Le Code du Travail précise qu'il faut d'abord prévoir une protection collective avant la protection individuelle. Or, comment protéger les salariés contre des nanotubes de carbone, par exemple, qui vont envahir nos installations et vectoriser tous les polluants qu'il peut y avoir dans nos installations ? Comment se protéger contre tout cela, contre un risque qui n'est absolument pas apprécié ?
Selon certains, en ce qui concerne les nanotubes de carbone, on peut en boire et en manger… Cela dit, quand on cherche un peu sur Internet, par exemple, on se rend compte qu'il y a, d'une part, la prose du fabricant qui dit que tout va bien et, d'autre part, la voix de ceux qui disent qu'il y a peut-être beaucoup à regarder…
Le Code du Travail le précise bien, mais comment protéger les salariés contre des risques qui ne sont pas du tout évalués ?
M. BERGOUGNOUX. - C'est exactement le thème du débat auquel nous allons venir. Ce sera la toute dernière intervention préliminaire ; après, vous aurez l'occasion de poser d'autres questions en cours de route.
M. GOEPFERT. - Je suis Christophe GOEPFERT, Directeur de CILAS, Compagnie industrielle des Lasers. J'ai quelques informations permettant de répondre à monsieur concernant la part d'investissements dans la sécurité, mais aux Etats-Unis.
J'ai vu récemment qu'aux Etats-Unis, sur un programme de 1,6 milliards de dollars d'investissements dans le domaine des nanotechnologies, 85 millions de dollars sont consacrés aux études de toxicité. Cela n'inclut pas toutes les recherches sur les équipements liés à la sécurité ni les développements sur la protection des travailleurs. Je pense qu'en cumulant l'ensemble, on arrive à environ 10 à 15 % du montant total des activités de R&D dans les nanotechnologies.
Concernant l'exposition des travailleurs, je serai rapide sur ce point : des développements, au travers de projets européens et de projets franco-français portant sur des équipements, permettraient de protéger les opérateurs.
Pour l'instant, le seul moyen de protéger les travailleurs est d'appliquer le principe de précaution qui est dans la Constitution française et qui consiste à les isoler complètement des nanoparticules. Le risque, c'est un produit entre l'exposition et le danger ; si l'on annule l'un des facteurs, on annule quasiment le risque. Il faut donc empêcher l'exposition des travailleurs.
Pour cela, comme je l'ai dit, des moyens sont développés au travers de projets qui consistent :
➢ à développer des moyens pour automatiser les process, ce qui évite les manipulations à toutes les étapes du processus de fabrication,
➢ à développer des moyens de protection individuelle par des systèmes de badges qui mesureraient l'exposition - s'il devait y en avoir une - pendant les manipulations à différentes étapes,
➢ à développer des équipements qui permettraient de détecter les nanoparticules dans l'air pouvant résulter de fuites éventuelles durant les processus industriels.
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie. Nous allons parler de tout cela. Avant de passer la parole à Daniel BERNARD, je voudrais répondre à une intervention concernant l'organisation même de ce débat.
Ce débat est un processus qui va s'étendre sur quatre mois ; il ne s'arrête pas à la réunion de Bordeaux, pas plus qu'il ne s'est arrêté à Toulouse. Je vous invite par conséquent à le suivre ; vous aurez régulièrement des comptes-rendus synthétiques de toutes les réunions et vous aurez même la possibilité d'aller beaucoup plus loin, si vous voulez voir au mot à mot tout ce qui a été dit, à travers ce que l'on appelle un verbatim.
Il faut considérer l'ampleur du sujet dont nous avons à débattre. Lorsque l'on parle de nanotechnologies, le sujet est extraordinairement vaste, tant les applications peuvent être multiples, présenter des caractéristiques différentes, des problématiques différentes de risques et il y a une multitude de points à traiter. Il n'était pas pensable de tenir 17 réunions identiques balayant superficiellement tous les sujets.
En revanche, l'échange que nous venons d'avoir en est la preuve : lorsque l'on a à traiter un sujet particulier – en l'occurrence, la protection des travailleurs, un sujet particulièrement important qui met bien en valeur les risques et la manière de les maîtriser –, il n'est nullement interdit de poser des questions que je qualifierai de collatérales. C'est ce que nous allons tenter de faire ensemble ce soir, si vous le voulez bien.
