Dans cette séquence, les industriels sont invités à s'exprimer sur les
freins, obstacles ou opportunités qu'ils ont rencontrés lors de la
création de leurs entreprises.
La Franche-Comté, confrontée à la disparition progressive de son
industrie horlogère, a dû se mobiliser pour rechercher des industries
de substitution. Son savoir faire dans le micro a été utilisé et a fait
l'objet de réorientations, notamment dans le biomédical. Sous
l'impulsion de Jean-Jacques Gagnepain, un laboratoire mixte CNRS /
Université de Tokyo a été créé, permettant à une dizaine de
post-doctorants d'aller se former en nanotechnologies au Japon avant
d'intégrer des start-up dans ce domaine.
Pierre Minotti retrace la genèse de SILMACH, créée il y a six ans après
un long processus de transposition des technologies historiques sur de
nouvelles technologies pour réaliser des pièces micro-mécaniques, voire
nanomécaniques. Ses nanomachines sont en quelque sorte des circuits
intégrés qui ont la capacité de mouvoir la matière à l'échelle du
micromètre ou du nanomètre.
Le représentant de LOVALIT, très petite entreprise de 5 personnes, a
choisi une implantation en Franche-Comté, attiré par la centrale
technologique, pour réaliser, grâce à un transfert de technologie de
l'université, des instruments et des composants permettant de voir la
matière à l'échelle nanométrique. Ses concurrents sont peu nombreux en
Europe. Après seulement cinq ans d'existence, la société exporte 50 %
de sa production, principalement en Asie. LOVALIT participe également à
plusieurs projets de recherche incluant des acteurs tels que FEMTO-ST.
Daniel Courjon ajoute que ces deux entreprises utilisent des
nanotechnologies moins intrusives que celle des poudres : l'une,
travaillant sur du microsystème, a besoin de nanooutils extrêmement
onéreux, l'autre utilise des systèmes de caractérisation. La centrale
de technologie de très haut niveau installée à FEMTO-ST met à la
disposition de la Franche-Comté, mais aussi du reste de la France, ses
équipements extrêmement coûteux.
Jacques Terraz exprime les réticences de France Nature Environnement,
qui fédère 3 500 associations. Ce débat aurait dû s'engager bien en
amont, grâce à une large communication des chercheurs, même si cela
peut être antinomique avec le secret industriel. L'étiquetage des
produits, comme des colorants, devrait mentionner qu'un produit
contient des nanoparticules. Le coût des produits devrait inclure les
coûts sanitaires et environnementaux.
Pierre Minotti assure que les produits fabriqués par SILMACH ne sont
pas toxiques et ne rejettent aucune nanoparticule dans l'environnement.
Ils sont semblables aux microprocesseurs que contiennent ordinateurs et
téléphones portables. La différence est qu'ils ont la capacité de se
déplacer à une certaine échelle.
Sur la contradiction entre large information et secret, les brevets
déposés peuvent être une source d'information, tout en évitant aux
entreprises de passer par des publications scientifiques qui divulguent
à titre gratuit de l'information au monde extérieur. Mais le coût de
dépôt d'un brevet peut grever lourdement les ressources d'une petite
entreprise.
Enfin, les nanotechnologies représentent un espoir pour la
reconstitution d'une industrie en Franche-Comté et la pérennisation de
ses emplois.
Michel Froelicher, président du salon Micronora, salon des
microtechniques, défend à son tour le potentiel extraordinaire
qu'offrent en matière d'emploi les nouvelles technologies, et
particulièrement les nanotechnologies. Elles apportent des
améliorations considérables à de nombreux produits : durée de vie
amplifiée, meilleure résistance, meilleure légèreté, meilleure
conduction thermique, etc. Les sociétés qui les mettent en œuvre
doivent bien évidemment prendre des précautions pour éviter de faire
courir des risques à leurs salariés, en installant aspirateurs et
filtres pour récupérer les particules.
Le public, plus polarisé sur les risques environnementaux que sur les
opportunités d'emploi offertes, soulève avec insistance la question du
recyclage et de la traçabilité de ces produits dont les propriétés
peuvent différer selon l'échelle exprimant son refus de voir se faire
n’importe quoi au nom de l’emploi.
Par ailleurs, comment justifier la valeur d’une méthode de précaution
si l'on ne peut détecter correctement la présence ou l'influence des
nanoparticules ?
Enfin, l'avis des industriels et chercheurs est requis sur les
dispositions et précautions à prendre envers les produits
d'importation. Existe-t-il des normes à respecter pour les produits
fabriqués hors de l'Europe ?
