Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu de la réunion publique de Bordeaux

COMPTE RENDU INTEGRAL DE LA COMMISSION PARTICULIERE DU DEBAT PUBLIC A BORDEAUX

Mardi 3 novembre 2009

Programme :
Séquence 1 : Nanotechnologies et protection des travailleurs
Animateur : Jean Bergougnoux, président de la CPDP

Avec la participation de Daniel BERNARD (ARKEMA), Patrick BROCHARD (Université Bordeaux II), Serge LOPEZ (Directeur régional du travail de l’emploi et de la formation professionnelle), Pierre-Yves MONTELEON (CFTC), Simon CHARBONNEAU (FNE, juriste)
 
Séquence 2 : Des nanosciences aux nanotechnologies
Animateur : Isabelle Jarry, membre de la CPDP

Avec la participation de Cécile ZAKRI (centre de recherche Paul Pascal), Philippe POULIN (centre de recherche Paul Pascal), David JACOB (Cordouan technologies), Etienne DUGUET (CNRS/ICMCB)

Le débat est ouvert à 19 heures 34 sous la présidence de Jean BERGOUGNOUX.

M. BERGOUGNOUX. - Bonsoir à tous. Je dirai quelques mots d'introduction avant que nous n'entrions dans le vif du sujet.
Je m'appelle Jean BERGOUGNOUX. Je préside la Commission particulière du Débat public chargée d'organiser ce débat national sur les nanotechnologies.
Près de moi, Isabelle JARRY, membre de la Commission particulière du Débat public, animera la deuxième séquence de cette soirée.


Cette rencontre à Bordeaux est la quatrième d'une série de 17 réunions. Il s'agit donc d'un débat au long cours qui nous mènera dans différentes régions de France, partout où des activités sont liées aux nanosciences ou aux nanotechnologies.
La première réunion s'est tenue le 15 octobre à Strasbourg ; elle a été centrée - comme il est naturel à Strasbourg - sur la question de la gouvernance européenne et son interférence avec ce que nous pouvons décider de notre propre chef en France.


La deuxième réunion a eu lieu à Toulouse et a permis de parler des applications médicales des nanotechnologies, ainsi que d'une question difficile, qui est le cycle de vie des nanomatériaux (jusque et y compris à la déchetterie) et son impact sur l'environnement.
La troisième réunion a eu lieu la semaine dernière à Orléans et a permis, en partant de l'exemple très instructif de la cosmétologie, de poser la problématique de la protection du consommateur.
L'ensemble de ces réunions a rassemblé à peu près de 900 personnes.
Il est tout de même important de noter que, parallèlement à ces réunions publiques qui sont la face la plus visible du débat, le site Internet que nous avons créé (www.débatpublic-nano.org) fonctionne plutôt bien, puisque nous totalisons déjà 28 000 visites, 144 000 pages consultées, plus de 60 avis déposés et 220 questions. Ces questions auront toutes une réponse, la CPDP s'y engage.


Je rappellerai que ce débat a été décidé par la Commission nationale du Débat public, autorité indépendante chargée d'organiser les débats publics en France à la demande de sept ministères directement concernés par le développement des nanotechnologies, leurs avantages et les interrogations qu'elles posent, qui ont été résumés dans le film que vous venez de voir.
A partir du moment où la Commission nationale du débat public a décidé d'organiser le débat et a créé une commission particulière pour l'animer, il importe d'avoir bien conscience que nous, Commission particulière, agissons en toute indépendance par rapport au commanditaire du débat, que j'appellerai pour plus de commodité le «maître d'ouvrage».


Nos objectifs sont clairs : il s'agit d'informer un public aussi large que possible des problématiques complexes des nanotechnologies, d'écouter ce que ce public a à dire, d'écouter ses attentes et aussi ses inquiétudes, ses préoccupations et, enfin, de rendre compte objectivement de tous les arguments échangés pendant le débat.