Je vous invite à suivre ce débat dans la continuité. Vous verrez que chacune des réunions, outre des enseignements très généraux, sera riche d'enseignements sur des points particuliers importants.
Dans la salle. - Comment font ceux qui n'ont pas Internet ?
M. BERGOUGNOUX. - Ils peuvent se procurer tous les documents. Ils ont en particulier la possibilité de s'abonner à la lettre du débat, qui fait le point périodique sur le déroulement du débat et qui peut être consultée soit sur Internet, soit sous forme de document papier.
Daniel BERNARD, puisque nous avons commencé à parler de nanotubes de carbone, il faut nous expliquer de quoi il s'agit, comment cela se produit, à quoi cela sert. Quelles précautions prenez-vous chez vous ?
M. BERNARD. - Merci, Monsieur le Président. Bonsoir à toutes et à tous.
J'ai déjà assisté à certains débats précédents et je voudrais préciser un point préliminaire afin que tout le monde comprenne bien. Nanosciences et nanotechnologies ne sont pas une nouvelle discipline. Elles sont une discipline transversale, qui impacte toutes les connaissances et toutes les disciplines que l'on connaît, au niveau scientifique ou technologique. Ce n'est donc pas une discipline que l'on rajoute : elle est transversale et touchera à tous nos domaines d'activités, que ce soit la chimie, la mécanique, la physique, la santé et autres.
Il est important d'en être conscient. En parlant de nanotechnologies et de nanosciences en général, on a parfois tendance à manquer d'exemples. Le fait de parler aujourd'hui de nanotubes de carbone va être le moyen de parler sur un exemple concret, depuis la recherche jusqu'à un début de préindustrialisation.
Les termes «nanotubes de carbone» fascinent et posent question. Je n'ai jamais entrepris une discussion ou un échange avec qui que ce soit pour parler de nanotechnologies, sans qu'au bout de quelques minutes – et parfois quelques dizaines de secondes ! – l'expression «nanotube de carbone» ne soit avancée. Vous voyez donc que c'est un exemple qui nous servira ici.
L'expression «nanotubes de carbone» comprend les mots «nanotubes» et «carbone». Le carbone est assez banal : la chimie organique repose sur la chimie du carbone, la biochimie également. Tout ce qui est vie, faune et flore, repose sur la chimie du carbone. Le carbone n'a donc vraiment rien d'original ; c'est un élément-clé de la vie et aussi de toute la chimie de notre planète. On n'arrête pas de parler du dégagement de CO², donc de l'effet de serre : c'est encore ce pauvre carbone qui est mis en cause. C'est très clair : la chimie du carbone est au centre de notre vie et les nanotubes sont un élément qui vient se rajouter à cela.
Le fait que le débat public sur les nanotubes de carbone se déroule à Bordeaux et en Aquitaine est selon moi légitime et mérité. En effet, la communauté tant scientifique qu'industrielle d'Aquitaine et de la région bordelaise en particulier est partie prenante dans ce domaine et ce, depuis une dizaine d'années (je me souviens d'une réunion qui s'était tenue sur ce sujet avec le CRPP il y a quelques années). Il y a donc une légitimité pour parler de nanotubes de carbone en Aquitaine.
(Projection)
Le carbone est le sixième élément dans le tableau de classification. On rencontre fréquemment – parfois, on voudrait le rencontrer plus souvent - le carbone sous deux formes élémentaires.
La première forme, la plus glorieuse, est le diamant. C'est peut-être celle après laquelle on court le plus, mais qui est la plus rare à trouver. Dans ce cas, le carbone a une structure tétraédrique (il n'y a que des atomes de carbone sur des tétraèdres). Le diamant est un minéral extrêmement solide : c'est l'élément le plus dur qui puisse exister sur terre. En revanche, sous cette forme-là, il est dans un état métastable, dans les conditions de température et de pression dans lesquelles nous vivons. C'est presque un miracle qu'il puisse continuer à exister. Il pourrait en effet vite retourner à sa forme stable, le graphite.
Le graphite est un composé noir, qui ressemble à du charbon. Il est constitué de plans de carbone espacés de quelques angströms, qui peuvent glisser les uns sur les autres. Dans le passé, on a même utilisé dans des huiles des dérivés de graphite pour la lubrification.
