Chez l'homme, il y a très peu de littérature actuellement concernant les nanoparticules proprement dites. La littérature est importante sur les particules ultrafines de la pollution atmosphérique, mais c'est compliqué à interpréter, car dans ce type de particules, il n'y a pas que des particules : il y a aussi des gaz, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des métaux… On ne sait donc pas très bien qui fait quoi. On sait que cela rend malade, mais on ne sait pas très bien si c'est la forme de particule ultrafine ou si c'est son environnement.
Le seul élément que l'on ait actuellement chez l'homme, ce sont des études d'expositions contrôlées. On prend des sujets témoins que l'on met dans des structures d'expositions contrôlées à des concentrations (qui ne dépassent pas les concentrations que l'on observe dans l'environnement extérieur) - en général, on fait cela avec des particules de carbone ultrafin, donc de dimension nanométrique - et l'on mesure un certain nombre d'effets.
A ce jour, une quarantaine d'études ont été publiées sur des essais contrôlés chez l'homme avec (dans certains cas, pas dans toutes les études) des réponses qui sont observées pour des concentrations extrêmement faibles, de l'ordre de 50 microgrammes par mètre cube de concentration dans l'atmosphère.
Manifestement, on peut observer chez l'homme des réponses d'ordre cardio-vasculaire ou respiratoire, sans que l'on puisse dire aujourd'hui que ces réponses sont prédictives d'un effet pathogène durable. Néanmoins, l'organisme répond et il entraîne quelque chose qui peut être mesurable.
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie. Quelqu'un souhaite-t-il poser des questions au professeur BROCHARD ?
Mme NEVEU. - Bonsoir. Je m'appelle Annie NEVEU, je suis pharmacienne et j'appartiens à la SEPANSO. Je voudrais remercier le professeur BROCHARD pour son exposé très clair sur les nanoparticules.
Cela m'incite à aller dans le sens de Simon CHARBONNEAU. Quand on sait que les nanoparticules sont actuellement largement diffusées dans l'alimentation, les cosmétiques et les vêtements et qu'elles peuvent pénétrer la barrière cutanée ou la barrière pulmonaire, je pense qu'il faut effectivement au moins un moratoire sur ces développements. Il ne faut pas retrouver cela dans ce que l'on mange ou dans que l'on met sur soi. A la limite, c'est quelque chose qui devient criminel.
D'ailleurs, le gouvernement allemand ne s'y est pas trompé, puisqu'il incite les consommateurs à ne pas consommer de produits contenant des nanoparticules. Le problème est qu'il n'y a pas d'étiquetage ni d'information et que personne ne sait où sont les nanoparticules. Lorsque l'on achète un vêtement qui est supposé nous empêcher de transpirer, qui sait que ce sont des nanoparticules qui empêchent la transpiration ? C'est pareil pour les chaussettes anti-transpirantes : personne ne sait qu'il y a des nanoparticules dedans.
L'information du public n'est pas assurée et, à mon avis, cela justifierait amplement un moratoire au moins sur les produits de consommation. Pour le reste, on peut aussi envisager un moratoire, dès l'instant où l'on libère dans la nature des particules dont on ne sait pas ce qu'elles vont devenir dans l'environnement, que l'on ne pourra pas maîtriser ni détecter. En laboratoire, c'est bien beau : on peut les détecter avec un spectromètre de masse ou d'autres moyens électromagnétiques, mais dans la nature, dans l'eau ou dans le sol, quels moyens va-t-on utiliser pour détecter ces nanoparticules ? On n'en sait rien : elles seront là, mais on ne saura pas où elles sont.
On joue avec le feu. On a joué avec le feu concernant les pesticides et les OGM et l'on continue avec les nanoparticules. On est au pied du mur et il faudrait peut-être se poser la question de savoir à quel moment on s'arrête.
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie…
M. SIGAUD. - Olivier SIGAUD. Je vous remercie pour votre exposé. J'ai participé au rapport de l'AFSSET sur «Cancers et environnement». J'étais intervenu comme socio-économiste. Ce n'est pas ma culture : scientifique, l'infiniment petit, etc., mais la question que j'avais posée est celle du principe de précaution. Est-il réellement appliqué sur ce type de recherche ? C'est le lien entre science et techniques et c'est surtout la connaissance du grand public.