Ce rapport, qui sera établi dans les deux mois qui suivent la dernière réunion qui aura lieu à Paris le 23 février 2010, sera public et sera bien entendu remis aux ministres qui ont demandé le débat. Dans les trois mois suivants, ceux-ci diront les suites qu'ils comptent donner au débat et les orientations qu'ils en tirent dans différents domaines. Vous avez vu que Jean-Louis BORLOO s'est formellement engagé, en disant : «Je suis à votre écoute et nous tiendrons compte de tout ce qui aura été dit».
Au-delà des ministres commanditaires, les arguments échangés pourront être aussi très utiles aux chercheurs, aux entreprises, aux associations et peut-être même aux simples citoyens qui, ayant suivi ce débat, se seront dit : «Voilà un sujet important qui vaut la peine d'être vigilant et je vais le suivre».
Comment le débat se passe-t-il ? J'ai déjà évoqué les 17 réunions publiques - dont Bordeaux est la quatrième -, le site Internet et les conclusions qui en seront tirées. Les moyens d'information mis à la disposition du public - puisque tel est notre principal devoir - consistent en :

 ➢
un dossier d'initialisation, qui a été mis dès le 23 septembre sur le site Internet ; vous l'avez trouvé sur les tables à l'entrée.

un gros document, que l'on appelle traditionnellement le dossier du maître d'ouvrage et qui comprend 120 pages à peu près. Il a été souhaité à la fois pédagogique et scientifiquement exact et également équilibré entre les potentialités du développement des nanotechnologies et les risques qu'elles peuvent comporter. On l'a voulu également très ouvert sur des problématiques très larges de société, d'équilibre géopolitique, etc. Ce sont les ministères commanditaires qui ont rédigé ce dossier sous l'œil vigilant de la Commission particulière, laquelle a soigneusement veillé à ce qu'il réponde aux différents critères. Ce dossier a été approuvé par la Commission nationale.
Nous l'avons cependant complété par une synthèse des travaux du Nanoforum du CNAM. Il s'agissait cette fois-ci de réunions essentiellement entre personnes connaissant bien les problématiques des nanotechnologies, mais c'est un travail collectif qu'il nous a semblé important de porter également à la connaissance du public.
 ➢
un modeste opuscule émanant de la Commission particulière du débat public, expliquant comment on participe à ce débat.
Concernant ce dernier point, sachez que, lorsque vous êtes en réunion publique, vous pouvez poser des questions, émettre des avis, apporter des contributions au débat. Vous pouvez poser ces questions par écrit grâce aux petites fiches qui vous ont été données. Cela vous donne une garantie qu'elles figureront sur le site Internet et que la réponse vous sera apportée avec tout le sérieux nécessaire. Les questions orales sont également les bienvenues, pour que le débat soit vivant.
Ensuite, sur le site Internet, vous pouvez écrire, apporter des contributions, poser des questions, etc. Il fonctionnera de façon interactive, même si un délai de quelques jours est nécessaire pour que le maître d'ouvrage, notamment, apporte des réponses bien étoffées.
Le dernier point que je voulais évoquer est l'organisation de la réunion de ce soir. Elle sera composée de deux séquences :
 
la première séquence sera consacrée à la protection des travailleurs en matière de nanotechnologies,
 
la seconde séquence, qui s'intitule «Des nanosciences aux nanotechnologies», essaiera de montrer comment il est possible de passer de la réflexion scientifique à des applications intéressantes, notamment par l'intermédiaire d'entreprises - souvent petites - innovantes.

Nanotechnologies et protection des travailleurs

 

 Voilà ce que je voulais dire en introduction ; j'appelle à présent les panélistes de la première séquence : Simon CHARBONNEAU (FNE, juriste), Daniel BERNARD (directeur scientifique d'ARKEMA), Patrick BROCHARD (Université Bordeaux II), Serge LOPEZ (Directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle) et Pierre-Yves MONTELEON (représentant la CFTC).
Au-delà de ces panélistes, sont présents dans la salle des experts, des représentants du maître d'ouvrage, d'autres personnes qui ont souhaité prendre la parole, comme la CFTC, par exemple. Elle ne sera pas seule, d'autres organisations syndicales parleront. Bien entendu, l'objectif essentiel est de répondre aux attentes du public, aux questions que vous vous posez.
Un thème permettra de traiter assez largement la question des dangers et des risques des nanotechnologies, en partant d'un exemple qui s'impose localement : les nanotubes de carbone. Cela dit, nous pourrons déborder quelque peu si vous le souhaitez. Vous pouvez poser des questions qui ne sont pas strictement dans le thème ; on s'efforcera d'apporter des éléments de réponse et ces questions seront approfondies en temps utile dans d'autres réunions publiques et sur le site Internet.
A présent, je donne la parole à Simon CHARBONNEAU, dont je ne sais plus s'il parle au nom de France Nature Environnement ou…