Comme vous le voyez, avec rien que du carbone, on peut avoir l'élément le plus dur possible de la terre (le diamant), ou un élément qui sert à fabriquer des mines de crayons, des électrodes et qui vous salit les doigts quand vous mettez les mains dedans (le graphite).
Quand j'étais étudiant - et pour la majorité d'entre vous - jusqu'en 1985, c'étaient les deux formes que l'on connaissait du carbone. Puis, en 1985, coup de tonnerre : un chercheur britannique, Harold KROTO, qui travaillait dans le laboratoire de Richard SMALLEY à la Rice University avec Robert CURL, a découvert, en travaillant sur le graphite, que des petits paquets de graphite de quelques dizaines d'atomes ne se présentaient pas sous la forme plate présentée dans le transparent précédent. Cela se repliait pour former des ballons.
Le premier était le ballon avec 60 atomes de carbone ; il y en avait un à 70, un à 90, qui ressemblaient plus à des ballons de rugby. Le fullerène C60 fait 0,8 nanomètre de diamètre. Je dis bien 0,8 milliardième de mètre.
Cela a été une révolution en 1985 et peut-être l'un des coups d'envoi des nanotechnologies. On s'est rendu compte, au niveau atomique, qu'en fonction du nombre d'atomes présents, la matière pouvait prendre des formes différentes. Pour la petite histoire, cela a été baptisé «fullerène» par référence à l'architecte Fuller, qui avait conçu la structure du pavillon des Etats-Unis à l'Exposition universelle de Montréal en 1967, avec des pentagones et des hexagones.
KROTO, SMALLEY et CURL ont reçu le prix Nobel pour cette découverte en 1996.
Entre-temps, Sumio IIJIMA au Japon a observé les nanotubes de carbone. Sumio IIJIMA est un physicien qui travaillait – et travaille encore – dans la microscopie électronique et qui a observé ces structures qu'il a baptisées «nanotubes de carbone». Là aussi, cela a été une révolution, alors que l'on se croyait tranquille depuis la découverte des fullerènes…
A quoi correspondent ces nanotubes de carbone ? Sumio IIJIMA, en 1991, était supposé être l'inventeur ; plus récemment, Marc MONTHIOUX du CNRS de Toulouse, président du Groupe français des Carbones, a rédigé un éditorial dans la revue Carbon, en signalant que cette structure avait été observée et fabriquée dans le passé aussi, notamment par Morinobu ENDO, un professeur japonais actuel qui avait fait sa thèse en 1976 à Orléans avec Mme OBERLIN, et qui avait d'ailleurs travaillé ensuite à Pau. Morinobu ENDO avait fabriqué sans le savoir des nanotubes et les avait observés en microscopie, mais il n'avait pas eu l'idée de les baptiser «nanotubes».
En creusant un peu, Marc MONTHIOUX a trouvé aussi que des chercheurs soviétiques dans les années 1920 ou 1930, si l'on reproduisait leur mode opératoire, avaient aussi produit des nanotubes sans le savoir.
Cela permet de comprendre l'histoire des nanotubes : c'est à la fois récent et ancien, cela dépend des lunettes que l'on met et aussi de l'analyse des publications anciennes que l'on peut avoir.
Le cliché suivant permet de voir comment l'on passe du graphite aux nanotubes.
Vous avez vu que le graphite correspond à des plans de carbone. Imaginez du grillage à l'échelle macroscopique, celui que l'on a dans les jardins pour faire des clôtures, tressé en forme d'hexagones. Lorsque vous faites une séparation avec votre voisin, vous repliez ce plan comme du papier à cigarette. Une fois que l'avez refermé, cela fait un cylindre et l'on obtient un nanotube de carbone.
Structurellement, c'est donc une feuille de graphite – une feuille de graphène, en terminologie chimique – enroulée sur elle-même.
Suivant que l'on enroule une ou plusieurs feuilles, on aura soit des nanotubes de carbone simple paroi, faisant un ou deux nanomètres de diamètre, soit des nanotubes de carbone multi-parois, pouvant aller de 6 à 15 nanomètres, certains pouvant même atteindre 10 nanomètres de diamètre avec un très grand nombre de feuilles de graphite enroulées sur elles-mêmes.
Voilà ce que sont les nanotubes de carbone.
En termes de synthèse, au niveau de la recherche universitaire, des Américains ont réalisé des mécanismes de synthèse en enroulant ces feuilles de graphite.
