QUESTION 287 - Quatre questions
Posée par Jacques DELOUVRIER [RETRAITÉ], (CASSAGNE, FRANCE), le 10/09/2013
J’ai eu l’honneur de participer à un certain nombre de mesures et d’études sur le site de la Vienne et de la Meuse/Haute Marne, et je suis intimement persuadé de la qualité de votre dossier. Toutefois, je me permets de vous demander des éclaircissements sur les thèmes suivants, avant d’émettre un avis définitif. Thème 1 J’ai compris que vous considérez que le site des argiles du Callovo-Oxfordien est optimal : ceci en particulier parce que des isotopes comme l’iode 129 et le chlore 36 auraient des radioactivités minimes après 100.000 ans de migration, ce qui pourraient les amener à être en contact avec des aquifères. Je suppose que des études de diffusivité pour ces deux produits ont été menées dans le laboratoire souterrain de Bure.
• Quelle a été la durée de ces études ?
• Quelle est le degré d’incertitude que l’on a sur l’extrapolation à 100.000 ans des résultats, par des logiciels adaptés ?
• Pourriez-vous me faire parvenir les publications pertinentes sur ces deux points ? Thème 2 J’ai compris que les habitants de la région étaient protégés pour au moins 100.000 ans. Mais que fait-on de l’oubli ? Comment garantir aujourd’hui qu’un « pétrolier ou autre stupide » ne viendra pas forer un puits juste à l’endroit du stockage ?
• Quelles sont les précautions prises concernant ce thème ?
• Pourriez-vous me faire parvenir les publications pertinentes sur ce point ? Thème 3 On « disait », à l’époque où j’étais impliqué dans l’étude du site de Bure, que des études analogiques, faites sur des bateaux ayant sombré il y a fort longtemps, avaient montré que les canons en cuivre de ces bateaux avaient remarquablement résisté à la corrosion par l’eau de mer.
• Pourquoi n’a-t-on pas choisi ce métal pour l’enveloppe des containers ? Thème 4 Le maintien en état opérationnel du laboratoire actuel de Bure, pendant la durée prévue des 100 ans d’observation du stockage définitif, est certainement une sécurité supplémentaire pour l’expérimentation en cas de problèmes sur le stockage lui-même. C’est aussi un moyen de tranquilliser l’opinion publique…
• Ce maintien en état opérationnel est-il prévu ?
• Si non, quelles alternatives ont été choisies pour l’expérimentation corrective à l’échelle de 100 ans ?
Merci d’avance.
Réponse du 17/12/2013,
Réponse apportée par l’Andra, maître d’ouvrage :
Concernant le premier thème abordé
L’Andra a mené de très nombreuses mesures de diffusion d’éléments en solution, notamment de type anions solubles et non sorbés comme le Chlore et l’Iode, sur échantillons carottés issus de forages et in situ au Laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne. Les mesures du coefficient de diffusion et de la porosité accessible à la diffusion ont été obtenues suivant des protocoles expérimentaux rigoureux, notamment quant à la durée pertinente des expériences. Plusieurs centaines de mesures de la diffusion des espèces en solution ont ainsi été acquises et couvrent en verticale toute l’épaisseur du Callovo-Oxfordien et en horizontale la zone de transposition. Toutes ces mesures donnent le même résultat :
- les valeurs du coefficient de diffusion sont faibles,
- les faibles différences entre les valeurs du coefficient de diffusion (moins d’un facteur 2) et de la porosité accessible à la diffusion des anions (moins de 10 %) couvrent à la fois la variabilité naturelle (faible) de ces paramètres dans la couche du Callovo-Oxfordien et l’incertitude des mesures. En outre, ces données expérimentales sont confirmées par l’analyse des profils de concentration de traceurs naturels dans le Callovo-Oxfordien, qui permet aussi de valider les conditions de transferts des solutés sur les échelles de temps géologiques.
Les valeurs de diffusion obtenues sont celles retenues dans les calculs de transfert de l’Iode 129 et du Chlore 36 dans le Callovo-Oxfordien depuis le stockage. Les codes de calcul utilisés par l’Andra font l’objet d’une validation numérique et d’une inter-comparaison afin de s’assurer de la qualité numérique des résultats.
La pertinence de l’analyse de la migration de l’Iode 129 et du Chlore 36 depuis le stockage dans la couche du Callovo-Oxfordien et des temps de transfert correspondants calculés repose donc sur l’association des travaux expérimentaux et des travaux de simulation numérique menés suivant une démarche scientifique rigoureuse.
Références :
Descostes, M., Blin, V., Bazer-Bachi, F., Meier, P., Grenut, B., Radwan, J., Schlegel M.L., Buschaert S., Coelho D. & Tevissen, E. (2008). Diffusion of anionic species in Callovo-Oxfordian argillites and Oxfordian limestones (Meuse/Haute–Marne, France). Applied Geochemistry, 23(4), 655-677.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0883292707003174
Dewonck, S., Blin, V., Radwan, J., Filippi, M., Landesman, C., & Ribet, S. (2010). Long term in situ tracer diffusion tests in the Callovo-Oxfordian clay: Results and modeling. In Clays in Natural & Engineered Barriers for Radioactive Waste Confinement 4th International Meeting in March
http://www.nantes2010.com/doc/abstracts/data/pdf/629_630_P_MT_DIF_16.pdf
Gimmi, T., Leupin, O. X., Eikenberg, J., Glaus, M. A., Van Loon, L. R., Niklaus Waber, H., & Wittebroodt, C. (2014). Anisotropic diffusion at the field scale in a four-year multi-tracer diffusion and retention experiment–I: Insights from the experimental data. Geochimica et Cosmochimica Acta.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S001670371300570X
Concernant le deuxième thème abordé
L’objectif fondamental de Cigéo est de protéger l’homme et l’environnement de la dangerosité des déchets radioactifs sur de très longues échelles de temps. La sûreté à long terme du stockage doit être assurée de manière passive, sans dépendre d’actions humaines. Cela repose notamment sur le choix du milieu géologique et sur la conception du stockage.
