M. Patrick LEGRAND.- Merci. Allez-y ?
M. Joël JACQUET.- Je voudrais compléter cette réponse. J’adhère à tout
ce qui est dialogue, échanges, explications, c’est forcément utile.
Je voudrais tout de même vous rassurer. Toutes les études que nous
menons dans nos laboratoires sont très encadrées. On appartient à des
laboratoires évalués, des systèmes comme l’ARES* font que ce qu’on fait
est regardé à la loupe par des experts. On est dans le domaine
scientifique, et plus uniquement dans le domaine de l’éthique.
Ce que l’on fait est clairement évalué. Abdallah Ougazzaden parlait de
projet ANR, c’est un système très sélectif qui fait l’objet
d’expertises au niveau international : un projet est examiné par au
moins trois experts dont au moins un étranger. Les sujets d’étude que
l’on propose et que l’on se fait financer sont en général très encadrés.
Je veux vous rassurer. C’est peut-être le message que je voudrais que
vous reteniez. Bien sûr, vos collègues ont le droit de s’inquiéter de
ce qu’ils financent et pourquoi, cela me paraît être un minimum pour
des élus locaux ; mais sachez bien que tout ce que nous faisons est
sous contrôle.
M. Patrick LEGRAND.- Je me doute bien. J’avais entendu tout de même que
M. Béguin parlait d’un panel de citoyens avertis. Ce n’était peut-être
pas seulement des « affaires de boutique ».
J’ai l’habitude de demander si vous êtes satisfait des réponses. Vous
aurez, Monsieur Béguin, à un moment ou à un autre, le droit de suite.
Peut-être que M. Germain souhaite réagir. Profitez-en pour vous
présenter et réagissez.
M. Lionel GERMAIN.- Je suis ici au titre des Amis de la Terre Moselle.
Un petit commentaire très court sur ce qui vient d’être dit : les
agences qui évaluent la recherche évaluent la qualité du travail
scientifique, essentiellement.
Je crois que la question se posait plutôt sur le côté éthique et enjeux
de société, auquel cas, à ma connaissance, il n’y a pas d’agence au
niveau national qui fait l’évaluation de ce type de travaux.
C’était bien la question ? Évidemment, je suis favorable à une organisation de ce type.
M. Patrick LEGRAND.- Repassez le micro à M. Béguin qui a le droit de suite.
M. Daniel BÉGUIN.- Ma question est effectivement extrêmement pratique.
Nous avons mis en place au Conseil régional un Comité consultatif
citoyen.
On cherche à faire en sorte, lorsque des experts viennent présenter le
contenu de leur expérience sur telle ou telle thématique, que les
citoyens participent pour le moins à la décision, c’est l’essentiel.
Les deux réponses que m’ont donné Joël Jacquet et Philippe Burg sont
satisfaisantes sur le plan du sérieux scientifique des opérations
menées. Néanmoins, ce qui m’intéresse est, non pas la controverse entre
le citoyen et la science, mais la co-construction partagée.
Cette question d’éthique est à mon sens fondamentale. C’est pourquoi je
disais tout à l’heure que je pense que le rôle d’une grande
collectivité comme la nôtre n’est pas seulement de nous reposer sur la
qualité du monde scientifique avec lequel nous avons un partenariat,
mais d’être extrêmement attentifs à l’utilisation des fonds publics au
sujet de laquelle nous pourrions être interrogés par les citoyens qui
s’inquiètent, à juste titre, du développement d’un certain nombre de
technologies.
C’est la raison pour laquelle j’insiste absolument sur l’importance de
la participation citoyenne. Il faut bien évidemment des citoyens
avertis. Il a été démontré que, dans un certain nombre de débats de
niveau national, les citoyens avec un peu de formation sont
parfaitement en capacité d’appréhender les questions de fond et de
donner un avis sur l’état d’avancement de tel ou tel projet et
l’utilisation des fonds publics.