A quoi ressemblent les nanotubes de carbone ? Je vous ai montré des tubes rigides, on pourrait penser à des baguettes. Ce sont des modèles, en définitive, fruits des ordinateurs ou autres.
En pratique, à quoi cela ressemble-t-il ? Sur la plus grande photographie, le petit trait en haut doit représenter 50 nanomètres. Les nanotubes produits au niveau des laboratoires ou au niveau industriel ressemblent à cela. A l'échelle macroscopique, on pourrait penser à du soja dans une assiette. C'est plus ou moins flexible, plus ou moins régulier : chacun n'a pas exactement le même diamètre. Lorsque l'on regarde la photographie plus petite, on voit en coupe (en microscopie électronique à transmission) un nanotube, l'échelle devant être un ou deux nanomètres. On voit les parois (il doit y en avoir 6 ou 8), soit 6 ou 8 feuilles de graphène les unes sur les autres.
C'est beau, c'est artistique, mais même si les universitaires s'intéressent à ce qui est artistique, il faut aussi qu'il y ait des propriétés. Or, ces nanotubes de carbone, par rapport à du graphite, présentent au moins trois propriétés exceptionnelles.
Premièrement, ils présentent une conductivité électrique au moins aussi bonne, voire supérieure, à celle de la meilleure conductivité métallique présentée par des métaux comme le cuivre.
Deuxièmement, ces nanotubes en traction ont une résistance mécanique au moins 100 fois plus grande que celle d'un fil d'acier de même diamètre.
La dernière propriété, que l'on a un peu tendance à oublier, est que les nanotubes de carbone présentent une conductibilité thermique exceptionnelle. C'est aussi une grandeur qui va les amener à être mis en évidence dans des phénomènes électroniques ou des phénomènes d'électricité. Voilà ce que l'on peut dire au niveau de la recherche.
Pourquoi un industriel s'est-il intéressé à de belles photographies ? Pourquoi s'est-il intéressé à de telles propriétés ? Je vais faire un petit retour en arrière. Je l'avais prévu de toute façon, mais l'intervention précédente m'encourage à le faire. La question était : est-ce une recherche qui se développe vite ?
Je vous ai déjà parlé de 1991, de 1976… Chez ARKEMA, qui ne s'appelait pas ainsi à l'époque, l'histoire a commencé en 1998, dans le bureau du directeur de la recherche Chimie du CNRS, Jean-Claude BERNIER. Je l'ai rencontré un jour pour faire un tour d'horizon et je lui ai posé la question suivante : que peut-il y avoir d'intéressant pour un industriel dans les dix prochaines années en termes de prospectives ? Il m'a répondu : «C'est curieux, mais les nanotubes de carbone ont des propriétés exceptionnelles. Je pense que les industriels dans quelques années devraient s'intéresser à cela».
C'était en 1998 Je suis parti deux ans aux Etats-Unis ; cela a été un fil directeur et, pendant cette période, j'ai fait un peu de scouting dans les laboratoires américains. C'était au moment où la nanotechnologie national initiative du gouvernement américain a été lancée, c'était donc en pleine effervescence. Rentré en Europe en 2001, j'ai fait le tour des laboratoires CNRS et j'ai trouvé à l'Institut national polytechnique de Toulouse, à l'ENSIACET, une équipe qui travaillait sur un procédé susceptible d'intéresser les industriels pour passer à un stade précisément industriel.
A cette époque, les nanotubes étaient proposés au minimum à 1 000 euros le gramme. C'était donc inenvisageable pour un industriel. Le procédé sur lequel travaillait Toulouse pouvait laisser envisager un gain de prix de 1 000 ou 10 000 en abaissement. Cela a donc suscité notre attention. Fin 2001, avec mon complice Patrice GAILLARD, nous avons monté un projet de recherche au niveau d'ATOFINA, à l'époque. Nous l'avons présenté à la direction générale, en expliquant qu'il fallait que l'on travaille avec l'ENSIACET pour explorer cette voie.
L'ENSIACET a bénéficié d'une aide de l’ANVAR pour construire ce qu'ils ont baptisé un «pilote de laboratoire», pour être capable de produire plusieurs grammes par jour de nanotubes de carbone. L'aide de Lombard (?) a été utile directement au CNRS pour lancer cette recherche.
