Une question est posée par une internaute aux intervenants sur le traitement des cancers par l’utilisation de nanotechnologies ou microparticules composées d’or ou d’argent pour illuminer une zone infectée afin de tuer celle-ci par la chaleur dégagée. Des études sont-elles réalisées sur la toxicité de ces traitements ? Claire Billotey précise qu’il s’agit de photothérapie et que l’utilisation chez l’homme nécessite de passer par la phase d’évaluation toxicologique.
Patrice Marche, de l’INSERM, ajoute que dans le cadre d’une utilisation thérapeutique comme le traitement d’un cancer, l’exposition est ponctuelle, contrairement à une exposition chronique dans un usage domestique. Dans l’innovation thérapeutique, le praticien doit peser le bénéfice et le risque apporté, et l’on peut tolérer un certain risque pour des maladies sans traitement comme des tumeurs du cerveau chez l’enfant.
Jean Bergougnoux fait remarquer que l’approche bénéfices/risques n’est peut-être pas de mise dans d’autres domaines.
Patrice Marche observe fait remarquer qu’aucun traitement médical n’est sans risque. Claire Billotey complète en précisant que les nanotechnologies permettent de concentrer le produit qui est toxique au sein des tumeurs et diminuent les effets secondaires sur les cellules saines. Par ailleurs, le risque et l’incertitude sont deux choses différentes et quand on fait de la prévision, il y a une marge d’incertitude, à l’image de la météorologie.
Concernant l’élimination des nanoparticules, Patrick Boisseau indique qu’elles peuvent être de nature très différente : certaines sont organiques et peuvent être biodégradables d’autres ne sont pas éliminées. Le principe de base des études de toxicologie médicale est de comprendre au bout de combien de temps elles sont détruites ou éliminées et comment. Patrice Marche indique que 99,9 % sont effectivement éliminées. Le 0,01 % fait partie de l’incertitude : il a pu être éliminé ou séquestré dans certaines cellules particulières. Les essais de toxicité déterminent, chez l’animal injecté, si des syndromes se développent.
Jean-Pierre Chaussade fait remonter une question de la salle, relative à une étude réalisée sur la prise de la pilule par les femmes dont une des conséquences est que l’on retrouve des hormones dans les urines puis dans l’eau des stations d’épuration. Cela a des conséquences sur l’environnement. Dominique Gombert, de l’AFSSET, indique qu’il n’a pas d’information particulière sur les rejets induits par des usages médicamenteux. Pour d’autres usages, tels que l’imprégnation des textiles ou dans le bâtiment, on sait qu’au fil des lavages ou de l’usure des bâtiments, la question du largage dans l’environnement se pose. De plus, certains nanomatériaux vont avoir une capacité à s’accumuler.
Claire Billotey estime que les risques environnementaux dus aux rejets des produits toxiques dans l’environnement sont admissibles lorsqu’on fait référence à un traitement qui est essentiel pour le patient.
Après ce point sur les utilisations médicales, la parole est donnée aux chercheurs.
Jean-Pierre Cloarec est chercheur à l’Institut des nanotechnologies de Lyon, qui travaille dans quatre grands domaines : les matériaux, l’électronique, la photonique et la biotechnologie santé. Concernant les questions d’hygiène et de sécurité à l’intérieur du laboratoire, il assure qu’elles peuvent être améliorées constamment. Le laboratoire reste un environnement dangereux, et des formations sont régulièrement mises en place pour répondre aux évolutions continues.
Patrice Boisseau tente de donner une définition des nanobiotechnologies, qu’il sépare en trois mots : nano, bio et technologies. Nano se réfère à la taille, bio est tout ce qui est appliqué à la biologie (médecine, recherche dans les sciences de la vie, agroalimentaire, environnement), et technologies correspond aux objets, services ou systèmes fabriqués par l’homme.
Il y a par exemple, des molécules pharmaceutiques extrêmement puissantes pour détruire des cellules cancéreuses, mais si on les met sous forme de comprimés, elles vont se dégrader dans le tube digestif et n’arriveront jamais jusqu’à la tumeur cancéreuse, ou bien elles créent des effets secondaires parce qu’elles interagissent avec les cellules saines. En développant ces molécules médicamenteuses, on arrive à protéger tout ce qu’on transporte dans le corps humain pour arriver jusqu’à la cellule cancéreuse, où le médicament qu’elles contiennent peut être largué afin de détruire uniquement la tumeur. C’est une réelle amélioration thérapeutique, qui se passe à l’échelle nanométrique.
Un internaute demande s’il existe d’autres applications médicales déjà existantes que des thérapies contre des cancers. Claire Billotey indique qu’il existe des applications potentielles importantes en imagerie médicale. Patrice Marche ajoute qu’un grand champ d’application existe autour de la construction de nouveaux matériaux, notamment de substitution, dans le domaine de l’orthopédie, pour les problèmes d’articulation. En médecine, un autre champ d’application est en cours de développement : des dispositifs implantés, c’est-à-dire des capteurs capables de réguler le taux d’insuline pour les diabétiques. En chirurgie, la réduction de la taille des instruments a permis des progrès considérables.
