Déroulement des réunions

Comptes-rendus et synthèses des réunions publiques

Les comptes-rendus des réunions publiques font état de l’intégralité des propos échangés par l’ensemble des acteurs du débat. Un compte-rendu synthétique des réunions publiques sera, lui aussi, accessible au fur et à mesure du débat.

Compte-rendu intégral de la réunion publique de Strasbourg

COMPTE-RENDU INTEGRAL DE LA REUNION PUBLIQUE DE STRASBOURG
 
15 OCTOBRE 2009


Programme
Séquence 1 : Nanosciences et nanotechnologies en Alsace.
Animateur : Jean Bergougnoux, Président de la CPDP

INDIQUER LE NOM DES INTERVENANTS /
Marc Drillon, directeur de l’IPCMS, Eric Fogarassy, directeur de l’Ecole nationale supérieure de Strasbourg, Carole Escoffet, chercheuse au ISNN Mulhouse, Khalid Zahouily, société Photons et Polymers, Jean-Luc Rehspringer, société RBNano

 

 Les orientations générales de la politique européenne en matière de nanotechnologies
             Présentation de la Commission Européenne

 

Séquence 2 : Les programmes de recherche européens et français dans le domaine des nanosciences, du  développement des nanotechnologies et de la maîtrise des risques qui s’y attachent. Questions éthiques touchant à la recherche.


Animateur : Jean-Pierre Chaussade, membre de la CPDP
Avec la participation de Philippe Galiay (DG Recherche de la Commission Européenne), de Robert Plana (Agence Nationale de la Recherche), François Tardif (CEA, leader du programme européen Nanosafe 2), Jacques Grassi (INSERM) et Jacques Bordé (Comité d’éthique du CNRS), Raphaël Prenat (ministère de la Recherche)

 

 

Séquence 3 : La régulation européenne des nanotechnologies : règlements européens et réglementations nationales. Association des citoyens à la gouvernance en matière de développement des nanotechnologies.


Animateur : Jean Bergougnoux, Président de la CPDP
Avec la participation de Sandrine Bélier (Parlement européen), Philippe Martin (DG SANCO de la Commission Européenne), Reine-Claude Mader (CLCV), Marc Lipinski (vice-président du Conseil Régional Ile-de-France), Gérard Mantel (Directeur d’AFNOR normalisation), Jocelyne Boudot (ministère de la Santé)

 

(La séance est ouverte à 19 h 40 sous la présidence de Jean BERGOUGNOUX)


M. le Président. - Bonsoir. Je vous propose, en attendant l’arrivée de tout le monde, de regarder un petit film préparé par les ministères demandeurs de ce débat. Pour ceux qui n'ont pas eu le temps de parcourir les documents, cela va leur permettre d'avoir un premier tour d'horizon sur la problématique des nanotechnologies et des nanosciences bien entendu.


(Projection du film d’introduction au nanomonde réalisé par les ministères demandeurs du débat)
Je me présente, Jean BERGOUGNOUX et je préside la commission particulière du débat public qui animera ce débat sur les grandes orientations en matière de nanosciences et de nanotechnologies.
A mes côtés, les membres de la commission particulière du débat public qui travaillent avec moi : Jean-Pierre CHAUSSADE, Patrick LEGRAND, Marie PITTET, Galiène COHU, Isabelle JARRY et Jacques ARNOULD. Je ne dresserai pas le parcours de chacune de ces personnes, mais sachez qu’aucun d'entre nous n'a la moindre attache avec le monde des nanosciences et des nanotechnologies et que nous venons d'horizons très différents pour donner un éclairage complémentaire sur chacun des sujets dont nous aurons à piloter le débat.

 

Vous noterez également - c'est important - que je ne suis pas Jean-Louis BORLOO ; ce n'est pas Jean-Louis BORLOO qui conduit le débat, c'est nous. Nous avons souhaité quand même que Jean-Louis BORLOO s'exprime. Il l’a fait de la manière la plus claire en situant ce débat dans le prolongement du Grenelle de l’environnement - car c'est un engagement qui a été pris au cours de ce Grenelle - et d'autre part, en exprimant le fait que les pouvoirs publics étaient dans une situation d'écoute par rapport à ce débat qui leur permettrait d'éclairer des décisions importantes qu'ils auraient à prendre dans les prochaines années.


Cela ne fait que retracer le processus qui a été suivi : huit ministres ont signé une lettre de saisine demandant à la Commission nationale du débat public d'organiser un débat pour éclairer certaines grandes orientations qu'ils avaient à prendre en matière de recherche, en matière de protection des travailleurs, en matière de protection publique, en matière d'information et de protection du consommateur, en matière de protection de l'environnement, et enfin de façon à organiser le contrôle et le suivi - la gouvernance en un mot - du développement de ces nouvelles technologies, pour ne pas être dans un monde foisonnant et incontrôlé.


