M. CHAUSSADE.- Je m'adresse à Jean-Yves Bottero qui s'occupe d'écotoxicité, grand sujet dont on parle très souvent. J’aimerais que vous réagissiez sur la question de la formation universitaire. Est-ce que dans votre domaine d’écotoxicité, on se forme sur le tas ?
M. BOTTERO.- Non. Il existe des formations dans le domaine de l'écotoxicité depuis longtemps. Cela fait intervenir la biologie. Dans le domaine des nanos, c'est en train de démarrer parce que c'est plus complexe que ce que l'on pensait. Cela doit faire appel à des connaissances en physique, en chimie, en biologie. Les masters font appel à des intervenants dans des disciplines différentes.
M. CHAUSSADE.- Vous enseignez ?
M. BOTTERO.- Je fais de l'enseignement, mais sur des applications dans le domaine de l'environnement. Sur Marseille, je ne crois pas qu'il y ait encore de formation dans le domaine de l'écotoxicité, c'est-à-dire savoir si les matériaux nanométriques ont un impact sur le fonctionnement des écosystèmes, la biodiversité, etc. mais c'est en train d'être réfléchi.
Un INTERVENANT.- J'ai compris qu'il y avait des formations au niveau du master. Mais comme c'est une nouvelle discipline il faudrait l'enseigner avant pour que les gens puissent savoir à quoi cela pourrait servir. Au niveau de la licence ; il serait bien qu'il y ait des unités d'enseignement dans ce domaine.
Autre question, comme ce sont des nanotechnologies qui seront accessibles surtout aux grosses entreprises qui ont beaucoup de moyens de recherche, il serait intéressant de rendre cela accessible aux PME pour les rendre plus performantes et favoriser la croissance.
M. SOULAGE.- Je réagirai sur la deuxième partie : l'accès aux PME. Effectivement, je suis tout à fait d'accord. C'est justement le rôle des pôles de compétitivité, que ce soit dans le domaine de l'optique ou dans le domaine de l’aéronautique de favoriser les échanges entre la recherche et les PME dans le cadre de projets collaboratifs, pour donner accès à des technologies de différenciation pour ces PME, de façon à stimuler leur croissance et à leur permettre d'être compétitives, y compris à un niveau international pour en faire de vrais champions.
Dans le domaine de ces nouvelles technologies comme dans le domaine de tout ce que l'on peut trouver en termes d'excellence au niveau de la recherche française, nous avons un travail dans ce sens de transfert de compétences vers les PME.
Un INTERVENANT.- Je voudrais m'adresser aux personnes de la commission particulière de débat public. Je voudrais faire une remarque concernant un parallèle que l'on peut faire entre certains fantasmes qui ont été nourris autour des nanotechnologies, en particulier dans le domaine de la santé l'idée que les nanotechnologies pourraient amener à une vie améliorée, à moins de maladies, à une durée de vie largement prolongée. Cela a été fortement médiatisé depuis que l'on fait des recherches.
Je voudrais faire une analogie avec la proposition du CNDP en général et de notre gouvernement de nous proposer une démocratie améliorée. C’est quelque chose qui m'interpelle. Quelque part je me sens collègue de vous, en effet je suis acteur dans le vaudeville, et je trouve que ce développement permet de justifier une démocratie brinquebalante puisqu'on peut visiblement l'améliorer en la rendant participative et je trouve ce discours sur la démocratie participative dangereux, mais en même temps du domaine de la farce.
Du coup, je suis intéressé aussi à entendre la réaction du Monsieur qui représente le ministère de la Défense et d'apprendre que l'Etat français ne fera pas usage des technologies qui seront à sa disposition lorsque elles seront rendues nécessaires par la sécurité publique. Permettez-moi d'en douter. Merci de participer avec moi à cette très belle farce qui, à mon avis, passera à la postérité.
Mme COHU.- Pour ma part je n'ai pas l'impression de participer à une farce. Beaucoup de citoyens sont venus et sont restés ici, malgré le brouhaha, l’agitation, pour s'informer, apporter leurs propositions et je ne crois pas qu’ils aient l'impression de parler dans une farce.
