Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu intégral de la réunion publique d'Orsay

M. PLANA.- Elle a été élaborée à partir d’un groupe de pilotage fait de scientifiques, de gens de la société, d’industriels, et à partir de benchmarking international, de l’existant, qui a à la fois défini des priorités pour favoriser l’avancée des connaissances et maintenir la France au meilleur niveau international et, dans le même temps, favorisé les opportunités socio-économiques des nanotechnologies.
Il y avait toujours en filigrane l’aspect développement durable et responsable des nanotechnologies.
Dans le groupe de la SNRI [Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation], il y avait des sociologues de divers horizons qui ont pu débattre des enjeux, des priorités et des programmes qu’il fallait lancer pour avoir un développement responsable des nanotechnologies.

 

M. BERGOUGNOUX.- Tout cela est bien dans le discours. Le grand public, lui, dit que tout cela est totalement opaque. On ne sait pas comment les décisions sont prises et comment, par exemple, on arrive à un certain pourcentage d’études et de recherches sur la toxicité, par exemple, que le grand public juge sentimentalement très insuffisant par rapport aux besoins qu’il ressent.
Autrement dit, la question qui va peut-être se poser est : dans quelle mesure un processus démocratique d’orientation est-il visible dans ce schéma ? Et là, le grand public a vraiment des états d’âme ! Excusez-moi d’être un peu agressif. Je me fais le porte-parole.

 

M. PLANA.- Pas du tout.
Si on regarde l’exemple des Etats-Unis avec la NSF (National Science Foundation) qui, dans son initiative nanosciences, nanotechnologies consacre, je crois, aux alentours de 7 % des efforts sur les dimensions sociétales et la nanotoxicologie associée aux nanoparticules, cela pourrait être un élément, une cible que l’on pourrait regarder...

 

M. BERGOUGNOUX.- Parce qu’à combien en êtes-vous ?

 

M. PLANA.- Aujourd’hui, on n’a pas tous les chiffres, mais si je regarde les chiffres de l’Agence nationale de la Recherche, on doit être à 4 ou 5 millions d’euros sur 500 millions d’euros que l’on a investis depuis 2005 sur les nanotechnologies. Mais avec une montée en puissance depuis 2007.
Ce ne sont que les chiffres de l’ANR. Aujourd’hui, on n’a pas tous les chiffres consolidés. L’aspect tout de même important est que, au-delà des études, je vais dire cliniques sur l’impact des nanoparticules, on a fait porter un effort sur la connaissance fondamentale que l’on a de la caractérisation des nanoparticules, l’impact de leurs formes, sur des effets de greffage, des choses comme cela, qui nous permettront de progresser plus vite, ensuite, sur des aspects de toxicité...

 

M. BERGOUGNOUX.- D’accord. Nous allons venir sur cette dimension, mais je ne vous cache pas que le sentiment du grand public…
Il ne discute pas la pertinence de faire porter la recherche sur tel ou tel point. Il n’a pas d’incompétence, mais il souligne la disproportion entre la recherche tournée vers des applications, si louables soient-elles dans leur principe, et ce que l’on applique à la sécurité des personnes, à l’écotoxicité, etc.
Il y a une disproportion flagrante.
Monsieur LEVENSON, souhaitez-vous intervenir là-dessus ?

 

M. LEVENSON.- Oui, peut-être pour compléter avec l’expérience francilienne.
Comme je l’avais dit tout à l’heure, les tutelles principales du C’Nano IDF sont le CNRS, le CEA et le ministère de la Recherche, mais il est fortement soutenu par la Région Ile-de-France depuis 5 ans. Pour mettre des chiffres, pour être plus concret, cela fait un budget de l’ordre de 4,5 millions d’euros par an apporté par la Région Ile-de-France.
Comment cela se passe-t-il ? Car je pense que vous touchez à la gouvernance et aux décisions sur la recherche.
C’est une structure, malgré la multitude des tutelles ou peut-être grâce à cette multitude de tutelles, où la synergie est créée par la base. On appelle cela du bottom-up.


Les équipes de recherche vont proposer des projets lors d’un appel à projets. Ces projets vont être analysés par des bureaux thématiques formés par des collègues scientifiques franciliens représentatifs de la communauté. Il y a sept bureaux avec sept collègues. Il y a ensuite des experts externes, scientifiques également, des chercheurs externes en sciences dures et en sciences humaines et sociales, externes à la région, qui vont émettre une note et juger de la valeur scientifique.


