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Le dossier du maître d'ouvrage

Le dossier du maître d’ouvrage aborde les grands champs du sujet qui structurent le débat.

Dossier du Maître d'ouvrage - Partie 4

Le maître d'ouvrage


Nanotechnologies et société : des enjeux, des questions

Comme la plupart des évolutions technologiques majeures qui les ont précédées, les nanotechnologies suscitent des attentes pour de nouvelles solutions permettant de mieux concilier économie, environnement, qualité de vie ; mais en parallèle, des interrogations sont exprimées au sein de la société, posant des questions d’ordre éthique et exprimant des craintes. Sans nécessairement les prendre à son compte, l’État souhaite dans cette partie présenter ces questions et interrogations qui font partie du débat, et en préciser certains aspects.

 

 

Les nanotechnologies vont probablement modifier les modes de vie et les comportements. Prometteuses d’améliorations dans de nombreux domaines, porteuses de progrès matériel et facilitatrices, elles nourrissent cependant des craintes de dérives et des interrogations d’ordre éthique.

Devant les limites jusqu’ici rencontrées par la science et les techniques, l’approfondissement, la diffusion et le partage des connaissances doivent aujourd’hui chercher à apporter des réponses aux inquiétudes et permettre d’identifier précisément les zones d’incertitudes et la manière de les appréhender.

 

 Energie
 
L’un des champs d’application les plus attendus des nanotechnologies est celui de l’énergie : contribueront-elles à la construction d’un monde durable ? 

 

 
EXPLICATION
Des progrès techniques qui transforment les sociétés
Une innovation, soit parce qu’elle nécessite un cadre économique nouveau pour se développer, soit parce qu’elle modifie nos habitudes et nos modes de vie, impacte fortement la société.
L’informatique et internet ont induit une tertiarisation de l’économie et un essor des conversations instantanées à distance qui modifient les relations sociales et familiales.
L’exploitation industrielle du pétrole a contribué à l’essor de la voiture individuelle et des déplacements quotidiens, modifiant lourdement le rapport au territoire et les relations humaines (péri-urbanisation, tourisme de masse…).

 

 

 

Les nanotechnologies à l’articulation entre économie, société et environnement

Comme le soulignent les chapitres précédents, l’essor des nanotechnologies pourrait avoir un impact sur l’ensemble des secteurs économiques ainsi que sur la vie quotidienne de la population. De nombreux experts n’hésitent pas à employer l’expression de révolution technologique qui désigna, en leur temps, la banalisation des usages de l’électricité et l’exploitation industrielle du pétrole. On peut s’interroger sur le fait que les nanotechnologies auront un impact systémique, c’est-à-dire la capacité de modifier tous les aspects socio-économiques de la société.

Cependant, bien davantage que ces deux exemples du pétrole et de l’électricité, il s’agit d’une révolution diffuse qui peut concerner, à tous les niveaux, toutes les activités scientifiques et industrielles et l’ensemble de nos habitudes et comportements.

Ces spécificités conduisent à s’interroger sur l’impact socio-économique d’un développement large des nanotechnologies. De plus, les possibilités offertes par les nanotechnologies vont évoluer à la faveur de leur convergence avec des disciplines comme la biologie, les sciences cognitives et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elles pourraient alors, à moyen terme, contribuer à estomper les frontières entre l’homme et le monde non vivant ou rendre possible une artificialisation de la vie. Cette perspective soulève des questions éthiques fondamentales.

Quelques uns des impacts majeurs sur notre système socio-économique

Le chapitre 2 a montré, en effet, que les nanotechnologies contribueront à la mise au point d’une multitude d’innovations qui devraient permettre d’augmenter l’efficacité énergétique des processus industriels et des produits, de miniaturiser les composants et, de fait, de réduire la consommation de ressources et la quantité de déchets, d’optimiser les processus chimiques et, par conséquent, de limiter les pollutions, ou encore de fournir les moyens de produire de l’énergie en s’affranchissant des énergies fossiles. À condition de réduire le coût écologique de certaines usines de composants, les nanotechnologies peuvent donc participer à rendre, à niveau de vie équivalent ou supérieur, notre société durable. Toutefois, à l’instar d’autres innovations technologiques, le potentiel qu’elles représentent comporte deux écueils : un manque de maîtrise de la consommation et un essor incontrôlé de la technologie.