Est-ce que vraiment le grand public est représenté ici ? A-t-on un véritable débat public ? Je reprends l'argumentaire de PMO, qui n'est pas faux. On fait des concertations, mais est-ce que ce ne sont pas des concertations «prétextes« pour essayer de rassurer les populations ?
J'ai participé en juin au colloque à l'Ecole des Mines sur le risque. J'ai vu les parlementaires qui participaient à la Commission sur les choix technologiques extrêmement inquiets. Ils ont déjà eu l'amiante qui coûte 1,5 milliard d'euros par an, les OGM leur posent aussi problème.
A-t-on les dispositifs suffisants pour informer les citoyens, pour poser ces questions dans un espace public où les gens ont une information suffisamment contradictoire ? Est-ce que les lobbies n'ont pas encore pris le devant sur les citoyens et n'ont pas essayé de verrouiller le débat ? La recherche est-elle capable de penser en toute sérénité pour nous offrir un ensemble d'éléments permettant de nous fonder une opinion ?
A Bordeaux a été organisée la projection de cet excellent film qui s'appelle «Le silences des nanos», de Julien COLIN. Je ne trouve pas normal que ce film ne passe pas à la télévision, parce que c'est un film qui ne condamne ni la science ni les nanos, mais qui pose un certain nombre de questions. Clément ROSSIGNOL avait participé au débat et avait vu que certains points posaient question.
Nous faisons aussi un travail de plasticien : nous avons réalisé une structure chez Louis-Albert de BROGLIE qui s'appelle «Fullerène», dans un travail autour de la nature malmenée… Le fullerène, qui est la particule élémentaire du carbone, est en fait un emprunt à un architecte, BUCKMINSTER FULLER, qui avait travaillé sur le biomimétisme, les dômes géodésiques... Il est intéressant de voir comment on a emprunté le nom d'un artefact, de quelque chose de totalement artificiel à quelqu'un qui avait réfléchi plutôt sur la nature et sa capacité à créer de la diversité.
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie. J'ai ici une question :
«Quelles assurances ont les travailleurs et utilisateurs de produits intégrant des nanotubes de carbone, qui ne seront pas soumis aux mêmes risques sanitaires que ceux de l'amiante, dont les périodes d'apparition peuvent dépasser vingt ans après l'exposition au produit ?
Peut-être peut-on d'abord regarder la question sous l'angle scientifique et toxicologique ? Entre l'amiante et les nanotubes de carbone, y a-t-il quelque parenté ? Ensuite, nous parlerons des précautions».
M. BROCHARD. - Vous soulevez évidemment une question importante.
M. BERGOUGNOUX. - Ce n'est pas moi qui la soulève : c'est le papier !
M. BROCHARD. - Les connaissances que l'on a sur les nanotubes de carbone sont fragmentaires. Je vous ai dit tout à l'heure que nous avions simplement un élément qui me semblait important : les connaissances sur la toxicité des particules ont permis dans les années 1980 et 1990 d'acquérir des connaissances sur les mécanismes de la réponse cellulaire, par rapport à des particules qui ont des formes spécifiquement allongées.
Là, on connaît une partie de ces mécanismes : on sait que la phagocytose n'est pas normale, en particulier lorsque la particule est très allongée, puisqu'elle va dépasser souvent la taille même du macrophage. Cette phagocytose ne peut pas se faire normalement.
A partir du moment où l'on se retrouve dans les mêmes conditions, avec un matériau qui a des rapports longueur/diamètre très élevés, effectivement on peut tout à fait discuter d'extrapolations qui ont été faites par rapport à des travaux obtenus sur d'autres matériaux fibreux.
Je rappelle qu'il n'y pas que l'amiante sur laquelle des données considérables ont été acquises ; il y a les travaux de STANTON dans les années 1970, par exemple. STANTON était le premier à avoir décrit «l'effet fibre». Ses travaux avaient montré qu'il observait les mêmes phénomènes biologiques pour des particules de compositions chimiques très différentes. Dedans, il y avait l'amiante, avec ses diverses variétés, mais aussi d'autres matériaux fibreux, comme les fibres de verre ou des fibres vitreuses, voire des fibres organiques.
A l'époque, il n'y avait pas de fibres de carbone ou de nanotubes de carbone qui avaient été testés, mais il y a ce corpus de connaissances qui existe, que nous avons et sur lequel on ne peut pas s'asseoir.