J’en terminerai pour les experts. J’ai assisté il y a très longtemps,
Patrick Legrand s’en souvient peut-être, à un débat à Florac il y a une
bonne quinzaine d’années dont le titre était : « Les experts sont
formels ». Il y avait en tribune des experts auxquels on posait une
question précise. Pour chacune des questions posées, les experts
étaient en controverse totale. Cela nous amenait à nous interroger en
tant qu’élus : pour fonder notre décision sur la science,
l’interrogation reste constante.
L’expert est intéressant parce qu’il permet effectivement d’éclairer le
débat ; mais il n’est pas le seul à nous permettre de nous forger la
décision. C’est dans cet esprit que je voulais intervenir ce soir.
M. Patrick LEGRAND.- C’est une bonne proposition. Les experts oui, mais les citoyens au micro, s’il vous plaît.
M. Guy CAMBIANICA.- Je suis du Mouvement démocrate. M. Béguin a
travaillé dans la nanoréflexion ou dans les nanostructures de décision,
sachant que l’individu est le dernier élément, il peut être à la fois
le chercheur et celui qui se pose la question de l’utilité de sa
recherche. Ce n’est pas l’objet de mon propos.
Au contraire, je vais faire de la macro dans ma question. À l’échelle
d’une région, c’est certainement très intéressant, cependant, me
semble-t-il, c’est plus intéressant à l’échelle d’une grande région et
plus encore à l’échelle de plusieurs pays, que ce soit un Comité
d’éthique ou de la recherche.
On conçoit bien que les meilleurs chercheurs soient ici en Lorraine, à
Metz, etc. mais on conçoit également qu’il puisse y avoir des
recherches partagées en Europe, parce que le débat des nanotechnologies
porte sur la sécurité, bien sûr, mais c’est également un formidable
bouleversement des savoir-faire qui replacera vraisemblablement
l’Europe et donc notre Lorraine à la pointe de l’économie moderne.
Cela m’interpelle. Je voudrais savoir dans quelle mesure nous
travaillons à une échelle plus grande, plus structurée et plus
importante pour éviter que trois régions ou trois pays fassent les
mêmes recherches, alors qu’ils appartiennent à la même sphère
économique.
M. Patrick LEGRAND.- Merci, vous m’avez piégé en changeant de question
alors que la précédente n’était pas aboutie ! Je vais reprendre la
précédente. M. Ougazzaden et Mme Rousseau souhaitaient intervenir.
M. Abdallah OUGAZZADEN.- Je souhaite intervenir sur la première
question, la question d’éthique et la participation des citoyens. Je
suis tout à fait d’accord, nous devons savoir où va l’argent public,
sur quels projets et quel est le retour de cet investissement.
Nous avons le devoir en tant que chercheurs de donner à tous une
information et d’en assurer le suivi. En termes d’éthique, vous parliez
d’avoir un Comité d’éthique dans chaque région par exemple. À ma
connaissance, au niveau de l’Europe, dans le domaine de la
nanotechnologie, un Comité d’éthique commence à s’organiser en limitant
les périmètres de travail dans ce domaine.
Il reste du travail à faire, il y a des choses inattendues, que l’on ne
peut pas appréhender. Ils cherchent à avoir une flexibilité afin de
réagir rapidement en cas de danger ou de débordement dans le domaine de
la recherche.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Madame Rousseau ?
Mme Michèle ROUSSEAU.- Je suis du Ministère chargé de l’écologie, je représente ici ceux que l’on appelle les maîtres d’ouvrage.
Sept Ministères ont souhaité ce débat, pour deux raisons, la première
étant justement de faire participer le public à la réflexion et à la
décision sur un sujet tel que les nanotechnologies, sujet éminemment
scientifique et difficile, qui pose de véritables choix de société.
C’est vraiment pour cela que le débat a été demandé.
La deuxième raison est qu’au cours du Grenelle de l’environnement, 268
engagements ont été pris. C’était une vaste procédure de consultation,
de négociation, qui a eu lieu de mai à octobre 2007. L’un de ces
engagements était qu’un débat public soit organisé au sujet des
nanotechnologies. Ce soir, nous tenons cet engagement.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Vous avez une question dans le prolongement ?
M. Frédéric DAUBERT- Je suis juriste à la CLCV, une organisation de
défense du consommateur. Ce sont plutôt deux questions. La première est
purement technique, voire scientifique, elle m’intéresse
personnellement. La seconde est davantage en relation avec ce qui a
déjà été dit.
