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QUESTION 842 - Comment légitimer le droit de polluer les génération future pendant plus de cent mille ans?
Posée par Damien DELPIROUX [L'organisme que vous représentez (option)], (CREST), le 14/12/2013

Demandons nous le droit aux habitants futur d'enfouir sous leur pieds des produits toxique et hautement dangereux? A qui demanderez vous cette autorisation? Qu'est-ce qui vous rend légitime à prendre ce risque pour plusieurs centaines de milliers d'années???

Réponse du 20/01/2014,

Réponse apportée par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie :

Le projet Cigéo suit la procédure décrite à l’article L. 542-10 du Code de l’Environnement.

Plusieurs procédures de consultation sont organisées afin de recueillir l’avis des populations locales et nationales (débat public, avis des collectivités territoriales, enquête publique).

Le Parlement fixe périodiquement les choix relatifs à la mise en œuvre de ce projet :

  • loi du 30 décembre 1991, dite loi « Bataille », fixant un programme d’études et recherches de 15 années d’études et recherches sur les déchets radioactifs ;
  • loi du 28 juin 2006, définissant le stockage géologique profond comme solution de référence pour les déchets les plus radioactifs et demandant sa mise en service en 2025 ;
  • loi à venir sur la réversibilité du projet.

En outre, l’Etat est en contact permanent avec les parties prenantes locales. Un important travail de concertation a été mené, notamment avec les exécutifs locaux, pour élaborer un projet de schéma interdépartemental du territoire.

L’avis des populations locales au travers des procédures de consultation et l’expression de leurs représentants au Parlement est primordial.

La décision d’autoriser ou non la création de Cigéo en Meuse/Haute-Marne n’est pas encore prise. Elle reviendra à l’Etat après l’évaluation du dossier remis par l’Andra en 2015 par l'Autorité de sûreté nucléaire, la Commission nationale d'évaluation et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’avis des collectivités territoriales, le vote d’une nouvelle loi fixant les conditions de réversibilité et une enquête publique.

Réponse apportée par l'Andra, maître d'ouvrage :

C’est justement pour ne pas laisser aux générations futures la charge de la gestion des déchets radioactifs et les risques associés que le Parlement a fait le choix du stockage réversible profond, après 15 années de recherche et leur évaluation sur le plan scientifique et de la sûreté. A l’inverse de l’entreposage, le stockage permet de mettre en place une protection pour le très long terme. Les générations suivantes auront la possibilité de contrôler sa mise en œuvre grâce à la réversibilité. L’Andra propose ainsi que des points de rendez-vous réguliers soient prévus pendant toute la durée de réalisation du projet avec l’ensemble des acteurs concernés (riverains, collectivités, évaluateurs, Etat…) pour évaluer le fonctionnement du Centre et préparer les étapes suivantes. Cette démarche s’inscrit dans la continuité des échanges engagés depuis 1991 sur le projet. Les acteurs locaux ont été associés à chaque étape du projet. A ce jour, l’Andra a accueilli près de 100 000 visiteurs sur le site du Laboratoire souterrain où sont menées les recherches sur le projet de stockage.

Les recherches menées par l’Andra ont pour objectif d’étudier l’évolution du stockage sur le long terme. La démarche scientifique se fonde sur l’observation, puis sur l’expérimentation et enfin sur la modélisation et la simulation numérique qui permettent d’extrapoler des résultats à des échelles inaccessibles via l’expérimentation. Le propre des sciences de la Terre et de l’Univers est que les observations permettent d’appréhender des phénomènes qui se déroulent sur de très longues durées. Cette démarche scientifique est au cœur des études menées par l’Andra depuis une vingtaine d’années pour étudier la faisabilité du stockage profond. Pour mener ces recherches, l’Andra mobilise la communauté scientifique dans de nombreuses disciplines (sciences de la Terre et de l’environnement, chimie, science des matériaux, mathématiques appliquées…) au travers de partenariats avec des organismes de recherche et des établissements universitaires français, ainsi qu’au moyen de coopérations internationales.

Les recherches menées depuis 1994 sur le site étudié en Meuse/Haute-Marne ont permis aux scientifiques de reconstituer de manière détaillée son histoire géologique, depuis plus de 150 millions d’années. Le site étudié se situe dans la partie Est du bassin de Paris qui constitue un domaine géologiquement simple, avec une succession de couches de calcaires, de marnes et de roches argileuses qui se sont déposées dans d’anciens océans. Les couches de terrain ont une géométrie simple et régulière. Cette zone géologique est stable et caractérisée par une très faible sismicité. La couche argileuse étudiée pour l’implantation éventuelle du stockage, qui s’est déposée il y a environ 155 millions d’années, est homogène sur une grande surface et son épaisseur est importante (plus de 130 mètres).

Aucune faille affectant cette couche n’a été mise en évidence sur la zone étudiée.

Cette analyse s’appuie sur des investigations géologiques approfondies : plus de 40 forages profonds ont été réalisés, complétés par l’analyse de plus de 300 kilomètres de géophysique 2D et de 35 km² de géophysique 3D. Environ 50 000 échantillons de roche ont été prélevés.

La roche argileuse a une perméabilité très faible, ce qui limite fortement les circulations d’eau à travers la couche et s’oppose au transport éventuel des radionucléides par convection (c’est-à-dire par l’entraînement de l’eau en mouvement). Cette très faible perméabilité s’explique par la nature argileuse, la finesse et le très petit rayon des pores de la roche (inférieur à 1/10 de micron). L’observation de la distribution dans la couche d’argile des éléments les plus mobiles comme le chlore ou l’hélium confirme qu’ils se déplacent majoritairement par diffusion et non par convection. Cette « expérimentation », à l’œuvre depuis des millions d’années, confirme que le transport des éléments chimiques se fait très lentement (plusieurs centaines de milliers d’années pour traverser la couche). Ces durées de transport constatées sont cohérentes avec celles estimées par simulation.