M. CHAUSSADE.- Il faut rappeler que la loi de démocratie de proximité qui faisait suite à la loi Barnier de 1995 est quelque chose de pensée et réfléchie sur la participation du public aux prises de décision.
Ce sont des débats pour des projets. Galienne Cohu, moi-même avons l'expérience de débats où effectivement les projets qui ont été soumis au débat public ont beaucoup progressé du fait du travail de consultation. Il y avait des questions, des avis, des propositions, des choses à approfondir. Sur ces sujets, les chercheurs ont besoin de connaître les réactions du public. Depuis le début du débat, il faut aller sur le site Internet, vous pouvez regarder toutes les synthèses de toutes les réunions, les interventions des uns et des autres, toute une masse d’informations par rapport au sujet qui a été soumis au débat public. On a bien avancé, on a fait progresser l'information du public par plus de 700 articles parus dans les journaux, dans les revues, sur Internet, à la télé-et la radio. Jamais on n'a autant parlé du sujet, mais aussi débattu. Il y a des réunions, ce soir, la semaine prochaine, un peu partout…
Je fais référence à une question transmise par Internet : dans ce domaine des nanotechnologies qui est en train de se développer, pour lequel il y a de grands programmes de recherche, pourquoi le public connaît très peu ces questions, pourquoi n'y a-t-il pas eu de communication ? Comment expliquez-vous que cette importante avancée scientifique et technique soit si peu médiatisée ?
Le débat public dès maintenant a participé au fait qu'il y a une meilleure perception, une meilleure connaissance. Ce n'est pas tout, le débat public est sûrement une étape, mais une étape importante pour que le public s'approprie ce sujet. C'est un domaine très vaste, il y a des confusions, mais quand on regarde concrètement les interventions, les avis, on peut les classer et véritablement apporter un compte rendu de ce débat avec des apports, des avis, et le gouvernement verra.
Je voudrais aussi passer la parole à Michèle Rousseau. Elle parlait tout à l'heure de cette question : est-ce que le gouvernement a lancé ce débat pour s'amuser, pour amuser le public ? En tout cas, nous, commission particulière du débat public, qui sommes des bénévoles et consacrons pas mal de temps et d'énergie, dans des conditions pas très faciles, nous y croyons. Michèle Rousseau, le gouvernement y croit-il ?
Mme ROUSSEAU.- Bien entendu. Nous avons lancé ce débat de façon à écouter les réactions dans un sens comme dans un autre dans le domaine des nanotechnologies et nous pensons que ce débat va peser sur les décisions qui restent à prendre dans le domaine des nanotechnologies, décisions très nombreuses en ce qui concerne l’orientation des travaux de recherche aidés par les pouvoirs publics, l’importance des contrôles, l’importance des réglementations.
Dans le domaine de la protection de l'environnement, la participation du public aux prises de décision est inscrite dans la convention nationale d’Aarhus, elle est reprise dans les directives européennes et maintenant inscrite dans la Constitution, puisque l’article 7 de la charte de l’environnement a été introduit dans la Constitution en 2005. Cette participation du public est quelque chose auquel le gouvernement et le Parlement croient.
M. CHAUSSADE.- Je remercie Fabienne de son message Internet que nous avons reçu à l'instant : "Bravo aux animateurs pour avoir tenu le choc. En tant que Marseillaise, je suis bien triste de l'attitude de ces gens. Encore une belle image pour notre ville".
Je n'en veux pas aux Marseillais, ce n'était pas les Marseillais qui étaient là, c’était quelques jeunes. Merci pour cet encouragement.
M. SENTIS.- Je voudrais réagir à la remarque selon laquelle nous, grand public, découvrons seulement maintenant les nanosciences. C'est une remarque qui nous fait plaisir. Dans le domaine des sciences, de la physique et autres, les chercheurs se trouvent très isolés puisqu’ils ont l’impression que ce qu’ils font n’intéresse pas beaucoup notre société. Si les sciences pouvaient revenir au cœur des débats et intéresser plus de gens, les chercheurs et beaucoup de gens seraient vraiment très intéressés.
Nous serions vraiment ravis que le public s'intéresse plus aux sciences en général. En France, c’est un domaine très délaissé que nous sommes tout à fait prêts à partager et à créer des vocations autour de cela. Cette question est pour moi très positive.
