QUESTION 594 -
Posée par Maurice MICHEL, le 02/12/2013
Maurice MICHEL – ASODEDRA – Le 29 novembre 2013
Questions posées [notamment] à l’Andra, et, (s’ils ne sont pas lassés de jouer leur rôle de contradicteurs indépendants) à Messieurs Benjamin DESSUS et Bernard LAPONCHE experts de Global Chance ainsi qu’à Monsieur Jean-Marie BROWN, universitaire.
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« /…/ Ne nous voilons pas la face ! Nous le disons et nous le répétons : un stockage profond de déchets radioactifs ne sera vraiment sûr à long terme que dans la mesure où il sera fermé définitivement /…/»
[Interview de Mme Marie-Claude DUPUIS, directrice générale de l’Andra, paru dans l’Est Républicain Meuse du 16 décembre 2010]
« Pour ne pas laisser aux générations futures la responsabilité de la gestion des déchets radioactifs, les centre de stockage sont conçus pour être fermés et rester sûrs sans qu’aucune intervention humaine ne soit nécessaire »
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Nous avons compris que les experts de l’Andra considèrent – comme nombre de ceux issus de l’industrie nucléaire et de ses satellites institutionnels- que la sûreté du site de Bure implique qu’il soit définitivement fermé à l’issue d’une période temporaire de réversibilité de l’ordre de 100/120 ans. Pour conforter sa position, l’agence invoque la loi de 2006, elle estime qu’il n’est pas convenable de reporter la charge de la gestion des déchets nucléaires sur les générations suivantes et qu’il est préférable de faire plus confiance à la géologie qu’à la société.
Cette position a pour effet de priver à jamais les générations postérieures à la période réversibilité de leur capacité de décision. Il leur sera en effet interdit de revenir sur le stockage profond, si elles le souhaitent, notamment dans l’hypothèse où des progrès scientifiques et technologiques venaient à offrir de nouvelles possibilités. Mais aussi, en cas de changement de paradigme éthique, lorsqu’il sera communément admis que laisser aux générations futures le soin de faire elles-mêmes les choix qui les engagent est un principe général de même nature sociétale que celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dés 2005, en marge du débat public ouvert à cette époque, des chercheurs relevant de différentes sciences et disciplines du monde académique ont confronté leurs points de vue dont la synthèse a été publiée en février 2006 [C E N T R E NATIONAL DE L A R E C H E R C H E SCIENTIFIQUE - C A H I E R S - Risques Collectifs et Situations de Crise - N°5 - FÉVRIER 2006 - Recherche et déchets nucléaires, Une réflexion interdisciplinaire, Axe Risques et Crises Collectifs, Avec le soutien du Programme sur l'Aval du Cycle Électronucléaire (PACE) du CNRS, PUBLICATIONS DE LA MSH-ALPES. Les thèmes traités au cours du séminaire figurent dans le sommaire ci-après :
SOMMAIRE
Avant-propos 7
Note introductive
L a gestion des déchets nucléaires : le contexte français 11
1 - Faut-il retraiter les combustibles usés ? 17
2 - Le stockage géologique est-il incontournable ? 25
3 - L a réversibilité : un trompe-l'œil ? 33
4 - L a transmutation :
une palette de solutions sérieusement explorées ? 41
5 - Une "recherche ouverte" sur les déchets :
une nécessité, un alibi ou une gêne ? 49
6 - Faut-il un débat public sur les déchets nucléaires ?
Quel est le lien avec la décision ? 59
7 - L a "peur du public" ou la peur du public ? 71
8 - Peut-on débattre des déchets nucléaires indépendamment
des choix de filières nucléaires ? 81]
Huit ans après, les réflexions de ces scientifiques n’ont pas pris une ride. Nous en avons extrait ci-après quelques lignes des pages 29, 36 et 31 tirées du thème « le stockage géologique est-il incontournable ?». Nous avons souligné les questions que nous souhaitons poser à nos interlocuteurs :
« Le stockage géologique profond : une solution qui ferme l'avenir
En dépit de l'affirmation du concept de "stockage géologique
réversible", le dépôt des déchets radioactifs dans des couches géolo-
giques profondes est fondamentalement une solution irréversible (cf.
infra question 3). Ce type de stockage, qui doit permettre d'organiser
"l'oubli" des déchets, est fondé sur un certain nombre d'hypothèses,
assez largement partagées dans le cercle des acteurs et des scienti-
fiques concernés par ces questions. Elles peuvent surprendre et n'ont
pas manqué de susciter des réactions parmi les chercheurs en sciences
humaines et sociales participant au séminaire.
