Depuis quelques années, le système national français de recherche et
d’innovation a été restructuré. Nous le structurons à trois niveaux :
un premier niveau d'orientation générale, un niveau de programmation et
un niveau de l'exécution réalisé au niveau des laboratoires et des
organismes.
Je ne vous parlerai ni de l'exécution ni de la programmation – M. PLANA
le fera – mais de la stratégie des grands axes définis par le ministère
de la recherche en collaboration avec notre ministère au cours d’un
exercice sur la définition de la stratégie nationale pour la recherche
et l’innovation ; exercice en cours puisque plusieurs grands organismes
ou académies et organismes représentatifs sont interrogés sur les
orientations à porter sur la stratégie nationale de recherche et
innovation.
S’agissant de la stratégie de « recherche et innovation » dans le
domaine des nano, il faut déjà noter en priorité que les
nanotechnologies sont considérées comme l'un des trois grands axes
majeurs pour les cinq prochaines années dans le domaine de la
recherche, à égalité avec le domaine du développement durable que sont
l'énergie, le développement durable, la question des écosystèmes.
L’autre aspect étant le domaine des nanomatériaux, des TIC
(technologies de l’information et de la communication). Enfin, le
troisième niveau est la santé.
Voilà les trois grands défis identifiés pour lesquels il est demandé de faire un effort dans les cinq années qui viennent.
Pour l'aspect purement nano, la stratégie a pris en compte quatre orientations :
La première est de dire qu'il faut poursuivre la recherche dans le
domaine de la connaissance. Il faut repousser les frontières de la
connaissance étant donné que de grands défis en termes technologiques
sont devant nous, en particulier le problème de la loi de Moore, qui
porte comme principe que tous les six mois à un an, les capacités des
calculateurs changent parce que la quantité de composants que l’on peut
mettre sur une puce de silicium double ou triple en quelques mois.
Doubler ou tripler les composants sur les puces de silicium aboutissent
à un moment à une limite physique. Or, il faut dépasser cette limite
physique si nous souhaitons avoir des calculateurs beaucoup plus
puissants et atteindre peut-être un jour des calculateurs « quantiques
» ou l’on pourra générer des stocks d'informations beaucoup plus
importants.
Le deuxième défi ou axe majeur de la stratégie a été de dire qu’il faut
pousser l'innovation dans le domaine des nanotechnologies. Ici, je
réponds en partie à une question : on s'est rendu compte que la France
était le cinquième pays en termes de publications scientifiques alors
que notre pays était pratiquement dans les septième ou huitième places
en termes de dépôt de brevets. Il y avait donc un décalage entre la
capacité et l'offre de recherche scientifique par la France vis-à-vis
de sa capacité à déposer des brevets et à faire de l’innovation.
Nous avons donc lancé des initiatives, dont une qui vise à créer des
centres d’intégration qui pourront permettre de passer rapidement de
cet aspect scientifique vers des processus d’intégration et de
développement technologique pour que la France puisse capitaliser sur
ses compétences scientifiques et technologiques.
Troisième axe important et majeur : il faut prendre en compte les
questions sociétales, les questions des risques et faire une analyse
risques / bénéfices et pouvoir véhiculer, diffuser, discuter des choix
scientifiques et technologiques, y compris dans le domaine des nanos.
Je pense qu’aujourd'hui, c’est un très bon exemple.
Quatrième et dernier élément de cet axe de cette stratégie : il faut
pousser à la formation dans le domaine scientifique. Nous avons une
désaffection des jeunes dans les domaines des sciences, de
l'ingénierie. Les nanos sont un des domaines vers lequel il faut
pousser à ce que des jeunes gens viennent faire de la recherche,
viennent dans les carrières scientifiques. En même temps, il faut
pousser les scientifiques eux-mêmes à s'interroger sur leurs fonctions.
Ils ne sont pas là uniquement pour faire de la recherche ; peut-être
peuvent-ils pousser à l’innovation, intégrer des processus de
développement.
Il faut donc trouver de nouveaux instruments pour attirer des jeunes
gens, avoir un caractère attractif pour le territoire national et, en
même temps, intéresser les scientifiques à autre chose que l’aspect
purement scientifique.
M. CHAUSSADE. - Merci. Si l’on en vient aux financements publics, il y
a des financements européens, des financements en France. C’est
l’Agence nationale pour la recherche qui est pourvoyeur de fonds. Que
faites-vous ? Quels sont les programmes ? Que financez-vous ?
