Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu de la réunion publique de Besançon

COMPTE-RENDU INTEGRAL DE LA COMMISSION PARTICULIERE DU DEBAT PUBLIC A BESANCON

Mardi 24 novembre 2009

 

Programme :
Séquence 1 : Les nanotechnologies et la recherche en Franche-Comté
Animateur : Jean Pierre CHAUSSADE, membre de la CPDP

Avec la participation de Eric GAFFET (directeur de recherche au CNRS), Michel de LABACHELERIE (directeur de FEMTO-ST), Thierry BRUGVIN (président d’ATTAC Besançon), Serge PIRANDA (PDG de STATICE SANTE)
 
Séquence 2  : Nanotechnologies et compétitivité
Animateur : Galiène COHU, membre de la CPDP

Avec la participation de Michel FROELICHER (directeur de CTMN- Institut Pierre Vernier), Dr. Pierre MINOTTI (PDG de Stilmach) Daniel COURJON (chercheur au CNRS), Jacques TERRAZ (membre du FNE), Benoît CROGUENNEC (responsable de la Commission AFNOR nanotechnologies)

 

M. CHAUSSADE.- Bonsoir à tous. Je suis Jean-Pierre CHAUSSADE, membre de la commission particulière du débat public. Je vais animer ce soir cette réunion, accompagné de Galiène COHU qui va me rejoindre et qui animera la deuxième séance de cette soirée de ce débat public sur les nanotechnologies.

Je vous remercie beaucoup de ce que l’on vous a imposé pour venir ici ce soir. Vous vous êtes facilement prêtés à cette signature, cette adhésion. Nous tenons absolument à ce que chacun puisse s’exprimer librement et respecte la liberté de parole. Pour nous, c’est la condition d’un vrai débat et de pouvoir faire en sorte que chacun soit libre d’intervenir.

Ce débat a été décidé par la Commission nationale du débat public, qui est l’autorité administrative indépendante chargée par la loi de 1995 et surtout par celle de 2002 d’organiser les débats publics.

Les débats publics sont demandés par des maîtres d’ouvrage, souvent pour une autoroute, un projet ferroviaire, l’extension d’un port, d’un aéroport etc., et de façon exceptionnelle il s’agit de politique générale. Il y a eu un débat national sur la gestion des déchets nucléaires.

Sous le pilotage du ministère du Développement durable, sept ministères ont demandé à la CNDP l’organisation de ce débat pour éclairer leurs choix futurs en termes de développement et de régulation des nanotechnologies.

Ceci était un engagement du Grenelle de l’environnement. Dès lors que la CNDP a été saisie de cette demande, elle a nommé une commission particulière qui a été constituée à cette fin, qui est seule responsable de l’organisation et de l’animation du débat, et ce, en toute indépendance par rapport à tous les acteurs et en particulier aux ministères qui ont demandé ce débat. Nous sommes saisis de ce débat et nous sommes responsables de l’animation de ce débat.

Comme tout débat public, la commission particulière de ce débat public a pour principal objectif d’informer un public aussi large que possible, non seulement de l’aspect technique du débat, mais aussi de manière équitable, des différentes opinions qui s’expriment et se manifestent sur ce sujet.

J’insiste sur cet aspect d’information qui est fondamental. Souvent, quand on parle de nanotechnologies, le public a plutôt un retrait. Il considère que c’est une affaire de spécialistes. Notre ambition est de faire en sorte que le grand public se sente concerné, car cela concerne, déjà à travers un certain nombre d’applications, sa vie et cela concernera de plus en plus notre société. Il est donc très important que le grand public s’approprie ce sujet des nanotechnologies.

La deuxième mission est d’écouter tout ce que le public souhaite dire, toutes ses attentes, ses questions, ses préoccupations, ses craintes, ses oppositions et ses propositions. Nous écoutons tout. Nous n’avons pas à défendre telle ou telle position. Nous sommes là pour les écouter toutes.

Le troisième point est de rendre compte des arguments échangés au cours du débat pour que chacun, et l’État bien sûr, mais aussi les chercheurs, le corps médical, les entreprises, les associations, l’ensemble des citoyens puissent en tirer les enseignements utiles dans le cadre de chacune des responsabilités.

Un principe fondamental nous guide dans ce débat. Nous parlerons de tout ce dont le public souhaite parler. Notre champ est très large. Le public, et non pas les spécialistes, est au centre de cette réunion.

