Documents du débat

Le dossier du maître d'ouvrage

Le dossier du maître d’ouvrage aborde les grands champs du sujet qui structurent le débat.

Dossier du Maître d'ouvrage - Partie 4

Le maître d'ouvrage

Des considérations éthiques incontournables

Les nanotechnologies ouvrent un continent immense pour lequel l’homme va devoir déterminer des normes s’il veut leur donner sens et finalité. Il lui faudra mobiliser beaucoup de volonté et de conscience pour déterminer, non pas ce qu’il peut faire, mais bien ce qu’il doit faire. Des exigences éthiques fortement défendues seront nécessaires pour contenir le rythme et les dérives possibles des nanotechnologies.

La possibilité d’une réflexion éthique à l’échelle internationale ?

L’augmentation rapide du nombre de publications scientifiques, de dépôts de brevets et d’applications rend chaque jour plus actuelle la nécessité d’un dialogue sur le bien-fondé de certaines innovations intégrant des nanotechnologies.

Face à ce défi, doit être soulevée la question de la mise en place, aux plans européen et international, de méthodes d’évaluation multicritères qui permettent aux représentations nationales comme à la société civile et aux consommateurs de se faire une idée de ce qui est souhaitable et de ce qui est contraire au bien commun.

Améliorer le dialogue science - société

Au chapitre « Prendre en compte les aspects sociétaux » de son avis de 2006, le Comité de la prévention et de la précaution (CPP) exprime ainsi son interrogation sur le risque de perception par l’opinion : « La question éthique (...) n’étant à l’heure actuelle pas ou mal posée, la conséquence immédiate en est le risque de décalage fort et, à court terme, des perceptions des opinions publiques dans l’Union européenne et dans le reste du monde, avec des effets très incertains sur la poursuite de l’appui public aux développements scientifiques et technologiques en ce domaine. »

Comme l’y invite par ailleurs une recommandation sur un code de bonne conduite adoptée par la Commission européenne le 2 février 2008, il incite les organismes de recherche à développer des programmes sur les implications sociales et éthiques des nanotechnologies et de sensibiliser les chercheurs et personnels de laboratoire aux enjeux sociaux et éthiques en soutenant notamment les initiatives de dialogue entre chercheurs et acteurs de la société civile (directement et via les organisations syndicales, les organismes représentatifs, les associations…).

Les impacts de la nanotechnologie, et de ses productions, sont de cinq types : impacts sur les relations de domination (impacts de pouvoir), impacts sur le rapport à la nature (impacts ontologiques), impacts sur le rapport à la connaissance (impacts épistémiques), impacts sur la possibilité même de l’éthique (impacts éthiques) et impacts sur les catégories (impacts métaphysiques).

L’éthique et la nanotechnologie à l’Unesco

La Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) de l’Unesco a consacré une partie de ses travaux de 2003 à 2006 à la question des nanotechnologies. En décembre 2006 à Dakar, ses travaux ont débouché sur l’adoption d’une série de recommandations pour l’action. La COMEST y souligne 7 chantiers majeurs en matière d’éthique :

* élaborer à l’échelle internationale une série de principes éthiques pour guider le développement des nanotechnologies ;
* renforcer la transparence des processus de décision en matière de nanotechnologies ;
* favoriser l’acquisition de compétences en matière d’éthique des nanotechnologies à tous les niveaux (grand public, équipes de recherche, décideurs publics) ;
* renforcer la participation du public aux choix scientifiques et techniques en matière de nanotechnologies ;
* favoriser la prise en compte des enjeux éthiques dans la presse ;
* améliorer la coopération internationale sur ce sujet, notamment en veillant à une bonne articulation entre les différentes organisations internationales impliquées (OCDE, ISO, etc.) ;
* établir au sein de l’Unesco une Commission internationale sur les nanotechnologies et l’éthique.
Aux États-Unis, une veille non gouvernementale

Aux États-Unis, plusieurs organisations non gouvernementales et centres de recherche se sont saisis de la question des nanotechnologies et des enjeux éthiques qu’elles soulèvent.

On peut citer notamment le Center for Responsible Nanotechnology qui a publié de nombreux articles et comptes-rendus de colloques sur son site internet.

The nanoethics group est une organisation non partisane basée à l’université de California Polytechnic State University, qui se consacre à l’étude et la mise en débat des conséquences éthiques et sociales du développement des nanotechnologies. Ce groupe a notamment produit un important ouvrage collectif intitulé Nanotechnology and society qui aborde l’ensemble des aspects du sujet (risques sanitaires et environnementaux mais aussi protection des libertés ou enjeux éthiques de la nanomédecine).

Enfin, le Woodrow Wilson Institute, qui est un centre de recherche et d’expertise en appui aux politiques publiques, consacre depuis 2005 l’un de ses programmes aux nanotechnologies. Dans ce cadre, les questions éthiques ont été largement abordées dans diverses manifestations et publications. 

