Si nous prenons des maladies comme le cancer, on sait que le
développement d'un cancer est une succession d'événements rares. Ils
sont difficiles à détecter et se traduisent par des modifications
infimes, donc des concentrations très faibles. Parce que les
nanotechnologies ont développé un arsenal de techniques et de
procédures pour voir l'invisible et pour détecter ce qui est en
concentration infime, on arrive à détecter des choses qui jusqu'à
présent n'étaient pas détectables.
On comprend tout de suite que les applications principales seront des
applications in vitro pour lesquelles on va faire ces analyses
moléculaires sur des prélèvements issus du patient, et on va être
capable de détecter avec une grande finesse plusieurs types de
molécules que l'on va appeler des biomarqueurs qui vont aider nos
collègues médecins à faire un diagnostic approprié.
C'est important parce que meilleur est le diagnostic, meilleure sera la
thérapie. On sait aujourd'hui que les patients qui ont le même cancer
auront des signatures moléculaires toutes différentes. L'enjeu qui est
derrière, c'est que par cette analyse fine, précise des marqueurs
biologiques, on va pouvoir adapter une thérapie à chacun.
Les nanotechnologies, c’est petit, on voit l'invisible et, en médecine, on veut s'en servir essentiellement pour cela.
Ce qui est le plus avancé en matière de diagnostic, de détection, ce
sont des systèmes in vitro. Dans la chaîne de la prise en charge d'un
patient, une fois que ce patient est avéré et qu’il a des symptômes, on
fait des prélèvements et on essaie de faire les analyses avec la
finesse maximale avec laquelle on va avoir des signatures moléculaires
sur ces prélèvements, et on aide le médecin à ajuster sa thérapie.
Une fois que le malade suit une thérapie donnée par le médecin, non
par le chercheur que je suis, ces mêmes dispositifs vont permettre de
suivre la thérapie. Ce qui manque aux médecins, c’est de savoir si la
thérapie est efficace. En suivant l’évolution des concentrations de ces
biomarqueurs, on va aider à suivre cette thérapie.
Les applications in vivo sont plus difficiles. Elles sont plus dans le
domaine de la recherche. Évidemment, dès l'instant où on est dans l’in
vivo, se pose le problème de la toxicité, qui est très important et
dont il faudra débattre, et se pose aussi le problème des barrières
biologiques dont on a déjà parlé.
Dans l'in vivo je veux citer un exemple qui me paraît exceptionnel,
pour vous donner l'idée de ce qu'on prépare. On sait actuellement que
lorsqu'on fait une chirurgie, un des problèmes majeurs pour le
chirurgien est de savoir si on a enlevé complètement la tumeur et si on
n’a pas laissé quelques cellules tumorales qui vont pouvoir repartir et
faire renaître la tumeur. Par les nanotechnologies, on peut aider le
chirurgien pendant l'opération à voir ce qui d'habitude est invisible,
c'est-à-dire les bords de son ablation, pour savoir s'il ne laisse pas
encore du tissu cancéreux à l'intérieur.
C'est tout ce que je voulais dire pour l'aspect technique.
Par rapport aux événements qui ont précédé le lancement de ce débat, je voudrais positionner la position des chercheurs.
Il y a beaucoup de mes collègues dans la salle. Nous avons une position
de chercheurs et nous croyons à ce que nous faisons. D'une certaine
façon, les détracteurs des nanotechnologies pourraient dire que nous
sommes les promoteurs des nanotechnologies. Oui, nous le sommes, car,
sur certaines applications, nous croyons qu'elles vont avoir un
bénéfice net extrêmement positif. Cela dit, tous mes collègues
chercheurs répondront de façon libre à leur enthousiasme pour certaines
applications qu'ils poursuivent.
D'un autre côté, nous sommes des citoyens. Je suis chercheur, mais je
suis aussi un citoyen. Je m'interroge maintenant sur d'autres usages de
ces technologies qui sont en train d’être développées. Le chercheur va
montrer le possible, donner les voies d'application qui lui semblent
positives et, ensuite, on utilisera ces technologies avec un certain
nombre d'usages.
Je reviens sur mon diagnostic précis, précoce. Si ce diagnostic est
destiné à quelqu'un qui est malade, qui est un patient, c'est positif.
Je vais mieux le traiter. Et j'espère qu'effectivement je contribuerai
à une survie meilleure. Si maintenant les usages de ces technologies
sont autres, c’est-à-dire si je prends quelqu'un qui n'est pas malade,
qui n'a aucun symptôme, mais que je vais lui faire ses diagnostics très
précis pour prédire ce qui peut lui arriver dans le futur, là, les
usages sont différents. Il faut les discuter.