M. PLANA. - Au niveau de la vision stratégique de l'Agence nationale de
la recherche concernant les nanotechnologies, le premier point a été
mentionné par le ministère de tutelle : rapprocher l'avancée des
connaissances de l'innovation et du transfert technologique pour
accélérer ces processus et améliorer notre compétitivité. Dans le même
temps, il s’agit de stimuler la recherche aux frontières des
connaissances, en particulier tout ce qui est pluridisciplinaire,
couplage entre les disciplines scientifiques classiques.
L'autre message est que, très tôt, en 2006, on avait décidé qu'il
fallait absolument lancer une programmation qui allait assurer un
développement responsable et durable des nano sciences et des
nanotechnologies. Dans les appels à projet, c'était des points attendus
de la part des proposants. C'est un premier message important.
Au niveau des outils de la mise en oeuvre de cette vision stratégique
qu’est la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche et
d'innovation, nous avons des appels à projets collaboratifs, à la fois
de type purement académique ou en partenariat public / privé.
Aujourd'hui, on estime qu'on est autour de 40 % de projets de type
partenariaux, impliquant des entreprises et/ou des laboratoires de
recherche ou des universités.
Deuxième axe : l'infrastructure de recherche. Ce programme avait été
lancé à l'époque par la direction de la technologie. Il s’agit d’un
programme de grandes centrales technologiques réparties sur six centres
en France, en charge de développer des procédés technologiques, des
dispositifs qui sont des plateformes ouvertes à l'ensemble de la
communauté, qu’elles soient académiques ou industrielles.
Troisième point, plus récent, se situe dans le cadre du plan de relance : l'action nano Innov sur laquelle je reviendrai.
Au niveau des grands indicateurs, depuis la création de l'agence, on a
soutenu près de 580 projet de recherche pour un montant de près de 285
M€. Les aspects de dimension sociétale pris aujourd'hui sont mentionnés
essentiellement dans trois programmes : un programme santé -
environnement, santé – travail ; un programme contaminants -
écosystèmes et un programme transversal nanosciences –
nanotechnologies, qui s'intéresse à tout ce qui est métrologie,
propriétés de nanoparticules, phénomène de surface, physique et chimie
de la surface, etc.
Cela représente aujourd'hui une trentaine de projets soutenus à hauteur de 6 M€.
J'en profite pour donner quelques résultats sur un projet parce que
cela concerne les dynamiques scientifiques et l'innovation. On a un
projet qui s'intéresse aux dynamiques scientifiques et l'innovation
dans le monde entier. Ce projet « Nano-bench » - dont je pourrai donner
les coordonnées - analyse les taux de publication, les tendances dans
le monde entier. Ce que l’on voit est quelque peu contre-intuitif,
c'est-à-dire que l’on voit que, certes les grands pays comme les
Etats-Unis, le Japon sont toujours des acteurs importants, mais que les
dynamiques sont ailleurs, que les dynamiques sont plutôt dans les pays
émergents, à la fois pour la problématique scientifique et dans le
domaine des matériaux où c’est particulièrement vrai, mais également
pour le nombre de brevets déposés.
L'autre aspect est que cette analyse a montré que 50 % du potentiel se
retrouve dans environ 200 clusters dans le monde. C’est donc très
regroupé. Il n'y a pas du tout d'atomisation du système. Ces résultats
sont un peu atypiques et ne sont pas ce que l'on attendait.
Je termine sur l'action nano Innov confiée à l'Agence nationale de la
recherche. On vient de lancer un appel à projets. Il est terminé. On a
sélectionnés neuf projets. Il y a prévu trois grands axes stratégiques
: un sur le matériau énergie, un second sur (… ?) les objets et un
troisième sur la santé et la qualité environnementale. En particulier,
30 % des projets ont concerné la partie santé et qualité
environnementale avec un focus particulier sur tout ce qui était
sécurité et dimension sociétale. Cela pour un montant de 17 M€.
Trois autres actions ont concerné, en appui par exemple de ce qui a été
mentionné pour NANOSAFE : une action concernant la sécurité sur les
centres d'intégration - qui sont à Toulouse Grenoble et Paris - pour un
montant de 2,5 M€ ; une action sur la formation avec un aspect de
formation dès les lycées et collèges ; enfin une dernière action pour
un montant de 1 M€ pour les aspects de dimension sociétale.
Voilà le paysage. J’ai dépassé mon temps de parole pour répondre à la question précédente.
M. CHAUSSADE. – Merci. On va passer sur les questions de santé. Je vais
donner la parole à Jacques Grassi. Lui-même et d'autres pourront
peut-être répondre en préalable à plusieurs questions venant de la
salle.
