M. CHAUSSADE.- J'ai l'impression que l’on en est loin, c'est peut-être plutôt un rêve. Je n'ai jamais entendu parler d'avions propres. Ce serait à quelle échéance ?
M. SOULAGE.- Tout dépend de quel type d’avions on parle. Pour un avion type Airbus, effectivement aujourd’hui on n’envisage pas d'avions électriques à court terme. En revanche, on parle d’avions avec plus de composantes électriques à bord et donc moins polluants. ,
Concernant l'aviation légère, il y a déjà des petits avions qui volent, par exemple des ULM volent à l'électricité. En région, l’association APAM* a fait un gros travail sur l’avion électrique. On arrive à avoir des avions qui tiennent une heure ou deux, ce n'est pas encore suffisant mais compte tenu des évolutions des technologies et de ce que l’on peut espérer sur l’augmentation des performances de stockage, on peut raisonnablement penser qu'à l'échéance de quelques années on aura des avions qui volent de façon propre.
M. CHAUSSADE.- Je m'adresse à Marc Sentis. Il y aussi des domaines sur lesquels vous travaillez, comme les lasers, les plasmas, les procédés photoniques. Concrètement, sur quelles applications travaillez-vous ?
M. SENTIS.- Je dirige un laboratoire au CNRS qui travaille dans le domaine des lasers et des procédés lasers.
Le lien avec les nanotechnologies, c'est que nous allons développer des procédés dans des domaines très divers, dans le photovoltaïque, dans le domaine de la santé et dans le domaine connexe qu'on appelle l'ultra propreté.
Dans le domaine du photovoltaïque, ce qui nous intéresse c’est de structurer la surface pour qu'elle soit plus absorbante. Globalement, vous avez tous peut-être joué avec la fumée émise par un feu pour noircir une surface. En fait, dans le laboratoire on va chercher à maîtriser l'interaction entre un laser et un matériau pour noircir la surface du silicium. On peut par ce biais augmenter fortement le rendement des cellules photovoltaïques. C'est un premier projet de recherche.
Un deuxième sujet concerne la fabrication de ce que l'on va appeler des nanoagrégats pour la santé. Ces nanoagrégats peuvent être comparés à des bateaux qui transporteraient quelques marchandises vers le port, le port étant globalement une tumeur cancéreuse. Ces nanoagrégats vont être fabriqués par laser, ils seront d'une taille d'une centaine de nanomètres et transportés par le sang jusqu'aux tumeurs où l’on pourra déclencher une réaction de nouveau par voie optique pour délivrer un effet avec un médicament ou autre et tuer cette tumeur de manière relativement propre et peu envahissante pour le patient.
M. CHAUSSADE.- D’autres questions dans la salle ?
Un INTERVENANT.- Je sais qu'il y a des armes incroyables, telles les armes bactériologiques comme l'anthrax. Si les nanotechnologies sont des molécules complexes, comme les virus sont des molécules complexes, on pourrait faire des virus géniaux. Ce serait l'arme ultime. On pourrait peut-être faire des virus qui ne tueraient que des gens qui n'ont pas le bon gène, qui supprimeraient certaines ethnies.
M. CHAUSSADE.- Est-ce que l’on travaille sur ce genre de chose ? On revient là sur le contrôle de ces programmes de recherche.
M. RANQUET.- La réponse est catégoriquement non. Comme je l'ai dit, la recherche pour le développement d’armes biologiques est strictement interdite et la France s'y plie scrupuleusement.
En revanche notre interlocuteur soulève une bonne thématique. D'ailleurs, l'idée de faire des virus ou des agents de guerre biologique pouvant cibler des populations, d'autres l'ont eue avant lui et avaient même commencé à le mettre en application il y a un certain nombre d'années, notamment en Afrique du Sud. Ce sont des choses contre lesquelles la communauté internationale a très fermement réagi et ces recherches sont absolument prohibées.
Mon avis personnel, c'est que ceux qui voudraient se lancer dans ce type de développement disposent aujourd’hui d’un certain nombre d'agents pathogènes beaucoup plus simples et beaucoup plus faciles à mettre en œuvre que des nanoparticules. Je ne vois pas pourquoi ils prendraient la peine de se lancer dans des développements aussi difficiles alors qu'avec un virus de variole ou de peste on pourrait obtenir des résultats tout à fait suffisants à leurs yeux.
M. CHAUSSADE.- Je m'adresse à Hugues Giovannini. Vous êtes de l’Institut Fresnel. Vous travailler sur la photonique. J'aimerais vous entendre sur tous les travaux que vous faites dans ce domaine de la photonique.