Comment le débat se passera-t-il ? Notre commission réunit sept personnes. Ce sont des généralistes. Nous ne sommes absolument pas des spécialistes des nanotechnologies. Il y a 8 mois, je n’y connaissais rien. Nous sommes aidés par un secrétariat général qui organise matériellement l’organisation du débat avec l’aide d’une agence.

Le débat a été décidé par la Commission du débat public en mars 2009. Son lancement officiel a été fait le 23 septembre lors d’une conférence de presse. Il y a six semaines, nous étions à Strasbourg pour la première des 17 réunions publiques. Nous irons dans chaque région pour que le débat public soit présent dans toute la France. La dernière se tiendra à Paris fin février 2010.

Le compte-rendu de ce débat sera rendu public, selon la loi, au maximum deux mois après la fin du débat. Dans ce compte-rendu, nous rendrons compte de tout ce qui aura été dit non seulement au cours des réunions mais également de tout ce qui se dit, s’écrit, sur le site Internet du débat public.

Après avoir rendu ce compte-rendu, le maître d’ouvrage, soit les sept ministères, se sont engagés dans un délai de trois mois, c’est-à-dire avant l’été 2010, à décider de la suite qu’ils donneront à ce débat.

Nous sommes à la septième réunion publique ce soir à Besançon. Nous sommes allés à Strasbourg, Toulouse, Orléans Bordeaux Clermont-Ferrand et Lille. Toutes ces réunions ont compté quasiment 2 000 participants.

Nous avons entendu plusieurs positions par rapport au sujet des nanotechnologies. Certains vont jusqu’à demander un moratoire sur les nanotechnologies et sur la recherche, mais d’autres demandent des recherches de toxicologie préalablement au développement de nouveaux produits. Plusieurs avis se retrouvent sur la nécessité d’une réglementation plus spécifique aux nanotechnologies.

Du côté des entreprises, la position est variable selon leur taille et leur domaine d’activité. Les grandes entreprises disposent de centres de recherche et considèrent qu’elles apportent les preuves d’innocuité de leurs produits et qu’elles ne mettent sur le marché que des produits sûrs. Le public, de son côté, exprime des préoccupations par rapport à la question de santé et d’environnement et voudrait au minimum un étiquetage des produits contenant des nanoparticules. Certains réclament qu’une haute autorité, soit existante soit à créer, assure le contrôle de toxicité des nouveaux produits et délivre des autorisations de mise sur le marché.

Surtout, ce qui est commun à plusieurs réunions, il apparaît une demande d’évaluation produit par produit, évaluation entre les risques, d’une part, et l’utilité sociale du produit, d’autre part. Certains demandent que des produits de type gadget pour grand public ne soient pas actuellement dans une phase d’incertitude et que ces produits « gadgets » ne soient pas autorisés.

J’ai précédemment parlé des réunions publiques et je vais parler du site Internet. Ce site Internet est très utilisé et l’est de plus en plus, lors des débats. C’est un complément indispensable pour atteindre un public encore plus large que celui qui participe aux réunions publiques.

Je vais vous donner quelques chiffres. Nous avons eu 48 000 visites sur le site Internet à ce jour. Cela fait un peu plus d’un mois que le site est véritablement actif. Il y a plus de 240 000 pages consultées. Cela signifie que les gens s’arrêtent sur le site et qu’ils ne "zappent" pas rapidement.

C’est une possibilité que vous avez, 108 avis ont été déposés. Comme vous l’avez vu à l’entrée ainsi que sur le site Internet, il y a 42 cahiers d’acteurs publiés. Je voudrais insister sur cet aspect, car c’est la preuve que beaucoup souhaitent donner leur avis sur ce sujet très important, notamment les associations, les agences pour la santé, des organismes, des entreprises etc. Vous avez à travers ces 42 cahiers d’acteurs beaucoup d’avis différents, complémentaires qu’il est important d’intégrer et, en tout cas, que nous intégrerons dans notre compte-rendu au même titre que les contributions écrites.

Les questions du public sont un autre aspect important. Nous en avons recensé 344. Toutes les questions auront leur réponse. Nous, commission particulière du débat public, nous en sommes les garants. Ces questions sont principalement orientées vers le gouvernement qui répond à ces questions. Nous vérifions que le contenu de la réponse est bien complet par rapport à la question. Nous sommes véritablement garants. Nous verrons que vous pouvez poser ces questions par oral, mais surtout je vous invite à les mettre également par écrit, de sorte qu’en plus de la synthèse de ce débat, en plus de tout ce que nous dirons, de l’intégralité du débat, les questions soient bien ordonnancées sujet par sujet.

