Parmi les modes d’exposition, il y a la voie aérienne, la voie digestive et la voie cutanée, cette dernière étant moins aigüe car on peut protéger le travailleur avec une combinaison.
Dans les questions des internautes, l’une d’elles revient souvent. Est-il possible d’introduire dans le corps des individus, par exemple par l’intermédiaire d’un vaccin, un nanodispositif permettant de recueillir ensuite des informations sur eux ? La réponse de Patrice Marche est que cela n’existe pas, même si on ne peut pas exclure que cela puisse arriver dans vingt, trente ou quarante ans. Il fait remarquer que le coût d’un tel dispositif rend l’hypothèse tout à fait irréaliste.
Une autre question porte sur le fait de savoir si l’on pourra un jour, grâce au microscope à effet tunnel, réorganiser des organes ou des tissus à distance pour créer de nouvelles fonctions organiques. Tous les intervenants s’accordent à considérer cela comme relevant de la science-fiction. Il n’empêche, comme l’indique Patrick Boisseau, qu’il existe un domaine, en nanomédecine, qui s’appelle la médecine régénérative, qui permet d’aider le corps à se réparer lui-même. Par exemple, on peut constituer des échafaudages avec des matériaux biocompatibles sur l’os qui lui permet de repousser. Cette question entraîne un échange sur les anticipations d’Éric Drexler (chercheur et écrivain américain) et la valeur prédictive de la science-fiction, même si Eric Drexler est ingénieur et non écrivain de science-fiction. Abdelkader Souifi constate que, même dans des revues scientifiques, on peut trouver des publications par des scientifiques de très haut niveau qui annoncent des réalisations fantastiques, comme par exemple Paul Crutzen, prix Nobel, qui explique qu’on pourra manipuler le climat et lutter contre le réchauffement climatique en larguant des millions de tonnes de soufre dans l’atmosphère. Mais ces prédictions résultent d’une confusion dans l’échelle de temps. Devant la masse d’informations disponibles sur Internet, il est difficile de faire le tri. Patrick Boisseau explique que, comme dans toute innovation technologique majeure, on passe par plusieurs phases : la phase de découverte, qui a eu lieu il y a une vingtaine d’années pour les nanotechnologies, puis quand la technologie devient connue d’un plus grand public, une phase de foisonnement d’idées, aussi bien saugrenues que pertinentes. Maintenant, les industriels évaluent les marchés et l’on arrive à une phase dans laquelle ce qui est ubuesque disparaît car ces choses totalement irréalistes ne trouvent pas de financement.
Par rapport à la science-fiction, un intervenant fait remarquer qu’elle se projette dans un avenir lointain, alors que notre responsabilité éthique est de se concentrer sur un avenir proche ou à moyen terme car c’est là que se situent tous les enjeux. Ce n’est qu’au fur et à mesure des développements qu’on aura un éclairage permettant de se projeter dans un avenir plus lointain. Jean-Pierre Cloarec signale néanmoins qu’il existe une relation entre la science et la science-fiction, dans le sens où la conquête spatiale et l’aventure aéronautique, par exemple, ont été influencées par la science-fiction. Dans les nanotechnologies, les chercheurs ont aussi l’impression de travailler sur des mythes fondateurs qui sont moteurs. Ce n’est pas sans intérêt de se poser la question de savoir ce qui anime les découvertes et les objectifs profonds qu’elles poursuivent. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et les chercheurs ne sont pas des décideurs.
Alain Chabrolle remarque tout de même que, avec les nanotechnologies, on dispose pour la première fois d’outils qui permettent d’intervenir sur les mécanismes fondamentaux du vivant. Quand les associations de la région Rhône-Alpes interpellent certains chercheurs ou industriels et les services de l’État sur les moyens de contrôle, elles constatent la plus grande opacité. Il se demande quels garde-fous existent dans les domaines de la médecine ou des libertés publiques et souhaite que la CPDP transmette des propositions très fortes à ce sujet aux donneurs d’ordre.