Les bureaux thématiques vont analyser s’il n’y a pas redondance, si on n’est pas en train d’acheter des choses équivalentes à 10 kilomètres à la ronde. Ils vont proposer des synergies nouvelles. Ils vont dire : « Non, il faut rajouter une étude biologique » là où on ne fait que de la chimie ou vice versa.
Et puis, il y a un conseil scientifique externe à l’Ile-de-France et l’instance suprême, qui est un comité d’orientation stratégique constitué des tutelles, de la Région, d’une association, Ile-de-France environnement, de la conférence des présidents d’université.


En passant, j’ai presque oublié une publication transparente, parce qu’on présente la proposition du projet à l’ensemble des équipes, des tutelles et elle est ouverte à ceux qui veulent venir.
Qu’en résulte-t-il ? Il en résulte un programme qui, depuis le départ, avait une composante de 6 % dans les sciences humaines et sociales et toxicologiques. Depuis l’année dernière, 15 % sont dédiés à la toxicologie, à la nanotoxicologie et à l’écotoxicologie. Je dirai que 3 % sont dédiés aux sciences humaines et sociales pures, et qu’une grosse partie est dédiée à l’avancée des connaissances fondamentales dans les différents domaines, qui sont extrêmement vastes, depuis la nanochimie jusqu’à la spintronique, pour dire des "gros mots", l’électronique moléculaire et la nanophotonique.


Un programme ciblé pour la valorisation vise à susciter, à motiver les jeunes chercheurs à aller vers la démarche presque créatrice d’une PME que l’on combine, par une formation, non seulement à la valorisation, mais aussi à l’importance de l’impact sociétal et au respect d’un développement responsable.
Ce sont un peu les chiffres et l’expérience francilienne soutenue par la Région Ile-de-France et par les trois tutelles nationales.

 

M. BERGOUGNOUX.- J’ai un peu de mal à recoller avec ce que vient de dire Robert PLANA. Ce n’est pas évident.

 

Madame GROSCLAUDE, de la CFDT.

 

Mme GROSCLAUDE.- Je voudrais revenir sur cette notion de la répartition des fonds entre ce que j’appelle la recherche d’actions, la recherche des applications, la recherche fondamentale et la recherche sur la toxicologie et sur les risques.
Je pense que rien ne serait pire que de considérer que la recherche publique est là pour réguler, chercher sur les risques de ce que, par exemple, la recherche industrielle ferait.
Souvenez-vous du sketch de Fernand Raynaud. Il parlait de son cousin, professeur de philosophie. Il disait : « Il étudie ce que les autres pensent. »
Il ne faudrait pas que la recherche publique se contente de commenter ce que les autres font. C’est pour cela que ce fossé entre nanosciences et sciences pour l’application me paraît très dangereux tel qu’il a été repris.
Là-dessus, il faut éclairer les gens en disant : « Ce sont les mêmes qui travaillent, soit dans un cadre privé, soit dans un cadre public. Ils ont la même formation. Ils ont les mêmes exigences intellectuelles. Ils ont la même conscience. » Ceux qui sont dans le privé ne sont pas forcément des fabricants de mines antipersonnelles ; ce sont aussi des chercheurs ; ils ont une éthique aussi.

 

M. BERGOUGNOUX.- Monsieur MONCEL.

 

M. MONCEL.- Je ne partage pas tout à fait ce que vous dites, forcément.

D’une part, j’ai entendu certains chiffres qui avaient été donnés dans des réunions à l’Office parlementaire. Ils disaient notamment qu’une étude démontrait que sur 110 000 publications et travaux faits sur la recherche, bien évidemment des nanoparticules sur le plan médical, selon les études qui avait été faites, seulement 1 voire 5 % de ces études étaient consacrées aux risques des nanoparticules sur la santé. Cela n’engage que moi. Je pense que ce n’est certainement pas suffisant et qu’il faut porter un effort supplémentaire de ce point de vue-là.
Encore une fois, je resterai sur le registre, d’une part, de rétablir la confiance vis-à-vis de nos concitoyens. Cela me paraît extrêmement important aujourd’hui.
D’autre part, il y a un risque. Il y a un risque que les entreprises s’approprient la recherche sur cette toxicologie, car il reste vraiment beaucoup de choses à faire. Il faut que les organismes publics de recherche puissent également le faire.
Comme dans le privé du reste, il y a énormément de compétences dans les universités, dans les grandes écoles qui veulent s’approprier ce type de recherche. Mais encore faut-il qu’il y ait les moyens financiers pour pouvoir le faire.