M. GIOVANNINI.- L'institut Fresnel est un laboratoire qui travaille dans le domaine de la photonique, qui est le terme moderne qui a remplacé l'optique. Nous travaillons sur l'interaction entre autres entre la lumière et des objets. Nous sommes amenés à nous intéresser à des interactions qui se produisent à l'échelle nanométrique parce qu'il y a un paramètre qui définit l’échelle de l’interaction entre une onde et la matière qui est la longueur de l’onde qui rencontre les objets. Il se trouve que la lumière a une longueur d'onde de quelques centaines de nanomètres.
Depuis que les opticiens étudient la lumière, ils font sans le savoir des nanotechnologies parce qu'ils étudient des phénomènes qui se produisent à l'échelle de la dizaine, voire de la centaine de nanomètres. Ce sont des choses que les insectes entre autres ont développé depuis bien longtemps pour se reconnaître, pour se cacher, en développant sur leurs ailes ou la surface de leurs yeux des surfaces avec des structures à l'échelle des nanomètres, qui font que ces objets ne renvoient pas la lumière comme des surfaces classiques non structurées. Cela permet notamment aux mites d'échapper à leurs prédateurs.
On voit bien, depuis le début des discussions, que dans les nanotechnologies on a fourré un peu tout. C'est peut-être pour cela que les débats partent un peu dans tous les sens et qu’il y a de telles réactions.
On a parlé des virus parce que les virus sont tout petits, d’une dimension d’un nanomètre, peut-être moins. On parle de la longueur d'onde de la lumière et donc des nanotechnologies qui sont des surfaces structurées à l'échelle du nanomètre, de la microélectronique. Tout cela, les gens l’ont appelé nanotechnologie mais cela regroupe des choses qui sont très différentes. Il ne faut pas faire d'amalgame. Il y a effectivement des virus dont on peut imaginer qu'il y a des applications nocives, mais on peut aussi imaginer des applications plus simples comme sur nos lunettes des antireflets avec une surface qui réfléchit moins la lumière et qui permet de mieux voir à travers les verres. Ces surfaces ont des épaisseurs de l’ordre de la centaine de nanomètres mais ce sont des choses assez différentes de ce dont on a pu entendre parler, tels que les virus, etc.
A l’Institut Fresnel, nous avons étudié les métamatériaux pour essayer de maîtriser un peu l’interaction entre la lumière et des objets un peu complexes, en rajoutant des inclusions réparties périodiquement, à une distance de l’ordre de quelques centaines de nanomètres, qui modifient fortement les propriétés optiques de certains matériaux transparents, qui permettent d’augmenter les performances des microscopes, des télescopes, de concevoir de nouvelles lentilles. Ce sont des choses que nous faisons de manière théorique mais aussi de manière expérimentale.
M. CHAUSSADE.- Vous améliorez les caméras des portables aussi ?
M. GIOVANNINI.- Oui. En fait, à chaque fois qu’il y a de l'optique, on fait appel aux opticiens pour améliorer les transmissions des systèmes : il y a des appareils photos sur les portables, il y a des détecteurs de lumière. On demande à imaginer des solutions qui augmentent les performances.
M. CHAUSSADE.- Une dernière question : qu’est-ce que la cape Harry Potter qui rend l'homme invisible a à voir avec la photonique ?
M. GIOVANNINI.- C'est une application un peu sexy, qui a été utilisée pour communiquer sur ces sujets. Structurer la matière à l'échelle de la longueur d'onde modifie les propriétés optiques des matériaux.
Vous prenez un morceau de verre transparent, vous rajoutez des inclusions correctement réparties et vous rendez ainsi ce morceau de verre totalement réfléchissant. Cela montre que l’on peut modifier les propriétés des matériaux en structurant la matière à l'échelle du nanomètre.
Les chercheurs sont allés un peu plus loin, pour l’instant uniquement de manière théorique dans le domaine optique. Ils se sont dits qu’ils pourraient faire en sorte que la lumière ne traverse pas des matériaux, ne soit pas réfléchie mais tout simplement contourne ces matériaux. Contourner un matériau, cela veut dire que si l’on met quelque chose à l'intérieur, l’onde va se retrouver de l'autre côté de la source de lumière, comme elle l'aurait été s'il n'y avait pas eu cet objet entre la source de lumière et l’observateur. C’est cela l'invisibilité.
