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QUESTION 395 - Il faut pérenniser la réversibilité de l'enfouissement
Posée par Jean-Jack FRANÇOIS [L'organisme que vous représentez (option)], (BAR-LE-DUC), le 07/10/2013

La préservation de la réversibilité de l’enfouissement des déchets nucléaires constitue à mon avis la clef de voûte du projet CIGEO. Elle engage, pour quasiment l’éternité, l’avenir de notre pays et celui de notre descendance. La réversibilité telle qu’elle nous est présentée actuellement dans le projet CIGEO ne sera effective que pendant un siècle. Après, les déchets seront livrés à eux-mêmes, à leur destin. En agissant ainsi, nous nous interdisons, pour toujours, de reprendre la main, même en cas de nécessité absolue. C’est tout simplement insensé et irresponsable. A-t-on pensé que le site de Bure se situe dans le bassin hydrologique de la Seine ? A-t-on conscience que l’eau de la Seine alimente en eau potable la région parisienne ? Des scientifiques aussi persuasifs que ceux qui prônaient, il y a quelques temps, l’alimentation des bovins avec les farines animales, nous affirment aujourd’hui que le sous-sol meusien ne comporte aucune fissure géologique et qu’il n’y a aucun danger de pollution de la nappe phréatique. Et si, malgré tout, l’eau de la Seine était polluée par des nucléides ? Quelles seraient les conséquences, humaines et financières, d’une telle catastrophe pour notre pays ? Est-on certain de bien maîtriser les risques d’explosion de l’hydrogène émanant des déchets en sous-sol ? Une éventuelle explosion ne risquerait-elle pas de provoquer des fissures ? C’est facile d’être aussi affirmatif sur l’absence de risques quand il n’y a pas de sanction à la clef. Ces scientifiques seraient-ils prêts à gager leur vie dans cette affaire ? Ils pourraient le faire sans risque, dès lors qu’ils sont sûrs d’eux à 100%..... Mais ils ne le feront pas, car ils vous répondront que le zéro défaut n’existe pas. On l’a vu bien vu avec l’affaire des farines animales. Gouverner, c’est prévoir, même si cela peut paraître, à première vue, improbable. Sans être contre l’enfouissement des déchets nucléaires qui constitue un excellent rempart contre les attaques aériennes terroristes qui pourraient viser les sites de stockage en surface (rappelons-nous du 11 septembre 2001), il est primordial de préserver dans le temps cette notion de réversibilité, même si cela doit coûter beaucoup plus d’argent. La sécurité n’a pas de prix. D’ailleurs, c’est dans cet état d’esprit que la dissuasion nucléaire française a été mise en place. Ma question : Pour ce faire, ne pourrait-on pas envisager un centre de stockage souterrain divisé en deux parties, une remplie de déchets et l’autre vide ? Au bout d’un laps de temps, à déterminer, il suffirait de transférer les déchets d’une partie dans l’autre. Au cours du transfert, l’étanchéité des conteneurs serait contrôlée et renforcée si nécessaire. Compte tenu du développement actuel de la robotique, il est très probable que ce travail puisse être assuré rapidement par des robots. Ainsi, ce transfert périodique d’une partie à l’autre permettrait de s’assurer du comportement des déchets dans le temps et d’apporter les correctifs nécessaires. Peut être que dans plusieurs siècles, l’Homme sera capable de trouver une solution, autre que le simple enfouissement, pour traiter ces déchets. Dans cette hypothèse, nos enfants seront en mesure de les sortir des galeries de stockage et de procéder aux travaux d’élimination nécessaires. Ainsi, l’Homme aura gardé la maîtrise de son destin. Il pourra nous dire merci pour notre sagesse et notre clairvoyance.

Réponse du 30/01/2014,

Réponse apportée par l’Andra, maître d’ouvrage :
 
Concernant la durée de la réversibilité
 
Le rôle du stockage profond est de mettre en sécurité de manière définitive les déchets les plus radioactifs, pour ne pas reporter leur charge indéfiniment sur les générations futures.
 