Blaise Akilimani souhaite-t-il intervenir et poser sa question ?
M. AKILIMANI.- Je ne sais pas de quelle question vous parliez, puisque j'en ai posé plusieurs.
M. CHAUSSADE. -Il s'agit de votre question : « Quels sont les risques
et les dangers liés aux nanotechnologies pour les industriels et pour
consommateurs ? Faut-il attendre une catastrophe, un accident, pour
attendre une réglementation internationale ? Est-ce un rêve pour les
consommateurs ou pour les industriels ? »
Pour l'aspect réglementation, on va réserver cela à la troisième
séquence, mais sur les risques et dangers pour les industriels et pour
les consommateurs, qui veut intervenir ? Monsieur Grassi ?
M. GRASSI. - Ce n'est pas typiquement de ma compétence. D'autres
personnes peuvent le faire. Je veux bien répondre sur les espoirs
qu'apportent les nanotechnologies dans le domaine de la médecine et sur
la façon dont, dans le domaine médical, on gère les risques.
M. CHAUSSADE. – Autre question : Bruni Fagotti pose la question : «
Quels progrès peuvent apporter les nanotechnologies dans la médecine ?
» C’est votre sujet.
M. GRASSI. - Effectivement, je suis plus à l’aise avec cela.
Les progrès que l'on attend dans le domaine de la médecine ne vont pas
découler que des nanotechnologies. C'est un domaine important dans le
domaine des technologies pour la santé, mais ce n'est pas le seul
domaine dans lequel on attend des progrès.
Cela dit, ils sont quand même porteurs d'espoir et de deux façons :
d'abord par les aspects de miniaturisation qu'ils vont apporter, de
pouvoir développer des dispositifs que l'on pourra implanter dans le
corps humain, comme par exemple un système de mesure de glucose et de
délivrance d’insuline - et donc concurrents des médicaments développés
tout à l'heure - qui contrôle la glycémie pour les diabétiques de type
I. Ce serait une révolution car cela n’existe pas aujourd’hui puisque
les gens portent des pompes qu’il faut recharger et alimenter
régulièrement.
Pouvoir implanter des électrodes sur le système nerveux central pour
des personnes tétraplégiques et pouvoir traiter ce signal et permettre
de piloter dès aujourd'hui des ordinateurs, des robots et, à terme des
exosquelettes qui leur permettront de se déplacer, voire peut-être un
jour, de recommander des muscles qui ne sont plus connectés ; voilà des
choses possibles et envisageables dans un avenir pas forcément très
proche grâce aux propriétés de la nanoélectronique, des
nanotechnologies qui permettent d'aller « adresser » un neurone
particulièrement et d'aller enregistrer son signal.
C'est le premier aspect, c’est la miniaturisation. Il y a aussi, dans le domaine de l'imagerie, des micro-caméras.
L'autre aspect, paradoxalement, ce sont les nanoparticules. Ce n’est
pas la miniaturisation mais plutôt une remontée vers les grandes
échelles. En effet, les médicaments et les agents d’imagerie utilisés
auparavant étaient plus petits que les nanoparticules. Donc,
paradoxalement, la nanotechnologie n’est pas une descente vers les
petites dimensions mais une remontée.
Ce que l'on attend des nanoparticules, c'est d'être un peu le véhicule,
le transporteur, le vecteur qui va amener un médicament sur sa cible,
le libérer à cet endroit et traiter une tumeur, une anomalie génétique.
Ce n'est pas encore complètement opérationnel.
L'intérêt, quand on traite une pathologie - par exemple un
anticancéreux que l’on injecte par voie intraveineuse – le produit va
se répartir dans l'intégralité de l’organisme, va faire beaucoup de
dégâts autant qu’il fera du bien parce qu’il sera partout dans
l’organisme. Si l’on peut vectoriser une nanoparticule jusque dans une
tumeur, lui faire libérer ses principes actifs antitumoraux, on aura un
rapport entre le bénéfice médical et les effets indésirables qui seront
beaucoup plus grands.
Ce sont les deux grands apports des nanotechnologies dans le domaine de la médecine.
Un mot sur la façon dont est géré le risque associé à cela pour dire,
qu'à mon sens, dans ce domaine, le risque est complètement sous
contrôle. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de risque ; cela veut
dire que gérer les effets indésirables des risques et de toxicité dans
le domaine de la médecine est ce que l'on fait tous les jours. Il ne
viendrait à l'idée de personne d'irradier quelqu'un si ce n’était pas
en radiothérapie pour le guérir d'un cancer qui va le tuer dans
quelques mois.