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie. Serge LOPEZ, comment gérez-vous cela ? C'est tout de même dangereux…
M. LOPEZ. - Je représente l'Administration du travail. Je souhaiterais revenir au thème de la protection des travailleurs et éventuellement répondre à l'interpellation de la fédération Chimie de la CGT.
J'enlève ma casquette de fonctionnaire et je dis, en ma qualité de citoyen, que je ne suis ni un admirateur béat du progrès technique - ce qui me rappelle d'ailleurs certains sujets de philosophie au bac il y a très longtemps - ni un prêcheur de l'apocalypse en la matière.
J'ai beaucoup appris sur les nanotubes de carbone, c'est déjà un point acquis. Pour être un peu plus sérieux, dans les différents débats publics qui ont été animés, deux questions résument bien les inquiétudes qui existent. Elles ont encore été exprimées aujourd'hui :
➢ Premièrement, pour les travailleurs, comment éviter la catastrophe sanitaire de l'amiante ?
➢ Deuxièmement, face à toutes ces incertitudes, faut-il interdire ou faut-il faire un moratoire ?
Par rapport à l'amiante, il y a une production et une utilisation massive au cours du XXe siècle. La logique de prévention ne s'est imposée que très progressivement, voire tardivement.
A l'inverse, concernant les nanoparticules et les nanotechnologies, il me semble que s'il y a un débat aujourd'hui, même si cela a commencé déjà, nous ne sommes pas sur une utilisation massive et que, normalement, nous espérons bien que ce type de débat puisse interpeller les décideurs et qu'il y ait une prise en compte de la sécurité sanitaire. Par rapport aux différentes crises sanitaires que l'on a pu rencontrer, la société a évolué, ainsi que les exigences.
On a parlé du principe de précaution. C'est vrai que cela a été inscrit dans la Constitution et je crois qu'il y a (on en pense ce que l'on veut) un certain nombre de plans gouvernementaux, le Plan national Santé-Environnement, le plan national Santé au travail ou le plan Cancer, dans lesquels certains de ces éléments ont été pris en compte, parce que les exigences de la société évoluent. Je crois d'ailleurs que ce débat public en est l'un des signes.
Par rapport à l'Administration du travail, à l'inspection du travail, on milite pour deux exigences (vous voyez que même des fonctionnaires peuvent militer) :
➢ D'abord, comment améliorer la connaissance ? C'est essentiel, mais cela a été dit : quelle est la part des investissements sur la recherche toxicologique, épidémiologique, etc. ? Comment les entreprises s'ouvrent-elles aux chercheurs et à ce type de recherche ?
➢ Ensuite, l'AFSSET a été saisie de ce sujet.
Concernant la question très précise par rapport au Code du Travail sur les mesures de prévention (toujours sur la protection des travailleurs), il existe un règlement REACH. On pense qu'avec ce règlement, on va tout traiter (je parle sous le contrôle de mes collègues de l'administration centrale, quelquefois je vais peut-être déborder un peu…).
C'est vrai qu'il existe une réglementation européenne, issue de négociation entre différents pays et l'on ne peut pas dire que l'on a pris le niveau le plus haut en la matière. Reste que cette réglementation doit évoluer, puisqu'aujourd'hui, sur la problématique des procédures d'enregistrement des produits et des substances, elle s'applique à des produits fabriqués à raison de plus d'une tonne par an, ce qui n'est pas vraiment le cas au moins de la moitié de la production de nanoparticules en France.
REACH est donc un élément de réponse, mais je crois qu'il faudrait qu'il évolue au niveau européen.
En ce qui concerne le Code du Travail, je ne serai pas être abscons, mais sachez qu'il n'y a pas aujourd'hui de vide juridique, même si la réglementation doit évoluer. Cela relève de la responsabilité du chef d'entreprise (je m'excuse de dire cela, mais c'est une réalité juridique) : une obligation de résultat et une évaluation des risques et des mesures qu'il doit prendre.
Je ne vais pas vous rappeler ce qui est prévu dans le Code du Travail, notamment par rapport à la réglementation liée aux risques chimiques, puisqu'il s'agit de cela lorsque l'on traite des nanoparticules :
➢ Premièrement, c'est la suppression du risque, cela paraît assez élémentaire,
➢ Deuxièmement, c'est la substitution du produit (cela paraît peu pertinent, puisque l'objectif est bien de fabriquer ces produits),
➢ Troisièmement, c'est la réduction du risque à un niveau acceptable et l'application de la réglementation sur le risque chimique, qui prévoit notamment - je crois que cela a été dit - le fait de travailler en système clos (je crois que c'est ce qui se passe chez Arkema dans le Sud-Ouest),
➢ Ce sont également des moyens de protection collective et individuelle, l'information des travailleurs et des représentants du personnel et des CHSCT (ce ne sont pas que des sujets passifs, ils doivent être aussi des acteurs) et également tout ce qui tourne autour de la surveillance médicale et de la traçabilité.