Pour vous informer, le dossier du débat est à l’entrée. Ce dossier a été préparé par les ministères. Ce n’est pas le dossier de la commission particulière. C’est sous la responsabilité des ministères. Il y a également, toujours sous leur responsabilité, une synthèse de ce dossier plus facilement lisible.

Pour éclairer le public, il y a également une synthèse du document du nano forum du CNAM qui réunit experts et entre associations, mais il nous semble que cette synthèse est importante pour comprendre les éléments du débat. Vous pouvez également vous orienter sur le nano forum du CNAM pour avoir plus de précisions. Nous publions aussi périodiquement une lettre d’information sur le débat. Tous ces documents sont à votre disposition, soit ici, soit sur le site Internet de la commission. Vous avez les 42 cahiers d’acteurs. Pour intervenir pendant les réunions, vous pouvez demander à prendre la parole et également écrire vos questions.

Les réunions publiques se déroulent dans toute la France. Une synthèse est publiée deux jours environ après chaque réunion. Vous pouvez suivre tout ce qui se passe, car nous avons à chaque fois un sujet spécifique et tout cela permet de compléter votre information sur l’ensemble du sujet.

Vous pouvez télécharger tous ces documents. Nous avons également pour chaque soirée le verbatim, c’est-à-dire le mot-à-mot de toutes les interventions.

Nous avons prévu d’aborder deux thématiques ce soir, mais elles ne sont pas exclusives. C’est vous qui nous orientez sur les sujets que vous souhaitez traiter à travers vos questions.

Nous verrons d’abord en quoi ce sujet concerne votre région. Un certain nombre d’acteurs et certains membres d’associations réagiront. La deuxième séquence aura trait aux nanotechnologies et à la compétitivité. Dans la région, un certain nombre de toutes petites entreprises commencent à démarrer sur le sujet. Il est intéressant de les écouter pour voir comment elles développent leurs activités et quels sont les freins à ce développement. Ce sera la deuxième partie.

Pour participer, vous pouvez poser vos questions après les différentes premières interventions. Des représentants des différents ministères sont à votre disposition pour répondre à vos questions concernant la santé, la recherche, les questions d’étiquetage, la défense des consommateurs, etc. Un certain nombre de gens à votre disposition. Un certain nombre d’intervenants présenteront leurs activités mais ils sont aussi à votre disposition pour répondre à vos questions et éclairer ou réagir par rapport à telle ou telle intervention.

Il y a un point important : celui du droit à l’image. Les personnes ne souhaitant pas figurer sur des photos ou films sur le débat doivent se manifester auprès des hôtesses.

J’en ai terminé avec cette introduction. Je vais maintenant demander qu’un film vous soit projeté. Ce n’est pas celui de la commission particulière du débat public, mais celui présenté par les ministères qui présentent pourquoi ces ministères ont demandé ce débat public.

Merci.

(Projection d’une vidéo)

 

M. CHAUSSADE.- Voilà le film présenté par les ministères. Catherine LARRIEU, qui représente le ministère de l’environnement du développement durable, va donner quelques commentaires sur la motivation des sept ministères par rapport à ce débat.

Mme LARRIEU.- Merci. Jean-Pierre CHAUSSADE m’a présentée.

Vous avez vu ce film où nous avons essayé de dresser un panorama rapide que vous trouverez beaucoup plus détaillé dans le dossier du débat qui a été mis à votre disposition. Je voudrais vous apporter quelques éléments sur la raison de ce débat.

C’est un engagement du Grenelle de l’environnement. Cela signifie qu’en demandant à la commission du débat d’organiser ce débat, l’Etat s’est fait le porteur d’une volonté partagée, cosignée par l’ensemble des parties prenantes du Grenelle qui sont des acteurs très variés. Ce sont les pouvoirs publics, soit l’Etat et les représentants des collectivités à différents niveaux (régions, villes, départements, etc.) Ce sont également les représentants des employeurs. La plupart des grands représentants des employeurs (le MEDEF, la CGPME) se sont associés à la demande que ce débat soit tenu. Ce sont les représentants des syndicats. Les cinq grandes centrales syndicales françaises se sont engagées pour demander ce débat car, comme nous l’avons vu, les travailleurs sont déjà pleinement concernés dans quelques entreprises, ainsi que chez les fournisseurs, les clients qui manipuleront des technologies ou des produits. Ce sont bien sûr des représentants d’associations environnementales et enfin des représentants de consommateurs et de familles.