Conformément à la demande du Parlement, l’Andra étudie un stockage qui soit réversible pendant au moins 100 ans, ce qui permet de laisser des choix ouverts aux générations suivantes. L’Andra retient les meilleures techniques d’ingénierie disponibles pour offrir aux générations suivantes le maximum de flexibilité pour la gestion dans le temps de l’installation. En fonction de l’expérience acquise lors de l’exploitation de Cigéo et des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, les générations suivantes seront libres de décider du devenir de Cigéo, en particulier de son calendrier de fermeture et elles pourront périodiquement réévaluer la période de réversibilité. C’est aux générations suivantes qu’il reviendra de décider dans un siècle si elles souhaitent fermer définitivement le stockage ou temporiser cette étape.
 
Dans son avis sur les recherches menées dans le cadre de la loi de 1991, publié en 2006, l’Autorité de sûreté nucléaire considère que, sur le plan des principes, la réversibilité ne peut avoir qu’une durée limitée. A long terme, la protection de l’homme et de l’environnement doit être assurée sans nécessité d’intervention humaine (sûreté « passive »).  Dans cette optique, Cigéo est conçu pour être refermé après la centaine d’années nécessaires à son exploitation.
 
Chaque étape de fermeture est indispensable pour la sûreté à très long terme du stockage. Les opérations de fermeture conduiront à obturer définitivement les alvéoles où seront stockés les déchets, puis à obturer en totalité les galeries souterraines, les puits et les descenderies. Ces opérations permettront de progresser vers une sûreté de plus en plus passive. Elles rendront la récupérabilité des colis de déchets plus difficile. Compte tenu de leur importance, l’Andra propose que chaque étape de fermeture fasse l’objet d’une autorisation spécifique.
 
Après la fermeture définitive du stockage, que seule une loi pourra autoriser, la sûreté sera assurée de manière passive et ne nécessitera aucune action humaine. Une surveillance du site pourra néanmoins être maintenue aussi longtemps que les générations futures le souhaiteront et des actions seront menées pour conserver et transmettre sa mémoire. Il pourrait toujours être envisagé de revenir dans le stockage au moyen de techniques minières adaptées, mais le confinement apporté par la roche et les ouvrages de fermeture ne serait alors plus assuré.
 
Concernant le danger de pollution de la nappe phréatique
 
La protection à très long terme de l’homme et l’environnement de la dangerosité des déchets repose notamment sur le choix du milieu géologique et sur la conception du stockage. Les générations futures pourront continuer à assurer une surveillance du site aussi longtemps qu’elles le souhaiteront. Néanmoins, le stockage restera sûr même si le site venait à être oublié, contrairement à un entreposage, qu’il soit en surface ou en subsurface.
 
Les recherches menées depuis 1994 sur le site étudié en Meuse/Haute-Marne ont permis aux scientifiques de reconstituer de manière détaillée son histoire géologique, depuis plus de 150 millions d’années. Le site étudié se situe dans la partie Est du bassin de Paris qui constitue un domaine géologiquement simple, avec une succession de couches de calcaires, de marnes et de roches argileuses qui se sont déposées dans d’anciens océans. Les couches de terrain ont une géométrie simple et régulière. Cette zone géologique est stable et caractérisée par une très faible sismicité. La couche argileuse étudiée pour l’implantation éventuelle du stockage, qui s’est déposée il y a environ 155 millions d’années, est homogène sur une grande surface et son épaisseur est importante (plus de 130 mètres). Aucune faille affectant cette couche n’a été mise en évidence sur la zone étudiée.
 
Cette analyse s’appuie sur des investigations géologiques approfondies : plus de 40 forages profonds ont été réalisés, complétés par l’analyse de plus de 300 kilomètres de géophysique 2D et de 35 km² de géophysique 3D. Environ 50 000 échantillons de roche ont été prélevés.
 