Voilà ce qui existe aujourd'hui dans la réglementation et dans le Code du Travail (article R4412-1 et suivants).
Néanmoins, il me semble tout de même, par rapport à ce que l'on a pu entendre et ce qu'a dit le professeur BROCHARD, qu'aujourd'hui les lacunes en termes de connaissance des dangers intrinsèques liés aux nanoparticules rendent particulièrement délicate et difficile l'évaluation des risques et, par voie de conséquence, les voies de prévention en termes de sécurité. Cela nous amène à dire qu'il faut entrer dans une démarche de précaution et appliquer la réglementation la plus stricte en termes de Droit du Travail, tant que l'on n'en saura pas un peu plus.
Pour finir, j'ai échangé avec ma collègue inspectrice du travail qui a visité Arkema très récemment. Même si ces règles sont effectivement appliquées, des questions tout de même se posent. Je pense que c'est un débat par rapport à la protection des travailleurs :
➢ Première question : le système clos, c'est évident, dans le cadre du process en tant que tel. Cela dit, qui va intervenir sur ce système ? C’est notamment la problématique des entreprises qui interviendront sur l'entretien, la maintenance et le nettoyage.
➢ Deuxième question : oui, c'est très protégé dans les laboratoires de recherche, mais ces produits sont prévus pour d'autres utilisateurs. Quid de la traçabilité et des mesures de précautions par rapport à ces entreprises qui vont introduire cela dans des raquettes de tennis, des vélos, etc. ?
Telles sont les deux questions qui subsistent. Il y a une réglementation qui doit évoluer, cher Monsieur, mais il reste beaucoup d'incertitudes qu'il faut essayer de réduire.
M. CHARBONNEAU. - Je voudrais rebondir en tant que juriste, pour rappeler les deux conditions d'invocation du principe de précaution :
➢ l'incertitude scientifique,
➢ l'existence probable de risques graves et irréversibles.
Avec les nanotechnologies, nous sommes donc en plein dans cette problématique.
Or, c'est dit clairement, ce principe est applicable aux décisions concernant les pouvoirs publics. Si l'on prend le cas des subventions accordées à l'industrie pour le développement de cette technologie, il est évident que le principe n'a pas été appliqué, alors que si les subventions avaient été prioritairement accordées à l'évaluation des risques avant d'être accordées au développement, cela se serait inscrit dans le respect du principe de précaution. Vis-à-vis des décisions de subventions prises (j'ai cité le Conseil régional, mais on peut citer aussi les ministères, au niveau national), on pourrait imaginer un contentieux devant le Conseil d'Etat.
(Applaudissements.)
M. LEVY. - Je m'appelle Patrick LEVY. Je travaille pour le compte de l'Union des Industries Chimiques (UIC). J'y exerce la fonction de médecin conseil. Je m'exprimerai également pour le compte du MEDEF national.
Les nanotechnologies constituent une voie d'innovation majeure susceptible d'apporter des bénéfices considérables en matière de protection de la santé et de l'environnement.
Pour répondre à M. CHARBONNEAU, certes, ce n'est pas une question de vie à court terme, mais c'est très certainement une question de survie de l'industrie ou de pans entiers de l'industrie à moyen et à long terme.
Concernant la protection de la santé des travailleurs, point essentiel de ce débat, c'est une priorité absolue pour les entreprises. Cela a été rappelé par le représentant de l'Administration : il est de la responsabilité des entreprises d'assurer la protection de la santé et de la sécurité et c'est une responsabilité que nous assumons.
Ensuite, lorsque l'on regarde le cycle de vie des substances nanoparticulaires, on voit bien que l'exposition des travailleurs est absolument à maîtriser, notamment dans les installations de production.
Pour répondre à certaines réflexions, on a dans les installations de production (cela a été montré dans le cas de la production des nanotubes de carbone) des substances à l'état nanoparticulaire dans les réacteurs, mais, très souvent, lorsque l'on sort des sites de production, ce n'est déjà plus à l'état nanoparticulaire, mais souvent sous une forme agglomérée, matricielle, voire en solution, si bien que tout risque d'exposition par voie inhalatoire est complètement annihilé.