L’Etat a pris l’engagement d’organiser ce débat en réponse à cette demande d’élargir le débat au-delà des cercles scientifiques. Il y avait déjà eu depuis quelques années un soutien des pouvoirs publics à un débat entre experts publics et privés. En 2007, un colloque s’est tenu à la Cité des Sciences avec un certain nombre d’interlocuteurs scientifiques publics, privés et associatifs. Il y a également eu depuis 2007 le soutien du ministère de la Santé au nano forum du CNAM que Jean-Pierre Chaussade a évoqué et qui constitue un lieu de débat, de confrontation d’informations sur les nanotechnologies et les nanoproduits. Il a paru important aux partenaires du Grenelle de l’environnement d’élargir ce débat, puisque les conséquences, les impacts, les enjeux, les questions de compétitivité, de risques, d’évolutions sociétales associés aux nanotechnologies ne concernent pas que les experts, mais bien tous les Français.

Voilà la genèse de ce débat. Qu’est-ce que l’Etat veut en faire ? C’est un débat atypique. Jean-Pierre Chaussade l’a dit. Souvent, la forme du débat public est utilisée pour des projets déjà bouclés ou quasiment bouclés qu’il convient ensuite de porter à la connaissance du public pour avoir sa réaction. Il s’agit de projets d’infrastructure ou de grand équipement.

Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. L’Etat ne fait pas débattre sur un projet de réglementation notamment qui serait déjà ficelé, mais sur des orientations. Ces orientations sont des réflexions sur la gouvernance, sur la manière de gérer la complexité des enjeux et des conséquences de ces développements. Cela nous place dans une position d’écoute et non de défense d’un projet tout ficelé.

Les décisions ne sont pas prises. Nous sommes dans quelque chose d’assez nouveau, de débattre avec le plus grand nombre d’acteurs possible avant de prendre des décisions. Quelques décisions ont été prises. J’y reviendrai dans le courant du débat, s’il y a des questions sur les questions de déclaration liées aux nanoparticules notamment, mais l’ensemble des décisions ne sont pas prises.

M. CHAUSSADE.- Merci. Je demande aux membres de la première séquence de rejoindre leur place. Nous allons passer au concret, mais s’il y a une ou deux questions concernant le débat, son organisation, s’il y a un peu plus de compréhension là-dessus. Si quelqu’un veut intervenir, il est le bienvenu.

Une intervenante.- Selon quels critères a-t-on le droit d’entrer dans la salle ? J’ai des amis qui sont restés dehors. Ils n’avaient rien de spécial dans leur sac, seulement le délit d’être jeune ou je ne sais pas. Je voudrais que l’on me réponde. Sinon, je ne vois pas pourquoi je resterai ici. Vraiment.

M. CHAUSSADE.- C’est ce que j’ai précédemment expliqué : nous sommes dans un cadre Vigipirate. C’est sous la responsabilité des autorités de Besançon. Ce que nous demandons, c’est dans un deuxième temps de remplir le questionnaire pour une adhésion.

(Intervention hors micro.)

Une intervenante.- Si nous ne pouvons pas passer la porte extérieure, nous n’aurons pas de questionnaire contrairement à une personne qui n’est pas identifiée comme contestataire.

M. CHAUSSADE.- Y a-t-il une explication ?

M. VEDRINE.- Il y a effectivement Vigipirate, mais c’est une réunion...

Une intervenante (hors micro).

M. VEDRINE.- Je ne les connais pas, mais je vais vous expliquer la raison de la situation que j’ai vue autant que vous avez pu la voir ou que quelqu’un vous l’a dite. Nous faisons ces réunions depuis quelques fois. Nous en sommes à la septième. Il y a aujourd’hui de la part des personnes ou des autorités qui suivent nos débats, parce qu’ils sont importants, une vigilance sur l’ensemble des personnes. C’est tout. Au-delà de la notion de Vigipirate, nous écoutons les autorités publiques. Cela ne va pas plus loin.