Le débat d'aujourd'hui est justement là, pour faire la distinction
entre le possible et les usages qu'on fera de ces technologies. Autant
il est possible, et c’est le rôle du chercheur, de les évaluer et de
montrer la voie, autant, pour les usages, c’est la société qui doit en
discuter. Ce débat, à mon sens, est destiné à cela.
Tout à l'heure dans l'intervention qui a précédé le débat, j'ai entendu
: « Il faut arrêter les nanotechnologies ». C'est une question :
faut-il arrêter les nanotechnologies ?
La question pour moi ne se pose pas comme cela. Ce n'est pas
responsable d'arrêter la recherche autour des nanotechnologies, car il
y a des côtés positifs que j'ai essayé de vous traduire et il faut les
évaluer.
La question que je poserai, moi, c’est celle des choix que nous faisons
pour ces nanotechnologies. Et c'est là que l’on va toucher les usages,
ce que l’on veut faire de ces technologies. Chacun d'entre nous peut
avoir une position. J'aurai aussi ma position de citoyen que je veux
éventuellement partager avec vous.
J'ai entendu aussi : « Il est trop tard, tout est joué, tout est fait
». Eh bien non, ce n'est pas trop tard. Je suis souvent face à deux
types de réflexion. La première catégorie des gens me disent : « Les
nanotechnologies, cela devient ennuyeux. On en parle depuis quinze ans,
et il y a en fait encore très peu de produits qui sont nano. Ils me
disent donc que c'était un soufflé et que cela tombe à plat. D'autres
disent que c'est trop tard, qu’il y a des produits partout, qu’on est
immergé, tous les choix sont faits.
La réalité est entre les deux. Dans le domaine de la nanomédecine, par
exemple, on estime, avec une définition stricte de ce que sont les
nanotechnologies, qu'à l'heure actuelle, 1 % de la médecine est une
nanomédecine. Il n’est pas trop tard pour discuter des usages que l'on
veut faire de ces technologies. Si on a une définition plus laxiste des
nanotechnologies, on arrive à peu près à 3 % de la médecine. Ce n'est
pas encore beaucoup. Donc, l’heure du débat est là, il n'est pas trop
tard. Je souhaite que ce débat soit là et qu’il porte sur les choix.
En fait, quand une société arrive à exprimer les choix qu'elle fait par
rapport à une technique, elle sort grandie parce que, à travers ses
choix, les valeurs ressortent. J'espère que, dans ce débat, nous
discuterons des valeurs. Ces valeurs vont s'exprimer par rapport au
choix que nous ferons de l'utilisation de ces technologies.
Mme JARRY.- Je vous remercie infiniment pour cette position. Je crois
que vous donnez une merveilleuse introduction à Rose Frayssinet. Je
voudrais vous préciser que vous avez pu voir à l'entrée de la salle
qu'il y avait beaucoup de petits fascicules, ce que nous appelons des
cahiers d'acteurs, qui sont à votre disposition pour vous informer,
mais pour permettre à chacun d'exprimer son avis.
Beaucoup ont souhaité exprimer leur avis, que ce soient les entreprises
du médicament, l'Académie de pharmacie, l’Académie de médecine, les
Amis de la Terre, etc.
Vous pouvez aussi les retrouver sur le site. Il en manque un, qui est
celui de l'Académie de pharmacie qui parle aussi de ces questions.
Certains manquent encore, mais ils seront mis en ligne sur le site du
débat dès qu'ils nous parviendront. Vous pouvez vous les procurer en
réunion. Celui-ci est celui des Amis de la Terre. Et madame Frayssinet
va nous en parler maintenant.
Mme FRAYSSINET.- Je suis un peu le mouton noir de toute l'équipe, car
je pense que la nanomédecine est le cheval de Troie des
nanotechnologies. On met toujours en avant la nanomédecine et ce que
cela va nous apporter. Parce que, bien entendu, on a envie d'être un
peu moins sourd ou ne pas mourir d'un cancer trop vite. Mais on n’a
absolument pas parlé de la prévention dans tout ce qui a été dit ici.