 

M. BERGOUGNOUX.- J’ai une question beaucoup plus générale ; après, nous entrerons dans la toxicité ; mais j’ai une question beaucoup plus générale qui s’adresse au ministère de la Recherche, à l’ANR, etc., qui est posée par un internaute : « Lorsqu’un projet de recherche fait l’objet de financement public, demande-t-on  une analyse de ses applications possibles et des problèmes de différentes natures, en particulier sociétaux et éthiques qu’elle pourrait poser ? » Autrement dit, lorsque vous attribuez des crédits de recherche, essayez-vous d’en évaluer toutes les conséquences ?

 

M. PLANA.- Au niveau de l’Europe, il y a effectivement des cases, des paragraphes où on doit souligner s’il y a des aspects d’éthique, de toxicité, des choses comme cela.
L’expérience montre que ce n’est pas d’une grande efficacité, parce qu’il n’y a pas de recherche et d’étude de cas cliniques. Cela ne fait pas partie des projets de recherche en tant que tels.

L’option choisie dans les programmes de recherche soutenus par le public, il y a des programmes de recherche sur des thèmes donnés, et, lorsqu’il y a des lignes de recherche sur la toxicité, sur la convergence entre les nanotechnologies et la santé, dans les appels d’offres, il est toujours notifié de regarder l’impact sociétal et environnemental des nanoparticules. C’est le premier point.
Le deuxième point est que dans le cadre de l’initiative Nano Innov, là, on a écrit de façon explicite dans l’appel d’offres que tous les projets qui utilisaient des nanoparticules devaient faire l’objet de mesures particulières en ce qui concerne leur dispersion, les propriétés qu’elles avaient, etc.
Ce sont des choses qui, aujourd’hui, commencent à arriver dans les appels d’offres, dans les textes d’appel d’offres que l’on demande aux porteurs de projets de notifier et sur lesquels ils sont obligés de s’exprimer. Ils seront ensuite suivis sur les résultats.

 

M. BERGOUGNOUX.- Cela signifie que par rapport à l’Europe, vous pensez avoir une approche plus sélective et peut-être plus efficace.
Françoise ROURE, souhaitez-vous intervenir sur ce sujet ?


Mme ROURE.- Merci, président, de me donner la parole.

Je m’appelle Françoise ROURE. J’interviens aujourd’hui au titre de l’un des maîtres d’ouvrage, le ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, et j’appartiens au Conseil général de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies présidé par Mme LAGARDE, et dont l’une des spécialités est d’avoir un certain nombre de membres associés qui nous permet de travailler avec un état d’esprit d’indépendance à l’égard de toutes les parties. En tout cas, c’est la façon dont nous travaillons. Nous nous efforçons d’avoir un regard objectif et d’écouter toutes les parties lorsque c’est nécessaire.

Je voudrais simplement donner une appréciation qui vient un peu de l’extérieur, par rapport à la France, sur ces implications éthiques et également sur la capacité de faire évaluer, au moment où on alloue des fonds, les programmes en fonction de leurs impacts éthiques ou sociétaux.

Il se trouve que, si l’on prend les fonds investis en matière de recherche et de développement dans les nanosciences, nanotechnologies, la Commission européenne représente à peu près un tiers des sommes investies pour l’ensemble de l’Union européenne si l’on regarde la somme des dépenses de Recherche et de Développement des états-membres et celle qui vient du budget de programmes communs de Recherche et de Développement. Elle a donc une responsabilité aussi lorsqu’elle examine les propositions faites, dans le cadre des appels d’offre, à regarder l’impact ou la portée éthique et sociétale des projets qui lui sont soumis.