Un intervenant.- Ces personnes peuvent-elles venir ou sont-elles définitivement en dehors du débat ?

M.VEDRINE.- Il faut que je voie si les autorités avec qui j’ai discuté sont encore là. Si vous le permettez, pour montrer qu’il y a un aspect positif, je vais voir si je peux trouver les personnes qui ont pris la décision et négocier avec elles pour que ces personnes puissent rentrer.

M. CHAUSSADE.- Nous faisons le maximum pour qu’elles puissent rentrer. Bruno Védrine va les rencontrer et voir ce qui est possible.

Je suis vraiment désolé de ce genre de choses car l’esprit est bien que tout le monde puisse s’exprimer, s’écouter et s’informer et que nous ayons un vrai débat dans la sérénité.  

 

Première séquence : Nanotechnologies et développement durable

Intervenants : Eric GAFFET (directeur de recherche au CNRS), Michel de LABACHELERIE (directeur de FEMTO-ST), Thierry BRUGVIN (président d’ATTAC Besançon), Serge PIRANDA (PDG de STATICE SANTE)
Animateur : Jean-Pierre CHAUSSADE, membre de la CPDP

 

Je voudrais que l’on ouvre cette première séquence. Elle concerne les nanosciences et nanotechnologies en région Franche-Comté. Il y a un certain nombre d’intervenants.

N’hésitez pas. Par rapport aux intervenants, je ne souhaite pas qu’il y ait une série d’exposés. Je souhaite que vous interveniez et que vous réagissiez au fur et à mesure. Nous gérerons au mieux pour que vous ayez les réponses à vos questions.

Je passe la parole à Eric GAFFET. Quand nous sommes venus ici il y a trois semaines pour repérer les activités dans la région, beaucoup de gens nous ont demandé si Eric GAFFET était sur la première table. C’est lui. C’est l’incontournable. Il sait tout et connaît tout. Nous l’avons donc invité. Merci, Eric GAFFET, de donner un peu l’aspect pédagogique, car c’est encore un peu mystérieux tout ce qui est nano, nanotechnologies, nanoproduits, etc. Merci de  nous éclairer.

M. GAFFET.- Cela s’appelle mettre la pression sur l’intervenant !

Je vais essayer de relever le défi. Je suis chercheur au CNRS et je travaille sur les nanomatériaux depuis ma thèse au début des années 80. Cela fait plus de 25 ans que je travaille dans le domaine des nanomatériaux.

Concrètement, on parle souvent de révolution nanomatériaux. Je précise que, pour la science des matériaux, l’aspect nanomatériaux en tant que tel est un paramètre supplémentaire pour à la fois modifier les propriétés chimiques ou physiques, par exemple, et atteindre ou optimiser les performances d’un matériau en termes d’application et de produit.

C’est ce qui est symbolisé par cette pyramide. Il y a les moyens d’élaboration que l’on appelle les procédés qui permettront d’obtenir le matériau. Parmi les paramètres que l’on utilisait jusqu’au début des années 70, on se fondait sur la modification de la cristallographie, soit la structure chimique de la matière. On pouvait également travailler sur les éléments d’addition, soit sur les aciers des bases aluminium pour améliorer les performances. C’est ainsi que l’on a permis d’alléger les carrosseries des voitures. La nanostructuration ou la dimension nanométrique est intervenue comme paramètre complémentaire. Dans les années 80, nous avons compris que cela avait un rôle très important en termes de modification de propriétés physiques et chimiques.

Pour obtenir les nanomatériaux en termes de procédés, les trois grandes familles sont indiquées en jaune. Vous voyez les méthodes mécaniques, physiques et chimiques. Il y a deux grandes voies de synthèse des nanomatériaux, des nanoparticules au sens large ou des nanodispositifs plus tard. Il y a la voie descendante pour travailler la matière et réduire la dimension de l’objet, ou alors la voie ascendante par laquelle nous travaillerons les atomes. Dans une première entité, les différents procédés essaieront d’élaborer les atomes et de les agréger les uns aux autres pour faire des particules et atteindre des dimensions nanométriques.

Sur les deux photos que vous voyez ici, il y a des nanoparticules de diamant. Elles mesurent 3,4 nanomètres. Sur la photo de droite, vous voyez une observation microscopique électronique en transmission. On a agrandi la matière. C’est une énorme loupe avec un agrandissement de 300 000. Les points blancs ou noirs sont des atomes. A l’échelle des laboratoires, on est capable d’imager les atomes et d’observer la matière.