La première est plutôt en direction des professeurs. Tout ce qui est nanotechnologie se rapporte-t-il à la physique quantique ?
Ma seconde question rejoint ce qui avait été dit sur les Comités
d’éthique au niveau régional. Du fait qu’il n’y a pas assez de citoyens
avertis -je connais les nanotechnologies pour m’intéresser, alors que
je suis juriste, à tout ce qui est physique et biologie-, ne
pourrait-on pas envisager au niveau régional, puisque les lycées sont
financés, des formations ou des grandes réunions publiques, autres que
le débat d’aujourd’hui ?
Cela permettrait d’intéresser un maximum de personnes, de dédramatiser
les sciences en elles-mêmes et d’en faire comprendre les enjeux avec
leurs avantages et inconvénients.
M. Patrick LEGRAND.- Merci, nous allons pouvoir répondre rapidement à
votre première question. La seconde reste dans le prolongement du
premier questionnement.
M. Abdallah OUGAZZADEN.- Concernant votre première question, sachez que
tout ce qui est nanotechnologie n’est pas toujours de la mécanique
quantique. La mécanique quantique en est une partie, nous utilisons
parfois les propriétés quantiques pour certaines fonctionnalités.
Je donne deux exemples : parfois, on fait de la nanotechnologie ou de
la nanostructuration pour augmenter la surface et sa réaction. Dans ce
cas, il n’y a pas d’effet quantique. On peut également faire une
certaine périodicité avec des nanoparticules, périodicité qui donne une
certaine fonctionnalité, qui n’est pas un fait quantique mais un effet
de taille et d’arrangement de ces particules, voire un effet de surface
par rapport au volume.
M. Patrick LEGRAND.- La seconde partie de la question portait sur comment on associe le citoyen qui souhaite devenir averti.
S’agissant des activités de recherche, ce que vous avez soulevé est le
quotidien d’un chercheur. En effet, savoir comment se déroule une
activité de recherche passe, quoi qu’il arrive, par des collaborations.
M. Philippe BURG.- Il existe de nombreuses actions, je vais en citer un
exemple. Des groupements de recherche européens sont créés et financées
en partie par le CNRS. Ils répondent à une problématique donnée et vont
associer des laboratoires européens, puisqu’il y a des groupements de
recherche européens - ce qu’on appelle les GDRI, groupements de
recherche internationaux - qui vont associer des laboratoires à
l’échelle mondiale sur une thématique donnée, avec une durée de vie de
quatre ans.
On répond à une question et à un enjeu. J’aime bien ces structures, les
participants ont réellement envie de travailler ensemble. Ce sont ce
que j’appelle des laboratoires sans murs. Vous regroupez pendant quatre
ans les activités partielles de X laboratoires qui couvrent le monde
entier.
Pour répondre à un autre aspect de votre question, lorsque l’on monte
un projet, on le monte avec des personnes qui sont dans la compétence
du domaine ou qui sont complémentaires. Je parlais tout à l’heure du
fait qu’il y a de plus en plus de projets selon lesquels on mélange les
sciences dures et les sciences subtiles.
En réalité, on se retrouve avec une question dès lors que l’on monte un
projet. Lorsque l’on passe des Comités d’expertise ou lorsque l’on
passe le seuil des collectivités locales pour des gros projets, les
questions sont toujours les mêmes : qu’est-ce qui se fait au niveau
local, au niveau régional, national et européen ? Est-ce complémentaire
?
Il est normal que ces questions soient posées. Il s’agit d’argent
public, on ne va pas créer deux fois la même à 60 kilomètres de
distance, voire plus loin. Ces interrogations, lorsque l’on monte des
projets ou des actions de recherche, se posent naturellement.
Quant à votre seconde question, les universités, avec les partenaires
académiques tels que les écoles, ont des systèmes de communication des
sciences et techniques, les CST. Nous mettons en place des actions. Sur
Metz, nous avions organisé les Cafés de la Science. Nous nous
retrouvions dans des lieux publics avec un intervenant sur un sujet
très pointu. Chacun était invité à venir se cultiver et, dans un jeu de
questions-réponses, à avoir des réponses à leurs interrogations.