Or il se trouve que le Parlement européen a donné, en particulier, une consigne assez forte lors de la présentation du programme d’actions 2005/2009.
Le Parlement européen, dans cette évaluation qui avait été positive, avait donné un feu vert, avait dit au cas particulier que, lorsqu’un projet serait présenté à la Commission européenne et qu’il pourrait présenter des difficultés en termes de finalité, sur l’augmentation des performances humaines par exemple, on est au-delà de la réparation ou du maintien tout au long de la vie, de nos fonctionnalités ; mais s’il s’avérait, par exemple, que l’augmentation des performances humaines puisse être une finalité du projet, à ce moment-là, le Parlement européen avait demandé à ce qu’une étude soit menée préalablement à l’affectation des fonds et que les conclusions soient rendues publiques.

Voilà, par exemple, l’un des garde-fous qui avait été mis par la représentation du Parlement européen sur ces allocations de fonds.


Maintenant, la question qui se pose est aussi une question d’applicabilité parce que, une fois que l’on a posé cela comme principe, que chaque projet est évalué en fonction de ses conséquences éthiques et sociétales, la question est : quels sont les critères ? Comment faire en sorte que la question posée sur les critères d’évaluation soit comprise par les équipes qui soumissionnent ? Et ensuite, comment, effectivement, les évaluateurs indépendants de ces réponses aux appels d’offres sont-ils outillés ou non pour apprécier la qualité de la réponse qui est donnée ?
Donc en fait, sur le thème de l’augmentation des performances humaines en particulier, renseignements pris, cette recommandation du Parlement européen n’a jamais été mise en œuvre parce qu’en fait elle heurtait des problématiques de confidentialité et de secret. Voilà.
Il faut aussi voir cet aspect-là. C’est que, parfois, il y a de très bonnes intentions. Parfois, l’expression démocratique trouve son chemin et, dans le même temps, les modalités d’application ne sont pas matures, ne sont pas mûres ni suffisantes. Là, il y a probablement encore un espace de coopération internationale.
 
M. BERGOUGNOUX.- Merci. Il y a donc un appel au réalisme, mais effectivement, de bonnes intentions à prendre en compte.

Je vous propose de faire un point sur la toxicologie.
Philippe HOUDY, de l’université d’Evry, dites-nous un peu ce que vous faites aussi, parce que vous avez écrit des livres, etc.

 

M. HOUDY.- Je m’excuse, je ne me suis pas présenté tout à l’heure.

 

M. BERGOUGNOUX.- C’est le moment de le faire, maintenant.

 

M. HOUDY.- Oui, absolument.

Cela fait 25 ans que je travaille sur les nanosciences. J’ai donc dirigé des laboratoires de nanosciences, et depuis sept ans, je m’occupe de pédagogie des nanosciences.
Pour les étudiants, nous avons réalisé trois livres pour l’instant : « Les Nanosciences : Nanotechnologies, nanophysique », « Les Nanosciences : Nanomatériaux et nanochimie »  et « Les Nanosciences : Nanobiotechnologies et nanobiologie ». Et nous venons de finir   quand je dis « nous », c’est l’ensemble de la communauté nanosciences de France   le quatrième livre « Nanotoxicologie et nanoéthique », qui est passé en mise en forme chez BELIN et qui devrait paraître en septembre 2010, donc en septembre prochain.
Pour revenir sur la nanotoxicologie, très peu de livres sont parus dans le monde sur la nanotoxicologie. Un livre est paru en français sur les nanoparticules et un livre est paru en langue anglaise, mais c’est une collaboration entre un auteur anglo-saxon et Jean-Yves BOTTERO d’Aix-en-Provence.
Les Français sont à la pointe de ce qui se fait en nanotoxicologie.
 
M. BERGOUGNOUX.- On nous a dit que c’était en déshérence. C’est donc faux ?
 
M. HOUDY.- Je pense que c’est faux.
La toxicologie, d’une manière générale, n’est pas une spécialité française, mais un nombre important de laboratoires travaillent sur la nanotoxicologie.
Robert PLANA nous l’a rappelé tout à l’heure en disant que l’ANR, depuis quelques années, finançait tout ce qui concernait la nanotoxicologie.
Effectivement, au niveau mondial, comme pour le reste de la recherche en nanosciences d’ailleurs, on se situe à la pointe de ce qui se fait avec les pays anglo-saxons.
Cela est assez rassurant parce que, c’est évident, comme dans toute activité humaine, les nanosciences vont comporter des risques, c’est clair. Il n’y a pas d’activité humaine sans risque.
Ce qui est intéressant dans ce qui se passe actuellement sur les nanosciences, c’est qu’il y a deux aspects fondamentaux.