Je travaille moi-même dans le domaine des méthodes mécaniques, ce que l’on appelle la mécanosynthèse. Cela consiste à prendre des matériaux, à les casser à haute énergie et à restructurer la matière à l’échelle nanométrique par une succession de fractures et de soudures. Pour cela, nous utilisons des broyeurs (inaudible) et nous obtenons des poudres. Ensuite, soit nous conservons ces poudres microniques de l’échelle du millième de millimètre à l’intérieur desquelles il y a une nanostructuration, car cela peut-être intéressant de travailler sur des nanoparticules pour certaines applications ; ou alors nous consolidons ces particules pour faire des matériaux massifs. Nous avons utilisé un procédé spécifique pour lequel nous avons un brevet avec un laboratoire américain que j’évoquerai ultérieurement, et nous consolidons la matière pour faire des pièces massives.

L’une des propriétés que j’illustre ici, par exemple, c’est un sillicium de (inaudible) métallique, c’est pour des applications à très haute température. Ce matériau est intéressant à haute température mais il présente simplement un problème rédhibitoire pour son application actuellement : c’est qu’entre 300 et 500 degrés, s’il est mis dans une atmosphère humide, il se transformera en poudre. Il ne peut donc pas être utilisé sous forme micronique ou millimétrique. En revanche, si vous avez un matériau nanostructuré (comme le petit cube que vous voyez en bas à droite à l’échelle du laboratoire, mais il fait tout de même 1 centimètre cube ; on peut faire aussi 10 centimètres cube), le même matériau à l’échelle nanométrique évitera cette corrosion catastrophique et ce matériau résiste très bien à la corrosion à 300 ou 400 degrés.

Sur la diapositive suivante, vous voyez la modification des propriétés mécaniques. Ici, en général, un matériau dur sera assez fragile. Sur l’axe vertical, les matériaux sont très résistants. En revanche, l’axe horizontal est l’allongement. Un matériau dur a une faible possibilité d’allongement. En revanche, un matériau que l’on peut allonger a une faible dureté. Quand on travaille sur les nanomatériaux, on peut améliorer les deux propriétés : à la fois l’allongement et la dureté. Sur la diapositive en haut qui est une multicouche cuivre-chrome, cela permet d’avoir des outils de coupe pour des machines à très haute vitesse.

Cette application est utilisée en France et a été développée avec une société sous-traitante de Renault, avec le CEA par exemple. Vous avez aussi la possibilité de déformer des matériaux normalement fragiles. Vous avez ici une céramique. C’est du verre. Si vous essayez de plier le verre avec cette enclume, il cassera. En revanche, à l’échelle nanométrique, il sera possible de le déformer complètement.

L’autre application : le petit morceau de cuivre en bas, vous avez en gros un échantillon qui peut faire un centimètre. Si vous le passez dans un laminoire, il vous sera possible de l’allonger de 5 000 pour cent.

Si je vous fais subir la même transformation, vous deviendrez aussi grand que la tour Eiffel.

En termes d’application du matériau, il est possible d’avoir un matériau beaucoup plus léger que l’on pourra mettre en forme très facilement et qui aura de bonnes propriétés.

Sur la diapositive suivante, dans le domaine de transfert des technologies et de valorisation de nos travaux, nous avons un certain nombre de transferts avec des entreprises leaders au niveau mondial, ainsi qu’un brevet avec un laboratoire américain en Californie portant sur la densification de nanomatériaux denses. C’était le premier brevet s’appuyant sur cette technologie développée par les Japonais 20 ans auparavant.

Le dernier transparent illustre la maîtrise des risques. Quand on est dans le domaine des nanomatériaux ou des nanoparticules en laboratoire, elle est prise en compte. Dès 2005-2006, dans mon laboratoire, nous avons fait faire des mesures de contrôle avec des équipes spécialisées de l’INRS (Institut national de la recherche sur la sécurité.) Nous avons mis un protocole opératoire dans le laboratoire permettant d’éviter l’exposition. C’est simple à faire pour notre situation. Toutes les opérations de transfert et de manipulation des poudres se font en boîtes à gants étanches qui permettent d’avoir un confinement étanche par rapport à l’atmosphère et qui n’exposent pas les opérateurs, que ce soit les permanents ou les étudiants.