Le transparent suivant montre le procédé, tel qu'il est sorti de la recherche avec l'Institut national polytechnique de Toulouse et tel qu'il été repris ensuite au groupement de recherche de Lacq par l'équipe de Patrice GAILLARD.
Ce procédé est très simple, sur le plan chimique. C'est un réacteur à lit fluidisé dans lequel on met des particules solides de quelques dizaines ou centaines de microns, sur lesquelles on dépose un métal (fer, nickel ou cobalt). Le tout est maintenu en suspension par un courant gazeux et on envoie dessus une source d'hydrocarbone. Cet hydrocarbone, entre 500 et 800 degrés, est décomposé et il pousse sur chaque grain comme des cheveux, des nanotubes de carbone.
Voilà comment se font préindustriellement (ou en laboratoire universitaire, puisque que c'était la base) des nanotubes de carbone.
Le transparent suivant est une photographie du pilote continu qui a été inauguré à Lacq en janvier 2006. Ce réacteur est capable de produire quelques tonnes par an de produits représentatifs d'une fabrication industrielle.
Le transparent suivant concerne les applications innovantes. Les nanotubes de carbone peuvent - et apportent déjà - des solutions technologiques qui vont contribuer à beaucoup de développements durables. Il ne faut pas se leurrer : les nanoparticules et les nanotubes de carbone sont parmi nous depuis longtemps, depuis même un siècle pour certains. On ne le savait pas, parce que l'on n'avait pas les bons instruments d'observation.
Un certain nombre de matériaux, dont les nanotubes de carbone, vont impacter directement tout ce qui est énergie. On ne peut pas envisager les énergies durables (éolien, photovoltaïque…) sans nanotubes de carbone. Vous avez tous dans vos poches des nanotubes de carbone. Les batteries au lithium-ion contiennent toutes des nanotubes de carbone et ce, depuis très longtemps, puisqu'un Japonais en produit depuis 1988. La découverte remonte à 1991, mais ils étaient fabriqués avant, depuis 1988, à un niveau industriel.
Un Américain en fabrique depuis 1983, sauf qu'il ne savait pas que c'étaient des nanotubes de carbone, il les baptisait «nanofibril». On a trouvé, en faisant des essais, que le fait de mettre 10 % de nanotubes de carbone dans le noir d'électrode pour les mettre dans des batteries lithium-ion permettait une augmentation considérable de la capacité de ces systèmes. Sans nanotubes de carbone ni d'ordinateurs portables, on n'aurait pas de téléphones cellulaires. C'est une révélation mais, au début, ils ne le savaient pas.
Dans les transports, concernant l'allégement des matériaux, un certain nombre de véhicules français contiennent des nanotubes de carbone depuis les années 1990 dans des pièces plastiques. Ils n'étaient pas appelés ainsi ; ils étaient produits industriellement, c'étaient des «matériaux nanocarbonés», parce qu'ils n'avaient pas été caractérisés à l'époque.
On peut citer aussi les technologies de l'information et de la communication. Je ne parlerai pas de la santé, car il est prévu des sessions spéciales. On place beaucoup d'espoir dans les nanotubes de carbone utilisés comme vecteurs de transfert de principes actifs.
Tout cela permet des économies d'énergie et de matières premières et contribue donc au développement durable.
M. CHARBONNEAU. - J'ai limité mon temps de parole, mais là, j'ai été nettement dépassé ! Je souhaiterais poser une question au représentant d'Arkema. Quel est le montant de la subvention que vous avez reçue du Conseil régional d'Aquitaine ?
M. BERGOUGNOUX. - Je ne le sais pas. Peut-être faudrait-il demander cela au chef de projet.
M. GAILLARD. - Je suis Patrice GAILLARD, Directeur du programme «nanotubes de carbone» chez Arkema. Le montant de cette subvention qui a été associée au développement de recherche, en particulier du pilote dont on a pu voir la photo, est (de mémoire) de l'ordre de 400 000 euros.
Il me semble important de préciser d'autres chiffres. Aujourd'hui, Arkema a dépensé (hors investissements du projet de pilote industriel) à peu près 25 millions d'euros sur ce projet de recherche.
Pour répondre à une autre question sur le ratio des études toxicologiques, par exemple, j'élargis ce domaine à celui des études de protection des travailleurs, de détection de métrologie et, avec notre collaboration avec différents instituts comme le CEA, l'INERIS, l'INRS ou autres, j'estime cette partie de protection et d'études toxicologiques et écotoxicologiques à environ 50 % de l'ensemble.
