Panélistes :
Marc Sentis, laboratoire LP3 (lasers, plasmas et procédés
photoniques), Hugues Giovannini, Institut Fresnel (photonique et
métamatériaux), Laurent Roux, entreprises IBS et SILOS (Pôle OPTITEC),
André Soulage, Pôle PEGASE (aéronautique et spatial), Jean-Yves
Bottero, laboratoire Cerege du CNRS (toxicologie)
Robert Ranquet (défense), Pascal Maigné (délégation générale à
l’armement) et Philippe Dieudonné (Ligue des droits de l’homme),
Jacques Dallest, procureur de la République à Marseille.
Animateurs : Jean-Pierre Chaussade et Galiène Cohu, membres de la CPDP
|
Introduction
Jean-Pierre Chaussade resitue le débat dans son contexte général. La
ville de Marseille accueille aujourd'hui la 13ème des 17 réunions
prévues par la Commission particulière du débat public sur les
nouvelles technologies. Ce débat, voulu par le Grenelle de
l’environnement et le gouvernement, a pour mission de donner un maximum
d’informations à un public le plus large possible sur toute la France,
d'écouter et de relayer tous les points de vue. À l’issue des débats,
le gouvernement aura trois mois pour rendre un avis.
Jean-Pierre Chaussade rappelle le rôle joué par le site internet dans
le débat public (100 000 visites, 500 000 pages consultées, 225
contributions et avis) et la richesse des 46 cahiers d’acteurs réalisés
par une très grande diversité de contributeurs (associations,
syndicats, agences sanitaires, groupes d’entreprises, etc.)
Il donne la parole à la salle. Malheureusement, comme cela s’est déjà
produit dans d’autres séances, le débat est très vite empêché par une
cinquantaine de contestataires qui l'interrompent par des sifflets et
des slogans hostiles aux nanotechnologies. Jean-Pierre Chaussade
interroge la salle pour comprendre les raisons qui font que le public,
ici 220 personnes, n’a pas la liberté de s’exprimer, de s’informer, de
poser des questions, de donner des avis. La réponse d’un manifestant
est que les décisions sont déjà prises et que le débat est là pour les
avaliser. Michèle Rousseau, du commissariat général du développement
durable, conteste cette vision : plusieurs types de décisions
pourraient être induites par ce débat comme le fait d’imposer un
certain pourcentage de recherche sur les risques sur la santé et
l’environnement, de demander plus ou moins de contrôleurs ou d’agir sur
les institutions européennes, et d’autres avis donnés dans le débat.
Devant l’impossibilité de débattre dans les sifflets et les cris des
manifestants, Jean-Pierre Chaussade passe le micro à Galiène Cohu pour
répondre aux interrogations du public sur le débat, et il donne
rendez-vous sur Internet 20 mn plus tard, afin de permettre aux
intervenants de présenter leur sujet et de répondre aux questions du
public, à la fois le public de la salle qui a eu le courage de rester
(liaison par vidéotransmission) et les internautes qui suivent en
direct le débat.
Depuis la salle sécurisée, Jean-Pierre Chaussade lance le sujet de la
défense nationale. La recherche réalisée par le ministère de la Défense
sur les nanotechnologies représente autour de 7 % du montant de la
recherche publique dans cette technologie.
Invité par une question de la salle à s'exprimer sur les diverses
applications dans le domaine de la défense, Robert Ranquet évoque les
applications potentielles qui permettent d’améliorer les performances
des matériaux pour les rendre plus légers, plus résistants à la
corrosion, résistants à certaines substances chimiques ou biologiques,
sur des aéronefs et des véhicules terrestres blindés, les dispositifs
donnant des fonctions nouvelles comme la possibilité de faire des
diagnostics ou des débuts de traitement en cas de blessure des
combattants, ou de nouvelles fonctionnalités en matière de
communication incorporée, ou encore la capacité d’emporter de l’énergie
ou d’en générer.
Robert Ranquet assure qu’il n’y a pas de distinction fondamentale entre
les applications des nanotechnologies dans la défense et celles du
domaine civil. L’intérêt de l’armée pour les nanotechnologies ne
signifie pas qu’il y aura un jour des nanoarmements. Questionné sur les
drones, il explique que les drones tactiques américains sont de
véritables avions, plus ou moins grands, mais qui n’ont rien à voir
avec les nanotechnologies. La réalisation de drones de quelques
centimètres permettrait tout au plus d’embarquer une caméra miniature
et ne pourrait guère servir à autre chose qu’à la surveillance.
Interrogé sur l’existence d’applications nano, par exemple
l’utilisation de nanoparticules comme vecteurs de propagation d’agents
chimiques ou bactériologiques et la difficulté de s’en protéger, Robert
Ranquet rappelle que les armes biologiques et chimiques sont interdites
par les conventions internationales dont la France est signataire. Elle
n’applique donc pas les nanotechnologies dans ce domaine. En revanche,
cela serait possible un jour par d’autres pays, il convient donc de
s’en préoccuper et de réfléchir à l’avance aux parades.
Un autre internaute évoque la possibilité de fabriquer des virus pour
tuer les populations de façon sélective. Robert Ranquet réaffirme
l'interdiction d'utiliser des armes biologiques. L'Afrique du Sud, qui
avait commencé des recherches en ce sens, les a stoppées sous la forte
pression de la Communauté internationale. En outre, ces recherches, qui
avaient débuté à partir de vrais virus, comme celui de la peste ou de
la variole, sont bien moins complexes à mettre en œuvre que le recours
aux nanotechnologies.