Dans le domaine optique, c’est utopique pour l’instant. Les solutions théoriques seront certainement très difficiles à mettre en œuvre. En revanche, les principes ont été démontrés dans le domaine des radios fréquences et également dans celui des ondes de surface. Des gens ont montré expérimentalement et théoriquement qu'il était possible de dévier des vagues à la surface de l'eau en obtenant un effet similaire à celui de la cape d'invisibilité, ce qui a fait l'objet de pas mal de réflexions pour essayer de protéger les côtes de grosse vagues anormales.
M. RANQUET.- Votre cape de Harry Potter me fait réagir. Je pense à une application qui vient d'être décrite. Les mêmes technologies, à base de couches avec des propriétés optiques, électromagnétiques particulières, sont mises en application pour obtenir la furtivité en matière aéronautique. Cela consiste à rendre les avions moins visibles en particulier aux radars, ce qui a un intérêt militaire évident.
M. CHAUSSADE.- D’autres questions dans la salle ?
Un INTERVENANT.- Pour revenir au sujet des applications militaires en matière bactériologique, j’entends une réponse officielle selon laquelle les armes bactériologiques sont interdites, donc on n'y travaille pas, mais comment le croire et quel type de contrôle citoyen est mis en place pour contrôler que dans les laboratoires militaires qui travaillent sur la bactériologie et la virologie on ne travaille pas à des armes ?
M. RANQUET.- Le cas est différent pour les armes chimiques et les armes biologiques. Pour les armes chimiques, la convention internationale d’interdiction des armes chimiques a prévu un dispositif d'inspection internationale. Les laboratoires susceptibles de travailler sur ce type d'application, qu'ils soient militaires, civils, industriels, universitaires, sont susceptibles d'être inspectés par des corps d'inspecteurs internationaux parfaitement indépendants et dépendants de l'organisation d'interdiction des armes chimiques, basée à Genève qui a toutes les garanties de citoyenneté mondiale voulues.
Pour les armes biologiques, la situation est un peu différente dans la mesure où il n’y a pas de régime d’inspection au sein de cette convention. La vérification que ces recherches sont effectivement interdites et que cette interdiction est respectée repose sur les autorités nationales. En France, c'est le gouvernement et le ministère de la Défense qui sont chargés de la faire respecter.
M. CHAUSSADE.- Cette réponse satisfait-elle la personne qui a posé la question ?
L’INTERVENANT.- Absolument pas ! Je n’avais pas évoqué les armes chimiques et la réponse est venue sur les armes chimiques. Il n’y a donc pas d'inspection sur les recherches sur les armes bactériologique et les virus. Qu'est-ce qui est prévu et en quoi le débat public permet de mettre en place un contrôle sur le développement de ce type d'armes en France, à Grenoble en particulier ?
M. RANQUET.- J'ai répondu sur les points chimiques et biologiques parce que les cas ne sont pas tout à fait identiques. Pour le domaine biologique, je répète qu’effectivement c'est interdit et que l'interdiction est appliquée par les services du ministère de la Défense qui dispose d'un corps d’inspection et d’un corps de contrôleurs complètement indépendants des laboratoires et des scientifiques.
Le ministre de la Défense, que je sache, n'est pas un Monsieur tout seul dans son coin, il est contrôlé par le Parlement et la représentation nationale.
L’INTERVENANT.- Les armes ne sont pas développées uniquement par le ministère de la Défense ! Il y a bien des entreprises privées qui y travaillent ?
M. RANQUET.- Pas dans ce domaine.
L’INTERVENANT.- Comment peut-on vous croire sur le fait qu'il n'y ait pas d'entreprises privées qui travaillent sur le développement d'armes bactériologiques aujourd'hui en France ?
M. RANQUET.- Vous êtes libre de ne pas me croire, mais moi je suis libre de vous dire ce qui est.
L’INTERVENANT.- Quel contrôle citoyen peut être mis en place ? Ce n'est pas la question de croire ou pas. Quel contrôle citoyen est mis en place pour permettre au peuple de vérifier cela ?
M. RANQUET.- C'est une excellente question. Je répondais en termes de croire ou pas croire parce que c’est notre interlocuteur qui avait porté le débat sur ce registre. Pour ce qui concerne le contrôle citoyen, ce n'est pas moi qui le définit. Si demain le Parlement décide d'exercer un contrôle parlementaire sur ce type d'activité, il peut le faire. Peut-être, monsieur, pouvez-vous en parler à votre député.
M. CHAUSSADE.- Une question nous vient d'Internet, je vais demander à Jacques Dallest d’y répondre : « La population s'inquiète aussi des dérives sécuritaires dont pourrait profiter l'Etat français dans les années à venir, notamment avec des technologies implantées permettant identification, localisation, données de santé et autres interactions avec les citoyens implantés. Certes, cela relève peut-être de la science fiction pour l'instant mais la question va rapidement se poser ».