Il existe également la fête de la Science. De nombreuses actions se
mettent en place. Ce sont des processus qui se multiplient. Je vous
rappelle que la volonté de l’université est d’être plus proche du
citoyen et de ne pas être réservée à quelques professeurs qui font
leurs recherches de leur côté. Des actions de communication en ce sens
existent, peut-être pas suffisamment.
M. Patrick LEGRAND.- Monsieur, êtes-vous satisfait de cette réponse ?
M. Guy CAMBIANICA.- Je pense que cela fait avancer le débat, cependant
je ne suis pas sûr que l’on aille au fond des choses. J’ai bien compris
que la coordination dépasse la stricte région, puisqu’on parlait
précédemment de régions. J’ai bien compris qu’il existe éventuellement
des coordinations européennes.
Peut-on aller plus loin : est-ce que cela donne lieu systématiquement à
des collaborations industrielles ? Est-ce générateur d’emplois ?
Êtes-vous intéressés parce que cela produit du budget ?
Je suppose que la région participe mais que l’Europe également. Les industriels sont-ils dans la même démarche ?
M. Patrick LEGRAND.- Merci.
M. Abdallah OUGAZZADEN.- Je vais compléter la réponse de mon collègue
Philippe Burg à la question intéressante au sujet de la coordination de
la recherche au niveau national. C’est un point important, il y a la
coordination à plusieurs niveaux.
Il existe une coordination au niveau des laboratoires de recherche qui
sont toujours labellisés. Les établissements publics scientifiques et
techniques par exemple appartiennent au label CNRS, CEA ou autres.
Suivant le domaine de recherche, on appartient à un organisme dont le
rôle est de coordonner la recherche au niveau national. On ne peut pas
faire une recherche ici qui a déjà lieu dans le sud de la France;
c’est le CNRS qui va nous en informer. Si l’on fait tout de même cette
recherche, elle ne sera pas subventionnée.
Au niveau régional, il existe des pôles de compétitivité. Le pôle
Matériaux est ici, on trouve également le pôle Fibres, peut-être y
aura-t-il un jour le pôle Eau. C’est dans ce domaine que l’on essaie
d’orienter notre recherche en utilisant notre expertise, dans l’optique
par exemple ou autres ; nous essayons d’avoir des applications dans ce
domaine.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Nous avons un peu avancé. Monsieur ?
M. Frédéric DAUBERT.- J’avais en effet deux questions. Je suis satisfait de votre réponse concernant la première.
Pour ce qui est de la seconde, vous citiez Science en fête et ce genre
de manifestations. Le problème vient peut-être de la communication.
J’ai déjà vu cela, étant originaire des Bouches-du-Rhône où de telles
manifestations existent ; cependant, elles manquent de publicité et
d’accès aux médias.
Cela va vous déplaire : à force de vous enfermer dans le monde
scientifique, vous êtes tout de même bien coupés de la base des
citoyens qui ne sont plus avertis et qui ont une peur par rapport aux
sciences. Il faudrait faire de nouveau l’effort de revenir vers les
citoyens. Peut-être que je me trompe complètement.
M. Philippe BURG.- Je suis assez d’accord avec cela. Il est vrai que,
s’agissant de la partie scientifique, comme je le disais tout à
l’heure, nous sommes une société de sciences et de techniques. Nous
avons balayé tout ce qui était scientifique, en le barrant de notre
culture.
Aujourd'hui, on rame dans le sens inverse. Je ne parle pas des
universitaires ou du monde académique mais de la société en général ;
nous sommes tous responsables. Évidemment, un effort est fait pour
combler cela ; lorsque je vois la Fête de la science ou les Jardins de
la science, ce n’est pas pour rien que c’est organisé. On voit la
désaffection, qui maintenant se rétablit, mais qui, pour une société de
sciences et techniques, faisait qu’on n’avait quasiment plus un
étudiant en science ; cela posait problème.