Par la suite, lors de la fabrication des objets, qu'on appelle des articles, il n'y a plus de risque d'exposition. Avez-vous un risque d'exposition à des nanotubes de carbone lorsque vous jouez au tennis ou lorsque vous portez un vêtement ? Les substances sont totalement intégrées dans des matrices et il n'y a plus de risque d'exposition à celles-ci.
Par rapport à des substances à l'état nanoparticulaire, il faut bien faire la part des choses.
D'une part, des substances sont mises sur le marché depuis de très nombreuses années. Je pense notamment au dioxyde de titane, à la silice précipitée, pour lesquels on dispose de beaucoup de données toxicologiques et écotoxicologiques. Elles comptent parmi les substances les mieux étudiées à ce jour et c'est le principe de prévention qui s'applique, consistant à dimensionner les moyens de protection par rapport au niveau de danger.
D'autre part, lorsque les connaissances sont insuffisantes ou en cours d'acquisition, c'est bien le principe de précaution qui s'applique, nécessitant en premier lieu de supprimer le risque, d'appliquer le plus haut niveau de confinement technique. C'est bien un procédé de vase clos (closed process en anglais) qui est privilégié, comme nous l'a montré la présentation d'Arkema.
Je terminerai sur deux points qui nous semblent essentiels de façon pratique en matière de protection de la santé.
D'abord, il faut améliorer la connaissance (c'est en cours, notamment avec REACH) et améliorer la communication dans les chaînes de distribution des produits. Nous avons un outil qui s'appelle la Fiche de Données de Sécurité, qui doit certainement être améliorée pour porter l'information et permettant l'information des employeurs successifs et des travailleurs.
Par ailleurs, il faut absolument organiser la traçabilité des expositions, pour être en mesure de réaliser ultérieurement des études épidémiologiques sur ces sujets.
M. BERGOUGNOUX. - Merci. Monsieur MONTELEON, il me semble que c'est un sujet qui vous est cher…
M. MONTELEON. - Oui, c'est un sujet qui nous est très cher à la CFTC, car c'est la protection des travailleurs face à un risque totalement inconnu. Patrick BROCHARD l'a dit tout à l'heure : il y a beaucoup d'incertitudes. On a plusieurs niveaux d'intervention…
Dans le laboratoire, le chercheur trouve des nouveaux nanomatériaux, avec de nouvelles propriétés, qui auront des nouvelles biopropriétés et biotoxicités que l'on ne connaît pas. Dans son laboratoire (forcément, là on est dans le cadre de la recherche), on imagine qu'ils prennent toutes les précautions nécessaires. On espère que l'employeur évalue le risque auquel il l'expose. Ce n'est pas certain, puisque l'on est dans le domaine de la recherche et que l'évaluation est donc très complexe. Cela dit, on est tout de même déjà dans une situation où l'on se dit : «Attention, il peut y avoir un grand danger».
Lorsque l'on dépasse l'étape du laboratoire et que l'on arrive en production, on va dire : «Là, on est encore dans une situation que l'on maîtrise mal. On ne connaît pas tous les dangers». On va donc confiner, on va mettre dans des process sur lesquels on ne va pas mettre au contact les salariés (ou l'on va éviter le plus possible de le faire).
Cela dit, on ne les produit pas pour le plaisir de les laisser enfermés, confinés dans des boîtes. Si on les produit, c'est bien pour les utiliser par la suite et ces boîtes ou ces process font appel à des machines qui sont susceptibles de tomber en panne, de s'encrasser. Il va donc falloir les entretenir : des intervenants extérieurs viendront dans l'entreprise pour effectuer ces entretiens de machine. Comment sont-ils informés et protégés ? Savent-ils même qu'il y a des nanomatériaux et à quel type de nanomatériaux ils sont exposés ? Savent-ils quel type de protection ils doivent avoir ? La plupart n'en ont aucune idée.
Là, nous sommes encore dans un domaine où l'on sait presque de quoi on parle, puisqu'il y a une déclaration obligatoire. On est en train de fabriquer des nanomatériaux, donc on doit déclarer qu'on les fabrique.
