière des activités nucléaires justifie l’existence d’un cadre juridique spécifique pour la sécurité nucléaire, avec une autorité spécialisée pour en contrôler la mise en œuvre. Ce cadre juridique est notamment basé sur la loi relative à la Transparence et à la Sécurité en matière Nucléaire (dite « loi TSN »).
Pour en revenir à la question, vous me demandez quelles seront les moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité des transports. La réponse est simple au titre de la sécurisation du trafic de matières radioactives, le transporteur fait appel à des moyens de protection et de maintien de l'ordre. Les matières les plus dangereuses, comme par exemple le plutonium qui circule chaque semaine sur les routes entre La Hague et Marcoule, sont escortés par des gendarmes. Les convois ferroviaires quant à eux déterminent la mobilisation de force de l'ordre tout le long du trajet prompt à intervenir au moindre événement. Au cours des dernières années, les convois de déchets vitrifiés à destination de Gorleben en Allemagne ont donné lieu à des interventions "musclés" contre les militants antinucléaires s'opposant au passage de ces matières radioactives.
Il s'agit à présent d'imaginer au regard de la réglementation en vigueur le nombre des forces de l'ordre qui seront nécessaires pour sécuriser les flux pour Bure. Avec Philippe Guiter, j'ai pu établir que Cigéo impliquera au bas mot un doublement pendant un siècle des flux de matières radioactives sur les routes et les voies ferrées de France. Cela devrait donc entrainer un doublement des moyens de sécurité. On touche là à un impensé de l'évaluation du coût du nucléaire aujourd'hui étudié par une commission d'enquête parlementaire créée le 11 décembre 2013 par l'Assemblée nationale. Combien coûtera en hommes et en euros la nécessaire protection des convois ? C'est au ministère de l'intérieur de fournir une évaluation de ces coûts à l'occasion de ce débat public.
Personne ne remettra jamais en cause une protection des convois nucléaires s'il s'agit d'empêcher un acte de malveillance voire une action terroriste. En effet dès que des matières radioactives circulent existe le risque d'un attentat mais aussi la possibilité d'un vol des dites matières. Une des failles de l'industrie nucléaire qui a motivé le Bundestag à mettre un terme à l'exploitation industrielle de l'énergie atomique est le risque de prolifération, c'est à dire qu'une organisation ou un Etat se saisissent de matières radioactives à des fins de destruction. Ce risque est indéniable pour les transports par route souvent isolés. Le haut fonctionnaire de défense en charge des transports de matière radioactive a lui-même reconnu le 12 décembre dernier que le vol d'une source de Cobalt 60 n'était pas à écarter complètement en France...
La sécurité pose donc des problèmes très différents de ceux que la sureté est en charge de maitriser. Nous avons parlé de la protection des convois. Reste l'autre déclinaison de la sécurité, à savoir l'organisation des secours et la prise en charge des blessés voire de morts. Le récent accident ferroviaire survenu à Drancy prouve que la sureté et la sécurité sont en jeu. Manifestement le "chateau" qui a déraillé portait des traces de contamination à un niveau non négligeable puisque mesurable. Comment dès lors organiser des secours sans mettre en péril les équipes d'intervention ? Comment organiser les secours sans provoquer une dissémination des matières radioactives ? Dans quelles conditions peut on entreposer provisoirement ces matières impactées par l'accident en garantissant une protection complète de l'environnement et de la santé publique ? Comment réparer le confinement qui a pu être détérioré et poursuivre l'acheminement de ces matières vers leur destination ? Ce ne sont pas là des questions abstraites mais des problèmes très concrets auxquels nous exposent les transports de matières dangereuses !
L'Etat est il en mesure de faire face à plusieurs accidents simultanés de transports de matières radioactives au fin fond de la Champagne ou de la Lorraine ? La question mérite d'être posée aux responsables de la sécurité civile et au ministère de l'intérieur. Les moyens de secours arriveront ils à temps ? Beaucoup d'éléments objectifs amènent à douter de cela notamment le contexte financier actuel.
Somme toute rien aujourd'hui ne peut garantir pleinement la sécurité des transports de matières dangereuses. Les services chargés de la surveillance de ces convois semblent parfois plus préoccupés d'empêcher des actions militantes non-violentes plutôt que d'assurer une protection efficiente des convois. Quant aux moyens de secours, il conviendrait de les développer, de les moderniser et de leur donner des moyens de mobilités adaptés à toutes les configurations climatiques. Cela implique que les collectivités locales et l'Etat acceptent de mettre en œuvre des équipes, des matériels et des modes d'organisation adaptés à la sécurisation des transports.