Aujourd'hui, la tendance est inverse et on rattrape cela, il n’empêche
qu’on a eu une période de creux. Les sciences ont été rayées de la
culture, c’est bien dommage. Elles en font partie au même titre que
d’autres disciplines. Un effort est fait en ce sens pour vous expliquer
ce que l’on fait, ce qui se passe, quel en est l’intérêt.
Quoi qu’il en soit, c’est intéressant. On a un regard différent. On
peut se satisfaire de la réunion de ce soir dans le sens où vous posez
des questions que nous ne nous sommes pas forcément posées, auxquelles
on n’a pas de réponses toutes faites non plus. Comme le soulevait
l’animateur, il y a de très bonnes questions. Je vous en remercie, cela
fait avancer le débat.
M. Patrick LEGRAND.- Je vous remercie, nous avançons. Monsieur ?
Intervenant.- En tant que citoyen écologiste de base, j’ai une question
à caractère un peu comique : pourquoi un « nano-contrôle sécuritaire »
à l’arrivée alors que nous menons un débat public ? Y avait-il quelque
hantise d’un éventuel danger ? Cette question s’adresse aux
organisateurs et à la personne représentant le Ministère.
M. Patrick LEGRAND.- Le Ministère n’a rien à voir, j’en suis totalement
responsable. Vous parlez vous-mêmes d’un nano-contrôle, à mon avis
essentiellement dû au fait que nous sommes dans un établissement public
qui, lui, est soumis à un certain nombre de procédures diverses.
Ceci dit, il est tout à fait exact que nous avons rencontré quelques
difficultés - vous êtes probablement au courant - et que certaines de
nos réunions ont été menées sous la protection d’un cordon de
militaires musclés et baraqués.
Ce soir, nous n’avons pas trouvé que c’était nécessaire. Nous pensons,
concernant le débat public, que n’importe qui a envie d’y venir y
vient. Évidemment, nous ne pouvons pas nous offrir sans arrêt des
opérations lors desquelles certains viennent casser ce débat public. Le
débat public, c’est l’argument, la transparence, l’écoute de l’autre,
etc., C’est d’ailleurs pourquoi de temps en temps la République doit se
défendre avec des moyens.
J’espère qu’on ne vous a pas fait de remarques sur le contenu de votre sac ? N’ayez crainte, on a également fouillé le mien.
Intervenant.- Le mien était totalement transparent, cela s’est très
bien passé. C’était quelque peu surprenant parce que, Messin depuis
toujours, c’est la première fois que je suis contrôlé dans ce bâtiment.
Tout aussi sérieusement, dans le prolongement, jusqu’où le principe de
précaution hante-t-il l’expertise des experts ? Ce principe fait-il
l’objet d’un contrôle ? À pousser des recherches extrêmement pointues,
arrive-t-il que vous fassiez l’objet d’un contrôle ?
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Jusqu’où le principe de précaution entre-t-il dans la pratique des experts ?
M. Lionel GERMAIN.- Je ne vais pas répondre à la question, mais
rebondir dessus afin de la compléter. C’est celle de la responsabilité
des acteurs impliqués dans toutes nouvelles technologies, dans tous
nouveaux développements.
Il me semble que l’on apprend de ces erreurs. Jusqu’à Bhopal, le
principe du pollueur - payeur n’existait pas. La question de la
responsabilité reste ouverte : est-elle sur les financeurs, les
chercheurs ou les industriels ? Je n’ai pas la réponse, je pose la
question comme vous.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Monsieur Ougazzaden ?
M. Abdallah OUGAZZADEN.- Pour répondre partiellement à cette question
très difficile, quant à savoir jusqu’où aller dans ce domaine de la
nanotechnologie, il existe tout d’abord le principe de précaution.
Au niveau de l’expertise, en tant que chercheurs, nous essayons
toujours de pousser, d’innover et d’aller vers la recherche. Nous
n’avons pas de blocage psychologique à ce niveau. Nous cherchons à
aller le plus loin possible avec notre imagination et l’innovation.
Il n’empêche qu’à un niveau supérieur, lorsqu’un danger est potentiel,
on définit notre périmètre de travail. Il arrive, dans certains
domaines, que l’on reçoive des notes dans tel ou tel laboratoire nous
interdisant de travailler sur tel ou tel projet. C’est à ce niveau.