Le premier aspect est que les études de nanotoxicologie suivent le développement des nanosciences, contrairement à ce qui s’est passé dans les siècles précédents où les études n’étaient soit pas faites, soit arrivaient extrêmement tard. C’est un premier point fondamental.
Il y a un deuxième point que Christian COLLIEX a nommé tout à l’heure, qui est le fait que l’on aille de plus en plus loin dans l’instrumentation pour tester les nanoparticules, notamment dans tout ce qui est métrologie, qu’il faut absolument développer. Il faut développer une nanométrologie de grande valeur. Le fait d’aller plus loin permettra de comprendre des problèmes qui ne sont pas forcément des problèmes nano, qui peuvent être des problèmes de toxicologie classique, mais je pense que les nanosciences apporteront énormément sur la compréhension de phénomènes de toxicologie, qui ne sont pas à l’échelle nano, et sur des phénomènes qui peuvent intéresser l’homme directement.

C’est un aspect fondamental.


Je voudrais rebondir sur ce que Jean-Luc MONCEL a précédemment dit et sur ce que Jeanne GROSCLAUDE a dit sur les aspects scientifiques.
Je suis physicien d’origine. J’ai découvert le monde de la nanotoxicologie en allant voir les collègues dans leurs laboratoires. Bien sûr, je n’y connaissais rien du tout en tant que physicien.
Je rebondirai sur un mot que Jean-Luc MONCEL a utilisé tout à l’heure, qui est « confiance ».
Je pense que, dans une démocratie où des gens peuvent s’exprimer librement, contrairement à nous ce soir, puisque nous avons été obligés d’être dans un studio, alors que depuis deux ans j’ai dû faire une centaine d’interventions en public et que cela s’est toujours bien passé parce que j’étais invité par des villes, par tout un tas d’institutions, c’est la première fois que je me trouve confronté à une forme de violence qui nous confine dans un studio.


Jean-Luc MONCEL a parlé de confiance. Dans une démocratie, il me semble que l’on doit faire confiance à ses collègues, mais pas une confiance aveugle, bien sûr. Jamais.
C’est là que je rebondirai sur Jeanne GROSCLAUDE qui a précédemment dit que l’on doit mener un combat permanent à toutes les échelles, à tous les échelons, en tant que salariés, en tant que citoyens pour absolument voir clair dans ces choses, que ce soient les nanosciences ou la toxicologie.
Je pense qu’il faut effectivement une grande confiance, parce qu’on est en démocratie et que l’on peut se le permettre, mais une confiance qui ne soit pas aveugle et qui nous permette de rester vigilants.


Quand nous avons fait notre premier livre « Nanophysique, nanochimie, nanobiologie » [sic], on a seulement regardé les aspects positifs de cette science. Il était évident pour nous que nous devions faire un quatrième livre, « Nanotoxicologie », pour voir quelles techniques seront utilisées pour faire toutes ces extraordinaires réalisations et quels problèmes cela posera.
Je pense qu’il faut rester responsable et j’ai vraiment ce sentiment que la très grande majorité des chercheurs sont des citoyens responsables.

 

M. BERGOUGNOUX.- J’ai deux questions d’internautes que je vous adresse directement, qui sont peut-être un peu techniques ou trop générales.

Première question : il semble que, comme dans d’autres domaines (pollution atmosphérique et radioactivité), une question importante et difficile est celle de l’effet sur l’homme de l’exposition prolongée à de faibles doses. A-t-on des résultats, des pistes à ce sujet ?

 

M. HOUDY.- L’effet de dose est quelque chose de très important.

 

M. BERGOUGNOUX.- C’est compliqué.

 