Alain Chabrolle prend la parole pour rappeler ce que France Nature Environnement fait dans ce débat. FNE n’a aucun lien avec les industriels, les financiers ou les organisateurs du débat public. Lui-même représente le réseau santé environnement de FNE qui fédère en France 3 000 associations de protections de l’environnement en France.
Partant des incertitudes qui pèsent sur les nanotechnologies, FNE s’est inquiété depuis plusieurs années du développement de celles-ci. Sa position sur les nanotechnologies va bien au-delà de la nécessité au demeurant cruciale d’un réel l contrôle de la traçabilité et du respect de la t réglementation. Considérant que le développement des nanotechnologies est une affaire publique, l’association a exigé que les nanotechnologies soient soumises au débat public.
Alain Chabrolle remarque que ce débat se déroule dans un contexte particulier puisque des nanoproduits sont déjà fabriqués en France, en Europe et dans le monde. N’est-il pas déjà trop tard, et les nanoproduits sont-ils indispensables ?
Dans la Région Rhône-Alpes, une partie de la population est soumise aux problèmes des microparticules qui affectent gravement la santé. L’urgence n’est-elle pas d’investir massivement dans la réduction de la pollution, la prévention des cancers, l’accès à l’eau et à la nourriture, avant de développer des nanoproduits ? Pour FNE, une question issue de leur expérience et de leur observation se pose, celle de l’analyse bénéfices/risques qui, compte tenu des lacunes des connaissances et du déséquilibre entre les connaissances et le développement massif des nanoproduits, est inapplicable.
Dominique Gombert pointe le champ des expositions professionnelles, qui est, au cœur des missions de l’AFSSET. Les personnes qui travaillent sur les nanotechnologies sont plus exposées que les autres et offrent un champ de documentation très important en termes d’efficacité de la prévention et d’outils de prévention. On estime que 10 000 personnes sont exposées aux nanomatériaux dans le cadre de leur travail, 7 000 chercheurs et 3 000 personnes dans la production. L’AFSSET recommande de considérer systématiquement les nanomatériaux comme des substances dangereuses et de mettre en œuvre les meilleurs dispositifs de protection, ainsi que des outils de métrologie des expositions. On sait d’ailleurs que le public est déjà exposé à plusieurs centaines de produits, (cosmétiques, textile et bâtiment ou autres).
Au-delà de la question de la toxicité des produits, dont les usages peuvent être maîtrisés et dans des tonnages limités, il s’interroge sur le devenir des nanomatériaux dans l’environnement et la manière dont les consommateurs vont y être exposés. Des zones d’ombre importantes persistent sur la caractérisation des expositions. Des sommes considérables sont affectées à la recherche-développement, mais beaucoup moins à l’étude des risques associés (1 % des publications produites), alors qu’ils peuvent être extrêmement variables d’une nanoparticule à l’autre.
Par ailleurs, pour évaluer les risques, les méthodologies classiques sont à leurs limites et il sera nécessaire d’inventer des technologies nouvelles pour répondre rapidement aux interrogations d’aujourd’hui.
De la même manière, en matière de réglementation, en fonction des types d’usage, on peut avoir une hétérogénéité, par exemple selon qu’il s’agit d’aliments ou de produits cosmétiques. Mais aussi, dans la palette des produits qui existent, entre le nanomédicament et le nanoargent dans les chaussettes, des éléments de relatif bon sens peuvent contribuer à l’évaluation du rapport bénéfices/danger.
Une question du public vient interroger l’utilité des nanotechnologies en matière médicale. L’augmentation des cancers n’est-elle pas en grande partie une conséquence de notre mode de vie et des technologies récentes, et en faisant appel à de nouvelles technologies pour y remédier, ne risque-t-on pas de découvrir des conséquences environnementales plus graves encore, et ainsi de suite ? Cela rejoint une question déjà posée antérieurement : devant la rareté des crédits consacrés à la recherche, ne devrait-on pas les concentrer dans la recherche des causes de ces cancers plutôt que dans les moyens de guérison ? L’idée de ne pas poursuivre la recherche pour améliorer le traitement contre le cancer horrifie Claire Billotey qui objecte que les nanotechnologies permettent d’espérer soigner des tumeurs pour lesquelles il n’existe jusqu’à présent aucun traitement. Il faut faire les deux : trouver les causes et évaluer l’effet toxique de particules industrielles et poursuivre la recherche en matière thérapeutique.
En réponse à une autre question du public sur les utilisations militaires, Alain Chabrolle souligne en effet qu’avec les nanotechnologies le danger change de nature. Les puces RFID, par exemple, sont invisibles et peuvent être utilisées totalement à l’insu des personnes surveillées. Cela doit être mis aussi en parallèle avec la faiblesse des moyens de contrôle de l’État, du manque d’inspecteurs du travail, du manque de moyens de ceux-ci et du quasi-démantèlement de la direction du contrôle des fraudes (DGCCRF). Jean-Pierre Cloarec renchérit en signalant que les outils institutionnels pour encadrer la recherche atteignent un stade critique.