Concernant l’impact sur l’environnement des nanoparticules, pour Daniel
Courjon, les puces en silicium pur ne posent pas de problème. En outre,
les nanotechnologies limitent considérablement la consommation de
matériaux de base et de matériaux précieux. Elles donnent l'opportunité
de mettre sur le marché des produits "verts" : grâce aux
nanotechnologies, les capteurs ne nécessitent plus ni batterie, ni
pile, ni électronique embarquée. Par ailleurs, les nanoparticules
existent naturellement et polluent depuis la nuit des temps. Celles
dont on parle aujourd'hui sont fabriquées pour être semblables, alors
que dans les fumées les particules sont dissemblables, allant de
plusieurs microns à quelques nanomètres. Selon Daniel Courjon, les
nouvelles technologies ne doivent pas être appréhendées
systématiquement comme polluantes et dangereuses, elles peuvent éviter
les rejets et les polluants. Elles offrent des atouts considérables,
réduisant les coûts de transport et générant une forte valeur ajoutée.
Les industriels que l'on rencontre au salon Micronora mettent plus en
avant leurs produits avec leurs potentialités que les précautions à
prendre. Mais la plupart des produits issus des nanotechnologies sont
sous phase liquide et non sous forme de poudre, ce qui ne présente pas
de danger particulier. La part des étrangers dans ce salon est assez
faible. En France, on identifie 150 acteurs des nanotechnologies, soit
une croissance considérable.
Benoît Croguennec aborde l'aspect normalisation. En général, celle-ci
intervient sur un marché mature. Pour les nanotechnologies, les travaux
de normalisation n'ont commencé au plan international qu'en 2005. On
considère qu'elles sont porteuses d'espoir, avec des applications
potentielles intéressantes, mais en même temps elles présentent des
risques potentiels associés. On estime qu'aujourd'hui le recul est
suffisant pour encadrer le développement des nouvelles technologies.
Les travaux de normalisation mobilisent quatre groupes de travail. Le
premier, centré sur les aspects hygiène, santé et environnement,
commande aux autres qui se focalisent sur la terminologie, la
nomenclature et les aspects de caractérisation.
A ce jour, deux documents ont été édités, dont l'un sur les aspects de
terminologie précisant que les nanotechnologies interviennent
typiquement mais non exclusivement entre 1 et 100 nanomètres. Les
nouvelles technologies s'équilibrent sur trois grands pôles équilibrés
- les Etats-Unis, l'Asie et l'Europe - malgré des petites différences
culturelles : si les Européens ont une vision plus universelle, les
Asiatiques utilisent plutôt la normalisation comme un outil
d'intelligence économique et s'appuient sur des applications précises.
Le CEN, instance de normalisation européenne, n'a pas aujourd'hui un
programme de travail très étoffé. Une coopération avec l'ISO permet
d'éviter la duplication des travaux. Mais dans les aspects de
gouvernance, il est probable que très rapidement le CEN aura son mot à
dire, notamment au plan français.
Dans le public, la question de la méthode est posée. Une conférence de
citoyens ne serait-elle pas une meilleure formule qu'un débat public ?
Si s'informer et s'exprimer c'est bien, décider c'est encore mieux. De
nombreuses questions ne sont toujours pas tranchées : comment répartir
le financement des nanotechnologies ? Comment gérer le risque ? Comment
assurer l'indépendance des agences ? Peut-on soutenir l'apparition de
contre-pouvoirs comme sur les questions du nucléaire, de la génétique,
des OGM ?
Catherine Larrieu admet les limites du débat public. Cette forme de
concertation a été proposée par les parties prenantes au Grenelle de
l'Environnement. Cela ne ferme en rien le débat qui peut tout à fait se
poursuivre sous forme de forums citoyens, de débat au Parlement, etc.
Jean-Pierre Chaussade se félicite du foisonnement de questions
soulevées dans ce grand débat qui vont faire émerger les problématiques
auxquelles il faudra répondre. Ce débat, à côté des 17 réunions en
régions, se poursuit et s'enrichit sur Internet. Il est présent aussi
dans les revues et journaux qui jusqu'alors n'avaient que peu traité le
sujet.
En conclusion, les industriels et chercheurs s'engagent à œuvrer dans
le sens d'un comportement citoyen, soucieux de préserver
l'environnement et la santé des citoyens, respectueux des humains, tout
en créant des richesses qui ouvriront des perspectives aux jeunes
franc-comtois.
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