D'autre part, par rapport à l'ensemble des nanotechnologies, le domaine
de la nanomédecine ne représente que 2 % du budget global, c'est très
peu par rapport à toutes les autres applications. De plus, j'ai lu les
cahiers d'acteurs qui étaient déjà sur le site. L'entreprise du
médicament ne recense que 30 % de nano-produits contenant les
nano-vecteurs qui ont été évoqués. Et l'Académie de pharmacie dénombre
entre sept et huit médicaments, ce qui est peu. Qui plus est, on ne
sait pas du tout ce que ces nano-vecteurs ces petits camions qui vont
transporter ces médicaments vont devenir dans l'organisme.
Didier Rod nous l'a bien dit tout à l'heure. On se retrouve, dans la
nanomédecine, avec exactement les mêmes problèmes globaux posés par les
nanomatériaux et les nanotechnologies en général. Il faut faire
l'analyse bénéfice/risque mais aussi des dérives.
Comme on a parlé beaucoup des bénéfices, je voudrais mettre l'accent
sur la nanomédecine, avec les dérives possibles. Si l’on peut
surveiller la santé, on peut surveiller le comportement humain. Il
faudra y faire très attention.
Le fait d'avoir une nanomédecine très pointue, très sophistiquée va
engendrer une injustice sociale énorme au niveau des patients. Certains
pourront y accéder. Je ne parle pas que des pays développés, mais, dans
les pays moins avancés, beaucoup de gens n'auront pas droit à cela. Il
y aura une injustice sociale énorme.
D'autre part, vous avez parlé de techniques de réparation, mais on peut
aller encore beaucoup plus loin vers la transformation et donc vers des
dérives transhumanistes relativement vite.
Ces problèmes vont être posés dans tous les secteurs. Je veux revenir à
ce que dit l'académie de médecine, qui me heurte énormément : « Il
faudra quand même voir, et s'il y a des complications sanitaires, on
avisera le public ». J'ai lu cela dans le cahier d'acteurs de
l'Académie de médecine.
Je ne peux pas l'entendre car ce qu’on dit, c’est qu’on comptera les
morts, on dépolluera, on indemnisera. Nous, ici, à Toulouse, nous ne
pouvons pas entendre cela.
(Applaudissements.)
On a dépollué et on nous a indemnisés, mais nous sommes blessés. Je le
porte moi-même pour beaucoup d’autres, et je le dis très fort.
Excusez-moi, j'ai du mal à parler de cela.
Il faut voir que nous sommes dans cette logique. Quand on dit
bénéfice/risque, cela veut dire qu'on va essayer de compter combien on
va tolérer de morts, combien on va tolérer de problèmes de santé
accessoires ou qui vont arriver avec ces applications.
J'irai directement au sujet principal. Comme je le disais, la
nanomédecine, c’est la même chose que les autres problèmes que
présentent les nanomatériaux : les nano-objets et tous les produits
nano-structurés. Ils posent des problèmes de santé. Et qu'on ne nous
dise plus qu'il y a des incertitudes, car les études tombent les unes
après les autres pour dire qu'il y a des problèmes, comme vous l'avez
dit, de passage des barrières naturelles : cela veut dire que la
cohorte de lésions de l’ADN, de mésothéliomes et de tous ces problèmes.
C'est déjà avéré.
Les nanotubes de carbone, c'est pratiquement comme l'amiante. Bien sûr,
il y a des nanoparticules qui sont plus dangereuses que d’autres, mais
c’est déjà avéré. Qu'on ne nous dise plus qu'on est encore dans le
domaine de l'incertitude. On a déjà des certitudes. Il faudrait arrêter
maintenant de nous balader depuis des années.
Pour l'environnement, c'est exactement pareil. Pour les hommes, il y
avait ces problèmes de lésions aussi, pour les petits poissons dans
l'eau, quand ils vont avoir ces nanoparticules, c'est pareil. Pour les
plantes, on a déjà des études sur le riz qui montrent des dégradations
importantes du riz : il ne se développe plus du tout de la même
manière. Ils accumulent ces substances. Tout cela, nous le savons déjà.
Il faut quand même que les pouvoirs publics prennent des décisions. Je
me demande combien il faut d'études pour qu'on arrive à prendre des
décisions et qu'on mette les choses un peu à plat. On a un peu parlé du
contrôle de l'individu par les RFID. Elles vont servir pour voir de
très petites choses, mais elles servent déjà pour "fliquer". J’emploie
ce mot d’argot, car c'est cela qui se passe. On est là vraiment dans
l'atteinte des libertés individuelles.
J'ai parlé de transhumanisme, et je pense que la salle va réagir.