 

EXPLICATION
Les conflits d’intérêt liés aux nanotechnologies
(selon Françoise Roure, conseil général des technologies de l’information)
- Nanotechnologies au service du contrôle politique vs. nanotechnologies au service de la guerre économique.
- Les technologies convergentes au service
de l’augmentation des performances vs.
la question éthique dans un environnement dans lequel toutes les entreprises d’un marché donné doivent suivre les même règles,
et sont soumises à une concurrence mondiale « level playing field ».
- Partage impossible d’informations
(secret industriel) vs. question du niveau d’incertitude sur les risques.

 

 

Les nanotechnologies : un enjeu mondial ?

Un regard sur l’histoire montre que les évolutions technologiques qui ont un fort impact sur l’environnement, la société et la personne finissent par être traitées jusqu’à une échelle supranationale. C’est en particulier le cas lorsque seule la puissance publique peut assumer, en dernier ressort, la responsabilité de protection des consommateurs et des citoyens et que, pris dans un monde d’échanges, elle ne peut pas le faire sur son seul territoire national sous peine de mettre en difficulté les acteurs industriels et l’emploi sur son territoire.

Le processus d’Alexandria

C’est par la voie diplomatique qu’a été élaborée une norme de gouvernance au plan international dans le domaine du changement climatique (Kyoto et post-Kyoto). Le processus a pris plusieurs décennies. Pour les nanotechnologies, cette voie diplomatique n’a pas encore été engagée. La reconnaissance d’intérêts différents, voire divergents, date du début des années 2000. La question normative a été posée indirectement par les États-Unis qui souhaitaient éviter absolument la création de barrières non tarifaires, comme celles qui ont été érigées en Europe pour les OGM sous la pression de l’opinion publique.

C’est sur invitation de la Fondation nationale pour la science américaine (NSF) qu’un premier dialogue international responsable autour des nanotechnologies et des technologies convergentes s’est ébauché, en 2004, à Alexandria (Virginie). Ce dialogue s’est poursuivi depuis à deux reprises, à Tokyo en juin 2006, puis sur invitation de la Commission européenne en mars 2008, avec la participation de 49 pays.

Qu’a apporté le processus d’Alexandria à ce stade ?

Le dialogue mené par le processus d’Alexandria est informel, aucun texte autre que des conclusions et un compte-rendu n’ayant été validé par la voie diplomatique. Néanmoins, il constitue le seul espace intergouvernemental au sein duquel tous les pays et les organisations non gouvernementales qui le souhaitent, peuvent participer pour s’exprimer.

Il a fallu un échec en 2005 - suite au refus des États-Unis de soutenir une proposition européenne en faveur d’un code de conduite - et la perspective inenvisageable que les États-Unis soient laissés en marge d’un tel processus pour que naisse une dynamique au sein de l’OCDE.

Elle a pris la forme, en avril 2007, du groupe de travail sur les nanotechnologies (GTN). Son objet est de contribuer à leur développement responsable et maîtrisé. Dans le cadre du comité chimie de l’OCDE, s’est créé aussi le groupe de travail sur la sécurité des nanomatériaux manufacturés (GTNM). La Commission européenne, l’Iso, des représentants du secteur industriel et d’ONG présents en tant qu’observateurs, participent activement aux travaux.

Les deux groupes GTN et GTMN ont joint leurs efforts dans un exercice conjoint en juillet 2009, afin passer en revue les nanotechnologies et nanomatériaux susceptibles de contribuer à un développement sûr et durable (notamment an matière de dépollution et limitation des sources de contamination).

S’il existe un intérêt pour les problématiques soulevées par les nanotechnologies dans d’autres institutions spécialisées des Nations unies, l’ONU n’a cependant pas encore reconnu officiellement la nécessité d’un agenda harmonisé et synchronisé impliquant en particulier le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est pourtant en confiant un mandat à ces deux entités que des engagements internationaux ont pu être pris dans le processus de Kyoto.

Une impulsion européenne en voie de s’affirmer

Dès 2004, à l’issue d’un travail associant des représentants des disciplines scientifiques et des humanités, le philosophe A. Nordmann a publié un rapport qui affirmait la position européenne relativement à la convergence des technologies, différente dans les finalités et les valeurs de la convergence NBIC généralement défendue sur le territoire américain (Cf. Les promesses de la convergence en 2002).

Par ailleurs, cinq ans après, le 24 avril 2009, une étape importante a été franchie : le Parlement européen a voté un texte sur la base du rapport rédigé par le député suédois Carl Schlyter.

Cette résolution a été adoptée alors que la Commission prépare les principaux axes de son plan d’action stratégique 2010-2014. Elle devrait y confirmer son engagement à prendre des initiatives internationales afin de présenter un modèle sûr et sociétalement accepté de développement des nanosciences et des nanotechnologies.

 

    Si elle est indispensable pour parvenir à définir des  méthodes d’évaluation multicritères qui permettent à tous de se faire une idée de ce qui est souhaitable et de ce qui est contraire au bien commun, la coordination aux plans européen et international ne va pourtant pas de soi. Avec le processus d’Alexandria, un dialogue informel est engagé. Il constitue le seul espace intergouvernemental au sein duquel tous les pays et les organisations non gouvernementales qui le souhaitent, peuvent participer pour s’exprimer. Reste à ouvrir la voie diplomatique, la seule susceptible d’aboutir à une norme de gouvernance au plan international, comme c’est le cas dans le domaine du changement climatique. 
 En avril 2009, le Parlement européen a voté un texte qui déplore l’absence d’évaluation spécifique des nanoparticules dans L’Union européenne et regrette que le débat actuel sur les aspects réglementaires les concernant soit circonscrit aux milieux d’experts.