M. BERGOUGNOUX. - Merci pour ces précisions. Patrick BROCHARD, que peut-on dire concernant les dangers des nanotubes de carbone ou, plus généralement, d'autres nanoparticules ?
M. BROCHARD. - Je suis désolé, je n'ai pas de diapositives parce que l'on m'avait dit qu'il n'était pas souhaitable d'en faire…
Le domaine de la toxicité des nanoparticules est un monde qui démarre et dont les premières publications sont sorties au milieu des années 1990, où l'on a constaté que, lorsque vous preniez une particule de même composition chimique, lorsque cette particule était de dimension nanométrique, c’est-à-dire en dessous de 100 nanomètres, elle acquérait des propriétés biologiques très différentes de la même particule micronique, en particulier sur la toxicité cellulaire et la réactivité cellulaire. Ce sont les études des années 1990, en particulier d'un grand chercheur américain, M. OBERDÖRSTER, qui continue à travailler dans ce domaine.
Depuis dix ans à peu près, nous en sommes maintenant à plusieurs centaines de publications sur le sujet. J'ai procédé à un recensement très récent des publications dans les trois derniers mois, par exemple, pour une banque de données de veille organisée par l'AFSSET. On arrive à peu près à une centaine de publications ces trois derniers mois sur le domaine strict de la toxicité des particules nanométriques. Je parle bien des particules nanométriques, qui ne sont pas forcément que des nanoparticules. Ce peut être également des particules ultrafines d'autre origine.
Cette masse de connaissances commence à nous dresser un portrait des propriétés biologiques de ces particules en termes de toxicité. Je ne parlerai absolument pas des applications des nanoparticules dans le domaine de la nanomédecine ou de l'imagerie médicale : c'est un autre domaine, très intéressant, mais que je n'aborderai pas ici. Je me contenterai de cibler le domaine des observations faites soit sur des modèles cellulaires, soit sur des animaux et, éventuellement, quelques observations faites chez l'homme.
Sur les modèles cellulaires, il est clair que les observations faites à la fin des années 1990 ont été régulièrement confortées par les nouvelles acquisitions faites au fur et à mesure des publications. Cependant, une difficulté très importante gêne l'interprétation de nos résultats : ces particules très petites de taille nanométrique ont une propriété bien particulière d'agrégation très rapide dans les milieux de culture, voire dans l'atmosphère. En termes d'étude des relations dose-effet, il est toujours difficile de savoir exactement quelles sont les doses délivrées au niveau des cellules puisque, très souvent, la particule de départ s'est agrégée en cours de route et a pu être modifiée pendant l'expérience.
Néanmoins, selon les données les plus récentes - il y a en particulier l'équipe écossaise de l'institut d'Edimbourg qui travaille beaucoup dessus, avec des résultats très cohérents - on arrive à trouver un portrait-robot de la toxicité de ces nanoparticules.
Le premier paramètre, qui est certainement important, est donc la taille. La taille, ce n'est pas au-dessus et en dessous de 100. La définition des nanoparticules est en effet 100 nanomètres, mais plus on diminue leur taille, plus la réactivité de surface de ces particules augmente. Il n'y a donc pas un barrage entre 101 nanomètres et 99 nanomètres, mais une progression de la réponse inversement proportionnelle à la taille.
Cette taille va conditionner deux éléments :
➢ D'une part, ces particules vont se déplacer dans l'organisme, à commencer par l'appareil respiratoire. On va retrouver ces particules jusqu'au plus profond de l'appareil respiratoire, c’est-à-dire jusqu'au niveau des alvéoles.
➢ D'autre part, ces particules sont très petites. Elles échappent à la vigilance habituelle des macrophages pour les particules plus grosses. Les macrophages sont des cellules qui se trouvent dans le système respiratoire et qui sont là d'habitude pour phagocyter, c’est-à-dire englober, ces particules afin de les éliminer.
Dans ce cas, la taille fait que ces phénomènes de phagocytose ne fonctionnent plus normalement ; les nanoparticules vont pouvoir pénétrer dans les cellules et à travers les membranes biologiques, de façon très différente des particules microniques. Le fait de rentrer dans les cellules et de traverser également les membranes a une conséquence importante : on va pouvoir les trouver de l'autre côté de la membrane alvéolo-capillaire, c’est-à-dire du côté sanguin. A partir de ce moment-là, elles peuvent être diffusées par voie hématogène dans tout l'organisme.