Ce qui me paraît le plus important, c'est que, pour l'instant, on veut
absolument nous faire croire qu’il faut aller dans la course des
nanotechnologies, qu’il faut éviter que les entreprises européennes et
françaises soient encore hors de la course. Mais pour quoi faire ? Pour
faire des produits de quelle utilité sociale ? Je me le demande.
(Applaudissements.)
Je me demande si c’est bien important, comme les nanoparticules qui
enveloppent le sel ou le chocolat, on se fiche qu'elles coulent plus ou
moins bien. Si on nous fait avaler du dioxyde de silice ou d'autre
chose, à quoi cela sert-il ? Il me semble qu'il faudra se poser la
question de l'utilité sociale de ces produits. En sommes-nous là ?
Mme JARRY.- Là, nous essayons de restreindre le débat au champ de la médecine.
Mme FRAYSSINET.- Oui, mais cela le rejoint. J'ai bien dit que les
nanomédecines sont le cheval de Troie de la médecine. On nous fait
avaler tout le reste derrière, et ce n'est pas possible. Au niveau des
financements, ceux attribués aux nanotechnologies assèchent
complètement d'autres techniques qui seraient plus judicieuses et qui
seraient moins consommatrices d'énergie.
Je vous conseille de lire notre cahier d'acteurs, qui est plus complet.
Je voulais tout de même aborder cela, car il me semblait que c'était
absolument important de le dire maintenant, surtout que nous sommes au
tout début du débat. Je ne sais pas si beaucoup de gens connaissent la
problématique complète. Ce que nous ne voudrions pas, nous, c’est qu'on
transforme le débat et qu’on ne le voie pas dans son ensemble. Je
voulais prendre le temps de dire l'ensemble du problème.
(Applaudissements.)
Mme JARRY.- Merci beaucoup. Beaucoup de questions me sont arrivées.
Mme FRAYSSINET.- Je voudrais dire que nous sommes pour un moratoire. Il
a fallu des années pour construire notre positionnement. Nous n’étions
pas contre a priori, mais, au fur et à mesure de nos lectures, de nos
compilations, de l'échange au niveau international, nous nous sommes
rendu compte que ce n'était pas possible de continuer comme cela.
Nous demandons donc un moratoire sur les nanotechnologies.
Mme JARRY.- J'ai beaucoup de questions qui sont arrivées sur papier,
mais il serait plus agréable que les gens se lèvent, disent leur nom et
posent leurs questions. Je pourrai en lire une partie. Certaines sont
très intéressantes :
« Plutôt que guérir, ne pourrait-on pas essayer de prévenir en
travaillant sur les questions d'environnement ? » Il est vrai que la
tâche est difficile, tant le champ que couvre cette technologie
nouvelle est grand.
S'il y a des questions qui s'adressent aux participants, c'est le moment.
Julien.- Je voudrais dire que j'étais d'accord avec ce que vient de
dire madame Frayssinet, notamment au sujet du transhumanisme, qui est
une idéologie qu'on connaît peu mais qui chapeaute les nano, en tout
cas dans les couloirs des lobbies de l’industrie pharmaceutique et
aussi alimentaire.
J'avais une question plus directe pour M. Didier Rod.
Vous avez parlé des nanotubes de carbone il me semble. En revanche,
vous n'avez pas expliqué que, au niveau des nanotubes, les assurances
avaient refusé d’assurer les entreprises qui les fabriquent parce que,
justement, ces nanotubes laissent penser que les risques sont énormes.
La question qui a notamment été posée par les gens derrière, c’est :
pourquoi n'arrête-t-on pas sur cette question des nanotubes de carbone,
alors que les assurances elles-mêmes refusent de soutenir les
industries qui les fabriquent ?
J'aurais une deuxième question qui s'adresse à l'organisateur, au
président du débat public. Il nous a présenté ce débat public comme
étant démocratique, mais c'est plutôt une consultation de l'opinion
publique organisée par une entreprise qui s'occupe de cela et qui s’est
également occupée l'année dernière de faire une veille de l'opinion et
des personnes qui travaillent dans le secteur de l'éducation nationale.
Donc, pour moi, ce débat public, je suis content d'y être et d'y
participer, mais les décisions sont déjà prises.
Mme JARRY.- La commission du débat public n'est pas une entreprise.
Julien.- Vous passez par une entreprise pour l'organiser. J'ai lu ce qui était expliqué. C’est l’entreprise I&E.