Les nanotechnologies peuvent contribuer à réduire les impacts sur l’environnement. Mais, cet argument ne risque-t-il pas d’inciter à démultiplier la consommation, annihilant les bénéfices escomptés ?

 

EXPLICATION
Deux aspects antagonistes de l’innovation
D’une part, peu de risques se révèlent en réalité aussi néfastes que prévus ; d’autre part, compte tenu de la diffusion rapide et mondiale des innovations, il suffit d’un risque mal ou sous évalué pour que des millions de personnes soient affectées.
 

  Déchets

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Si les nanotechnologies permettent un jour de réduire notre production de déchets par trois, serons-nous encore attentifs à la réduction du volume des déchets, à leur réutilisation ou leur recyclage ?

 

DEFINITION
L’approche bénéfices risques
L’approche bénéfices risques consiste identifier et quantifier a priori les bénéfices et les risques potentiellement liés à une innovation sur des bases scientifiques puis, en fonction du rapport bénéfices risques, de préconiser des modalités d’utilisation modulées (de l’interdiction à l’utilisation sans restriction). La mise en œuvre fait l’objet d’un suivi pour détecter d’éventuels effets non identifiés a priori et adapter les mesures de protection décidées au départ.

Il s’agit donc d’une procédure évolutive : en fonction des nouvelles données (notamment épidémiologiques), les mesures de protection, de dissémination et d’utilisation de l’innovation évoluent dans le temps.

Cette approche, lorsqu’elle est bien menée, s’inscrit dans l’esprit du principe de précaution car elle garantit un bon niveau de protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement sans pour autant bloquer l’innovation. Elle nécessite toutefois la mise en place de ressources adaptées (personnel, instrumentation, moyens…).

 

Leurs filières de traitement seront-elles encore économiquement viables ? Si les nanotechnologies permettent demain la production à bas coût d’une électricité issue de ressources largement renouvelables, poursuivra-t-on les efforts en faveur d’une meilleure efficacité énergétique, d’une moindre émission de CO2 et d’une réduction de la consommation ? L’effet de la baisse du prix des énergies durant les années 1980 liée à un prix du pétrole bas et à une électricité nucléaire bon marché en France invite à y réfléchir.

Ainsi, les bénéfices potentiels des nanotechnologies doivent s’accompagner d’un comportement responsable en matière de consommation des citoyens et des industriels.

Le progrès technologique incontrôlé représente un second écueil potentiel. Le recours, sans contrôle apparent pendant des décennies, à de nombreuses technologies consommatrices de matières premières et génératrices de pollution a largement contribué à l’impact de l’homme sur l’environnement, à tel point qu’il soulève aujourd’hui la question du développement durable. S’il était difficile d’appréhender l’effet de serre avant que ses premiers signes soient perceptibles, l’épuisement progressif des ressources en pétrole était en revanche prévisible sans pour autant qu’il en ait été réellement tenu compte. Si les nanotechnologies peuvent contribuer à l’amélioration des conditions de vie, il serait naïf de croire qu’elles puissent apporter, à elles seules, une réponse technologique qui remédiera aux divers problèmes que rencontre l’humanité.

La question de leur impact sur notre mode de consommation compte donc parmi les interrogations soulevées par l’avènement des nanotechnologies. Le temps de renouvellement des produits se raccourcit sans cesse et notre société devient une société du jetable, vêtements, meubles éphémères par leur qualité, cannettes, plastiques mais aussi ordinateurs et téléphones portables dont la durée d’usage ne cesse de se réduire. La tendance est résolument aux prix bas et à une durée d’utilisation limitée.