 Vous avez vu dans le film qu'il y a déjà bien des domaines où les nanotechnologies sont mises en œuvre. C’est un domaine très important que celui de l'informatique. Nous n'aurions pas aujourd'hui les bases de données fantastiques que nous utilisons, même sans y réfléchir, sur Internet s'il n'y avait pas eu des progrès réalisés grâce aux nanotechnologies dans le stockage et la lecture de l'information.
C’est le cas aussi dans des produits de la vie courante : tout le monde pense aux cosmétiques qui ont fait parler d'eux ; tout le monde pense à ce qui a été montré tout à l'heure : les raquettes de tennis, les bicyclettes, l'allègement des voitures et des avions, etc.


Autre domaine important qui entre tout juste dans les faits, mais qui est passionnant, celui des applications médicales comme les nano-médicaments, les aides à l'imagerie médicale ou encore les réparations de déficiences humaines qui peuvent être obtenues grâce aux progrès de l'informatique, et notamment aux progrès des nanotechnologies.

 
Dans ce contexte, certains disent que l’on est devant un fait accompli - vous l'avez entendu tout à l'heure –, qu’il n'y a plus rien à faire et que le coup est parti sans que l'on nous consulte. Personnellement, je considère que l'on est à un moment qui n'est pas mauvais du tout pour engager ce type de débat. D'abord, je ne crois pas que l'on aurait rassemblé beaucoup de monde pour parler de choses qui étaient simplement dans les laboratoires et pour se demander si on avait le droit de les sortir. Ensuite, la plupart des experts s'accordent à dire que d'ici cinq ans, le volume d'activité des nanotechnologies sera multiplié par trois, cinq, voire même plus, et qu’il y a donc devant nous un champ immense. On peut agir et travailler sur la maîtrise de ce champ, mais ce n’est en aucune manière prématuré ou au contraire trop tardif.


Ensuite, lorsque la Commission nationale du débat public a été saisie, elle a décidé d'organiser un débat public. Pour ce faire, elle a créé la commission particulière que je vous ai présentée tout à l'heure et m’a demandé de l'animer. Dès lors, il doit être clair que le débat échappe à ceux qui l'ont demandé. Nous sommes totalement indépendants de par la composition que nous avons voulue et de par les statuts du débat public.


Dans ce cadre d'indépendance, nous avons trois objectifs :

-

informer un public aussi large que possible. C'est bien nécessaire car très peu de gens en France savent exactement, ou même à peu près, de quoi il s'agit ;
-
permettre à ce public d'exprimer ses attentes, ses inquiétudes, ses appréhensions - c'est bien précisément ce que les ministres souhaitent entendre ;
-
enfin, faire la synthèse des arguments échangés de manière à mettre les décideurs face à leurs responsabilités. Ces décideurs sont les pouvoirs publics, demandeurs du débat et la moindre des choses est que l'on essaie de leur apporter de l'information. C'est aussi les chercheurs, les entreprises, les associations et, sans doute, les citoyens qui, ayant pris conscience qu’il y avait là un sujet important pour leur avenir, souhaiteront continuer à le surveiller et à en discuter.

J'ai pour habitude de dire que dans un débat public, le public a toujours raison et que l’on parle de ce dont il veut parler. On peut d'ores et déjà préjuger, sans risque de se tromper, que le champ du débat sera très large et qu'il faudra parler de nanosciences, de nanotechnologies, de toutes leurs applications, des risques que j'évoquais tout à l'heure, de la gouvernance et, sous-entendant tout cela, des principes de l’éthique qui doivent nous animer pour définir la société, du respect de l’homme que nous souhaitons voir se développer dans les années qui viennent.

 

La commission est assistée d'un secrétariat général qui nous aide beaucoup.
Je rappelle les dates-clés du débat : le 4 mars 2009, la CNDP décide d'organiser un débat ; le 23 septembre, le lancement du débat est annoncé par une conférence de presse et, en même temps, nous ouvrons notre site internet. Je rappelle l’adresse www.debatpublic-nano.org où vous trouverez, au fur et à mesure, toutes les informations sur le déroulement du débat. Le 15 octobre, c'est-à-dire aujourd'hui, ouverture du débat, première réunion publique à Strasbourg. Au rythme d'une réunion par semaine, soit 17 réunions, nous aurons fini le 23 février. Lors de la dernière réunion publique, à Paris, on essaiera d’assembler le tout.