Mme JARRY.- C'est une agence de communication qui s'occupe de la
logistique. Nous sommes sept membres de la commission, et nous ne
pouvons pas organiser à 7 un débat national. Bien sûr que nous sommes
aidés.
Julien.- Ne mentez pas, madame. Cette société n'est là que pour
récolter des informations sur l’avis des gens. On est d'accord, c’est
une veille de l'opinion. Ce n'est pas un débat. Un débat laisse penser
que, derrière, il y a des décisions. Aujourd’hui, les décisions sont
déjà prises. Notamment, Nicolas Sarkozy qui vient de donner 70 M€ de
plus en 2009 pour développer les nanotechnologies. Minatec a été ouvert
en 2006 à Grenoble avec la présence policière au cas où il y aurait des
débordements. Je ne pense pas que nous soyons vraiment dans un débat et
que nous puissions dire que nous ne voulons pas des nanotechnologies.
Nous avons des faits : par exemple les assurances qui refusent
d'assurer ceux qui produisent des nanotubes de carbone. Pourquoi n’y
a-t-il pas une décision concrète de la part des pouvoirs publics ou des
intervenants de dire : « On arrête » ? C’est cela, ma question.
(Applaudissements.)
M. LE PRESIDENT.- Sur la question des assurances, nous les entendrons.
Et nous verrons où elles en sont de leur réflexion. Pas aujourd'hui,
mais nous les entendrons. Si elles ne veulent pas assurer, ce n'est pas
parce qu’elles considèrent que le risque est énorme. On peut assurer un
risque énorme. Dans l'état actuel des choses, elles refusent d'assurer.
Pourquoi ne le font-elles pas ? Parce que le risque n'est pas
aujourd'hui quantifiable de manière suffisamment précise.
Julien.- Il n'y a donc pas d'études qui démontrent que c'est aussi dangereux que l'amiante ? Ce n’est pas vrai.
M. LE PRESIDENT.- Ni dans un sens ni dans l’autre.
Julien.- Les assurances se basent sur ces études-là.
Mme JARRY.- Sur la question des risques des nanotubes de carbone, nous
avons quelqu'un dans la salle qui travaille sur des études. Nous
pouvons aussi parler de cela.
M. LE PRESIDENT.- Laissons de côté cette question. Ce que je ne peux
pas admettre, c’est d'imaginer un seul instant que c'est une agence de
communication qui dirige le débat.
Julien.- Je n'ai pas dit qui « dirigeait », mais qui « organisait ».
M. LE PRESIDENT.- Non, c'est nous qui l'organisons et c’est nous qui disons ce qu'elle doit faire.
Julien.- Vous avez donc embauché une agence pour faire une veille de
l’opinion publique et qui est celle qui a été utilisée par le
gouvernement l’année dernière pour faire une veille de l’opinion
publique. Vous savez ce que nous vous disons là. Je ne suis pas en
train de vous mentir.
M. LE PRESIDENT.- L’agence de communication a peut-être fait des
veilles pour ceci ou pour cela, mais je peux vous garantir que dans le
cadre du débat, elle n'est pas là pour faire une veille, mais pour nous
aider à organiser matériellement le débat. Comment me croire ?
Julien.- Les décisions ont déjà été prises. Il y a des investissements
qui sont faits depuis des années dans les nanotechnologies, et
aujourd'hui on vient nous voir en nous disant qu’on va nous consulter,
nous laisser le droit de dire ce que nous pensons de ces
nanotechnologies, alors que les investissements sont déjà faits,
énormes, comme l'a dit madame Frayssinet : 70 M€ pour 2009 ! Ce n’est
pas rien.
M. LE PRESIDENT.- 70 M€ pour 2009, c'est effectivement, une somme, mais
il faut relativiser par rapport à d'autres choses. Le point qui est
clair, et qui a bien été dit autour de cette table, c’est
qu'aujourd'hui, par exemple, dans le domaine médical, les applications
des nanotechnologies représentent un tout petit pourcentage, ce qui
veut dire qu’il y a là devant nous, selon les experts je ne suis pas
là pour juger s'ils ont raison ou non un champ considérable de
développement. Ce champ a besoin d'être maîtrisé.
Nous sommes là pour en discuter. Sur les choses qui existent
aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui, je l’espère, sont
totalement réversibles. Il y a devant nous tout un ensemble de
décisions à prendre. Ce débat peut les éclairer.