La question du caractère potentiellement cancérigène des nanoparticules revient à plusieurs reprises. Une question est posée sur les ’études qui démontrent que l’on retrouve chez le rat des nanoparticules dans le cerveau ou des effets similaires à l’amiante dans les poumons et il est demandé si ces études sont sérieuses. Éric Quémeneur confirme que de telles études sont disponibles et qu’elles sont passées par le processus classique d’évaluation par les pairs. Mais il est encore difficile de tirer des enseignements cohérents de ces observations. Par ailleurs, ces effets résultent de doses massives et il faudrait vérifier s’ils existent aussi avec des doses plus réalistes par rapport aux expositions des travailleurs ou du public. Le CEA est d’ailleurs conscient de la nécessité de développer des outils métrologiques pour mieux caractériser les doses administrées et reçues et développe de nouveaux outils pour mieux tracer les nanotubes de carbone, en particulier par le carbone 14, pour réaliser des études sur l’accumulation.
Dominique Gombert objecte néanmoins qu’il n’existe pas de réponse globale sur la toxicologie car il existe une palette très large de nanomatériaux et qu’il faut examiner les effets de chacun d’eux, un par un. Il existe des études sur certains d’entre eux, comme les études de Poland et de Nelson sur les nanotubes de carbone, des études sur le passage cutané du dioxyde de titane ou sur le chrome et le cobalt. Le Haut conseil de santé publique a rendu un avis sur les nanotubes de carbone. Mais toute la difficulté est de caractériser les nanoparticules, car il existe de nombreux paramètres qu’il faut complètement maîtriser..
Abdelkader Souifi soulève une problématique qui est que, dans le fonctionnement de la recherche, les chercheurs sont très spécialisés, alors que les nanotechnologies ne sont pas, en soi, une spécialité. À ce sujet, Jean-Pierre Cloarec développe auprès de ses étudiants l’idée et la nécessité de prendre du recul sur le lien entre le chercheur et les citoyens et invoque le décloisonnement des sciences, qu’il s’agisse des sciences "dures" ou des sciences humaines. Cela est d’autant plus important que, comme le souligne Abdelkader Souifi, dans les choix de société, on a tendance à se référer aux scientifiques. Or, ceux-ci, s’ils sont spécialistes, ne sont certainement pas des experts et peuvent se tromper. L’expertise est une évaluation collective.
Alain Chabrolle considère que bon nombre d’ associations expriment, non pas tant une crainte ou des doutes qu’une exigence nouvelle de gouvernance, c’est-à-dire des choix collectifs partagés. Il faut penser de nouveaux dispositifs qui ne soient pas dédiés à l’acceptabilité, mais des instances consacrées à faire des choix qui, dans le cadre des crises sociales, économiques, financières ou environnementales d’aujourd’hui, correspondent à un vrai besoin humain. Il observe que la France a pris un retard en terme de toxicologie et d’écotoxicologie par rapport à ses voisins, l’Allemagne et les pays anglo-saxons, et il interpelle l’État et les régions dans leur volet formation. Il craint d’ailleurs que l’on soit confronté à un monde de risques sans responsables ni responsabilité, ce qui est fort éloigné d’un monde démocratique.
Claire Billotey indique que les chercheurs sont très conscients de la dimension éthique et toxicologique de leurs travaux. À cet égard, le Cancéropole Lyon, Auvergne Rhône-Alpes (CLARA), par exemple, est une structure qui intègre des psychologues et des toxicologues qui s’intéressent aux effets des recherches nanotechnologiques. On peut se demander, par exemple, quel impact peut avoir le fait de diagnostiquer très en amont, avec les marqueurs biologiques, des signes de développement du cancer chez des patients qui ne sont pas malades. Le défaut des chercheurs est peut-être aussi de ne pas assez communiquer.
François Guillemin, représentant du Conseil économique et social régional, expose ce que le CESR demande, en tant que représentant de la société civile : la mise en place d’une instance nationale des nanotechnologies indépendante, partagée et fédératrice, qui pourrait être membre de l’Agence européenne lorsque celle-ci sera créée et serait composée de citoyens éclairés, pas forcément spécialistes, non partisans et ayant le sens de l’intérêt général, avec toutes les composantes de la société civile, employeurs, salariés, et autres, pour construire ensemble ce qui semble le meilleur pour la nation.
