M. RANQUET.- Ce n'est pas pour l'armement que l'on dépense les plus gros budgets, puisque nous sommes à moins de 10 % de l'ensemble de recherches publiques sur les nanotechnologies. Cela situe le niveau.
M. CHAUSSADE.- Pour les questions de santé et d'environnement, c'est à peu près 5 % dans les programmes de recherche.
Derrière, il y a une masse énorme : comment cela se répartit ?
M. BOTTERO.- L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dépense en recherche 850 M€ en France par an. Le chiffre sur les nano, tout compris, doit avoisiner les 120 M€. On trouve sur le site de l’ANR un bilan avec les grands programmes (médecine, santé, électronique, optique, matériaux au sens large).
M. CHAUSSADE.- Nous donnerons la réponse précise sur le site Internet, conformément à l’engagement de la Commission du débat public.
J'ai une question globale qui pourrait terminer notre débat. Un internaute d'Annonay demande : « Les études sur les nanotechnologies existent depuis fort longtemps et représentent la technologie de demain, avec tous les débordements qu'elle peut susciter. Serait-il possible d'instaurer des règles éthiques sur ce qui est acceptable de faire ou non ? D'un point de vue personnel, il faut définir la science en général qui est le moteur de tous ces dysfonctionnements (exemple les OGM) car les débordements continueront dans tous les autres domaines. La science est la matrice principale ».
Comment peut-on définir des règles d'éthique ? J'ai entendu ici ou là, en particulier à Marseille, certains dire que l'on avait envisagé telle ou telle application, tel ou tel type de recherche, et comme elle présentait des risques de nocivité, on n'a pas poursuivi.
M. GIOVANNINI.- Lors d’une discussion j’avais évoqué cela. Effectivement, nous avions travaillé il y a bon nombre d’années sur la modification des propriétés optiques de billes, en les recouvrant par des couches d'épaisseur d'une centaine de nanomètres. On avait prévu par le calcul que l'on pourrait modifier l'aspect de certaines poudres. Les chercheurs du laboratoire avaient cherché des billes de différentes tailles, et à un moment on avait été contraint d'arrêter ces travaux parce qu'on avait utilisé des billes de trop petite taille que l'on avait placées dans des évaporateurs, parce qu'on nous avait expliqué les risques d’inhalation.
Donc il existe des normes quant à la taille des particules que l'on peut utiliser dans certains procédés. Je ne sais pas si les gens le savent toujours, probablement oui quand c'est dans des laboratoires de l'Etat soumis à certains contrôles, mais il existe des normes quant à la taille des particules pour ces problèmes d'inhalation par les bronches.
M. CHAUSSADE.- Merci. Concernant ces questions d'éthique pour les programmes de recherche, qui veut intervenir ?
M. RANQUET.- Un éclairage supplémentaire : en fait on ne travaille jamais sur les nanotechnologies en tant que telles. Les nanotechnologies ne sont pas isolées, elles servent toujours à quelque chose : de l'électronique, de la mécanique, etc. Tous ces domaines sont soit réglementés soit ont des dispositifs de code d’éthique propres à des communautés. Tout cela est très fortement encadré.
Le travail sur le matériau vivant en France est encadré par des lois strictes et par des codes éthiques dans un certain nombre d’organismes. Le problème qui se pose pour les nanotechnologies, c'est est-ce qu'elles présentent un caractère si spécifique qu'il faille pour elles et elles seules créer une réglementation ou à défaut des règles éthiques particulières ? Mais comme les nanotechnologies ne sont jamais manipulées pour elles-mêmes mais pour des applications, les champs d'application, eux, sont strictement réglementés. En tout cas, les réglementations et les codes généraux définis dans le cadre civil s’appliquent entièrement aux travaux de la défense.
Mme FONTAINE.- En principe, les nanotechnologies ne sont pas directement accessibles, on a un peu à un moment dévié sur la notion des nanoparticules qui est un peu à part. On n'est pas entré dans le détail parce que cela fait l’objet de différents débats et que la question est plus complexe. Il y a des problèmes de définition et de caractérisation.
Pour en revenir sur l'aspect éthique, dans le domaine de la santé on connaît assez bien la notion de bénéfices/risques. On la connaît en particulier dans le domaine du médicament et chaque fois que l'on fait des études ou que l'on met des produits sur le marché, on évalue la balance bénéfices/risques.
Dans le domaine des nano, la difficulté c'est qu'elles peuvent être mises dans des applications banales, comme les chaussettes avec le nanoargent. Autant le nanoargent peut avoir des propriétés intéressantes à utiliser dans le domaine de la médecine ou autrse, autant on peut se poser la question de l'utilité réelle de mettre des nanoparticules d'argent dans les chaussettes juste pour éviter de les laver souvent.
Peut-être que dans les domaines hors santé, on peut se poser la question des bénéfices/risques ou de l'utilité ou de la futilité des applications.
M. CHAUSSADE.- Pour les médicaments, l’AFSSAPS donne les autorisations. Est-ce que cela veut dire que derrière pour tout ce qui serait nanoproduits avec des conséquences éventuelles, estimées, probables, il n’y aurait pas une procédure d'autorisation ?
Mme FONTAINE.- Cette question rejoint toute la législation évoquée avec le règlement Reach, c'est-à-dire l'obligation pour les industriels de s'assurer de la sécurité des substances qu'ils mettent sur le marché.
M. CHAUSSADE.- L'industriel dit : « j'ai fait tel test », mais peut-on aller jusqu'à l'autorisation, avec cette notion bénéfices/risques ? Pour un bénéfice très faible mais un risque évalué, faudrait-il aller vers les nanotechnologies ?