La plupart des médicaments sont toxiques, les gens qui sont traités
depuis des dizaines d’années contre le Sida ont des effets
indésirables, mais s'ils n'étaient pas traités, ils seraient morts
depuis longtemps !
Ce bénéfice / risque en médecine est donc la pratique quotidienne. Les
réglementations qui existent aujourd’hui pour la mise sur le marché des
médicaments - et les nanoparticules dont je parle sont traitées
exactement comme les médicaments, avec les mêmes exigences
réglementaires – et toutes les procédures et tous les processus
existent pour s'assurer que le bénéfice sera supérieur aux risques.
S'il n'y a pas de risque tant mieux. Les molécules qui présenteront le
plus de risques, évalués, seront éliminés et ne verront pas le jour,
exactement comme cela se passe pour les médicaments maintenant.
Le dernier point que je voulais mentionner n'est pas tant pour gérer le
risque que pour gérer l'espoir : toutes ces applications, dont je vous
ai parlé et que l’on a vues aujourd'hui dans le domaine de la santé, ne
viendront pas aussi vite que beaucoup de gens pouvaient l'espérer.
C’est l’inverse du risque.
C'est toujours très long de valider un produit de santé, un médicament,
un dispositif médical. On parle de rétine artificielle. Oui, on a déjà
des résultats sur des modèles animaux avec des rétines artificielles.
Quant à implanter ces rétines artificielles en routine clinique, ce ne
sera probablement pas avant cinq à dix ans.
Quant aux électrodes qui pourront piloter des ordinateurs ou des
robots, c'est pareil : en pratique clinique, ce ne sera pas pour les
deux ou les cinq années qui viennent.
Je suis prêt à répondre à d'autres questions sur la santé.
M. CHAUSSADE. -J'ai plusieurs questions de la salle pour vous.
Je ne sais pas si c'est directement dans vos compétences, vous nous le direz.
Pourra-t-on soigner par la suite des maladies ou des défaillances
telles que la myopie ou encore l’Alzheimer grâce aux nanotechnologies ?
J'aimerais que M. Niels Triede pose sa question. Vous êtes médecin généraliste.
Est-il dans la salle ? Non ?
Existe-t-il un risque de fusion (échange d'informations) entre nanoparticules et les virus ?
M. GRASSI. - La myopie, je ne pense pas. Ce n'est pas une maladie de la
rétine. Je vous ai parlé de rétines artificielles. Pour des maladies
comme la dégénérescence maculaire, par exemple, il est clair que les
nanotechnologies sont une des principales voies d'espoir. Pour la
myopie, il y a beaucoup de façons de la traiter qui sont
opérationnelles aujourd’hui.
Pour la maladie d’Alzheimer, je ne vois pas. C'est un problème de
neurodégénérescence assez parallèle dans le système nerveux central.
Les micro- ou nanotechnologies vont permettre de traiter des maladies
comme la maladie de Parkinson ou d'autres désordres du même type où la
mise en place d'électrodes stimulant des zones précises du cerveau va
permettre de guérir. Cela s’est fait depuis des dizaines d’années. Les
pionniers de ces thérapies sont à Grenoble, en France. Avec les nano-
ou les microtechnologies, on va pouvoir installer des électrodes
beaucoup plus petites en permanence et mettre au point des approches
qui permettent de stimuler spécifiquement le petit noyau de neurones
qui produise l’effet bénéfique, sans avoir les effets indésirables.
En ce qui concerne des échanges d'informations entre nanoparticules et
virus, il y aura des échanges et des interactions, mais pour ce qui est
des échanges d’information, une nanoparticule n'est pas un être vivant
capable de capter de l’information génétique, par exemple, et de
l’incorporer. Il n’y a pas d’ADN dans la majorité des nanoparticules.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. Mais il n'y a pas de
raison que cela pose un problème particulier a priori.
Niels TRIEDE.- Je voudrais intervenir à ce point de la soirée. Je
profite du problème de la santé qui est posé ici, mais moi ce qui me
"turlupine" et c'est un mot très faible , c'est le risque de
dissémination incontrôlée de toutes ces nanoparticules dans notre
société. Nous subissons déjà un bruit de fond de la chimie et nous
voyons toutes les difficultés de l'application du programme REACH, par
exemple, qui est un peu bloqué et déjà bien édulcoré.