Les médecins du travail des entreprises concernées savent que l'on parle de nanomatériaux et font ce qu'il faut, du moins je l'ai entendu au CEA. J'imagine que chez Arkema, c'est la même chose. Ils assurent une traçabilité dans le dossier médical. Lorsque le salarié va quitter l'entreprise, que devient ce dossier médical ? En tout cas, il ne suit pas le salarié, ou rarement. Dans des pathologies qui apparaîtront peut-être vingt ou trente ans plus tard, lorsque l'on a quelque chose qui ressemble à de l'amiante, où va-t-il retrouver son dossier médical ? Comment pourra-t-il le consulter et comment pourra-t-il dire à quoi il a été exposé ? Nous n'avons pas ce genre de traçabilité. La traçabilité, telle qu'elle est prévue aujourd'hui, c'est la traçabilité sur les cancérogènes avérés et encore, pas tous. Nous ne sommes pas dans ce cadre.
M. LEVY nous disait que lorsque les nanos sortent, elles ne sont plus sous forme nanométrique. Quel est l'intérêt de fabriquer des nanos si, dès qu'elles sont sorties de la boîte, ce ne sont plus des nanos ? Il ne faut pas se voiler la face : on cherche bien à faire des nanos…
Cela n'a pas vraiment été dit, mais je l'ai entendu dans les débats au Nanoforum du CNAM : lorsqu'elles s'agglomèrent (notamment les nanotubes de carbone), cela peut donner quelque chose qui ressemble à des fibres d'amiante et cela peut avoir des comportements similaires. A ce moment-là, ce n'est plus une nano, mais cela reste dangereux.
Ce n'est qu'un exemple… Tout à l'heure, nous avons parlé des nanotubes de carbone, mais nous pouvons parler de n'importe quel produit chimique, n'importe quel composé sous une forme nanométrique… Nous ne savons pas exactement ce que les chercheurs vont nous trouver demain. Nous savons à peu près ce qu'ils ont trouvé aujourd'hui, mais nous ne savons pas pour demain.
Je disais donc que cela sort de l'entreprise qui l'a fabriqué, pour être mis en production dans une autre entreprise qui va fabriquer un produit destiné au public. Là encore, les salariés sont les premiers exposés. Ils reçoivent des nano-éléments, dont ils ont peut-être encore l'idée que ce sont des nano-éléments.
Ils vont les intégrer dans quelque chose et, si c'est un produit fini, on va savoir tout de suite comment on l'intègre dedans. Ce peut être le cas en cosmétologie, on l'a vu lors d'un débat récent. Ce peut être également dans un produit en première transformation, c’est-à-dire que l'on va fabriquer des matériaux qui vont être utilisés par d'autres entreprises pour faire autre chose. Par exemple, ce peut être pour fabriquer des matériaux plus résistants, plus élastiques, des matériaux qui auront les caractéristiques que l'on souhaite qu'ils aient.
Ils vont être vendus. L'employeur de l'entreprise en deuxième transformation, en revanche, ne saura peut-être même plus qu'il y a des nanomatériaux, parce que la Fiche de Données de Sécurité n'en fait pas état, parce que là, les règlements ne permettent pas vraiment… C'est sous forme de trace, on est peut-être en dessous du pourcentage de nanomatériaux qui est prévu dans ces fiches et on ne le sait pas vraiment. On va donc commencer à travailler ces matériaux, éventuellement à les usiner, à les percer, à les couper pour les mettre à dimension, pour leur donner leur forme finale qui va arriver chez le consommateur, qui sera la personne exposée suivante.
Il y a donc toute une chaîne d'exposition, mais le consommateur, une fois qu'il a fini d'utiliser ce produit, va s'en débarrasser et le jeter dans la chaîne de traitement de déchets. Dans cette chaîne, on retrouve de nouveau des salariés qui vont être exposés à quelque chose mais, pour le coup, ils ne savent plus du tout ce qu'il y a dedans. Nano… Il y en a peut-être ou peut-être pas, je n'en sais rien, mais en tout cas, on va essayer de transformer ce déchet en autre chose. Soit on le recycle, on fait des transformations si l'on sait ce que c'est, soit on ne sait pas ce que c'est et cela va passer à l'incinérateur ou dans d'autres procédés de destruction. Dans ce cas, on va libérer à nouveau les nanos. Peut-être qu'elles s'aggloméreront, sait-on jamais… En tout cas, les salariés seront exposés et ils ne le sauront même pas.
