Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu intégral de la réunion publique d'Orsay

Séquence 2 : Convergences NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique, sciences cognitives)

 

 

M. BERGOUGNOUX.- Nous allons maintenant passer à la dernière partie en élargissant encore le propos et en parlant de ces fameuses convergences.
Je dirais que, si on avait parlé de ce sujet il y a sept ans, on aurait fait référence aux rapports de Françoise ROURE et de Jean-Pierre DUPUY qui mettaient la question des convergences pratiquement au centre de la problématique des nanotechnologies. Peut-être maintenant cela a-t-il évolué. Louis LAURENT va nous en parler.
Je lis la question d’un internaute parce qu’ils nous ont envoyé beaucoup de mails. Je lis celui qui me paraît le plus significatif.
« Pourquoi, dans sa partie quatre, le dossier du maître d’ouvrage présente-t-il comme donnée que la convergence des nanotechnologies vers une augmentation des performances humaines et une disparition possible de la frontière entre humain et non humain débouchent sur des excès redoutés ? Cela ne constitue-t-il pas une prise de position et donc une dérogation au principe de neutralité ? N’y a-t-il pas moyen d’envisager autrement cette convergence et cette perspective éventuellement transhumaniste ? Quels pourraient être les aspects positifs d’une telle évolution ? Une évolution de type transhumaniste ne pourrait-elle pas, au contraire, mieux porter sur le long terme les espoirs de pérennité de l’espèce humaine ? »
C’est vraiment très élargi et nous allons en discuter. C’est peut-être pour cela que Jean-Michel BESNIER est là ce soir, pour nous aider à en discuter.
Mais avant, Louis LAURENT, les convergences, où en est-on ? Qu’est-ce qui est réalité aujourd’hui ? Qu’est-ce qui peut être réalité dans quelque temps ? Y a-t-il des choses qui relèvent de la science fiction, mais y a-t-il aussi des choses qui ne sont pas du tout invraisemblables à long terme ?

 

M. LAURENT.- Avant tout, je voudrais dire que ce que l’on appelle une convergence, c’est quelque chose qui est vieux comme la science et la technique. Cela consiste à intégrer, dans un objet, des savoirs qui viennent de différents horizons. Par exemple, une automobile, c’est une magnifique convergence entre de nombreuses sciences. De même pour un téléphone portable.
La convergence dont on parle ce soir a un sens bien précis pour les initiés. C’est la convergence entre les nanotechnologies, l’informatique, les sciences de la cognition et la biologie.
Cela veut dire, quand on regarde les applications, travailler vraiment avec des systèmes techniques soit sur le cerveau, soit sur le vivant.
Quand on parle d’application positive, on peut penser à ce que l’on appelle la nanomédecine. On fabrique donc des dispositifs techniques capables d’interagir avec le corps ou alors, à l’extérieur du corps, pour faire des analyses biologiques.
Donc, une petite puce qui absorbe une petite goutte de liquide biologique, peut contenir un capteur à l’échelle nanométrique, un petit ordinateur, un petit logiciel pour faire une analyse. C’est un exemple de convergence que l’on trouve déjà dans le commerce.
Alors, à l’opposé, vous avez la science fiction. Il y a beaucoup d’auteurs, y compris HOUELLEBECQ et LE DANTEC, chez nous, qui parlent d’évolution soit de l’individu, soit de l’espèce. Il y a une petite différence. Quand un individu se reproduit, il ne donne qu’un individu normal alors que l’espèce, cela reste pérenne. Les deux thèmes existent dans l’avenir.
Par exemple, je parle de science fiction pour l’instant, l’idée d’implanter dans le cerveau un système, interfacé avec les neurones, qui est capable de retenir votre agenda ou une encyclopédie par exemple : voilà un exemple de convergence plutôt science fiction.
Entre les deux, je dirai que les recherches que l’on peut qualifier de convergence en ce moment, pour moi, quand on parle de vivant ou de sciences de la cognition, ce sont des choses liées à la médecine finalement ; donc cela revient à utiliser des dispositifs techniques pour améliorer le sort des malades. Je dirai que le pacemaker mis en place dans les années 50 est déjà un exemple de convergence. A l’époque, c’était plutôt de la micromécanique de la biologie, si vous voulez. Maintenant, on peut parler d’implants plus sophistiqués qui contiennent de l’informatique.
Ce dont parlait votre internaute, finalement : est-ce bien ou mal de rêver un jour d’une espèce qui utiliserait la technique pour s’améliorer de façon pérenne, être bardé d’implants, etc. ? Je laisserai à M. BESNIER le soin de définir ce qu’est le sens de la vie, le bien et le mal.
Je vais juste jeter un regard historique là-dessus, sur l’amélioration de l’être humain avec les techniques.
Si je vois cela un peu de l’extérieur, je dirai qu’il y a très longtemps, l’homme courait tout nu dans la nature, assez vite. Il a utilisé les premières techniques, finalement, pour faire des vêtements et des chaussures, pour être capable de mieux résister au froid. Et, de fil en aiguille des techniques pour s’améliorer. Vous-même, Monsieur BERGOUGNOUX, vous êtes amélioré par la technique. Vous avez des lunettes pour mieux voir et vous êtes vacciné. On a injecté dans le corps, je ne sais pas quel vaccin dans votre cas, différents types d’espèces vivantes atténuées pour que votre corps réagisse et soit modifié pour pouvoir  être plus résistant.
Un autre exemple : c’est celui de la chirurgie esthétique, qui n’est pas l’enjeu médical. C’est une technique que l’on utilise pour s’améliorer.
Vous avez aussi le dopage, qui est un exemple de technique pour s’améliorer.
C’est intéressant parce qu’avant d’aller à la science fiction, cela montre déjà... Cela nous pose un peu question. Je dirai que la morale et l’idée que l’on se fait de l’amélioration est relative. Elle dépend de l’époque.
Peut-être que, dans un passé lointain, la chirurgie esthétique aurait-elle été vécue comme quelque chose d’horrible. Maintenant, c’est rentré dans les mœurs. Pour le dopage, c’est un peu différent : c’est jugé mal parce que ce n’est pas quelque chose de fair play dans une compétition.
Si jamais un jour on fait de nouvelles techniques qui pourraient être disponibles, se posera la question : est-il bien ou mal de les commercialiser ?
Il est difficile de savoir ce qui se dira à l’époque, mais si on regarde à la lueur de ce qui se passe maintenant, je vois des critères assez simples : l’accès sera-t-il égal pour tout le monde ? C’est-à-dire que quelque chose de réservé à quelques initiés, quelques personnes riches, sera moins bien perçu que quelque chose d’assez courant.
Est-ce fait sous la contrainte ou pas ? On parlait d’implant tout à l’heure, va-t-on finalement infliger un traitement à quelqu’un contre son gré ? Ce sont des critères de ce genre-là.
Il y a un critère implicite dans l’amélioration. On retrouve souvent, y compris dans le sport : quand on souffre pour s’améliorer, c’est bien vu. Donc quand on souffre en s’entraînant, c’est bien vu. En revanche, quand on s’améliore avec facilité, juste en prenant une drogue   cela m’arrangerait bien dans certains cas  , mais c’est jugé mal parce qu’on n’a pas souffert finalement, on n’a pas travaillé pour en arriver à ce niveau de performance.
Finalement, cela soulève de nombreux débats qui ne manqueront pas de se poser si jamais la question se posait pour de nouvelles techniques. Dire que c’est bien ou mal, je pense que c’est une question pour un philosophe.