La roche argileuse a une perméabilité très faible, ce qui limite fortement les circulations d’eau à travers la couche et s’oppose au transport éventuel des radionucléides par convection (c’est-à-dire par l’entraînement de l’eau en mouvement). Cette très faible perméabilité s’explique par la nature argileuse, la finesse et le très petit rayon des pores de la roche (inférieur à 1/10 de micron). L’observation de la distribution dans la couche d’argile des éléments les plus mobiles comme le chlore ou l’hélium confirme qu’ils se déplacent majoritairement par diffusion et non par convection. Cette « expérimentation », à l’œuvre depuis des millions d’années, confirme que le transport des éléments chimiques se fait très lentement (plusieurs centaines de milliers d’années pour traverser la couche). Les études menées par l’Andra ont montré que l’impact du stockage serait nettement inférieur à celui de la radioactivité naturelle à l’échelle du million d’années.
 
Concernant la maîtrise des risques d’explosion de l’hydrogène émanant des déchets en sous-sol
 
Certains déchets de moyenne activité à vie longue dégagent de faibles quantités d’hydrogène gazeux (quelques litres par an et par fût), non radioactif. Au-delà d’une certaine quantité, l’hydrogène présente un risque d’explosion en présence d’oxygène. Pour maîtriser ce risque, l’Andra fixe une limite stricte aux quantités d’hydrogène émise par chaque colis de déchets, qui fera l’objet de contrôles. Pour éviter l’accumulation d’hydrogène, les installations souterraines et de surface seront ventilées pendant leur exploitation, comme le sont les installations d’entreposage dans lesquelles se trouvent actuellement ces déchets. Compte tenu de sa contribution à la sûreté de l’installation, la ventilation fait l’objet de mesures de fiabilisation pour réduire le risque de panne. De plus, des dispositifs de surveillance seront mis en place pour détecter toute anomalie sur le fonctionnement de la ventilation. Des situations de perte de la ventilation ont été envisagées. Les analyses de l’Andra montrent que, dans ce cas, on disposera alors de plus d’une dizaine de jours pour la rétablir, ce qui permettra de mettre en place les dispositions nécessaires. Les conséquences d’une explosion au sein d’une alvéole de stockage ont néanmoins été évaluées. Les résultats montrent que les colis de stockage ne seraient que faiblement endommagés, ce qui ne compromettrait pas le confinement des substances qu’ils contiennent. Lorsque la décision de fermer ces alvéoles de stockage sera prise, des massifs en béton seront construits et la ventilation ne sera plus nécessaire (en l’absence d’oxygène, l’hydrogène ne présente pas de risque d’explosion).
 
Concernant la sécurité
 
Du fait de son implantation à 500 mètres de profondeur dans une couche d’argile épaisse assurant le confinement de la radioactivité, le stockage est effectivement une installation peu vulnérable.
 
Conformément au principe de défense en profondeur, l’Andra identifie en amont de la conception les dangers potentiels d’origine interne (chute, collision, incendie, perte d’alimentation …) et externe (foudre, séisme, inondation…) qui pourraient remettre en cause la sûreté de l’installation. Des mesures sont prises par l’Andra pour supprimer ces risques quand c’est possible, surveiller l’installation pendant toute son exploitation pour détecter très rapidement tout incident (surveillance radiologique, surveillance incendie…) et pour y remédier. Par précaution, l’Andra envisage cependant des scénarios accidentels et prévoit un ensemble de dispositions techniques complémentaires et redondantes pour prévenir toute dispersion de radioactivité et limiter les conséquences éventuelles de telles situations. L’évaluation réalisée par l’Andra, à ce stade de la conception, de l’impact des scénarios accidentels, que ce soit en exploitation ou après fermeture, montre que leurs conséquences sur l’environnement resteraient très limitées.
 