En cas de perte complète de la mémoire du stockage, une intrusion inopinée à 500 mètres sous terre apparaît peu plausible, du moins sans un minimum d’investigations préalables. L’Andra évalue cependant par précaution dans son analyse de sûreté les conséquences d’intrusions par des forages éventuels au travers du stockage. Les situations considérées font l’hypothèse de l’abandon d’un ou plusieurs forages (doublet de forages). Les situations étudiées sont pénalisantes car elles considèrent ces forages pérennes sur plusieurs centaines d’années et traversant un ouvrage du stockage. L’évaluation de sûreté du Dossier 2005 a permis de vérifier que le stockage resterait sûr (voir Dossier 2005 - Tome Evaluation de Sûreté du stockage géologique §7.4 pp567 à 634).
Malgré cette robustesse du stockage même en cas d’oubli, l’Andra conçoit Cigéo avec l’objectif d’en conserver la mémoire et de la transmettre aux générations futures le plus longtemps possible. Des solutions d’archivage de long terme existent pour les centres de stockage de surface exploités par l’Andra et font l’objet de revues périodiques. Le retour d’expérience montre que ces solutions paraissent robustes pour au moins les 500 premières années. Ainsi, pour Cigéo, l’Andra prévoit qu’un centre de la mémoire perdurera sur le site. Il pourra accueillir le public et comprendra notamment les archives du Centre.
De manière générale, le maintien de la mémoire doit aussi impliquer les acteurs locaux, qui peuvent prendre le relai en cas de défaillance de l’Andra ou de l’État. L’Andra veille d’ores et déjà à les informer sur les enjeux associés à la mémoire et étudie avec des anthropologues, des philosophes ou encore des artistes les facteurs qui peuvent favoriser la transmission de la mémoire. La surveillance du site contribuera également au maintien de la mémoire du stockage, aussi longtemps que les générations futures décideront de la poursuivre.
L’Andra a lancé en 2010 un programme d’études pour proposer des outils qui rendent cette transmission plus robuste sur une échelle de temps millénaire. Des pistes se dessinent tels des marqueurs de surface, mais aussi des rendez-vous réguliers à mettre en place au niveau des populations locales.
En tout état de cause, comme il est impossible de garantir notre capacité à communiquer avec des êtres vivant dans plusieurs milliers d’années, c’est chaque génération qui aura la responsabilité de contribuer à transmettre cette mémoire aux générations suivantes.
Concernant le troisième thème abordé
L’Andra a retenu l’acier non ou faiblement allié pour constituer l’enveloppe des conteneurs de stockage pour les déchets de haute activité (HA). Ces aciers bénéficient d’un large retour d’expérience industriel ainsi que d’une codification et d’une normalisation des techniques d’élaboration et de contrôle, dont l’emploi garantit que les propriétés physiques (mécaniques, dimensionnelles, métallurgiques..) des objets réalisés sont reproductibles et constantes. La connaissance de sa corrosion généralisée, mécanisme dominant à moyen et long terme, permet d’évaluer l'épaisseur de métal corrodée en fonction du temps. Le conteneur en acier épais (65 mm) étudié par l’Andra permet d’empêcher l’arrivée d’eau sur le verre nucléaire pendant plusieurs centaines d’années au moins, le temps nécessaire pour que la température ait suffisamment baissé pour que l’arrivée d’eau de l’argilite au contact du déchet vitrifié n’induise pas de phénomène non maîtrisé conformément aux exigences de sûreté. Les déchets HA les plus exothermiques ne seront pas stockés avant l’horizon 2075 compte tenu du délai nécessaire à leur décroissance thermique (hormis certains déchets HA moyennement exothermiques qui seraient stockés à partir de 2025 dans une zone pilote si Cigéo est autorisé). Cela permet de laisser ouverte la possibilité d’étudier d’autres matériaux dans le futur. Des actions prospectives sont ainsi prévues dans le programme de R&D de l’Andra sur ce sujet.
Concernant le quatrième thème abordé
Les expérimentations menées au Laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne ont permis de qualifier in situ les propriétés de la roche argileuse, d’étudier les perturbations qui seraient induites par la réalisation d’un stockage (effets du creusement, de la ventilation, de la chaleur apportée par certains déchets…), de mettre au point des méthodes d’observation et de surveillance et de tester les procédés de réalisation qui pourraient être utilisés si Cigéo est mis en œuvre. L’étape suivante sera d’acquérir des informations complémentaires lors de la réalisation des premiers ouvrages de stockage. L’autorisation d’exploiter le Laboratoire a été prolongée jusqu’en 2030 pour accompagner la phase de démarrage du stockage et poursuivre les observations sur la durée. Sur certains ouvrages, on disposera ainsi d’un retour d’expérience de plus de 20 ans avant le démarrage de l’exploitation des premiers ouvrages de Cigéo. A l’horizon 2030, il conviendra d’examiner l’intérêt de poursuivre ces observations de longue durée en prolongeant l’exploitation du Laboratoire, en parallèle de Cigéo.