L’incorporation de nanotechnologies dans les produits courants pourrait entraîner une révolution dans la manière de consommer : manipuler la matière à l’échelle nanométrique implique des procédés complexes et coûteux qui, s’ils augmentent les performances et multiplient les fonctions des produits, pourraient en renchérir aussi le prix de vente. Cela nous convaincra-t-il de les utiliser plus longtemps, de les réutiliser et de les recycler ? Les potentialités des nanotechnologies offrent-elles un levier pour consommer non pas moins, mais autrement ?

Un questionnement sur l’accompagnement de l’innovation et l’impératif de compétitivité ?

Pour encadrer l’innovation, plusieurs approches ont vu le jour au fil du XXe et en ce début de XXIe siècle : l’approche fondée sur la seule évaluation a posteriori des dommages ou impacts a souvent prévalu. Une autre approche a émergé depuis les années 1980, l’approche bénéfices risques.

L’évaluation a posteriori consiste à repérer les dommages induits et à les corriger (dépollution, indemnisations…) après que l’innovation ait librement diffusé. Elle n’entrave ni l’activité économique ni la compétitivité. L’approche par l’évaluation bénéfices/risques, qui permet d’appréhender rationnellement l’ensemble des changements induits par une décision économique ou politique, tente en revanche de concilier développement et sécurité. Toutefois, elle déclenche la mise en œuvre de stratégies d’influence et la mobilisation de groupes d’intérêts industriels, sectoriels et d’associations diverses, comme cela est le cas pour le changement climatique ou les OGM.

Les nanotechnologies étant susceptibles d’être utilisées par de très nombreux secteurs, les risques liés à leur incorporation dans divers matériaux, produits, dispositifs et systèmes étant très difficilement quantifiables à ce jour et les progrès en matière de recherche et de procédés gagnant sans cesse en rapidité, il convient de s’interroger sur la pertinence de l’approche bénéfices/risques. Dans quelle mesure les pouvoirs publics peuvent-ils gérer une telle approche de manière solide et crédible, c’est-à-dire en s’affranchissant des stratégies d’influences mises en œuvre par les parties prenantes ? Comment l’approche bénéfices/risques peut-elle prendre en compte la multitude de produits à étudier et à suivre, des risques potentiels variés et les bénéfices possibles ? Comment concilier la pression d’une concurrence mondiale acharnée et des perspectives d’emplois, les intérêts industriels et une très forte attente en matière de sécurité de la part de la population ? Le cas échéant, quels mécanismes complémentaires mettre en œuvre ou quelle autre approche développer pour concilier un développement consenti, une garantie de sécurité et une viabilité économique ? Enfin, cette approche est-elle adaptée au domaine des nanotechnologies où, plus encore qu’ailleurs, les découvertes scientifiques se nourrissent de la complexité et de l’imprévu ?

La réponse à ces questions n’est pas réglée et renvoie aux propositions de gouvernance du chapitre 6 . En effet, la nature systémique des effets induits par les nanotechnologies doit d’abord être reconnue, ainsi que l’efficacité d’une gouvernance réflexive, qui s’engage à produire de l’action en prenant en considération les recommandations issues des parties prenantes aux dialogues.

Il apparaît par ailleurs essentiel que tous les acteurs concernés s’engagent pleinement : un sens de la responsabilité accrue de la part des chercheurs (à travers les publications, ne pas omettre d’alerter sur les risques potentiels), une responsabilité plus assumée des entreprises (protéger les travailleurs, s’impliquer dans les études de toxicité et de dommages de leurs produits et informer de manière transparente les consommateurs et le public en général) et une implication plus active des consommateurs (s’informer sur les produits et comprendre ce qu’ils contiennent pour ne pas juger que sur le prix) et des pouvoirs publics (soutenir et encourager la recherche sur les effets et les risques, exiger une information claire sur la composition des produits, adapter la réglementation…).