Pouvez-vous parler des dérives sécuritaires, de la protection individuelle ? Est-on surveillé en permanence, fiché, avec les puces RFID ou d'autres moyens ?
M. DALLEST.- Je suis procureur de la République à Marseille. À ce titre, je suis magistrat et très attaché au respect et à la protection des libertés individuelles. C'est vrai que c'est le problème de fond du débat qui nous rassemble : technologies très avancées, nanotechnologies et libertés individuelles.
Evidemment, ce type de débat très philosophique qui intéresse tous les citoyens peut être très vite terminé si l'on considère que cette technologie met en péril les libertés individuelles. C'est tout le débat de fond d'une technologie, qu’elle soit traditionnelle ou qu’elle soit très nouvelle. On sait que toute science peut susciter ou sécréter ses propres dérives.
Je prends l'exemple d'Internet. Tout le monde considère que c'est une technologie extraordinaire, qui permet l’information, la diffusion, la culture, mais c'est aussi un vecteur de toutes les turpitudes : pédophilie, extrémisme, etc.
Les nanotechnologies, cela peut être la même chose. Cela peut être quelque chose d’extraordinaire en matière de santé publique, en matière de défense de l'environnement, de plus grands aboutissements de technologies utiles, mais cela peut être aussi un élément de dérive.
Est-ce qu’une miniaturisation d'un dispositif de contrôle ne peut pas être une vraie atteinte aux libertés ? C’est vrai qu’insérer une puce miniature chez un être humain pour mieux le repérer, cela peut être à la fois extraordinaire lorsqu'on recherche des personnes disparues, comme des enfants, mais cela peut être aussi un moyen de contrôle, de traçabilité qui peut être inquiétant. On a l'exemple du bracelet électronique que l'on utilise en France et dans d’autres pays depuis longtemps, qui permet de contrôler les déplacements d'un condamné après une décision de justice. Là aussi, on pourrait imaginer une miniaturisation de ce bracelet qui après poserait un problème de contrôle de la part de l’autorité publique.
Voilà une dérive possible par un excès d’utilisation de cette possibilité. Evidemment, là encore, c’est au législateur de donner des bornes.
Autre exemple des biotechnologies : tout ce qui est de l’ordre de la procréation médicalement assistée, où il y a aussi des possibilités de dérive – on l’a vu en matière d’eugénisme – là aussi c’est au Parlement de fixer des bornes.
Un INTERVENANT.- J'ai vu sur le panneau d'information qu’il était prévu dans cinq ans 100 000 emplois nouveaux dans ces nouvelles technologies. Je voudrais savoir s'il est prévu des formations universitaires qui permettraient de savoir utiliser ces technologies.
M. CHAUSSADE.- Formation universitaire dans les nanotechnologies : j'en ai entendu parler à Marseille. Je suppose que vous êtes tous en relation avec des universitaires. Marc Sentis ?
M. SENTIS.- Je ne suis peut-être pas le mieux placé, mais effectivement, il y a des masters recherche dans le domaine des nanosciences à Marseille. De toute façon, dans beaucoup de masters de physique ou chimie en France il y a un enseignement autour des nanotechnologies et autour de l'instrumentation qui permet de caractériser ces nanotechnologies. On a beaucoup parlé d'applications, mais il y a tout un secteur en développement avec l’instrumentation qui permet d'étudier des nano objets qui en fait sont dans notre 'environnement depuis des siècles. On avance pas à pas, à la fois côté formation et instrumentation. Il y a un master recherche nanosciences à Marseille, mais il y en a d'autres en France.
M. GIOVANNINI.- Quand on parle de nanotechnologies, on regroupe des choses très différentes. On a parlé de virus, de chimie, de biologie, de photonique. Actuellement, il n'y a pas de formation en nanotechnologies, il y a des formations dans les domaines que je viens d'évoquer et puis des masters de recherche dans le domaine de la photonique, dans la microélectronique, dans les sciences des matériaux, des masters de recherche en chimie, en biologie. C'est un peu plus précis que nanotechnologies.
Je ne crois pas qu'il y ait de formation en nanotechnologies, car cela couvrirait tellement de champs disciplinaires différents qu'il serait difficile d'en venir à bout. Dans beaucoup de domaines de la physique maintenant, il y a des aspects liés aux nanotechnologies que l'on retrouve dans les formations que je viens d'évoquer, principalement chimie, biologie, micro-électronique et photonique.
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