De plus, la taille des particules fait qu'elles peuvent pénétrer également au niveau des terminaisons nerveuses, en particulier au niveau de celles du système ORL, notamment le nerf olfactif. On a pu très clairement montrer chez l'animal que les nanotechnologies pouvaient pénétrer dans le cerveau à travers ces nerfs olfactifs et ce d'autant plus facilement qu'elles étaient plus petites.
Un autre paramètre est extrêmement important, celui de la surface.
En effet, la surface spécifique des particules est d'autant plus importante qu'elle est plus petite. Les derniers travaux, par exemple ceux de l'équipe d'Edimbourg, ont très bien montré - aussi bien dans le modèle in vitro (c’est-à-dire sur la cellule) qu'in vivo (c’est-à-dire chez l'animal) - qu'il existait une relation dose-effet tout à fait reproductible avec différentes compositions chimiques, à partir du moment où l'on avait la même surface. La surface a donc l'air de conditionner également les effets observés sur la cellule.
Un troisième élément important est celui de forme.
Tout à l'heure, nous avons vu deux particules de carbone, un fullerène, un ballon de football, et une particule plus allongée, qui est le nanotube de carbone. Là, des éléments dans la littérature montrent qu'à taille et à surface égales, une particule allongée ne se comporte pas de la même façon qu'une particule sphérique au niveau cellulaire et tissulaire. Cela a été décrit depuis bon nombre d'années avec des matériaux très différents et les toxicologues des particules connaissent bien cela : c'est ce que l'on appelle l'effet fibre. Celui-ci est proportionnel à la longueur de la particule par rapport à son diamètre.
A partir du moment où vous avez une forme très allongée, la réactivité biologique sera différente avec probablement, comme l'ont montré les dernières études, entre autres sur les nanotubes de carbone, un effet différent de la réactivité que l'on peut observer par ailleurs sur les particules non allongées.
Un dernier élément très important est la biopersistance.
Dans les liquides biologiques, une fois qu'elles se sont déposées dans le mucus ou dans le surfactant, certaines de ces particules vont se dissoudre, auquel cas on sera confronté à une toxicité chimique traditionnelle. S'il y a du chrome, du nickel ou du cadmium dedans, vous aurez la toxicité du chrome, du nickel ou du cadmium, qui n'est pas la toxicité de la nanoparticule, mais celle de la forme ionique de ce métal, par exemple.
Dans les particules insolubles, comme c'est le cas de certains carbones, le problème réside dans le fait que ces éléments sont susceptibles d'être biopersistants. A partir du moment où elles ont passé les membranes, elles vont se retrouver piégées dans l'organisme et comme elles sont quasiment insolubles, elles vont pouvoir y exercer des effets au fur et à mesure du temps.
Je terminerai par ce constat : globalement, que se passe-t-il au niveau de la cellule ? Lorsque la cellule internalise ces nanoparticules (en particulier lorsqu'elle en internalise beaucoup), elle va avoir un stress oxydant, c’est-à-dire qu'elle va être agressée et va avoir une réponse de défense par rapport à ce stress oxydant.
Lorsque la dose est relativement faible, la cellule se défend ; se met en place une réaction inflammatoire au niveau de la cellule et des tissus environnants. Une réaction inflammatoire, cela peut être très bon (lorsque vous vous coupez, la réaction inflammatoire vous permet de guérir), mais lorsque cette réaction est persistante, ce n'est pas très bon pour l'organisme. On sait très bien que toutes les maladies inflammatoires chroniques sont des maladies qui évoluent avec des complications qui peuvent être importantes.
Par conséquent, cette notion de réaction inflammatoire est importante. Au maximum, lorsque les doses sont très importantes, on a des réactions cytotoxiques, c’est-à-dire que la cellule meurt et là, on a une autre réaction inflammatoire, qui est une réaction de détersion liée au fait que la dose a été très forte et que les cellules sont mortes.
Ce qui est intéressant, c'est que pour des doses relativement plus faibles, on peut avoir des réactions non cytotoxiques, mais pro-inflammatoires qui, en tout cas pour nous toxicologues, sont des indicateurs d'effets pathogènes potentiels chez l'homme.
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