M. CHARBONNEAU. - Il faut savoir que je parle au nom de la SEPANSO, qui est membre de FNE, mais les positions de la SEPANSO ne sont pas les mêmes que celles de la FNE, sur ce sujet comme sur d'autres.
Pour aborder la question, je partirai des principes posés par la Charte constitutionnelle de l'environnement, article 7 (information et participation du public) et article 5 (principes de précaution), que l'on applique de manière très précautionneuse. Ces deux principes sont applicables au Code du Travail ; ce n'est pas simplement le Code de l'Environnement, c'est très important.
Concernant le débat public, au regard de ces principes, il y a eu des précédents : ce sont les débats publics sur les projets nucléaires d'EPR et d'ITER. Ils ont en commun le fait d'être des débats publics a posteriori, sur un fait accompli.
Il faut savoir que ce n'est pas du tout conforme à la loi ni au principe constitutionnel, puisque le débat public doit avoir lieu avant toute prise de décision. Or, je rappellerai qu'il y a eu des financements, en particulier des financements publics… J'aurai une question à poser à ARKEMA à ce propos. Je voudrais savoir la proportion des financements consacrés au développement de ces technologies et de ceux consacrés à l'évaluation préliminaire des risques. Le dossier ne comprend aucune indication de ce côté… Je crains qu'il n'y ait une certaine disproportion concernant ces financements.
Sur le fond même du problème, je le résumerai en disant que la boîte de Pandore est ouverte et que l'on n'a tiré aucune leçon des expériences du passé en matière de crises environnementales et sanitaires engendrées par la dissémination de molécules chimiques. Il y a un mode de fonctionnement social qui, combiné avec de la technologie, peut aboutir à des situations de crise majeure.
Comme nous assistons à une avancée considérable concernant ces innovations technologiques, les prises de risques sont majeures et, à mon avis, les réponses envisagées ne sont pas à la hauteur du problème, en particulier compte tenu de la rapidité du processus de développement.
On ne peut pas prétendre réguler avec un processus extrêmement rapide. Il faut que les chercheurs et les industriels acceptent qu'il y ait un frein à ce processus. Si l'on veut foncer comme avant, comme pendant les Trente Glorieuses, on va créer des situations irréversibles qui pourront être gravissimes pour la santé publique comme pour l'environnement. A mon avis, il y a une contradiction complète entre, d'une part, le fait de favoriser le développement accéléré de ces technologies et, d'autre part, le fait de prétendre les maîtriser. De ce côté-là, le conflit est insurmontable. Nous devrions retenir les leçons du passé, mais nous ne le faisons pas.
La prise de risques est majeure et elle est socialement et politiquement inacceptable. Ces questions ne sont pas seulement techniques, mais également sociopolitiques. C'est la raison pour laquelle il y a un débat public, mais c'est un débat public a posteriori : là est le problème.
Ma conclusion, puisqu'il faut être bref, paraît-il, est que l'on ne peut qu'envisager un moratoire et on ne va pas en mourir, s'il y en a un. En revanche, si l'on continue à foncer tête baissée, on aura des surprises absolument énormes. C'est ce que l'on appelle la logique de l'imprévisibilité des processus de développements techniques accélérés, tels que l'a analysé ici il y a cinquante ans déjà un de mes maîtres, Jacques ELULL, un sociologue bordelais, très connu à l'étranger.
(Applaudissements.)