 

M. BERGOUGNOUX.- Jeanne GROSCLAUDE, avez-vous des réactions à ce qui vient d’être dit par Louis

LAURENT ? Puis nous passerons la parole à Jean-Michel BESNIER.

 

Mme GROSCLAUDE.- Je partage tout à fait les exemples qu’il a donnés. J’ajouterai peut-être, par exemple, que quand vous regardez comment la thérapie génique se fait, c’est une des premières nanobiotechnologie.
Ce qui me frappe, c’est que l’on est en train de s’interroger sur un certain nombre d’applications en se disant : « Comment va-t-on les réguler ? À quel stade va-t-on s’assurer que les interrogations éthiques et autres ont bien été posées et surtout, qu’elles ont reçu une réponse ? », et que, à côté de cela, on s’aperçoit que l’on a quand même mis en place, en France, des systèmes beaucoup plus filtrants.
Je parlerai de tout ce qui concerne les OGM. Je suis personnellement membre du Haut Conseil des Biotechnologies, du Comité économique, éthique et social, du Haut Conseil des Biotechnologies, et, tout producteur, tout utilisateur ou tout créateur potentiel d’un OGM doit passer par la filière du HCB, à la fois le Conseil scientifique et le Comité économique, éthique et social s’il doit y avoir dissémination. Et, tous les dossiers de thérapie génique y passent également.
Je m’aperçois qu’il n’y a pas l’équivalent pour ce qui est des nanobiotechnologies.
La présidente du HCB, Catherine BRECHIGNAC, dit : « Mais si, les nanobiotechnologies, nous allons les prendre en considération. » Mais je me demande par quelle filière parce qu’il n’y a rien d’obligatoire.
J’ai personnellement travaillé en nanobiotechnologie sur des devices qui utilisaient entre autres des nanoparticules OGM, et donc, obligatoirement, on demandait. Mais sur la construction du device, sur la finalité du device, nous n’avions pas à nous expliquer.
Alors que, en parlant des "grands méchants loups", quand MONSANTO veut essayer de commercialiser l’un de ses multiples maïs transgéniques, il est obligé de passer par beaucoup de courses d’obstacles. Et sur les nanotechnologies, on a l’impression qu’on a des trous dans nos filets.
Donc, qu’est-ce qui pourrait permettre d’intervenir en avant par rapport à : est-ce normal ? Cette régularisation est-elle demandée ? Il me semble que oui, mais comment pourrait-on concevoir ce circuit, ce jeu de piste de contrôles préventifs ?