M. RANQUET.- Je voudrais revenir sur une question évoquée juste avant par un des interlocuteurs, à savoir comment croire que le gouvernement français n'utilisera jamais ces technologies le jour où il en aura envie et où cela l'arrangera ?
Cette personne met le doigt sur quelque chose de fondamental qui nous ramène au contrôle démocratique. Si aujourd'hui les armes chimiques et biologiques sont interdites mondialement, c'est à la suite d'un exercice de démocratie mondiale, c'est-à-dire qu’un certain nombre d’Etats souverains se sont réunis au sein de l’ONU ou dans des conventions particulières et ont décidé souverainement, au nom de leur peuple, qu’ils ne voulaient pas de ces choses là. Ils ont mis une interdiction formelle qu’ils se sont engagés à faire respecter.
Cela vaut pour aujourd'hui. Si demain les citoyens décident qu’ils ne veulent plus ce type de contrôle et qu’ils ne veulent plus faire cela, ils en auront le droit. C’est donc un exercice de démocratie permanente que de s’assurer que l’on ne développe pas les armements qu'il ne faut pas développer.
C'est une question de maturité du corps démocratique de savoir s'il a les moyens d'exercer son devoir de contrôle des choses au nom des citoyens. Malheureusement, ce que l'on a vu ce soir dans la salle à Marseille permet de se poser la question de savoir si le corps démocratique a la maturité nécessaire.
M. CHAUSSADE.- Il ne faut pas juger sur quelques dizaines de personnes qui manifestent. Ce n'est pas tant cela qui me préoccupe, c'est facile, il suffit de venir et de chahuter. Ce qui me préoccupe, c'est que j'aimerais avoir plus de public qui s'intéresse au débat public, qui vienne dans les salles, qui vienne débattre et c'est un peu difficile.
Les nanotechnologies sont peu connues et quand on parle d'un débat sur les nanotechnologies, aujourd'hui dans l'esprit du public c'est une affaire de scientifiques, de spécialistes.
Sur le sujet du contrôle, nous recevons un message par Internet d’une personne qui dit à propos du contrôle sur les armes : « contrôle à propos des armes, ce type d'activité est de la responsabilité des services de police judiciaire et des services de justice de poursuivre tout individu ou organisme qui poursuit des recherches sur le développement d’armes biologiques sur le territoire français". Jacques Dallest, quelle est votre réaction ?
M. DALLEST.- La justice applique les lois de la République. Si les textes sont clairs sur ce plan, il n'y a pas de difficulté. Tout producteur d'armes qui le fait de façon clandestine, illicite, d’une arme classique jusqu’à une arme nouvelle, tombe sous le coup de la loi pénale. Après, à la loi de s'adapter à l'évolution de la science.
On parlait d'armes de deuxième, troisième ou quatrième catégorie, on va peut-être parler d'armes nouvelles technologiques qui devront être également réglementées. Là-dessus, il n’y a pas de difficulté. Si demain on me donne l'adresse d'un fabricant d'armes biologiques ou chimiques à Marseille, évidemment nous allons lui tomber dessus et faire en sorte de le mettre hors d’état de nuire. Mais nous ne ferons qu’appliquer la loi de la République qui doit être, elle aussi, évolutive. La science doit être à la portée de la population, des citoyens. La justice et la loi, c’est aussi l’expression des citoyens. Donc là aussi il faut que le corps social s'empare de ces questions.
Un INTERVENANT.- Je pense que ce qui fait peur à beaucoup de gens, c'est le caractère invisible des nanotechnologies, par définition, vue leur taille, et qu'elles peuvent être un instrument de pouvoirs occultes, de contrôles radio et chimiques des individus.
Il y a de grosses rumeurs sur le fait que cela a déjà commencé depuis un certain temps et que cela puisse être présent sur des appareils qui nous entourent. Qui, au gouvernement, notamment français, contrôle ces choses, et quels sont les pouvoirs d'analyse et de contrôle ?
M. CHAUSSADE.- Je renvoie la question sur celui qui vient de la poser. On parle de pouvoirs publics, de Parlement mais tout cela n'est pas de nature à rassurer le public. Est-ce que cela veut dire que le public lui-même devrait faire partie des instances de contrôle ? On a évoqué plusieurs fois des organismes qui intégreraient des associations en même temps que des centres de recherche ou des agences, donc la participation de la société civile dans le contrôle des activités liées notamment aux nanotechnologies.