 

 

M. BERGOUGNOUX. - Merci, Monsieur CHARBONNEAU. Quelqu'un dans la salle souhaite-t-il aller dans le sens de M. CHARBONNEAU ou, au contraire, dire qu'il considère que ce débat public est nécessaire ? Vous avez la parole, Monsieur…

M. BLANC. - Je m'appelle Alain BLANC. Je pense que ce débat, à partir du moment où il s'agit d'un débat public national, n'a pas grand sens. A Bordeaux on discute de cela et à Strasbourg on discute d'autre chose, mais l'information ne passe pas, de façon générale. Or, si l'on veut que ce soit un débat public, il faut que dans chaque ville il y ait un débat sérieux.
Au sein du milieu associatif, il y a eu beaucoup de débats pour savoir s'il fallait y participer ou pas. Finalement, un certain nombre de personnes sont présentes, mais selon moi, ce débat public - comme les précédents qui ont eu lieu à Bordeaux - est un simulacre de débat. On aurait beaucoup à dire à Bordeaux sur les débats publics, mais nous n'allons pas énumérer tous ceux qui sont passés et qui ont été ratés… Nous n'espérons pas que celui-là réponde à la problématique des nanotechnologies puisque, comme l'a dit Simon CHARBONNEAU, ce débat est lancé alors que des centaines de produits nous sont déjà proposés sans qu'on le sache et qu'ils sont bourrés de nanotechnologies…

(Applaudissements.)


M. BERGOUGNOUX. - Merci. Y a-t-il une autre intervention ?

 

M. AIMÉ. - Je suis Jean-Pierre AIMÉ, Directeur du C'Nano Grand Sud-Ouest (GSO), un réseau qui a pour vocation de développer les nanosciences et nanotechnologies (en tant que chercheur).

Votre intervention présente deux aspects :

 ➢ l'aspect juridique, la notion de débat public postérieur,
 ➢ l'aspect moratoire, qui me surprend beaucoup, concernant le développement des connaissances et des nanosciences.

 

Dans le domaine des sciences, les nanosciences ne sont qu'une partie du développement. Elles ont commencé dans les années 1980, c’est-à-dire il y a près de trente ans.
Du point de vue de la recherche, c'est un développement naturel dans lequel vous pouvez dire que, tout compte fait, faire de la recherche et du développement des connaissances, nécessite un moratoire. Concernant le développement de la connaissance, avoir un moratoire n'est pas trivial. Je pourrais faire une métaphore sur ce point… On ne voit pas comment, dans le domaine des nanosciences, on pourrait la bloquer en tant que recherche.
Lorsque vous parlez de l'environnement, par exemple, l'ensemble des connaissances qui se développent à l'échelle nanométrique (à l'échelle des petits objets) permet aussi d’améliorer les cycles de vie. Elles apportent aussi de l'information sur la façon dont on vit dans notre environnement.
Je comprends assez bien les problèmes de régulation, mais dans le développement de la recherche elle-même (y compris en matière de nanotechnologies), il y a aussi celui des connaissances, qui permet d’appréhender beaucoup mieux le milieu dans lequel on vit. Ainsi, comme on le comprend beaucoup mieux, on donne des éléments d'information, qui permettent ensuite de trouver les bonnes régulations.
Cela dit, lorsque l'on développe une recherche notamment dans un laboratoire, si l'on savait tout ce à quoi on arriverait, on ne la ferait pas… Dans le domaine des nanosciences, concernant les inquiétudes que vous avez, en définitive et sans être vraiment optimiste, on crée également les situations qui permettent de trouver des solutions qui n'apparaîtraient pas, ne serait-ce que par exemple dans les années 1980, où l'on n'avait pas encore développé les outils pour étudier les nano-objets.
 
M. JANIN. - Jean-Louis JANIN, ingénieur retraité de la fonction publique. Franchement, je ne suis pas du tout d'accord avec ce qui a été dit. J'aime beaucoup Jacques ELULL, mais il est mort il y a dix ou quinze ans…
S'il n'y a pas de débat, il n'est pas possible de poser des questions. Je suis venu ici pour en poser. En particulier, je voudrais savoir si les ingénieurs savent un peu plus que ce que j'ai pu apprendre il y a quarante ans sur les équations de Schrödinger, puisque je crois que l'on est dans le domaine de la mécanique quantique lorsque l'on est dans les nanotechnologies. Je n'aimerais pas que l'on joue au docteur Folamour dans ce domaine.