À mon avis, sauf information complémentaire par des collègues qui ont dit : « Mais si, on demande. Quand il y a financement, on va être plus efficace que ce qui est fait de manière virtuelle au plan européen. » Que peut-on faire là-dessus ?
Il me semble que ce serait tout de même l’un des moyens en amont de réguler. Sans oublier que, je l’ai déjà dit, le meilleur moyen de réguler, c’est l’information de tous et une information accessible.

 

M. BERGOUGNOUX.- Merci. Jean-Michel BESNIER, maintenant, le point de vue du philosophe.

 

M. BESNIER.- Merci. Il vient toujours au crépuscule, le philosophe. Je viens en dernier.

M. BERGOUGNOUX.- Non. Vous avez tout le temps de vous exprimer !
Nous avons encore la liaison satellite.

 

M. BESNIER.- Je voulais dire que cette partie de la discussion de ce soir fait intervenir quelque chose qui a peut-être été trop discret jusqu’à présent, à savoir la part d’imaginaire que sécrètent, dans l’esprit de nos contemporains, les nanotechnologies.
La question de votre internaute est caractéristique de l’intrusion de l’imaginaire dans des considérations qui n’auraient pu être que techniques.


Jusqu’à présent, quand nous avons cru parler d’éthique, nous parlions des risques, des avantages, etc. Ce n’est pas cela l’éthique, bien entendu. Cela n’a rien à voir avec l’éthique. L’éthique, c’est la recherche de la réponse à la question : « Comment bien vivre ensemble ? » C’est la plus vieille question qui se soit posée aux Grecs lorsqu’ils ont inventé ce terme pour désigner, justement, une interrogation qui concerne, encore une fois, le vivre ensemble.

 

Je crois que la question de votre internaute procède en quelque sorte de cette interrogation éthique.
Il dit : « Voilà. On est en train de nous dire qu’on a des technologies qui vont permettre d’accroître, d’augmenter nos performances, de nous arracher, en quelque sorte, à l’humanité qui est la nôtre », et, on entend dire que ce n’est pas bien. On entend dire : « Attention, il faut lever les boucliers, etc. »
Il est tout à fait légitime qu’il se pose les questions parce qu’il est de son temps. Il est moderne. Et le moderne, dans l’histoire de l’Occident, c’est cette décision, un jour, de se confier aux sciences et aux techniques pour rendre l’humanité parfaite et pour l’arracher à l’inertie de la nature.
Donc, quand il dit : « Pourquoi ce n’est pas bien de vouloir augmenter l’homme ? » Eh bien oui : pourquoi ce n’est pas bien, au fond, si l’homme se définit avant tout par la perfectibilité, par cette aptitude à entrer dans cette dynamique de progrès qui le fait toujours être plus homme ? Les nanotechnologies, la convergence nanobiotechnologique est l’instrument adapté.


Alors, revenons sur nous-mêmes et demandons-nous pourquoi nous avons le sentiment que, par endroits, on est en train de transgresser quelque chose comme si nous étions encore dans le religieux et comme si nous devions encore sacraliser quelque chose. Demandons-nous pourquoi cela nous effraie l’idée que l’on va faire, grâce à nos technologies, des hommes qui verront la nuit, qui ne dormiront pas, qui ont une mémoire extraordinaire, etc. Pourquoi cela nous effraie-t-il ? Au fond, comme le disait Bruno LATOUR, peut-être ne sommes-nous pas si modernes que cela et peut-être en pinçons-nous encore pour des modèles de vie encore archaïques ?


Par conséquent, je crois  que c’est ce genre de questions aussi que soulève la problématique de la convergence technologique.
Louis LAURENT m’a ouvert la voie en le disant, l’éthique, cette tentative pour répondre à la question : comment bien vivre avec le pouvoir que nous avons développé sur les choses grâce à nos techniques et à notre science ? L’éthique, c’est la prise en considération des problèmes dans toute leur amplitude.
Il faut avoir une culture systémique pour faire de l’éthique. Pour répondre à la question : quel mondes voulons-nous ? Il ne s’agit pas simplement de répondre à la question technique : est-ce dangereux ou non ? Dans quelle mesure ça l’est, etc. ?


C’est aussi se poser la question d’un monde qui serait subordonné à des impératifs économiques, sociopolitiques, religieux, etc., et qui nous échappent.