Le premier point est évidemment de disposer d'une information préliminaire. C'est ce qu'on appelle le dossier du débat. Les éléments figurent dans le dossier sur table à l'entrée, sur le site internet, sous forme de CD ; ce qui est sans doute plus économique du point de vue de la déforestation.

 

 
Les moyens d'expression du public : 17 réunions publiques sont prévues. C'est très intéressant, passionnant, essentiel, mais bien entendu, on ne peut pas prétendre toucher tout le public auquel nous voudrions accéder. C'est pourquoi nous privilégierons le site Internet dont je vous ai rappelé l'adresse. D'autre part, nous répondrons aux sollicitations faites par courrier.


Par ailleurs, une cinquantaine d’entités, allant de l'Académie des sciences aux Amis de la Terre, en passant par l'Union des industries chimiques et France Nature Environnement - ont rédigé un « cahier d'acteur », c'est-à-dire un document de quatre pages exprimant une position argumentée. Vous en avez, dès aujourd'hui, vingt-sept sur le site, offrant déjà une matière très riche à la réflexion.

 

S'agissant des réunions publiques elles-mêmes (une par semaine), nous avons essayé de les répartir sur toute la France en privilégiant les lieux où se passent des choses importantes en matière de nanosciences, de nanotechnologies et d'applications. Il est clair que, de ce point de vue, Strasbourg est un lieu privilégié. D'abord parce qu’il y a une activité de recherche absolument considérable, ensuite parce qu’il y a des entreprises dynamiques qui méritent d'être considérées et enfin, parce que nous sommes au carrefour d'une problématique que l'on va explorer tout à l'heure à fond, à savoir les relations entre la gouvernance européenne et la gouvernance nationale.


Pour terminer sur le site internet, je signale que, depuis ce matin, non seulement il contient beaucoup plus de documents, d'informations, de prises de position, mais qu’il est maintenant en mode écriture alors qu'avant, il était en mode lecture seule. Tous ceux qui le souhaitent peuvent poser des questions. Nous prenons l'engagement qu'il sera répondu à ces questions dans des délais raisonnables, que tous ceux qui veulent émettre un avis, déposer un dossier, des notes de réflexion peuvent le faire et qu’il en sera tenu compte dans l'étape ultérieure de synthèse du débat.


À la fin du débat public, la commission particulière dispose de deux mois pour établir un rapport. Ce rapport ne sera pas à proprement parler une liste de recommandations mais une synthèse de toutes les opinions exprimées, mises en ordre, classées de façon à ce que cela devienne intelligible et que cela puisse éclairer les décideurs. Les ministres signataires disposeront de trois mois pour dire ce qu’ils font de ce débat. Ayant entendu M. Borloo et ayant eu l'occasion d'en parler avec lui, je suis totalement convaincu qu'il cherchera à en tirer le plus grand profit. Je suis convaincu également que tous ceux qui y auront participé en sortiront enrichis.


Pour parler de la réunion de ce soir, elle a été structurée en trois séquences : 


une première séquence où nous parlerons des nanotechnologies en Alsace. Il y aura un petit panel de chercheurs et d'entrepreneurs avec lesquels vous pourrez discuter. Ce n'est pas une table ronde. Ils ne sont pas là pour parler entre eux et encore moins pour faire des monologues. Vous pourrez discuter avec eux.

Il y aura ensuite un bref exposé introductif de M. Philippe MARTIN, représentant la Commission européenne, qui expliquera les grandes évolutions, les grandes lignes, les axes directeurs de la réflexion européenne sur les nanotechnologies. Vous savez que l'Europe joue un rôle dans deux domaines :
1. la recherche à travers des programmes communautaires qui sont ensuite délégués aux différents pays - une séquence consacrée à ce sujet sera animée par Jean-Pierre CHAUSSADE ;
2. la gouvernance et notamment l'élaboration de règlements.

 

Je pense que nous aurons une table ronde assez animée et que la salle pourra questionner et participer pour que ceci devienne véritablement une réunion d'ouverture.
Comment pouvez-vous intervenir ? Je vous recommande de rédiger un petit papier sur lequel vous mentionnez votre nom, éventuellement l'organisme auquel vous appartenez et la question que vous avez envie de poser. Ce n'est pas pour vous contraindre, c’est pour vous donner une plus grande certitude que votre question sera bien enregistrée et aura bien les réponses qui conviennent. Il s’agit de fiabiliser. Cela étant, il n'est pas interdit de demander la parole de façon impromptue si telle ou telle chose vous fait réagir.


Ces questions, qui devront donner lieu à des interventions très courtes ne dépassant en aucun cas trois minutes, seront traitées si possible en direct, si nous ne sommes pas trop contraints par le temps. Sinon, vous trouverez les réponses sur le site internet et on vous enverra des réponses personnalisées si vous avez laissé vos coordonnées.