Son rôle serait de réfléchir sur les potentiels, les applications, , les recommandations. Cette agence pourrait s’appuyer sur une communauté de moyens techniques avec des experts qui seraient alertés et mobilisés pour répondre aux problématiques particulières. Les nanoparticules n’étant pas visibles, il est important d’informer les citoyens des risques éventuels afin qu’ils puissent choisir en toute connaissance entre les produits qui comportent des nanoparticules et ceux qui n’en comportent pas.
Arila Pochet, du ministère de la Santé, informe qu’en matière médicale, l’Afssaps, qui donne les autorisations de mise sur le marché, a émis des recommandations spécifiques sur les études à mener quand des produits médicamenteux contiennent des nanoparticules. Elle insiste sur les risques probables, l’immunotoxicité et la génotoxicité, la pharmacologie et la distribution dans l’organisme. Concernant les nanoparticules, cela doit être mesuré avec des outils spécifiques. Cela rejoint la question de la balance bénéfices/risques et celle des incertitudes. On ne peut pas rapporter toutes les études de toxicité menées sur les produits chimiques aux nanomatériaux car ils ne sont pas assez caractérisés. Les études de génotoxicité sont le domaine où, quand elles sont appliquées, les lignes directrices de l’OCDE donnent des résultats contradictoires pour les nanomatériaux. Pour le reste, elles sont applicables aux nanomatériaux. Le seul problème est celui de la détection spécifique et de la dispersion dans les milieux.
Des études sont donc à mener, et c’est pour cela que le gouvernement consacre des fonds à des programmes de recherche sur la génotoxicité, comme Génotox, et la caractérisation des nanoparticules. Mais cela va mettre du temps.
Il faut donner aux industriels des outils pour mesurer les risques, en termes non seulement sanitaires, mais aussi éthiques, sociétaux et économiques, pour qu’ils puissent mettre des produits sur le marché en fonction des études sur les risques, qu’il pourront mettre à la disposition du public et des consommateurs pour qu’ils puissent faire leur choix.
Alain Chabrolle remarque que cela concerne le monde médical et non le marché des produits nanomanufacturés. De plus, concernant les "nanoproduits à tout faire", il insiste pour que les institutions, les conseils généraux et l’État appliquent le principe d’écoconditionnalité dans l’attribution de crédits et qu’ils tiennent compte des réponses aux besoins.
Concernant les produits nanomanufacturés, Dominique Gombert rappelle que la règlementation Reach oblige les industriels à faire l’étude des risques des produits mis sur le marché et à démontrer qu’ils maîtrisent ces derniers. Concernant le nanoargent, c’est plus compliqué car il répond à deux règlementations, Reach et celle des biocides. Pour ce qui est de Reach, les mailles du filet sont trop larges pour les nanoparticules, mais des travaux sont en cours pour l’adapter à la taille nanométrique des produits. Mais il se demande pourquoi on n’envisagerait pas des règles de restriction d’usage lorsque les risques sont trop importants.
Dominique Lefranc, qui représente la DGCCRF, indique que, concernant la surveillance des produits cosmétiques, le Parlement européen a adopté un nouveau règlement qui obligera dans quelques années tout fabricant qui souhaite incorporer des nanoparticules dans ses produits à le notifier à la Commission six mois avant leur mise sur le marché. Pour les autres produits de grande consommation, il n’y a pas de règlementation aussi stricte ni de procédure d’identification, mais une réflexion est engagée pour l’information du consommateur par l’étiquetage
Pour ce qui est du dioxyde de titane, Jean Bergougnoux rappelle que ces particules permettent de protéger la peau contre les ultraviolets sans avoir la couleur des anciennes crèmes solaires. Les industriels annoncent une absence de risque pour l’utilisateur. Un internaute conteste cette innocuité sur la peau, qu’elle soit saine ou altérée. Il conviendrait selon lui , non seulement d’adopter un étiquetage, mais aussi que les industriels confirment que ce produit est non nocif, ce qui est un vrai problème de gouvernance.
Il conclut sur ce point, en remerciant chaleureusement le public qui a accepté de rester dans la salle ainsi que les intervenants qui se sont efforcés de répondre aux questions qui leur étaient posées, y compris quand la réponse consistait à dire qu’il y a encore des choses qu’on ne sait pas.
|