M. HOUDY.- C’est très important et très compliqué parce qu’il y a des effets de doses tout à fait particuliers.
On peut être immunisé en prenant de très petites doses à très long terme. Cela peut être très bénéfique comme maléfique. Les études de toxicologie sont très complexes à mener.
Ce que l’on peut dire, c’est ce que l’on sait aujourd’hui sur la toxicologie spécifiquement nano, parce que la question va revenir dans tous les domaines, que ce soit le domaine sociétal ou physiologique, dès que l’on va parler des risques, la question est toujours : est-ce spécifiquement nano ou pas ? Cela concerne-t-il la chimie classique, la physique de manière tout à fait classique ou y a-t-il un aspect fondamental de la taille nano ?
On a commencé à regarder des cellules vivantes. On injecte des nanoparticules dans les cellules vivantes et on regarde les inflammations des tissus par exemple. Ce que l’on sait assurément, c’est que l’on a des rapidités d’inflammation plus grandes avec de toutes petites particules et que l’on a des taux d’inflammation plus élevés avec de toutes petites particules. C’est sûr. C’est un fait avéré qu’il y a des effets de l’échelle nanométrique. On doit continuer à faire des recherches là-dessus.
Il n’y a pas assez de recul pour l’instant pour savoir si, à très long terme, il peut y avoir des difficultés.
C’est là que les nanosciences vont être très intéressantes parce que la pollution environnementale classique contient assurément des nanoparticules.

Donc, certaines maladies que l’on n’arrive pas à diagnostiquer actuellement parce qu’on était à l’échelle micronique d’analyse, de par une pollution tout à fait classique dans laquelle il y avait des nanoparticules soit naturelles soit industrielles, on va peut-être enfin pouvoir comprendre comment cette pollution classique, contenant éventuellement des nanoparticules, a pu agir sur l’homme.
 
M. BERGOUGNOUX.- C’est une piste. Là, on vous pose une question peut-être plus futuriste : peut-on imaginer un jour que des modèles informatiques représentant l’interaction entre des nanoparticules et le vivant viennent compléter ou remplacer certaines méthodes toxicologiques classiques in vitro ou in vivo ?
Est-ce de l’anticipation folle ?

 

M. HOUDY.- Pas du tout. C’est quelque chose de crucial.
Il y a un des aspects à développer dans les nanosciences… Tous les aspects sont à développer : la physique, la chimie et la biologie, mais les mathématiques et l’informatique doivent beaucoup nous aider.
Cette personne a raison : on doit être capable de modéliser au maximum de façon à éviter des expériences qui n’ont pas lieu d’être faites. Peut-être les modélisations nous orienteront-elles vers de nouvelles idées.
Donc, cette personne a parfaitement raison. Non, ce n’est pas de l’anticipation.

M. BERGOUGNOUX.- Ce n’est pas de l’anticipation, c’est une piste.

 

M. HOUDY.- Absolument.

 

M. BERGOUGNOUX.- J’ai deux intervenants : Jean-Philippe BOURGOIN et Arila POCHET.

 

M. BOURGOIN.- Je suppose que nos interventions vont peut-être se renvoyer la balle.
Sur votre toute dernière question, dans le cadre d’un projet européen et même plus largement, l’INERIS a commencé à travailler au développement de modèles mathématiques justement, répondant exactement à la question de votre internaute.
Evidemment, ce sont des choses extrêmement complexes et il faudra un peu de temps avant que ces modèles soient adaptés et prédictifs dans le cadre des nanoparticules.
Ce que je voudrais dire, c’est qu’on a peut-être pu avoir l’impression, tout à l’heure, qu’il y avait à la fois un déficit extrêmement grand d’organisation, un déficit extrêmement grand d’actions sur les aspects toxicologie et écotoxicologie.


Je rebondis sur ce qui a été dit. Il est vrai que, parmi les chercheurs français, un certain nombre d’entre eux ont été pionniers dans les études de toxicologie et d’écotoxicologie.
Depuis à peu près deux ans, en particulier sous l’impulsion du ministère de la Santé (et c’est pourquoi j’évoquais l’échange possible), il y a eu un regroupement des forces françaises autour de ces aspects de toxicologie, ce qui a d’ailleurs abouti au lancement d’une action coordonnée européenne dont Mme POCHET parlera.


Les chercheurs français, sur ce domaine, ont d’une part un très bon niveau, d’autre part se parlent et d’autre part, dans un certain nombre de cas, sont vraiment motivés, mobilisés depuis un certain temps.
Concrètement, ce n’est pas incompatible avec la remarque que vous faisiez sur le fait que la toxicologie ou l’écotoxicologie en France, de façon générale, sont un peu sous critique.
Cela reste, je crois malheureusement, une vérité. Aujourd’hui, le problème est que les méthodologies de mesure sont au point pour bon nombre d’entre elles et qu’il faut mobiliser ces moyens et ces chercheurs en toxicologie pour obtenir les réponses.