Enfin, comme c'est notre première réunion, on attache beaucoup d'importance à connaître vos réactions. Sur le site internet, une rubrique vous permettra de dire comment vous avez vécu cette première réunion et ce que nous devons faire pour l'améliorer.


Dans les quarante-huit heures qui suivent la réunion, il y aura un compte-rendu sur le site et dans la semaine qui suit, vous aurez le texte intégral de tout ce qui a été dit pendant la réunion.
Nous essaierons de gérer tout cela en donnant le temps de parole nécessaire, mais je sais qu'il y a des contraintes logistiques et l'objectif est de terminer avant le départ du dernier tram à minuit quinze. On terminera donc à minuit pour permettre à ceux qui le souhaitent de prendre ce dernier tram.

 Dernier point à préciser : le droit à l'image. Les personnes qui ne souhaitent pas figurer sur des photos ou films sur le débat doivent se manifester auprès de nos hôtesses. C’est évidemment la moindre courtoisie. Mais je pense que nous avançons tous ici à visage découvert.


Il reste maintenant une agréable formalité à accomplir : remercier ceux qui nous ont aidés à monter cette réunion, dont notamment la Mairie de Strasbourg. Nous avons le plaisir d'avoir parmi nous M. Robert HERRMANN, premier adjoint au maire de la ville de Strasbourg, en charge de la démocratie locale. Il a pensé qu'il était bon que ce débat public fasse partie de la démocratie locale, et je ne peux que chaleureusement l’approuver.

Monsieur le maire, vous avez la parole.

 

M. HERRMANN. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, mesdames et messieurs, au nom de Roland RIES, maire de Strasbourg, je me félicite et me réjouis d'accueillir la première des dix-sept réunions de la commission particulière du débat public qui se tiendront en France jusqu'au 24 février 2010. Je vous souhaite en particulier une cordiale bienvenue et tout particulièrement à M. Jean BOURGOUGNOUX.


Les enjeux de ce débat sur les risques et les conditions de développement des nanotechnologies sont de taille puisque, à partir de vos idées, vos opinions, vos questions, l'Etat pourra nourrir ses grandes orientations dans les domaines fondamentaux du soutien à la recherche et aux innovations, de la prévention sanitaire pour l'homme et les écosystèmes, de l'information du consommateur, de l'organisation du contrôle. Ces réunions publiques - dont celle-ci en particulier qui se tient à Strasbourg - se déroulent dans le cadre de la Semaine européenne de la démocratie locale pour laquelle notre ville a été choisie comme ville pilote en France par le Conseil de l'Europe.

 

Ce débat qui s'ouvre ce soir rejoint donc pleinement les valeurs qui s’ancrent profondément dans l'identité de Strasbourg ; des valeurs à la fois humanistes et éthiques pour une ville riche d’un passé animé par des personnalités exceptionnelles, de Gutenberg à René Cassin en passant par Goethe, Calvin, Albert Schweitzer ou encore Marc Bloch. Ce statut de cité de l’humanisme est aujourd'hui symbolisé par la présence des premières institutions internationales dédiées tout particulièrement à la défense des droits de l'homme. Cette rencontre vient également s'ancrer dans notre présent. Elle illustre et nourrit à la fois le mouvement qui se lance dans notre ville.


À Strasbourg, nous avons souhaité une nouvelle gouvernance – c’est à l’ordre du jour - et une relation renouvelée entre élus et citoyens. La prise en compte de la parole des habitants et une nécessaire transparence dans le dialogue public sont ainsi les fils conducteurs du dispositif de démocratie locale désormais installé dans notre ville. Nous menons cette aventure en ayant conscience de la prise de risques qu'elle entraîne et qui est inhérente au principe même de démocratie, mais aussi de l'humilité nécessaire pour avancer sur ces territoires.


Les questions qui vont nécessairement ressurgir lors de vos échanges, à savoir la difficulté de faire participer tous les acteurs, citoyens, chefs d'entreprise, la méfiance, la crainte de manipulation de l'opinion, le lien entre les discussions et les décisions qui seront prises, l'évaluation des travaux, la nécessité d'un débat respectueux et ouvert ; toutes ces questions, nous nous les posons depuis le début de la mise en oeuvre du processus de démocratie locale.


Au cours de cette Semaine européenne, chaque rencontre avec les conseils de quartier, chaque débat, chaque conférence publique avec les habitants, avec les jeunes, avec notre conseil et notre nouvelle assemblée des jeunes nous apporte de nouvelles pistes de réflexion, d’ajustement, de développement.