M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie…

M. LABRE. - Je suis Jean-Claude LABRE (?), citoyen. Concernant les chercheurs, entre autres dans les laboratoires, quelles sont les organisations concernant la protection de ces personnes ? Quelle est la traçabilité, de leur origine jusqu'à leur élimination, des produits des laboratoires ? Quel retour d'expérience avons-nous depuis trente ans dans ce domaine ? Je parle de l'homme au travail et aussi du devenir. J'attends volontiers une réponse.

M. BERGOUGNOUX. - Vous aurez sûrement des éléments de réponse, mais nous pouvons peut-être essayer de répondre à la question très précise que vous posez concernant la protection des chercheurs et la traçabilité des produits. Le docteur Daniel BLOCH va prendre la parole.
 

 

Dr BLOCH. - Je vous remercie. J'ai préparé deux ou trois diapositives pour illustrer mes propos. Je suis médecin du travail au CEA depuis 1987. Je suis à Grenoble et j'ai vu ce centre se développer petit à petit dans le domaine des nanotechnologies. Je suis actuellement le conseiller médical du CEA pour les questions de nanomatériaux.
Je vais vous expliquer très simplement la façon dont est pris en compte ce risque pour les chercheurs qui travaillent dans des établissements.
(Projection)

Sur cette diapositive, vous voyez ici très schématiquement les grandes actions que nous avons mises en place sur l'ensemble de nos établissements.
Premièrement, il s'agit de recenser les personnels et les postes susceptibles d'être exposés à des nanoparticules. En effet, le risque réside bien dans les nanoparticules et non dans les nanotechnologies dans leur ensemble.
En procédant à ce recensement, on s'aperçoit que, dans nos établissements de recherche, à peu près 10 % de personnes sont potentiellement exposées aux nanoparticules, alors qu'un bien plus grand nombre travaille dans les nanotechnologies. La première étape consiste donc à identifier les postes et personnes présentant un risque réel d'exposition.
Deuxièmement, nous avons passé en revue tous les postes de travail les uns après les autres. Nous avons réalisé une évaluation qualitative des risques potentiels d'exposition à ces nanoparticules, en prenant des paramètres relativement simples à apprécier, tels que les quantités de matériaux que l'on va mettre en œuvre, la façon dont ce sera fait. Est-ce que ce seront des poudres sèches ou en solution ? Est-ce que ce seront des poudres qui seront incluses dans des matrices ou fixées sur des supports ? Tous ces paramètres sont très importants pour apprécier le risque d'exposition des personnes.
Ensuite, suite à ces analyses, ont été mis en place des moyens de protection de façon proportionnée, en fonction des risques tels qu'ils ont été évalués. Notre objectif est de faire en sorte que les personnels ne soient pas exposés du tout.
Ces moyens de protection sont plus ou moins contraignants, en fonction des résultats de cette analyse qualitative. Il peut s'agir de simples « aspirations » aux postes de travail, de hottes ventilées, de boîtes à gants (cette fois-ci, il s'agit donc d'un confinement total). En dernier recours, on peut équiper les personnes d'appareils de protection respiratoire individuels.
Nous avons donc une démarche de prévention a priori : il s'agit de faire de la prévention a priori, avec des moyens proportionnés à l'évaluation des risques, telle que l'on a pu la faire de façon qualitative.
L'étape suivante consiste à vérifier que tout cela est efficace. C'est ce que nous sommes en train de développer maintenant. Nous allons effectuer des mesures aux postes de travail, pour savoir si l'on retrouve ces nanoparticules dans les ambiances de travail.
Nous avons également mis en place un guide de bonnes pratiques, ainsi qu'une formation spécifique pour le personnel.
Pour répondre à la question concernant la traçabilité des expositions, nous l'avons organisée de la manière suivante. Pour chaque salarié, une fiche décrit les conditions dans lesquelles celui-ci pourrait être éventuellement exposé à des nanoparticules. Cette fiche sera incluse dans le dossier médical, pour que dans dix,  vingt ou trente ans, on puisse retrouver ces données objectives si nécessaire.