Ici, ce soir, je me trouve devant un continent que je découvre, un
continent assez récent, et j'ai l'impression qu'il y a un emballement
et que le citoyen n'a plus aucune prise sur cet emballement. Depuis
2004 c'est donc assez récent , des milliards sont injectés autant
par les États et la Communauté européenne que par les grandes
entreprises, et l’on trouve de nouveau les mêmes qui travaillaient dans
la chimie, et, nous, citoyens, nous sommes tout à fait impuissants. Je
ne sais pas quoi en penser.
Vous avez quelques petites recherches, là, comme pour vous donner bonne
conscience. Je ne vois pas, je ne sais pas, à moins qu’une révolution
des citoyens prenne conscience d'un coup, mais vous êtes ici pour les
endormir. Franchement, je suis assez désespérée. Depuis des années,
cela fait 40 ans que nous nous soignons à l'homéopathie, aux plantes.
Nous avons des enfants. Autour de moi, ceux qui vivent comme cela ne
reviennent pas cher à la sécurité sociale. Vous, vous investissez des
millions d’euros, avec nos sous aussi. Tout de même, quand on fait des
choix, on choisit de bien utiliser son argent. Or, ici, quelle est la
nécessité dans beaucoup de domaines d'investir là-dedans ? Moi, pour
l'instant, je suis désolé de vous le dire, mais je ne les vois pas.
(Applaudissements.)
Mme BASSET(?). - Bonjour je suis Marie-Paule Basset, professeur de
chimie-physique à Strasbourg. Il me semble que la médecine a besoin
d'effectuer des tests pour comprendre si ces nanoparticules, ces
nanocomposants fonctionnent bien. Naturellement, elle fait des tests
sur les animaux. Mais il est absolument nécessaire et fondamental
qu'elle n'utilise pas les citoyens comme cobaye à leur insu. Merci.
(Applaudissements.)
M. CHAUSSADE. - Par rapport à ces deux interventions ?
M. GRASSI. - Je suis tout à fait d'accord, et c'est bien la raison
pour laquelle il faut garder un potentiel d'expérimentation animale
dans la recherche, ce qui est aussi questionné par d’autres réponses.
Pour répondre au monsieur qui a et c’est parfaitement son droit
choisi des voies alternatives pour soigner sa santé, ce ne sont pas des
petites recherches que nous menons. Soigner un tétraplégique, si vous
avez une solution par l’homéopathie, je serais ravi de la connaitre.
Soigner des problèmes de diabète de type 1 avec des pompes et des
systèmes qui soient moins encombrants pour l'utilisateur, ce n'est pas
un petit problème. Je ne crois pas que l’homéopathie puisse le régler.
Chacun peut avoir ses convictions. Je fais partie de ceux qui pensent
qu'il y a beaucoup de recherche à faire pour soigner des maladies qu’on
n’est pas capable de soigner de façon satisfaisante aujourd’hui.
Niels TRIEDE.- Je m’excuse, mais je ne peux plus supporter ces
choses-là. Notre société provoque le diabète. C'est prouvé. Quand un
pays du tiers-monde bascule dans notre mode de vie par exemple, ses
habitants attrapent nos maladies de civilisation. Le cancer par
exemple, j'aimerais bien avoir quelqu'un de la Ligue contre le cancer
ici. Le cancer est provoqué principalement par la pollution. De grands
médecins le disent ou l’écrivent, le professeur Belpomme ou d’autres.
Sur toutes ces maladies, un livre vient de sortir préfacé par un
professeur d'une faculté de Paris, qui parle de toutes les maladies
causées par les médicaments. Or, vous, on dirait que c'est comme les
OGM. C’est une espèce d'emballement pour aller toujours plus vers
l’absurde, et avec les effets bien supérieurs, car nous serons des
cobayes, comme le nucléaire. Merci d'être là, mais c'est exactement le
même problème. Ce sont des choses qu'on ne voit pas, c'est dans le
domaine de l'esprit, nous sommes complètement désarmés devant ce que
nous ne voyons pas, ou comme les microondes qui nous submergent
continuellement avec nos portables, etc., ce sont des choses que nous
subissons alors que nous ne les voyons pas.
Nous sommes entrés dans une société extrêmement dangereuse, et j'ai
l'impression que les nanoparticules vont plus loin. Nous allons droit
dans le mur.
M. CHAUSSADE. - Merci. Quelqu'un veut peut-être répondre.
M. GRASSI. - Je voudrais faire une remarque très ponctuelle. Le diabète
dont je parle, de type 1, n'est pas lié à l'alimentation. C'est une
maladie auto-immune. Il n'est pas créé par l'homme. La majorité des
cancers ne sont pas créés par l'exposition à des produits chimiques,
contrairement à ce que vous pensez.