 J'espère que vos échanges permettront véritablement à chacun de s'exprimer, de débattre, de se faire une opinion à l’image de l'ensemble des réunions publiques qui sont menées dans cette ville.


Cette exigence d'une nouvelle gouvernance est plus que jamais rendue nécessaire par la nature même du thème que vous traitez ce soir. D’abord parce que les nanotechnologies sont déjà très répandues dans de nombreux domaines comme l’informatique, l’automobile, l’aviation, le textile, le médical, les cosmétiques. Ensuite parce que la maîtrise des recherches pose bien sûr un défi scientifique et technique, mais aussi un enjeu économique incroyable vu les innombrables applications possibles.


Strasbourg et la région Alsace se sont emparées de cette révolution technologique. Les nanotechnologies représentent ici un potentiel de 275 chercheurs et enseignants-chercheurs, de quelque 700 étudiants en formation répartis dans treize unités, centres de recherche et écoles d'ingénieurs. La vitalité de notre pôle matériaux et nanosciences se traduit notamment par des partenariats fructueux avec l'industrie et la réalisation de contrats de recherche avec, par exemple, Messier-Bugatti, Siemens ou Thales.

 
Les synergies sont appelées à devenir particulièrement fructueuses dans le domaine médical avec le développement de la nano-médecine ainsi que des nano-biotechnologies. Les avancées, le rythme d’obtention des résultats scientifiques - je pense aux progrès déjà réalisés dans les vaccins -, les traitements pour les personnes, tout cela est à la mesure des risques possibles et démultipliés pour la santé de l'environnement.


Ces nouvelles technologies très prometteuses font l'objet d'interrogations éthiques et scientifiques. Que deviennent les nanoparticules absorbées par la peau ou les poumons ? Comment se débarrasser des pansements, des ordinateurs, des peintures contenant des particules nanométriques ? Les puces minuscules permettre le traçage des produits comme des individus. Ne sont-elles pas également dangereuses ?
Nous naviguons plus que jamais dans un environnement d’incertitudes qui induit une nouvelle manière de penser les modes de décision.
Je vous souhaite, pour l'ensemble de vos travaux, un très grand débat sur l’infiniment petit. Je vous remercie.
(Applaudissements.)


M. le Président. – Merci, monsieur le maire, des paroles que vous venez de prononcer et merci de votre accueil.

J'appelle Marc DRILLON, directeur de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg, Eric FOGARASSY, directeur de l’Ecole nationale supérieure de physique de Strasbourg, Carole ESCOFFET qui représente Mulhouse ce soir, Khalid ZAHOUILY, manager de Photon & Polymers, et Jean-Luc REHSPRINGER, directeur scientifique et technique de RB Nano. Le panel est au complet.
Comme je me tiens informé, j'ai appris ce matin par alsace.fr qu'un professeur strasbourgeois a été couronné par l'Académie des sciences : le chimiste Gero DECHER, professeur à l’université de Strasbourg et chercheur à l’institut Charles Sadron à Strasbourg. Vous allez nous expliquer ce qu'il fait.
M. DRILLON. – Merci beaucoup. Gero DECHER a eu cette récompense de l'Académie des sciences pour ses travaux sur les couches minces qui sont réalisées en chimie. Il a réussi à la fin des années quatre-vingt dix à réaliser des empilements de nanomatériaux et de nanoparticules qui sont chargés alternativement positivement et négativement. Les domaines d'application sont multiples parce qu’il s'agit d'une méthode simple de réalisation de couches minces. Les applications sont multiples : réalisation de couches minces anticoagulantes pour tapisser l'intérieur de cathéters, réalisation de couches hydrophobes biocompatibles…
M. le Président. - On comprend mieux. Merci infiniment. 

 

Je propose que Marc DRILLON nous fasse un rapide tour d'horizon des principales activités de recherche à Strasbourg mais aussi, peut-être, une petite introduction aux disciplines des nanosciences.
Diaporama.
M. DRILLON.- Très souvent, on associe nanomatériaux et nanotechnologies. C'est tout à fait louable. Si le mot « nano » apparaît véritablement au début des années quatre-vingt avec le développement de la microscopie électronique à effet tunnel, les nanomatériaux sont bien plus anciens : les premiers exemples d’utilisation de nanomatériaux datent de l'époque romaine.
Lorsque cette coupe de l'époque romaine, trois siècles après Jésus-Christ, est éclairée de l’extérieur, elle est verte ; lorsqu'elle est éclairée de l’intérieur, elle est rouge. C’est simplement le fait des nanoparticules d'or contenues dans le verre. Les fabricants avaient utilisé un sable aurifère qui introduisait ces nanoparticules dans le verre. Au Moyen Age, les verres rouges des vitraux de cathédrale étaient également obtenus en mettant dans le verre fondu de l’or qui, en éclatant, donnait des petites particules. Typiquement, aux tailles nanométriques, l’or est rouge par un phénomène de diffraction.