Il appartient à l’Andra, maître d’ouvrage et futur exploitant de Cigéo s’il est autorisé, de mettre en œuvre les dispositions techniques et organisationnelles adaptées pour qu’il n’y ait pas de dispersion incontrôlée de radioactivité qui puisse présenter un risque pour l’homme ou l’environnement, que ce soit pendant l’exploitation du Centre ou après sa fermeture. L’Autorité de sûreté nucléaire et ses appuis techniques, l’IRSN et le groupe permanent d’experts sur les déchets, ainsi que la Commission nationale d’évaluation sont chargés de contrôler et d’évaluer les propositions de l’Andra. Les conditions de réversibilité seront définies par le Parlement avant que la création du stockage ne puisse être autorisée, après avis des collectivités territoriales et enquête publique. La décision éventuelle de créer Cigéo reviendra au Gouvernement après un long processus qui durera plusieurs années et qui démarrera lorsque l’Andra aura déposé la demande de création de Cigéo.
 
Les personnes de l’Andra qui travaillent sur les sites de stockage et habitent à proximité sont les premières concernées par la sécurité. Croyez-vous qu’elles accepteraient de travailler sur un site dont la sûreté ne serait pas garantie ? 
 
Concernant votre proposition relative à la réversibilité
 
Si Cigéo est autorisé, notre génération aura mis à la disposition des générations suivantes une solution opérationnelle pour protéger l’homme et l’environnement sur de très longues durées de la dangerosité de ces déchets. Grâce à la réversibilité, les générations suivantes garderont la possibilité de faire évoluer cette solution si elles le souhaitent. L’Andra place cette demande de la société au cœur du projet. Elle a ainsi fait des propositions concrètes pour pouvoir récupérer les colis de déchets si besoin et laisser des choix possibles aux générations suivantes (http://www.debatpublic-cigeo.org/docs/rapport-etude/fiche-reversibilite-cigeo.pdf).
 
L’Andra prévoit dès la conception de Cigéo des dispositifs techniques destinés à faciliter le retrait éventuel de colis de déchets stockés. Les déchets seront stockés dans des conteneurs indéformables, en béton ou en acier. Les tunnels pour stocker ces conteneurs (alvéoles de stockage) seront revêtus d’une paroi en béton ou en acier pour éviter les déformations, avec des espaces ménagés entre les conteneurs et les parois pour permettre leur retrait. Les robots utilisés pour placer les conteneurs dans les alvéoles pourront également les retirer. Des essais à l’échelle 1 ont d’ores et déjà été réalisés avec des prototypes.
 
Dans l’hypothèse d’une opération de retrait d’un nombre important de colis de déchets, de nouvelles installations devraient être créées pour prendre en charge ces déchets. Selon le scénario de gestion retenu, ces installations seraient à construire soit en souterrain tel que vous le proposez (par exemple transfert des déchets d’une alvéole vers une nouvelle alvéole de stockage) soit en surface (reconditionnement éventuel, expédition, entreposage, traitement…). A titre indicatif, le délai nécessaire pour construire et équiper un tunnel de stockage est de l’ordre de 2 ans (cas d’une alvéole pour des déchets de moyenne activité à vie longue) et de l’ordre de 5 ans pour une nouvelle installation nucléaire en surface. Le délai des opérations de retrait serait a priori analogue à celui des opérations de mise en stockage.
 
L’Andra propose que des rendez-vous réguliers soient organisés avec l’ensemble des acteurs (riverains, collectivités, évaluateurs, État…) pour contrôler le déroulement du stockage et pour préparer chaque décision importante concernant les étapes suivantes. Ces rendez-vous permettront de faire le bilan de l’exploitation du stockage, de discuter des perspectives à venir, de faire un point sur l’avancement des recherches en France et à l’étranger sur la gestion des déchets radioactifs et de réexaminer les conditions de réversibilité ainsi que le calendrier prévisionnel de fermeture du stockage. A chaque étape, il sera possible de décider de poursuivre le processus de stockage tel qu’initialement prévu ou de le modifier, par exemple si des solutions alternatives sont identifiées.
 
Le débat public de 2005/2006 s’était conclu sur la question : faut-il faire confiance à la géologie ou à la société ? La conviction de l’Andra est qu’il faut faire confiance à la géologie ET à la société. C’est notre définition du stockage réversible.

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