Mme MIR.- C'est une possibilité ouverte par le règlement Reach. On peut émettre des réserves sur le règlement Reach parce qu’il n’a pas été étudié spécifiquement pour les nano, en tout cas les principes du règlement s’appliquent aux nanomatériaux comme aux autres substances.
Il est prévu dans le règlement Reach une possibilité d'interdire des substances, hormis des cas dûment autorisés, comme évoqué par un des intervenants de la salle… On peut utiliser dans certains cas des produits que l'on estime dangereux parce que pour cet usage-là ils sont irremplaçables. On a donc cette disposition de soumettre à autorisation préalable certaines substances que l'on estime dangereuses, encore faut-il que l'on ait des éléments de connaissance pour montrer qu'elles sont dangereuses.
Il existe une autre possibilité dans le règlement, c'est de restreindre certains usages dont on pourrait penser qu'ils pourraient présenter des risques particuliers, par exemple interdire des substances dans des jouets.
Ces dispositions peuvent exister. Une réflexion est nécessaire pour voir si les dispositions réglementaires sont bien adaptées aujourd'hui, s’il faut les compléter ou pas et comment il faut les appliquer.
C'est aussi un des éléments de discussion du débat. Quand on disait que toutes les décisions étaient prises, non elles ne sont pas prises. Une douzaine de nanomatériaux doivent être enregistrés dans le cadre de Reach. Il faudra voir quelle sera la position des Etats-membres de la commission par rapport aux données qui seront apportées par les industriels : est-ce que ces produits sont assez sûrs, est-ce qu'ils peuvent être dangereux et dans ce cas que fait-on ?
M. DALLEST.- Les nanotechnologies ne pourront pas être exonérées du champ légal ou du champ judiciaire. Si ce sont des substances ou des technologies qui peuvent entraîner une certaine nocivité, évidemment en cas de dommages corporels il y aura une procédure de justice, mais même s'il n'y a pas de dommage corporel il y a une incrimination redoutable aujourd’hui qui est la mise en danger d’autrui qui ouvre un champ considérable d’actions à des personnes qui pourraient considérer que leur santé peut être mise en péril par le non respect du règlement.
D’où l’importance de règlements qui vont encadrer l’usage et la production de ces produits. On a parlé des particules, demain un salarié d'une entreprise qui s'estimera victime de ces nouvelles technologies pourra déposer plainte pour blessures involontaires voire pour mise en danger d’autrui. Donc là il y a un champ très important et nous y serons attentifs avec d'autres partenaires comme la répression des fraudes.
M. CHAUSSADE.- La question de l’internaute d’Annonay portait moins sur les nanoproduits mais plus sur tout ce qui est en amont (recherche, développement). Les questions d'éthique ont été abordées à Strasbourg, lors de la première réunion publique. Il y avait là un représentant du comité d'éthique du CNRS qui a fait une intervention remarquée, puisque la salle a applaudi son intervention.
Je vous renvoie au verbatim de Strasbourg pour retrouver cette réponse. Si la réponse ne satisfait pas cette personne, qu'elle veuille réagir auprès de la commission, poser son intervention et nous trouverons quelqu’un pour lui répondre de façon plus complète.
Un INTERVENANT.- En supposant qu'une réglementation soit mise en place avec une demande d’autorisation de mise sur le marché, comme pour les médicaments, sur quels résultats se baserait l'autorité en charge de cette autorisation de mise sur le marché ? Sur les essais du fabricant ou sur une expertise indépendante ?
M. CHAUSSADE.- Cela renvoie au règlement Reach. A ma connaissance, ceci est en pleine discussion avec le Parlement européen. Rien n’est décidé, c’est en réflexion.
Mme MIR.- Effectivement, l'adaptation du règlement Reach aux nanomatériaux est en pleine discussion. Le Parlement a émis une motion vis-à-vis de la commission, qui fait que la commission consulte pour voir ce qu'elle peut faire dès à présent. Ensuite, le processus de révision du règlement Reach va commencer en 2012. Les travaux commencent dès à présent parce que c'est un sujet complexe.
Je voulais répondre plus directement à la question sur les autorisations, qui sont effectivement dans le règlement Reach : est-ce que l'on se base sur les données des industriels ou sur une tierce expertise ? La règle générale pour tous les produits de façon très générale, tant pour les produits phytopharmaceutiques que pour les médicaments, c’est que ceux qui mettent les produits sur le marché doivent faire les études. On leur impose un certain nombre de règles pour ces études, lesquelles peuvent faire l'objet de contrôles a posteriori. Mais en première analyse, c'est aux industriels de faire les études.
Néanmoins les données qui sont disponibles - et il en existe parfois beaucoup - par exemple les données toxicologiques sur les substances, qui sont publiques, sont prises en compte. On ne prend pas forcément uniquement en compte les données des industriels.
Mme ROUSSEAU.- Il y a au niveau de Reach une agence basée en Finlande qui contrôle l'application du règlement pour l’ensemble de l’Europe. Une partie des évaluations réalisées par les industriels est bien contrôlée par cette agence, mais c'est un contrôle de deuxième niveau.
M. CHAUSSADE.- Merci, nous allons en rester là.
Mme COHU.- Je voudrais remercier toutes les personnes qui sont restées jusqu’au bout pour poser leurs questions et débattre.
M. CHAUSSADE.- Je remercie tous ceux qui sont intervenus dans des conditions assez difficiles. Merci d'avoir suivi pour animer notre débat de ce soir. Il faut aussi remercier la municipalité de Marseille qui nous a offert cette grande salle. Je regrette seulement que cela n'ait pas été à la hauteur de ce sujet important.
Le débat continue, vous pouvez sur Internet réagir à tout ce qui a été dit ce soir, apporter des avis, des contributions, poser vos questions. Vous serez toujours les bienvenus. Merci et bonsoir à tous.
La séance est close à 22 heures 40.
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