 

La première mise en évidence des nanomatériaux date du début des années ’80 : un nanomatériau bien connu dans le monde de la recherche, au moins autant que les nanotubes de carbone. Leur découverte en 1991 a valu un Prix Nobel au chercheur qui les a découverts.
On trouve de nombreuses applications avec les nanotubes de carbone. Ce qui est intéressant, c'est que quand on diminue la taille d'un matériau, on modifie profondément ses propriétés. En l'occurrence, les nanotubes de carbone, les fullerènes - qui n'est rien de plus que le troisième état du carbone, la première étant le graphite, la deuxième le diamant - sont cent fois plus résistants que l'acier pour une densité six fois inférieure à l'acier. Ceci ouvre un certain nombre d’applications, par exemple comme conducteurs mais aussi pour le renforcement de structures.


Les chercheurs, par exemple sur Strasbourg, étudient ces nanotubes de carbone pour ce qui préfigure la microélectronique de demain. Il s’agit de connecter des nanotubes de carbones entre eux pour faire des circuits de la nanoélectronique qui se développera dans dix, vingt ou trente ans.

 Le chercheur, de manière générale, s'inspire, de temps en temps et même assez souvent, de la nature. Là vous avez quelque chose que vous connaissez bien : une feuille de lotus recouverte d'une couche nano-structurée qui la rend hydrophobe. Ce principe-là a été développé par les chercheurs pour faire des nano-couches. Gero DECHER fabrique ce type de couches à partir donc de couches hydrophobes en mimant la nature. Ce sont quelques exemples de matériaux.
On passe maintenant à ce que l'on appelle les nanotechnologies. Quand on fabrique des nanomatériaux, il faut encore pouvoir les étudier, les observer, à l’échelle atomique si possible. Il est évident que la découverte de la microscopie à effet tunnel nous a permis de faire un bond fantastique. La microscopie électronique également.

 

Un exemple : quelque chose que vous connaissez bien, c’est le disque dur qui existe depuis au moins vingt ans minimum et même plus. C’est une formidable machine pour aller étudier une surface à l'échelle nanométrique. Un disque dur, c'est une tête de lecture qui plane à vingt nanomètres de la surface d'un disque et à trente mètres par seconde. C'est le même exploit que de faire voler un 747 à un centimètre de l'eau. Il faut que la surface soit extrêmement plane. C'est pourquoi cela se fait en salle blanche à l'abri des poussières. C’était un premier exemple de machine ou d'équipement permettant d'aller étudier une surface.

Le chercheur va beaucoup plus loin maintenant avec le microscope à effet tunnel. IBM avait réalisé l'écriture d'IBM avec des atomes, en déplaçant simplement avec la pointe d'un STM (microscope à effet tunnel) les atomes un par un pour aller déposer sur une surface le mot IBM. En équivalence de quantité d'informations qu’on pourrait stocker par cette méthode, cela correspondrait à mille milliards de volumes sur une page A4.
 
Il va sans dire que l'on devrait pouvoir stocker toutes les bibliothèques de la planète sur une page. Il est évident que les temps d'accès par contre laissent à désirer.
Autres outils formidables pour étudier la matière à échelle atomique, le dixième de nanomètre : les microscopes électroniques de dernière génération qui ont une résolution de 1 angström, soit 0,1 nanomètre. Ce que vous pouvez voir sur la droite est un nanotube de carbone d’un peu plus de quatre-vingt nanomètres de large, dans lequel ont été introduites des petites particules pour des développements en catalyse.
Le dernier exemple est celui d’une nanoparticule poreuse : une photo classique de microscopie à gauche et en 3D. Par microscopie électronique et traitement d'image, on peut aller sonder la matière, cette nanoparticule, en son sein et regarder le type de porosité, donner toutes les informations aux personnes qui travaillent en catalyse pour stocker des nanoparticules métalliques dans ces grosses particules qui font 200 nanomètres, mais également des informations sur leur type de porosité.

 

M. LE PRESIDENT.- Merci. C'était clair et passionnant. Y a-t-il une question spontanée ou tout était-il à ce point limpide ? Maintenant, monsieur Eric FOGARASSY, que se passe-t-il à l'Ecole supérieure de physique ?
M. FOGARASSY.- Merci. Bonsoir. Je dirige une école d'ingénieurs : l’école de physique de Strasbourg. Nous formons des ingénieurs pour les technologies du futur. Il faut savoir que Strasbourg a un pôle de compétitivité dans le domaine de la santé. C'est vrai que ce pôle de compétitivité est un élément fort des recherches développées à Strasbourg, tant au niveau fondamental qu'au niveau de transfert de technologies et au niveau des applications. Dans notre école, nous nous adossons à des laboratoires de l’université et du CNRS, nous développons des nanotechnologies, mais nous travaillons plus particulièrement à l'interface avec la santé.