Les projets et la recherche sont expertisés, à notre niveau, sur
l’excellence et sur la faisabilité scientifique, dans le cas où il y a
une équipe compétente. Nous ne réfléchissons pas, en tant que
chercheurs, en termes de danger ou de risques attachés au projet.
M. Patrick LEGRAND.- Merci.
M. Claude PARMENTELAT.- J’appartiens à la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,
service appartenant au Ministère de l’Économie et des Finances.
J’interviens parce que nous sommes un service de contrôle. Pour les
nanoparticules, c’est prématuré de parler de contrôles puisque nous les
mettons seulement en place. Il n’empêche que cette notion de contrôle
s’inscrit déjà, et le sera de plus en plus, dans la notion d’obligation
générale de sécurité des produits et des services, obligation existant
pour tous les produits et tous les services depuis quelque 25 ans. Un
service de contrôle, à partir de textes réglementaires, est chargé de
s’assurer de l’application de cette réglementation.
Concernant les nanoparticules, nous n’en sommes encore qu’aux
balbutiements de la réglementation qui est communautaire. Un règlement
communautaire commence à s’intéresser à ces problèmes et se met en
place. Progressivement, une liste positive de produits reconnaîtra la
possibilité d’utiliser les nanoparticules.
Bien évidemment, pour établir cette liste, il va falloir du temps. Les
décrets sont récents ; de ce fait, pour l’instant, les contrôles ne
font que commencer par rapport à ce qui est déjà mis en place.
Cependant, tout comme pour les autres produits, les contrôles des
nanoparticules se feront par les services de contrôle au niveau de la
Communauté européenne.
M. Patrick LEGRAND.- Merci, cette réponse vous satisfait ? Très bien. Monsieur ?
M. Fabien MORTIER.- Je suis chercheur au CEA en électronique quantique.
Je voulais apporter un complément quant à la question posée au niveau
de la compétition. Bien entendu, on s’organise pour ne pas travailler
sur exactement la même chose que nos collègues, néanmoins il ne faut
pas nier qu’il y a de la compétition dans la recherche.
Souvent, sans travailler sur la même chose, on travaille sur des
domaines connexes. En tant qu’expérimentateur, sans chercher à faire la
même expérience que mes collègues, je fais tout de même des choses qui
y ressemblent fortement.
Cette compétition est tout à fait saine. C’est aussi une garantie de
fiabilité. Si je raconte n’importe quoi, que j’ai fait quelque chose de
génial et qu’il n’y a aucun compétiteur, personne n’aura l’idée de
vérifier que je ne suis pas en train d’affabuler totalement.
Il ne faut par forcément imaginer que nous pourrons complètement
planifier la recherche. Au niveau fondamental, selon lequel je
travaille, cela n’existe pas. Il y a une compétition, il ne faut pas la
voir comme un gaspillage.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Madame, s’il vous plaît ?
Mme Marie-Claude MALHOMME.- Je suis consultante et Présidente de l’association « Et si,… les Lorrains ! ».
Je voudrais revenir sur la question sur le contrôle qui rejoint une
question posée sur Internet. Dans ce que vous avez dit, Monsieur
Parmentelat, et dans les questions qui ont été posées, je comprends
qu’il y a déjà des nanoparticules dans la nature, sans contrôle.
Seront-elles contrôlées ou est-ce que, délibérément, on se dit : « Tant pis pour celles-là » ?
Mme Nathalie QUELQUEJEU.- Les nanomatériaux sont utilisés dans
énormément d’objets, et effectivement il existe des nanomatériaux qui
n’ont pas été soumis à une autorisation préalable de mise sur le marché
ou d’utilisation avant leur utilisation.
On va revenir au thème d’aujourd’hui, notamment sur l’habitat, dans les
matériaux de construction par exemple. Il y a plusieurs types
d’identification du problème au niveau réglementaire des nanomatériaux.
En termes de nanomatériaux, des réglementations se mettent en place,
notamment tout ce qui est produits chimiques avec le règlement REACH
qui conduit à l’évaluation progressive des substances dont font partie
les nanomatériaux.