Une question porte sur le contrôle des laboratoires qui seraient
susceptibles de travailler sur les armes biologiques, Robert Ranquet
apporte une double réponse : pour les armes chimiques, la convention
internationale a prévu un corps d’inspecteurs internationaux
indépendants rattachés à l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des
armes chimiques) pour surveiller les activités des entreprises
susceptibles d’en fabriquer, pour les armes biologiques en revanche il
n’existe pas de régime d’inspection au sein de cette convention, cela
repose sur les autorités nationales. En France, cela est du ressort du
gouvernement et du ministère de la Défense qui dispose d’un corps
d’inspecteurs et de contrôleurs indépendants des laboratoires. Au-delà,
le Parlement peut exercer son contrôle sur le gouvernement.
Un internaute s’enquiert d'éventuelles applications de travaux dirigés
par le CEA de Grenoble sur l’interface cerveau/informatique pour les
soldats et des contrôles existants. Selon Robert Ranquet, de telles
applications n'existent pas. Quant au contrôle sur les programmes
militaires, cela fait partie de la politique de la défense qui fait
l’objet d’une définition par le gouvernement, votée et débattue par le
Parlement. Le contrôle peut se faire par la représentation nationale
qui peut demander des comptes ou par des corps de contrôle particuliers
comme le contrôle général des armées.
Sur l’invitation de Jean-Pierre Chaussade, pour illustrer les
applications « duale » civiles et militaires, André Soulage décrit les
applications développées par le pôle de compétitivité aéronautique et
spatial Pégase : des matériaux plus résistants et plus légers, mais
aussi l’optimisation du stockage de piles à combustible qui, sans
permettre d’envisager à un horizon proche des Airbus électriques,
autorise un recours plus important à des composants électriques dans
les avions.
Marc Sentis, chercheur du CNRS au laboratoire LP3, donne ensuite un
aperçu des applications nanotechnologiques dans le domaine des lasers
qui touchent des domaines très différents comme le photovoltaïque (pour
la structuration de la surface du silicium afin de la rendre plus
absorbante), la santé (pour la fabrication de nanoagrégats servant de
vecteurs de produits vers une tumeur cancéreuse ou pour la tuer), ou
des secteurs connexes comme l’ultra propreté, pour chasser les
poussières à l’échelle nano dans la micro ou nano électronique.
Hugues Giovannini, de l’institut Fresnel, est appelé à évoquer les
travaux en cours dans le domaine de la photonique, terme moderne de
l’optique. Le fait d’utiliser la lumière dont la longueur d’onde est
de quelques centaines de nanomètres a amené les chercheurs à
s’interroger sur les interactions qui se produisent à l’échelle
nanométrique entre une onde et la matière. Hugues Giovannini fait
d’ailleurs valoir que c’est ainsi que les insectes se reconnaissent ou
se cachent en développant, comme les mites, sur leurs ailes ou leurs
yeux, des structures à l’échelle nanométrique qui ne renvoient pas la
lumière de manière habituelle et leur permettent ainsi d’échapper à
leurs prédateurs.
Il dévoile par exemple l’application de cette propriété pour fabriquer
des lunettes antireflets, ou les métamatériaux consistant à essayer de
maîtriser les interactions entre la lumière et les objets un peu
complexes en ajoutant des inclusions périodiquement à intervalle de
quelques centaines de nanomètres pour modifier fortement les propriétés
optiques de certains matériaux transparents, ce qui permet d’augmenter
les performances des microscopes et des télescopes ou de concevoir de
nouvelles lentilles. On fait aussi appel aux opticiens pour améliorer
les caméras ou les détecteurs de lumière qui se trouvent sur les
portables.
Jean-Pierre Chaussade évoque la cape d'Harry Potter, le grand rêve de
l'invisibilité. Hugues Giovannini explique que de manière théorique
l'on peut envisager de travailler un morceau de verre transparent en y
ajoutant des inclusions correctement réparties, de telle sorte que la
lumière contourne ces matériaux et ne soit pas du tout réfléchie.
L’onde se retrouve alors de l’autre côté de la source de la lumière,
comme elle l’aurait été s’il n’y avait pas eu cet objet entre la source
de lumière et l’observateur. La faisabilité a été prouvée avec la
radiofréquence et dans les ondes de surface. Ainsi, il a été montré de
manière expérimentale qu’il était possible de dévier des vagues à la
surface de l’eau, ce qui pourrait être utilisé pour protéger les côtes
de grosses vagues. Robert Ranquet signale que des applications de ce
type sont utilisées pour rendre les avions moins visibles des radars.
Un internaute s'inquiète de dérives sécuritaires : est-on surveillé en
permanence et fiché avec les puces RFID ? Pour Jacques Dallest,
magistrat et procureur de la République, très attaché à la protection
des libertés individuelles, c'est un grand thème de ce débat. Tout
progrès technologique et toute science sont susceptibles de susciter
leurs propres dérives. Internet par exemple est une technologie
extraordinaire qui favorise la diffusion de l’information et de la
culture, mais c'est aussi un vecteur de réseaux pédophiles ou
extrémistes.
|