Je prends deux exemples d'activités fortes liées à la santé, et en liaison avec les technologies. Marc Drillon a rappelé l’importance des nanotubes de carbone. Il faut savoir que l’une des applications futures de ces nano-objets, c'est le transport de molécules actives, de médicaments, de nano-médicaments dans le corps humain. On a actuellement des développements importants pour transporter très localement par les voies naturelles des nanoparticules, des molécules actives localement en toute zone du corps humain. Un exemple très intéressant des nano-médicaments du futur.

Autre exemple fort d'activité en relation avec l'école : nous travaillons avec des instituts médicaux, comme l’IRCAD qui est mondialement connu, en particulier dans le domaine de l'imagerie médicale. Quand on parle de cela, on parle de contrôle de diagnostic. Nous sommes tous confrontés à ces nouveaux outils pour la santé. Évidemment, face aux risques éventuels et futurs des nouvelles technologies, la capacité de contrôler, d’observer à très haute résolution le corps humain sont des éléments forts pour le développement futur de toutes ces technologies.
Voilà un peu balayés deux exemples tout à fait intéressants du développement des technologies en relation avec les nanosciences.
M. LE PRESIDENT.- Merci. Alors, Carole ESCOFFET, que se passe-t-il d’intéressant à Mulhouse ?
Mme ESCOFFET.- Tout d'abord, une petite entrée en matière : lorsque l’on dit que l'on fait des nanotechnologies à Mulhouse on nous dit : « Ah bon, même à Mulhouse on en fait ? » Oui.
D'abord, dans un laboratoire de physique on va étudier des structures de semi-conducteur très petites, donc des nanostructures ; cela avait commencé par des couches minces et maintenant c'est également des petits points, de petits dots.

 

Ensuite, on a tout un panel de chimie des matériaux. Dans ce cadre, certains matériaux contiennent des nano inclusions de graphite : cela peut être des matériaux chargés, cela ressemble à ce que l'on peut utiliser pour certains pneus. Typiquement, ces nanomatériaux se basent sur des recherches menées depuis longtemps déjà sur Mulhouse.


Il y a également, tout un pan de matériaux à porosité contrôlée : ce sont des espèces d’éponges avec des trous à l'intérieur de dimensions nanométriques ; ce qu'on appelle également zéolite. C'est par exemple utilisé pour des pots catalytiques et tout ce qui est catalyse ou filtration.
Il y a également tout un pan de recherches concernant les surfaces et interfaces. Vous pouvez pensez qu’une surface n’est peut-être pas de la nanotechnologie. En fait, oui parce que dès que l'on s'intéresse à un matériau coupé en tout petits morceaux, la quantité des surfaces augmentent : plus on va avoir un matériau divisé, plus ses propriétés vont dépendre des propriétés de l'interface. Toute l’étude des surfaces et interfaces est en lien direct avec les recherches au niveau de la nanoscience et de la nanotechnologie.
On peut se demander comment il se fait que, dans une petite université, on ait tellement de domaines différents concernant les nanosciences et nanotechnologies. Il faut savoir qu'au cours des dernières années, ce n'est pas que les gens ont voulu se lancer dans des nanosciences pour faire des nanosciences, c'est plutôt que tous les concepts développés en nanosciences et nanotechnologies sont rentrés de fait dans le monde de la recherche. Pour un certain nombre de sujets - tout à l'heure je parlais des matériaux chargés, c'est-à-dire lorsqu'on inclut des poudres fines à l'intérieur d'un autre matériau, pour comprendre ce qu’il se passait -, on a utilisé des concepts de nanotechnologie.  


Également un autre domaine : par exemple, dans le domaine des interactions entre la lumière et la matière, pour travailler avec des choses de plus en plus petites, on a utilisé les nouveaux concepts de nanotechnologie pour envoyer de la lumière sur des zones de plus en plus fines, voire plus petites que la longueur d’onde de la lumière, c'est-à-dire au-dessous de la centaine de nanomètre. On a commencé à faire des nanotechnologies.
Autre point : on peut remarquer aujourd'hui, quand on se promène dans les laboratoires et universités, que des appareils tels que les microscopes à force atomique sont devenus quasiment des appareils de routine que l'on trouve dans de très nombreux laboratoires. De fait, un grand nombre de sujets de recherche, de laboratoires de recherches, travaillent avec des outils ou dans le domaine des nanotechnologies.
M. LE PRESIDENT.- Merci, cela termine un tour d'horizon trop bref bien entendu des recherches en cours en Alsace. Maintenant, on va laisser parler les entreprises qui vont nous expliquer ce qu’elles font.