On le voit sur la chaîne : la situation CEA est la situation idéale. Je suis quasiment dans un laboratoire de recherche, je sais de quoi je parle et ce sur quoi je travaille. Je vais pouvoir identifier les salariés qui sont exposés aux nanomatériaux, peut-être même aller jusqu'à faire un tri en disant : «Le salarié qui a ce poste de travail est exposé, mais celui qui est sur le poste voisin l'est moins, voire ne l'est pas». Cela veut dire que j'aurai fait une protection collective qui sera efficace ou que j'aurai mis en place des protections individuelles efficaces.
Je vais avoir une pseudo-traçabilité, parce que j'aurai dans le dossier médical une note disant que j'ai été exposé… A l'occasion de cette visite, je pourrai dire que j'ai été exposé (ou mon employeur pourra dire que j'ai été exposé à des nanomatériaux), mais je n'ai pas naturellement accès au dossier médical, donc je ne le saurai pas plus que cela.
Je vais donc le savoir à travers le document unique d'évaluation des risques qui est de la responsabilité de l'employeur et que je pourrai consulter. Encore faut-il que l'employeur sache évaluer le risque. Nous avons vu tout à l'heure qu'il ne savait pas l'évaluer, dans la plupart des cas.
Il ne sait pas le faire, parce qu'il n'a pas les Fiches de Données de Sécurité qui lui permettent de le faire et parce que, souvent, plus ils se développeront et moins il saura que dans les matériaux qu'il utilise, il y a des nanomatériaux inclus, intégrés. Plus cela ira et moins on le saura ; plus ils seront développés et moins on le saura, puisque cela deviendra de plus en plus banal.
La protection des salariés est un ensemble qui ne s'arrête pas à la fabrication ou à la recherche ; cela va bien au-delà de cela. Cela implique - j'ai cru l'entendre tout à l'heure dans le petit film de présentation - déjà plusieurs millions de travailleurs, des personnes qui savent ou ne savent pas qu'elles sont exposées. Celles qui le savent sont dans de bonnes situations : elles peuvent se protéger ou, du moins, elles peuvent utiliser les moyens de protection que l'on met à leur disposition.
Là encore, rien ne garantit que ces moyens de protection soient complètement adaptés. Nous avons parlé tout à l'heure du confinement. On ne met pas le salarié au contact avec les nanomatériaux… Cela arrivera un jour, parce qu'il faudra entretenir la machine et il sera bien au contact à un moment donné. Il faudra nettoyer les machines ou les filtres, quand il y en a. Lorsque l'on porte un masque de protection, on le jette. Il est peut-être saturé de nanomatériaux ; il passe alors dans la filière déchets, directement, et cette filière n'est peut-être pas informée qu'elle est en contact avec des nanomatériaux. Vous voyez que c'est assez complexe. Je ne m'étendrai pas plus : je préfère répondre aux questions.
(Applaudissements.)
M. BERGOUGNOUX. - Je vous remercie.
M. DELESTRE. - Mon nom est Daniel DELESTRE. Je suis aussi de la SEPANSO. Je suis aussi ingénieur chimiste et il se trouve que j'ai travaillé pendant de nombreuses années dans un établissement où l'on manipulait de l'amiante.
Je dois dire que plusieurs de mes collègues sont décédés des contacts de l'amiante, vingt ans après les faits. C'est la raison pour laquelle je suis particulièrement sensibilisé par cette affaire de nanotubes de carbone.
J'ai entendu deux représentants du patronat nous dire de ne pas avoir peur… Un directeur d'entreprise nous a dit : «Vous savez, le carbone est naturel. Il y en a dans l'atmosphère, on en respire. Ce n'est pas dangereux». Monsieur le directeur oublie peut-être que le carbone, sous forme d'oxyde de carbone, est mortel à quelques ppm.
J'ai entendu un médecin du travail dire : «Ce n'est pas grave, les nanoparticules sont enrobées. Vous ne risquez rien ».
Je trouve que nous n'avons pas trop de raisons d'avoir confiance en ces propos, d'autant plus que je tiens à vous transmettre des informations du Bureau européen de l'Environnement, auquel appartient la SEPANSO FNE. Le Bureau européen de l'Environnement fédère toutes les associations environnementales d'Europe. Selon lui, il est clair que certains nanotubes de carbone, comme l'a rappelé le professeur BROCHARD, en fonction de leur dimension très proche des caractéristiques de l'amiante, ont toutes les raisons de provoquer des réactions d'inflammation identiques auprès des travailleurs. C'est un premier élément de réponse.
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