Ce que je vais vous dire maintenant, c'est à titre personnel. J'ai 70
ans, je ne serais pas là à faire le pitre devant vous si je n'étais pas
convaincu que ce débat servait à quelque chose. Je mets en jeu ma
crédibilité personnelle.
Julien.- Vous n’avez pas répondu à la question : pourquoi les assurances ?
Mme JARRY.- Quelqu'un veut bien répondre à votre question.
M. VIEU.- A priori cela ne ressemble pas tout à fait à une question.
Vous exprimez une opinion en disant : pourquoi n'arrête-t-on pas les
nanotechnologies ? C'est votre position personnelle. Je peux vous
demander sur quels arguments elle est fondée ? J'ai essayé d’expliquer
tout à l'heure que les nanotechnologies, comme toute technologie, ont
évidemment des usages qui vont être positifs et d'autres qu'il faut
discuter. Ce que j'ai essayé d'introduire comme notion, c’est une
notion de casuistique.
Au cas par cas, il faut regarder si telle ou telle application que nous
visons, telle ou telle recherche que nous faisons, nous devons la
continuer ou non.
Quand vous dites : « On stoppe tout », vous englobez un budget global
de 70 M€ qui inclut diverses applications. En prenant en compte un
point particulier qui est celui des nanotubes, qui est étudié, vous
voulez globalement jeter tout le bébé avec l'eau du bain. C'est votre
position personnelle. Je vous dis simplement, que, moi, je suis sur une
position différente qui est qu’il y a évidemment des choses positives
dans ces développements que nous faisons autour des nanotechnologies.
Je veux qu'elles voient le jour.
Les chercheurs qui sont autour de moi sont impliqués pour démontrer
qu'effectivement des malades pourront en bénéficier un jour. Mais je ne
suis pas pour dire, par une position de principe un peu idéologique,
qu’il faut tout arrêter, sous prétexte que je vais prendre ici un
exemple en disant qu’ici il y a toxicité. Je suis sur la nuance. Ce
débat est destiné à expliquer ces nuances.
(Applaudissements.)
M. TEILLAC.- Plus qu'une réponse exacte. C'est un parallélisme sur la
recherche et l'utilisation de la recherche. On a vu il y a quelque
temps des marqueurs prédictifs de l'apparition d'un cancer et en
particulier du cancer du sein. Vous avez tous entendu parler de la
dérive qu'il y a pu avoir de l'utilisation de ces marqueurs qui ont
amené à faire l'ablation des seins, parfois l'ablation bilatérale des
seins chez les femmes aux Etats-Unis sous prétexte qu'elles avaient sur
une prise de sang un marqueur qui prédisait qu'elles allaient avoir un
cancer du sein dans le futur. C'est une dérive évidente. Pour essayer
de comprendre l'intervention qui vient d'être faite, c'est une dérive
que l'on doit éviter absolument et que l'on ne pourra éviter qu'en
renforçant la recherche au stade de compréhension sur les
nanotechnologies. Je crois que, tant que l’on n'aura pas une
connaissance approfondie des nanotechnologies, on aura du mal à
connaître les dérives potentielles, sauf à aller dans les dérives que
je viens de décrire. Il est clair que l'investissement qui peut être
fait sur la recherche dans ce domaine, que ce soit dans un but
diagnostique ou également dans un but thérapeutique, ne doit pas
s'arrêter. Par contre, l'utilisation –c'est ce que disait Christophe
Vieu tout à l'heure– c'est le vrai débat. Quelle utilisation en faire ?
C'est quasiment un débat qui nous amène à discuter sur : doit-on ou pas
dépister les tumeurs ? La nanotechnologie, c'est un outil. On doit
savoir s'en servir et tout outil nous permettra de faire des progrès.
L'erreur, c'est de s'en servir mal à propos et de faire des erreurs
avec l'outil. C'est ce qui s'est passé avec PCR2. C'est le marqueur des
cancers du sein dont je parlais tout à l'heure. Et c'est ce qui ne doit
pas se passer avec les nanotechnologies. Il faut continuer à chercher
dessus.
M. GOUAREN.- En préambule à mes deux questions, la question précédente
s'adressait à M. Rob. Ce serait bien qu'il réponde. J'ai deux
questions. Il me semble qu'on met dans le même sac nanotechnologie des
choses qui n'ont rien à voir entre elles. Je ne pense pas qu'il y ait
des liens particuliers entre une nanoparticule et un nanorobot. Je
crains que le débat soit biaisé par ce seul fait, que l'on parle de
santé ou d'autres sujets. Chacun va se renvoyer les bienfaits de choses
qui n'ont rien à voir entre elles. C'est assez inquiétant pour le
débat.