M. CHAUSSADE. -Merci de cette intervention. Derrière votre question, il
y en a une autre : y a-t-il vraiment utilité ou nécessité du
développement des particules ? J'en profite pour dire que c'est
l'ouverture du débat public et que ces questions sur la santé ou autres
seront abordées dans d'autres endroits. Il y a chaque soir un thème
particulier. On ne peut pas, et c'est frustrant pour vous, aborder
l'ensemble des sujets. Mais nous notons très clairement les questions
que vous avez posées et elles seront revues dans d'autres séances
publiques spécifiques.
Nous ne sommes qu'au début de tout un processus.
Je passe la parole maintenant à Jacques Bordé, qui est du comité
d'éthique du CNRS, qui va nous parler de cette réflexion éthique pour
les chercheurs. Il me disait d'ailleurs à l’instant que cette
réflexion, qui a été émise à propos des recherches sur les
nanotechnologies, s'applique aussi à d'autres types de recherche.
M. BORDÉ. – Merci, bonsoir.
Je suis directeur de recherche au CNRS, physicien au départ, mais je
travaille maintenant avec le comité d'éthique du CNRS, qui est
indépendant de l'administration du CNRS et qui réfléchit aux problèmes
posés par la recherche effectuée dans les laboratoires du CNRS et
universitaire dans toute la recherche publique. Il ne s'occupe pas
seulement de l’éthique de la pratique, de la déontologie, pour savoir
si l’on travaille avec des animaux ou des cobayes humains, ou sur la
fraude, mais s'occupe aussi des finalités de la recherche : quelle
société on prépare demain en faisant des choix de recherche.
On ne peut pas chercher sur tout. Quand on fait des choix de recherche
sur tel thème plutôt que sur tel autre, on prend des responsabilités
sur les connaissances qui sont nécessaires pour la société de demain et
qui la feront évoluer. On a une responsabilité de savoir quand on
choisit de travailler sur le changement climatique plutôt que sur les
nano, et même sur les nanomédecines que sur les nanomatériaux, sur les
nanotechnologies informatiques, etc.
Il existe une responsabilité dans le choix des connaissances que l’on
cherche à développer et une responsabilité au moment des découvertes.
On ne peut plus dire : « J'ai fait des découvertes et, maintenant, les
applications, je n’en suis plus responsable ». On en est parfaitement
responsables et on est les premiers à voir que ces applications
pourraient être mal employées et on est les premiers à savoir qu’elles
seront employées de toute façon, surtout qu'une grande partie de cette
recherche universitaire n’est pas dans le cadre de la curiosité pure où
le chercheur se pose lui-même la question, mais dans le cadre de
programmes finalisés, définis par le ministère ou par Bruxelles.
On sait très bien quelles seront les finalités et à quoi ce sera
utilisé. On est donc solidaires des problèmes éthiques posés par les
développements que ces découvertes poseront.
Il s'agit donc que les chercheurs réfléchissent à ces questions-là et
prennent leurs responsabilités. Ils ont une certaine liberté, mais
cette liberté doit s’accompagner d'une responsabilité sur la façon dont
leurs travaux sont utilisés.
En fait, qu'est-ce que la nanoéthique ? On parle d'éthique des
nanotechnologies ou des nanosciences qui sont faites en amont des
nanotechnologies pour répondre à des questions que posent les
nanotechnologies pour se développer, des verrous fondamentaux, qui sont
liés, avec les mêmes problèmes éthiques.
Eh bien, je vais peut-être vous décevoir, mais il n'y a pas de
problèmes vraiment nouveaux avec les nanotechnologies, puisque ce sont
des technologies qui sont génériques et en soutien de toutes les autres
technologies, que ce soient les matériaux, l'informatique, la médecine,
les neurosciences. Elles arrivent pour les accélérer, pour les
faciliter, pour les rendre plus puissantes, pour les aider à converger
et à se croiser. Quand elles vont se croiser, elles seront encore plus
puissantes.
Elles intègrent donc tous les problèmes éthiques déjà existant, en les
amplifiant puisqu’elles sont plus puissantes que les autres
technologies, qui sont déjà dans les autres technologies, que pose le
développement d'une société qui repose sur une technologie de plus en
plus puissante. N'est-ce pas en effet un but en soi ? On peut se
demander si cette société sera meilleure ou non.
L’éthique de la recherche pour les nanotechnologies couvre tous ces problèmes.