Une intervention, en tout début de débat, consistait à dire très
justement qu’on ne peut avoir une réponse globale à l’ensemble de
l’utilisation de ces nanomatériaux. Il faut avoir des réponses
partielles. On les a, par type de réglementation.
Les cosmétiques ont fait une grande avancée courant 2009 avec
l’intégration de l’étiquetage par rapport à leur utilisation. En
alimentaire, on a également une obligation liée à un règlement sur les
nouveaux ingrédients. Nous avons, à chaque type d’utilisation, des
réglementations qui se mettent en place.
Il existe des produits mis sur le marché sans évaluation ; cette
évaluation se met en route progressivement. L’arsenal réglementaire
suit pour suivre le contrôle de ce qui est mis sur le marché.
Concrètement, nous sommes sur une démarche en lien avec les services du
développement durable, afin de connaître quels sont les matériaux
utilisés dans les entreprises et de savoir s’ils sont en cours
d’évaluation ou non.
M. Patrick LEGRAND.- Cela répond à votre question, Madame, ou avez-vous encore des interrogations ?
Mme Marie-Claude MALHOMME.- Merci de cette réponse détaillée, néanmoins
je suis encore bien moins rassurée qu’avant au sujet des risques
encourus dans différents domaines. Il reste un écart énorme entre le
contrôle et les nanotechnologies. La recherche, très bien, simplement,
attention. Beaucoup de questions portaient sur les risques liés à
l’amiante. Ne va-t-on pas refaire la même chose ?
Je suis tout de même un peu inquiète.
M. Patrick LEGRAND.- Merci. Monsieur Béguin ?
M. Daniel BÉGUIN.- Cela signifie que notre société est capable de
mettre sur le marché des produits à disposition de l’ensemble de nos
concitoyens sans avoir fait une évaluation au préalable. C’est
terriblement inquiétant.
J’ai suivi attentivement l’évolution du dossier REACH, parce que
quelqu’un qui m’est très proche au Parlement européen a bataillé sur ce
dossier. Vous ne pouvez pas imaginer le lobbying que les industriels de
la chimie ont fait auprès des parlementaires. Jamais on n’a connu une
telle bataille au niveau du Parlement européen sur REACH.
Chantage après chantage, interventions auprès du Gouvernement des uns
comme des autres, surtout de la France et l’Allemagne, le projet
initial qui était d’évaluer environ 30 000 ou 40 000 molécules
chimiques mises sur le marché sans évaluation s’en est trouvé fortement
réduit. Il en reste un nombre considérable qui n’ont pas fait l’objet
d’évaluation et qui ne sont pas intégrées au programme REACH.
Comprenez que les citoyens ont des inquiétudes à avoir. Cela signifie
que la puissance publique n’est pas en situation de les rassurer au
titre de leur santé, dans le cadre de leurs activités de tous les
jours, lorsqu’ils manipulent des matériaux, qu’ils mangent ou dans
leurs activités quotidiennes. Cela présente un risque considérable pour
nos concitoyens.
Ma question est celle de l’énorme décalage entre la rapidité de
l’autorisation de mise sur le marché -puisque souvent, entre la
découverte d’un produit et sa mise sur le marché, son évaluation se
fait selon un délai relativement court- et la mise en œuvre du principe
de précaution.
Il nous faut bien évidemment faire des tests sur du court, du moyen et
du long terme, d’autant plus lorsqu’on a affaire à des approches
matricielles, pas le produit unique mais un certain nombre de produits
mis en contact, fabriquant par eux-mêmes des risques plus importants
que le produit individualisé.
À ce sujet, on n’est pas capable de trouver des solutions. Il y a une
contradiction formelle entre l’intérêt de l’économie et notamment des
grands groupes industriels qui veulent rapidement mettre sur le marché
leurs produits et le fait que le délai d’évaluation n’est pas suffisant
pour prendre les précautions nécessaires pour l’ensemble de nos
concitoyens.
Quelle solution pouvez-vous apporter à cette contradiction qui me paraît aujourd’hui incontournable ?
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