Autre question. Les pro-nano, si je peux vous appeler ainsi, nous
parlent beaucoup de cancer et de guérison du cancer, pas seulement,
mais beaucoup. Il me semble qu'on étudie relativement peu les causes
environnementales du cancer, en particulier liées aux substances à la
prolifération de substances chimiques. À votre avis, à choisir, on
commence par quelle recherche ?
(Applaudissements)
M. ROD.- Je vais répondre aux questions. D'abord, c'est vrai, le
monsieur qui est intervenu tout à l'heure a eu raison de le dire,
aujourd'hui quand on lit les rapports des sociétés d'assurances, elles
sont extrêmement réservées à l'assurance d'un certain nombre
d'entreprises sur les nanotechnologies. C'est vrai, dans la mesure où
elles estiment qu'aujourd'hui, classiquement, quand on évalue un
médicament, on fait une évaluation bénéfice/risque et donc on prend
dans ce bénéfice/risque un certain nombre de garanties. Elles pensent
aujourd'hui que l'évaluation des risques, pas seulement sur les
médicaments, n'est pas suffisante pour avoir un retour sur
investissement de leur assurance. Le rapport le plus récent c'est
l'assurance SWISS qui est très intéressante à étudier, elle montre
qu'ils ne sont pas en train de dire que les nanotechnologies c'est
mauvais, mais que les doutes sur les risques des nanotechnologies sont
suffisamment graves pour ne pas perdre de l'argent sur des risques. Ce
ne sont pas des philanthropes, ils cherchent leurs bénéfices et pensent
que leurs bénéfices risqueraient de tomber. C’est pourquoi les
assurances ne veulent pas prendre ces risques.
Deuxième question, c'est une question écrite, est-ce que la directive
REACH s'applique aux nanoparticules ? Il y a eu plusieurs questions
écrites sur cette question. Je voudrais y répondre deux minutes, parce
que j'étais au Parlement européen quand il y a eu cette directive.
Théoriquement oui, la directive REACH s'applique aux nanoparticules. En
pratique, non. Parce que trois éléments : d'abord, si les
nanoparticules sont contenues dans un produit déjà évalué, par exemple
les cosmétiques, dans ce cas-là la nanoparticule n'est pas évaluée en
tant que telle, c'est le cosmétique qui est évalué. Donc, bien
évidemment la directive REACH ne s'applique pas à toutes les
nanoparticules contenues dans les cosmétiques.
Deuxième élément : quand une substance chimique est évaluée, on
n’évalue pas les substances dérivées. Par exemple, si le carbone est
évalué dans la directive REACH, on n'évaluera pas spécifiquement les
nanoparticules ou les nanotubes de carbone. Ils ne seront donc pas
évalués dans la directive REACH.
Troisième élément : il y a une question de tonnage dans la directive
REACH. Pour que la directive REACH s'applique à des molécules, il faut
un tonnage d'au moins une tonne. Bien évidemment, la directive REACH ne
s'applique pas aux nanoparticules, parce qu'elles sont petites, souvent
ce sont des éléments d'appréciation. Si elle s'applique en théorie, en
réalité et en pratique elle ne s'applique pas. C'est d'ailleurs une
revendication qu'a posée le Parlement européen au mois de mars, dans
une résolution, qui demandait une législation spécifique aux
nanotechnologies et aux nanoparticules pour que la législation
européenne puisse s'appliquer en termes de bénéfice/risque.
(Applaudissements.)
M. MASSET- Pour rebondir là-dessus. C'est tout à fait exact pour la
directive REACH. C'est d'ailleurs dans ce cadre que la Direction
générale de la santé, et que l'AFSSAPS qui a aussi en charge les
cosmétiques, ont demandé à ce que les nanoparticules ne soient plus
limitées par cette limite d'une tonne. Il faut dire que l'exigence des
études dans REACH est fonction du tonnage et en fait on arrive à des
études pertinentes sur la sécurité une fois qu'on est au-delà de 10 ou
20 tonnes. C'est sûr qu'on ne les obtiendra jamais. On pousse pour
avoir ces informations pour mieux garantir la sécurité des utilisateurs
et des patients.