Il faut sortir de cette peur. Si les pouvoirs publics mettent en place des contrôles, mais que le public continue à avoir peur, cela veut dire que le public doit être associé à ces pouvoirs de contrôles. De quelle façon ?
L’INTERVENANT.- Je pense que beaucoup de gens sont dépassés par le niveau technologique actuel mais qu'ils ont de bonnes intuitions. Elles sont difficiles à rassurer, justement.
Mme COHU.- Une réaction sur le sujet.
Un INTERVENANT.- On se posait des questions à propos de ce qui se passe. A priori, les nano sont déjà sur le marché et on ne sait pas du tout ce que c'est. Après, on nous dit que ce n'est pas bien, on ne sait pas les effets que cela a. Mais on n’en parle pas beaucoup non plus.
M. CHAUSSADE.- Vous avez tout à fait raison. La situation telle qu'on la voit dans le grand public, c'est une absence d'information, une ignorance importante. L'expérience de l'Ile-de-France, qui organisait un débat citoyen, c'est-à-dire un ensemble de quelques dizaines de personnes du grand public pour regarder, écouter des experts de différentes opinions et différents sujets, le fait est que quand les gens prennent le temps, ils ne deviennent pas des experts mais ils ont une attitude tout à fait responsable et cela montre que le sujet peut être approprié par le public, lequel peut être très pertinent pour avoir des idées, des propositions et des avis. C'est tout ce que l'on a emmagasiné dans le cadre du débat et dont nous allons rendre compte.
Josée Cambou, de France Nature Environnement, réagit sur Internet. Elle est très active dans le débat public et je l’en remercie. Elle dit : « le débat public sous l'égide de la CNDP est une avancée conséquente obtenue en France dans le cadre de la convention internationale d’Aarhus de 1998. Je suis extrêmement choquée que cela puisse être assimilé à une farce. C'est le premier pays en Europe où ce type de débat a lieu, permettant largement à tout citoyen de s'informer, de poser des questions, d’exprimer un avis, de faire part d'inquiétudes. C’est important d'en faire état auprès des participants ».
Mme MIR.- Je suis Catherine MIR de la Direction générale de la prévention des risques au ministère du Développement Durable. Je voulais réagir à la question du précédant intervenant dans la salle, qui disait qu'un certain nombre de produits sont déjà mis sur le marché et que l’on ne connaît pas forcément les effets qu'ils peuvent avoir sur la santé, l'environnement. Les citoyens ne connaissent pas ses applications, il y a une espèce de mystère ou d'absence de transparence qui entoure la mise sur le marché de ces produits.
D'une façon générale, les entreprises ont la liberté de mettre sur le marché les produits. Si l’on prend l'exemple des produits chimiques, ce n'est qu'avec le règlement Reach qui est assez récent, qui a maintenant deux ans, que les industriels qui mettent sur le marché des substances chimiques doivent les enregistrer et évaluer les effets qu'ils ont dans leurs usages pour l'environnement et la santé.
C'est finalement avec un certain recul, avec les expériences douloureuses que l'on a pu avoir dans le passé, que les États ont décidé d'établir ce règlement relativement contraignant sur les substances chimiques.
Pour ce qui est des nanomatériaux, il est vrai que cette question a été soulevée dans le cadre du Grenelle de l'environnement et évidemment des inquiétudes ont été relayées par les organisations de protection de l'environnement qui se demandaient où étaient ces nanomatériaux, comment on pouvait en voir les effets. Il y a donc tout un problème de traçabilité, afin d'identifier les dangers.
Une des dispositions très importantes actées dans le Grenelle de l'environnement, c'est la déclaration obligatoire des nanomatériaux qui sont mis sur le marché. Chaque fabriquant, chaque importateur, chaque personne qui mettra sur le marché un nanomatériau devra déclarer à l'autorité de l'Etat l'identité du nanomatériau mis sur le marché, la quantité, et aussi les usages, car c'est en fonction des usages que l'on peut évaluer les risques ou rechercher quels sont les risques.
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