Cela couvre donc des problèmes très généraux au financement de la
recherche pour des technologies puissantes, des problèmes qui sont
simplement liés aux technologies qui vont profiter. Cela va-t-il
accroître la fracture entre pays du Nord et pays du Sud, pays riches et
pays pauvres ?
Ces énormes enjeux vont-ils privatiser la connaissance par des brevets
? Ce qui voudrait dire qu’il n’y aurait pas un partage équitable des
connaissances, même au sein des pays riches, pour amener à un
développement de connaissances utiles à tout le monde. Nous connaissons
le problème des OGM avec Monsanto, par exemple.
Ne devrait-on pas utiliser ces budgets énormes à d'autres thèmes ?
Dans les applications militaires, les nanotechnologies ne vont-elles
pas donner naissance à des fabrications d'armes et à des risques
terroristes ?
Ce sont des questions générales sur le fait de vouloir financer des
recherches qui sont en en amont de technologies et qui seront de plus
en plus puissantes.
Après cela, il y a des problèmes plus sectoriels qui correspondent à
des secteurs d’application que nous avons mentionnés. Les technologies
de l’information et de la communication, avec ces banques de données
que l'on va pouvoir stocker, ne vont-elles pas poser des problèmes de
droit à l’oubli ? Cela ne va-t-il pas privilégier des buts commerciaux
et politiques par rapport à la qualité de vie de chacun d'entre nous ?
Cela pose des problèmes de médecine, avec le diagnostic. Il est vrai
que, quand on va faire de la nanoanalyse et que chacun saura qu’il a
déjà une nanomolécule de cancer, tout le monde ne va-t-il pas se sentir
malade ? Est-ce qu’on vivra mieux avec ces sur-diagnostics ?
Il y a des problèmes thérapeutiques, bien sûr. On sait que les
problèmes d'organes artificiels et de vectorisation ne sont pas exempts
de questions éthiques ou de couplage entre thérapeutique et diagnostic,
ce qu’on appelle le « théragnostic ».
Et, pire que cela, ce n’est pas seulement que l’on veut réparer l'homme
et le guérir, mais que l’on veut l'augmenter. On veut en même temps
améliorer ses performances physiques et mentales. On veut le doper.
Ce problème de dopage généralisé est aussi un changement de société et
une rupture, et cela pose beaucoup de problèmes : à qui cela va
profiter, pour qui, pour quoi ? On risque d’entrer dans le problème du
cyborg, du contrôle du fonctionnement du cerveau. Il existe des gens
qui veulent faire de la mécanisation de l'esprit "the computation of
thinking". Cela pose des problèmes de post-humanité, ce qu’on appelle
aussi le "transhumanisme".
Ensuite, il y a évidemment tout ce qui est danger pour la vie et pour
l'environnement. Mais je n'y reviens pas, car c'est un problème de
risques. Je ne voudrais pas réduire les problèmes d’éthique aux
problèmes de risques. Les problèmes de risques, nous pourrons les
traiter si nous les prenons bien. Il faut effectivement les traiter
avec la transparence.
Les problèmes d'éthique que je vous pose, les changements de société de
demain ne sont pas une question de risques. Nous allons nous retrouver
dans une société différente, et il faut y réfléchir. Il faut que les
chercheurs le veuillent ou pas.
Le clonage humain peut créer un changement de société. Nous avons
déclaré que nous ne le voulions pas. Il faut réfléchir dans ces
termes-là aux changements de société, aux ruptures irréversibles.
Que faut-il faire en face de cela ? Le rapport du comité d'éthique sur
les nanotechnologies dit qu'il faut changer un peu les attitudes. Il
faut que, dans les programmes comme ceux de Bruxelles, il y ait des
recherches qui correspondent à ces préoccupations de changement de
société.
C'est déjà le cas. Les chercheurs sont obligés d’y penser un peu en
demandant de l’argent. Il faut changer leur attitude, donc un peu leur
mentalité, leur façon de voir les choses, qu’ils ne présentent plus
seulement les bienfaits, mais qu’ils pensent aussi aux méfaits et
qu’ils ne soient pas aveuglés par les bienfaits qu'ils peuvent
apporter. Il faut qu'on les aide à réfléchir là-dessus.
Au CNRS, nous avons fait une école sur la liberté et la responsabilité
dans la recherche en nanotechnologies. Nous avons commencé à les
sensibiliser à ces problèmes.