La directive REACH ne s'applique pas aux médicaments. Les médicaments
c'est une législation à part où l'exigence en termes d'étude est
extrêmement importante. Ceci dit, tout un débat est ouvert : cette
législation est-elle appliquée actuellement aux nanotechnologies, aux
nano-objets, plus qu'aux nanotechnologies, destinés à l'homme ? Nous
avons actuellement ce débat au sein de notre agence. On a d'ailleurs
sorti des recommandations pour les industriels pour leur dire :
attention si vous venez nous déposer pour un essai clinique ou pour une
autorisation de mise sur le marché un nouveau médicament ou un
nanoobjet qui intègre cette technologie, on va vous demander tel ou tel
point. Il est vrai que les études récentes et le porté sur le débat ont
fait évoluer ces nouveaux aspects en termes de sécurité sur les
médicaments.
INTERVENANT.- J'ai une question par rapport à madame Rose Frayssinet,
qui représente les Amis de la Terre, qui au niveau de sa synthèse dit :
« les Amis de la Terre demandent un moratoire sur la recherche et la
commercialisation des nanotechnologies, qui est la seule attitude
raisonnable ». Est-ce que vous maintenez cette position, oui ou non ?
Deuxième question générique. On propose nanotechnologie et médecine qui
est une vieille technique que l'on a déjà vue sur les OGM, qui est de
casser tout système de réflexion en disant : « Une recherche médicale
produira automatiquement un bienfait pour votre santé personnelle
indépendamment de toute destruction possible et imaginable sur
l'environnement ». C'est le cas en autres en nanotechnologie. On met
des particules de fer dans l'océan pour soi-disant capter du CO2. J'en
passe et des meilleures. On pourrait aller très loin. Le débat est très
biaisé sur la manière dont vous le posez.
Mme FRAYSSINET.- J'ai un peu dit cela au début. J'ai bien dit que les
nanomédecine étaient le cheval de Troie des nanotechnologies. Cela
voulait dire tout à fait ce que vous avez dit. Oui, nous sommes pour un
moratoire sur la recherche et sur la commercialisation des
nanoproduits, parce que justement –je l'ai aussi évoqué peut-être trop
rapidement, surtout les risques–, il faut savoir effectivement qu'il y
a plus de 1 000 produits commercialisés. On ne va pas parler des petits
bouts de la médecine, mais de tous les autres. Il apparaît maintenant,
que c'est pire que les OGM, parce que ce sont tous les secteurs. On a
une démultiplication des personnes exposées. C'est énorme. C'est pour
cela qu'on dit : « Attendez, avant cela, il faut être sûr de
l'innocuité des produits. Il faut être sûr que les médicaments et
nanovecteurs ne vont pas se retrouver dans les effluents et qu'on
retrouve de la radioactivité ou des hormones, etc. » Tout cela, on veut
en être bien sûr. Ce que l'on voit, c'est que pour l'instant, il n'y a
pas encore de décision. Il faut s'arrêter. Comme cela a été dit à
plusieurs reprises : pourquoi tous ces cancers ? Je crois que
maintenant on sait très bien et on arrive à démontrer que les cancers
sont dus à la pollution chimique et on va nous donner d'autres
pollutions chimiques. Sur ces nanoparticules, on ne connaît pas les
effets de dose. En toxicologie, les toxicologues nous disent que même
les marqueurs ne sont pas les bons marqueurs. Il faut tout réinventer.
On cite très souvent l'or qui à l'échelle micrométrique est
complètement inerte, à l'échelle nanométrique il devient un catalyseur
et peut provoquer des choses qu'il n'était pas censé provoquer. À 2
nanomètres, il n'a pas les mêmes propriétés qu'à 20 nanomètres. Ce sont
des choses complètement... En fait, on est en train de jouer à
l'apprenti-sorcier. Pour nous, c'est très clair. Pour l'instant, il n'y
a absolument pas de filtres qui sachent arrêter et capter cela. On
commence peut-être à en trouver un, mais ce n'est pas sûr. On ne sait
pas les compter dans l'atmosphère. On ne sait pas si des gants sont
suffisamment fins pour arrêter cela. Quant aux masques, il n'y a encore
rien. On vous dit bien, pour les nanomédicaments, qu'il faut que cela
soit fait dans les salles blanches, parce que c'est dangereux, mais
après on va nous les balancer partout. Vous comprenez qu'en tant que
citoyens écologistes, on se pose des questions.
M. TEILLAC.- On peut vous comprendre sur le moratoire de l'utilisation,
mais il est difficile de pouvoir accepter un moratoire sur la
recherche, car la recherche c'est tout simplement de la connaissance.
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