Les expérimentations menées au Laboratoire souterrain permettent également d’étudier l’impact de la construction et de l’exploitation d’un stockage sur le milieu géologique : impact lié au creusement des galeries, à l’introduction de matériaux exogènes tels que l’acier ou le béton, à l’effet de la chaleur générée par les déchets les plus radioactifs... La conception de Cigéo vise à limiter les perturbations engendrées et l’étude des processus physiques et chimiques permet de vérifier que ces perturbations induites sur la roche restent limitées. Elle fournit également des orientations pour la conception du stockage. L’Andra met également en place des démonstrateurs dans le Laboratoire souterrain, qui permettent notamment de comparer avec les résultats prévus par les simulations (par exemple la répartition du champ de température autour d’une alvéole simulant le stockage de déchets de haute activité) et de s’assurer que les prévisions des modèles sont cohérentes avec ce que l’on observe. Si Cigéo est autorisé, cette démarche sera poursuivie lors de la réalisation progressive du stockage.

Outre l’expérimentation, la validation des modèles passe également par l’étude d’analogues archéologiques ou naturels. Les laitiers de haut-fourneau du XVIe  siècle, les blocs de verre issus d’épaves datant de l’Antiquité ou encore les verres basaltiques constituent par exemple des analogues du système « verre/métal/argile » soumis à une altération par l’eau. Bien que la composition chimique et les conditions d’altération de ces verres ne soient pas strictement identiques à celles des matrices utilisées pour vitrifier certains déchets radioactifs, leur étude permet de tester les modèles proposés et de progresser dans la compréhension des mécanismes d’altération. Concernant le comportement des radionucléides, les deux sites de réacteurs nucléaires naturels découverts à Oklo (Gabon) en 1972, celui de Bangombé en surface à 11 m de profondeur et celui d’Okélobondo à 420 m de profondeur, apportent des informations précieuses. Ces réacteurs naturels ont fonctionné il y a 2 milliards d’années, les conditions géologiques, et notamment la teneur du minerai en uranium 235, ayant provoqué une réaction en chaîne spontanée pendant plusieurs centaines de milliers d’années. Les travaux de caractérisation (analyses minéralogiques, chimiques et isotopiques) ont montré la très faible migration des radionucléides dans les conditions chimiques réductrices et en présence d’argile. Ils ont permis d’établir les mécanismes géochimiques qui ont prévalu à ce comportement et de tester les modèles de représentation associés.

La simulation numérique permet d’obtenir des résultats inaccessibles par l’expérience du fait de la complexité et de l’interaction des phénomènes à étudier ou des grandes échelles de temps et d’espace sur lesquelles ils se déroulent. Pour représenter les phénomènes que l’on veut étudier, on utilise des modèles physiques et mathématiques qui sont alimentés par des données acquises sur le terrain, en laboratoire et dans la littérature scientifique. Ces derniers servent à mener des expériences virtuelles qui, en temps réel, se dérouleraient sur des milliers à centaines de milliers d’années, ou à analyser des processus qui intéressent de très grands volumes de roche. Grâce aux outils qu’elle a développés, l’Andra peut étudier différents phénomènes liés, par exemple, à la chaleur, au déplacement de l’eau ou aux échanges chimiques et analyser comment les composants du stockage se comporteraient et évolueraient dans le temps. Ces modèles permettent également de tester des hypothèses de situations dégradées dans l’évolution du stockage. Les différents modèles ainsi que les codes de simulation numérique font l’objet d’inter-comparaisons. Cela contribue à la confiance dans leur validité et permet d’identifier le cas échéant les points de compréhension à approfondir. Ces travaux de comparaison sont menés à l’Andra et dans le cadre de projets internationaux. Les modèles proposés par l’Andra font également l’objet d’une évaluation indépendante par l’IRSN dans le cadre de l’instruction des dossiers de l’Andra. Cela concerne par exemple les modèles d’écoulements hydrogéologiques et de migration des radionucléides, qui sont au cœur des études de sûreté.

L’ensemble de ces travaux font l’objet de publications dans des revues à comités de lecture (50 à 70 publications scientifiques internationales par an depuis 10 ans) et sont évalués par des instances indépendantes, en particulier la Commission nationale d’évaluation, mise en place par le Parlement, et l’Autorité de sûreté nucléaire qui s’appuie sur l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Les grands dossiers scientifiques et techniques que l’Andra remet dans le cadre de la loi font l’objet, à la demande de l’Etat, de revues internationales sous l’égide de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE. L’Andra a également été évaluée en 2012 par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Enfin, des expertises sont régulièrement commandées par le Comité local d’information et de suivi du Laboratoire souterrain sur les grands dossiers de l’Andra ou sur des sujets plus ciblés.

C’est la convergence de l’ensemble de ces études qui permet d’apprécier la robustesse du stockage et de préciser les incertitudes résiduelles. L’analyse de sûreté intègre la connaissance acquise et les incertitudes afin de produire une évaluation pénalisante de l’impact du stockage. Les études menées par l’Andra ont montré que l’impact du stockage serait nettement inférieur à celui de la radioactivité naturelle à l’échelle du million d’années.

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