Les problèmes spécifiques posés par les nanotechnologies seraient
peut-être, effectivement, des problèmes relatifs à la création du
vivant, des problèmes dus à la complexité et de convergence. Dans les
nanotechnologies, on peut peut-être identifier des problèmes
spécifiques, mais, globalement, ce sont des problèmes généraux liés au
développement de l’informatique, de la médecine, de la biologie et des
neurosciences. C'est la convergence neuro/info/bio/cogno.
Je m'arrête là car j'ai passé mon temps.
(Applaudissements.)
M. CHAUSSADE. - Merci. Nous avons quelques questions pour lesquelles
nous n’avons pas les experts présents à cette table, mais je vais quand
même les donner.
Qui peut répondre ou qui veut répondre ? Les nanotechnologies
peuvent-elles constituer une avancée dans le développement de solutions
visant à lutter contre les effets du réchauffement climatique, et si
oui, comment, avec quels signes ? Quelqu'un a-t-il des éléments
là-dessus, ou au moins un début de réponse ?
M. GRASSI. - Il y a au moins un domaine d'application qui est travaillé
au CEA et au CNRS, c’est l'amélioration du rendement des piles
photovoltaïques grâce aux nanotechnologies. On essaie et je pense
qu'on y arrivera d’avoir des piles photovoltaïques qui auront un
rendement nettement supérieur, donc une alternative aux énergies
productrices de gaz à effet de serre.
M. CHAUSSADE. - J'ai une autre question. J'aimerais que Romain Mielcarek la pose, s'il est là.
Monsieur, vous voulez répondre ?
M. MARTIN.- Concernant le réchauffement climatique et la lutte contre
celui-ci, il existe un grand nombre d'applications. Mais, comme cela a
été dit, les nanotechnologies sont des familles de technologies qui
sont facilitantes et qui permettent de faire des choses.
On a parlé du photovoltaïque. Il y a donc les piles. Si l’on veut une
économie basée sur l'hydrogène, le rôle des nano est essentiel pour les
piles à combustion, par exemple ; pour les piles toutes simples pour
stocker l’énergie ; pour l'isolation. Énormément d'aspects vont être
impactés, mais les nanotechnologies ne vont pas nous produire « la »
technologie miracle qui va nous permettre de résoudre le problème du
réchauffement climatique par la technologie.
M. CHAUSSADE. - Donc pas « la » solution, mais des solutions qui peuvent contribuer à améliorer les choses.
INTERVENANT. - Bonsoir. J'ai écouté avec attention tout ce qui a été
dit au cours de la soirée. Malheureusement, l'image que j'en ai j’ai
peut-être tort , c'est quand même l'impression d'une espèce de
symbiose qui est en train de se produire entre d'un côté les chercheurs
et d'un autre côté les industriels. Les chercheurs, je les comprends
très bien. Leur but est la recherche et la compréhension du monde.
J'avoue que je suis assez de leur côté. Mais, malheureusement, ils sont
appuyés par les industriels, et cela me gêne déjà beaucoup plus. Le
tout est saupoudré d’une espèce de volonté européenne de légiférer sur
tout cela.
Cela fait un mélange bizarre où chacun des intervenants, c'est-à-dire
les scientifiques d'un côté, les industriels et les politiciens, de
l’autre, auraient tous les trois une espèce d'intérêts convergents
dans cette histoire de nanotechnologies.
En fait, moi, il m'apparaît que chacun de ces trois représentants a
très bien développé son point de vue. C'est très intéressant. Mais
j'ai le sentiment que le seul qui se pose de vraies questions
concernant les nanotechnologies, enfin des questions qui concernent
vraiment la vie au quotidien je ne parle pas des aspects techniques,
mais de la vie au quotidien , c'est M. Bordé, qui selon moi a vraiment
posé les bonnes questions et qui, d'une certaine façon, pour rappeler
un mot furieusement à la mode en ce moment, a essayé d'apporter une
espèce de réponse à ce qu’on pourrait appeler une moralisation des
nanotechnologies.
J'avoue que je suis un peu déçu par la réunion de ce soir, car j'aurais
espéré qu'il y ait un peu plus de gens comme M. Bordé ce soir. C'était
plus une remarque qu'une véritable question. Mais on essaie de nous
vendre des tas de choses à venir, dans le domaine médical notamment,
dans le domaine informatique. Mais, je suis désolé, le monde ne se
résume pas à cela. Quand il y aura des problèmes parce qu’il y en
aura, comme dans toute science , qui viendra dire : « Je suis
responsable de cela » ?
M. CHAUSSADE. - Merci de cette intervention.
M. GALIAY. - Je voudrais répondre à monsieur, car je trouve que cette observation est très pertinente.
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