M. REHSPRINGER.- Je suis conseiller scientifique de la société RB nano, une TPE (très petite entreprise) qui travaille dans le domaine des nanotechnologies.
Nous commercialisons des applications à partir de composés que nous avons développés et qui associent la souplesse des plastiques à la résistance des minéraux. Ces composés sont déposés en couches nanométriques à la surface des pièces à traiter et ensuite sont transformés par un apport d'énergie en couches minérales, le minéral étant particulièrement résistant et inaltérable.
Pour donner des exemples d'application, on peut traiter par exemple la surface de pièces en acier pour les protéger de la corrosion avec une couche extrêmement fine. On peut également apporter ces couches sur des surfaces de verre et rendre celui-ci, par essence non conducteur et donc résistant, conducteur par cet apport de matière en surface.

Nous avons également développé des procédés qui permettent, grâce à un faisceau laser extrêmement fin, en dessinant ou en promenant le faisceau laser sur la surface que nous avons de dessiner des pistes extrêmement fines de couches nanométriques pour faire par exemple des marquages ou des pistes conductrices extrêmement petites ou des objets un peu plus particuliers comme les hologrammes.
Notre technique comparée aux techniques concurrentielles, qu’apportent-elles ? D’une part, nous utilisons des composantes non toxiques. Ensuite, nous n'utilisons pas de solvant de type benzémiques, qui sont plutôt toxiques ; nos solvants ne sont pas toxiques. Enfin, du fait du dépôt de couches extrêmement minces, la quantité de matière ou de vêtement que l'on dépose représente une masse très faible par rapport à un revêtement classique de protection. On peut dire qu'on est en utilisant des systèmes nanométriques on a un procédé plus « vert » que ne le sont les procédés classiques.

 
M. LE PRESIDENT.- Est-il indiscret de vous demander si vous avez un passé de chercheur et quelles relations vous entretenez avec des laboratoires ?
M. REHSPRINGER.- Je suis également chercheur au CNRS et je consacre une partie de mon temps de travail à la société RB nano. Je conseille les chercheurs de R Nano dans les développements qu’elle suit avec les industriels de la région.
M. LE PRESIDENT.- D'accord. C'est assez instructif effectivement comme procédé de fécondation – si j’ose dire - d'une approche industrielle et innovante par une vision de chercheurs.
Pas de questions ? Non. Cela semble quand même très prometteur.
M. ZAHOUILY.- Avant d’être directeur et manager de Photon & Polymers, j'étais jusqu'à 2002 chercheur au CNRS à Mulhouse, dans l'équipe de Carole Ecoffet. On travaillait plus ou moins dans le même groupe.

 

Le domaine des photopolymères, c'est la transformation de la matière grâce à l’apport photonique. Ce sont des revêtements que vous allez trouver sur des parquets, pour réparer votre pare-brise chez Carglass par exemple et de nombreuses applications de ce type.


J'ai créé cette société Photon & Polymers au sein du CNRS avant de quitter le CNRS en 2004. Nous sommes actuellement cinq personnes : trois docteurs, deux ingénieurs, deux techniciens.


S’agissant du domaine des nanos, nous avons commencé à travailler dans le domaine des nano-composites. Nos premiers travaux avec le professeur Christian Becker* avaient commencé sur l'utilisation des argiles ; matériau naturel qui en même temps se présente sous la forme micrométrique à l’œil, quand on ne l'a pas trop manipulé. Mais quand on l’a traité de façon hydrophyllique, qui devient ce qu’on appelle une argile hydrophyllique, en fin de compte l'argile, c'est une sorte de millefeuilles qui empile plusieurs particules de taille nanométrique en largeur.


Nous avons commencé tout d'abord à ajouter ces argiles naturelles dans nos résines pour voir ce qu'elles allaient apporter. On s'est rendu compte que l'argile naturelle n'apporte pas grand-chose sauf un apport de charges. Quand on a essayé de titiller cette argile et de la faire exfolier, on s'est rendu compte que notre matériau est maintenant devenu nano composite, c'est-à-dire une résine dans laquelle il y a des nanoparticules. On s’est rendu compte que ce nano matériau était devenu transparent et avait des propriétés thermiques (barrière au gaz et encore d'autres) que nous n’avons pas eu les moyens d'aller titiller et de comprendre.