D'une part, le stockage géologique profond repose sur l'idée
que les générations futures n'auront aucun intérêt à "reprendre" ces
déchets ni ne seront pas mises en contact sous une forme ou sous une
autre avec ces déchets. Or cette hypothèse est discutable.
D'autre part, de façon liée, le stockage géologique profond re-
pose sur l'idée que les générations futures n'auront pas de solution
plus intéressante à faire valoir dans le cadre du traitement des déchets.
Il est curieux que cette hypothèse soit avancée par des scientifiques
dans la mesure où elle traduit un pessimisme radical à l'égard du pro-
grès des connaissances, et plus généralement à l'égard de l'évolution
des sociétés humaines. D'autant que c'est l'argument exactement in-
verse qui est avancé pour ne pas mettre dès à présent un frein aux
atteintes à l'environnement qui menacent l'avenir de la planète. C'est
une vision pessimiste, voire catastrophiste du futur, qui transparaît en
tout cas dans les justifications du stockage géologique profond dont
l'intérêt serait précisément, de ce point de vue, de "fermer l'avenir".
Mais, là encore, l'hypothèse de l'incapacité des générations futures à
trouver d'autres solutions techniques ou. à défaut, à surveiller un en-
treposage en surface ou en subsurface de déchets, est une hypothèse
discutable et qui, en tout cas, ne peut guère être validée.
Finalement, la justification ultime du stockage géologique pro-
fond repose sur l'idée que, sur les échelles de temps considérées, la
nature, en l'occurrence les couches géologiques profondes, est plus
fiable que la société et que les capacités technologiques humaines. Et,
de fait, le débat à propos des déchets nucléaires, au-delà de la techni-
cité des argumentations, peut souvent être ramené à cette question
simple : faut-il croire au progrès et aux capacités de l'homme d'assu-
rer ce progrès, ou faut-il y renoncer et s'appuyer sur le déjà-là, à savoir
la nature et ses capacités de protection ?
En conclusion
L'option du stockage géologique profond, en raison de son ap-
parente évidence et simplicité, du consensus dont elle fait l'objet dans
le cercle des décideurs et des experts (y compris internationaux), est
présentée comme la solution aux problèmes des déchets nucléaires
(ceux-ci étant habituellement appréhendés de manière globale).
Cette option, par ses caractéristiques propres, tend à emporter
la décision. Elle crée même une situation d'urgence dès lors qu'elle
apparaît comme le moyen (et même l'unique moyen) techniquement
sûr de régler la question des déchets. De façon liée, cette option ferme
de nombreuses interrogations, et penser une alternative devient diffi-
cile, d'autant plus que toute alternative tend à apparaître, face à l'affir-
mation de la robustesse de cette solution, comme une spéculation.
Pourtant, la question de l'urgence à décider est toute relative.
Cette urgence se comprend surtout à travers la volonté de "régler le
problème", d'introduire une solution proche qui ferme (ou tout au moins
limite) les débats techniques, scientifiques et, ainsi faisant, les débats
sociaux et politiques. Soustraire les déchets nucléaires à l'attention
publique via la solution du stockage profond ne serait-il pas l'une des
principales raisons de l'urgence habituellement évoquée ? Or, il est
probable qu'une fois la décision prise, une longue période d'attente
(au moins 50 ans) s'instaure, tant pour des raisons techniques, scienti-
fiques que strictement économiques. C'est d'ailleurs ce qui est envi-
sagé à propos du démantèlement des centrales nucléaires arrivées en
fin de vie. Une telle période d'attente, inscrite dans les modalités même
de gestion, rend a priori possible de maintenir "ouverts" les débats.
D'autre part, il est évident qu'en rendant urgente la décision de stoc-
ker, on se prépare à stocker ainsi tout ce qui est actuellement vitrifié,
c'est-à-dire les actinides mineurs (les plus radiotoxiques) comme les
produits de fission.
L'examen de la solution actuellement privilégiée conduit donc à
s'interroger dans les termes suivants : souhaite-t-on, à travers une vision
simplifiée du stockage géologique profond, régler une fois pour toute
le problème des déchets nucléaires ou plutôt affirmer qu'il est réglé ? »