M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie. Je crois que M. CHARBONNEAU voulait répondre…

M. CHARBONNEAU. - Il faut arrêter de présenter toujours la recherche comme des chercheurs travaillant dans une bulle. Ils sont financés par l'industrie en grande partie, par les pouvoirs publics également. Surtout, le passage de l'état de la recherche à celui de production industrielle est de plus en plus rapide.
La recherche n'est pas innocente. Il peut y avoir des recherches utiles, j'en conviens, mais je demande justement quelle est la proportion des financements consacrés au développement des nanotechnologies et, d'autre part, la proportion des recherches consacrées à la toxicologie d'une manière générale et à l'évaluation des risques. De ce côté-là, il n'y a pas eu de réponse.

M. BERGOUGNOUX. - Sur ce point, je crois que Catherine LARRIEU va vous donner quelques éléments.
 
Mme LARRIEU. - Bonjour, je suis représentante du ministère du Développement durable, donc «maître d'ouvrage» comme le disait Jean BERGOUGNOUX, l'Etat ayant souhaité que ce débat soit organisé et puisse se tenir.
Par rapport au rythme, il n'est pas possible de répondre de manière statique à la question des nanotechnologies. Certains développements sont très rapides en matière de recherche, de recherche appliquée et, ensuite, en matière de passage de ces recherches dans des produits ou des procédés industrialisés.
Nos modes d'étude et de décisions classiques – je rejoins tout à fait M. CHARBONNEAU – sont plus lents que ces développements de recherche et de technologie. Nous avons des modes de travail normaux (classiques, en tout cas) sur ces questions : la recherche, puis la recherche sur les risques, puis l'adaptation d'éventuelles réglementations, de dispositifs de régulation et de recherche complémentaire, puis une information du public et, enfin, des conséquences sur l'autorisation ou non de mise sur le marché.
Nous voyons bien que nous avons là un rythme plus rapide en termes de développement technologique (pas seulement en France, mais aussi au niveau international) que cette étape très séquentielle.

C'est pour cette raison que nous avons demandé à la Commission nationale d'engager ce débat public. Par rapport à la nouveauté de ce type de questions, nous avons absolument besoin de mener de front la poursuite de développements de recherche et de développements technologiques sur des applications où, de toute évidence, les gains sont importants à la fois pour les entreprises mais aussi pour la satisfaction d'un certain nombre de besoins médicaux, énergétiques, etc.
De ce point de vue, l'Etat a priori - sauf s'il ressortait autre chose du débat - n'a pas prévu pour l'instant de ralentir ces développements, mais bien de les accélérer.
Par ailleurs, un travail en parallèle est mené sur l'évolution de l'information et de la réglementation. Le Grenelle de l'Environnement a bien posé les bases de ces besoins. Il n'a pas appelé à un moratoire, mais à une meilleure information ; en parallèle, il a appelé à l'organisation de ce débat.
Concernant la question très précise de la répartition entre recherche applicative, recherche fondamentale et recherche sur les risques, pour l'instant la recherche sur les risques est beaucoup plus petite que les autres, c'est évident. Elle est moindre en France par rapport au niveau européen (la part relative est plus petite) et l'un des objectifs est notamment d'augmenter cette part de recherche sur les risques.


M. BERGOUGNOUX. - N'anticipons pas sur les conclusions que pourront tirer les ministres de ce débat, mais le problème a effectivement bien été posé.


M. FRASCA. - Mon nom est Eric FRASCA. Je représente la fédération Chimie de la CGT. Que les chercheurs cherchent, nous pouvons le comprendre… On peut imaginer qu'ils soient en mesure de se protéger contre les risques qu'ils génèrent en cherchant. Cela dit, comment faire pour protéger les travailleurs contre des risques que l'on ne connaît pas et que l'on ne maîtrise pas ?