 

 

 

 

EXPLICATION
Les premiers travaux menés par le groupe de travail sur les nanotechnologies (GTN) mis en place par le comité pour la politique scientifique et technologique (CPST) de l’OCDE portent sur :
* la mesure statistique des nanotechnologies ;
* leurs problématiques spécifiques pour la production industrielle et les échanges commerciaux ;
* les espaces de coopération pour la recherche scientifique en nanosciences et nanotechnologies ;
* le dialogue avec la société civile, ses finalités, ses modalités, ses résultats ;
* une revue des politiques publiques mises en œuvre dans les pays participant au GTN ;
* un thème transversal visant à exprimer les bénéfices de certaines nanotechnologies pour le plus grand nombre, avec, comme point focal en 2008, le traitement de l’eau.
  EXPLICATION
Les travaux menés par le groupe de travail sur les nanomatériaux manufacturés (GTNM) portent sur :
le développement d’une base de données sur la recherche en matière de sécurité pour la santé et l’environnement ;
* les stratégies de recherche sur les nanomatériaux manufacturés ;
* les tests de sécurité sur un échantillon représentatif de nanomatériaux manufacturés ;
* les nanomatériaux manufacturés et les lignes directrices ;
* la coopération sur les dispositifs volontaires et programmes réglementaires ;
* la coopération sur l’évaluation des risques ;
* le rôle des méthodes alternatives en nanotoxicologie ;
* les mesures d’exposition et d’atténuation.

 

Ce que demandent les députés européens (avril 2009)

Le Parlement européen demande à ce que les consommateurs soient informés sur l’utilisation des nanoparticules dans les produits de consommation : tous les produits nanostructurés ou contenant des nanoparticules devraient ainsi être dotés d’un étiquetage clairement identifiable (par exemple en indiquant la mention nano entre parenthèses dans la liste des ingrédients à côté des substances concernées, ce qui sera bientôt obligatoire pour les cosmétiques).

Le rapport demande une éventuelle modification du règlement REACH sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation et la restriction des substances chimiques qui viserait à :

* la simplification de l’enregistrement des nanoparticules fabriquées ou importées en quantité inférieure à une tonne ;
* le classement de toutes les nanoparticules comme « substances nouvelles » ;
* l’obligation d’évaluer la toxicité des nanoparticules enregistrées notamment au regard de données d’exposition.

Les eurodéputés demandent également à la Commission européenne d’évaluer la nécessité de revoir la législation concernant la protection des travailleurs, ainsi que le développement de normes métrologiques et de protocoles d’analyse adaptés à l’évaluation du niveau de risque et d’exposition pour les travailleurs et pour l’environnement, comprenant la possibilité de diffusions accidentelles, et sur une base multidisciplinaire.

Nord-Sud : une fracture technologique encore plus marquée

Les nanotechnologies ne risquent-elles pas d’accentuer ou du moins de maintenir la fracture Nord/Sud ? Elles posent en effet les difficultés suivantes : accès à la propriété intellectuelle via le paiement de royalties, accès à la connaissance via des réseaux de recherches dont les pays du Sud sont actuellement largement absents, pénurie de centres de recherche et d’installations de pointe, conditions de transfert des nanotechnologies liées à la dépollution, au traitement des eaux ou encore à la production et au stockage de l’énergie, accès au diagnostic et aux soins en matière de santé et aux semences et pesticides nanostructurés pour l’agriculture… À cela s’ajoute la grande difficulté d’association aux travaux de normalisation nationale et internationale.

Enfin, d’autres questions d’ordre social et éthique sont soulevées par la société civile. La substitution de matériaux synthétiques aux matériaux naturels ne va-t-elle pas fragiliser l’économie des pays du sud qui vivent de l’extraction ? La course à l’innovation technologique pour séduire des consommateurs au nord, ne se fait-elle pas au détriment de la recherche sur des problèmes sanitaires fondamentaux que rencontrent les populations du sud (paludisme, sida, famine, etc.) ?

Pour contribuer à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), les nanotechnologies ne devraient-elles pas faire émerger un nouveau mode de gouvernance qui permette la rémunération des concepteurs et la dissémination mondiale des solutions, dépassant le conflit historique entre propriété intellectuelle et innovation ouverte et responsable ?

   

EXPLICATION
Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD)
Il s’agit d’un vaste programme, en huit objectifs, visant à éradiquer la pauvreté dans le monde d’ici 2015. Ces objectifs ont été adoptés par l’assemblée générale des Nations unies lors du sommet du millénaire en septembre 2000. Ils sont depuis l’objet d’un plan d’action global. En septembre 2008, le secrétaire général des Nations unies et le président de l’assemblée générale ont convoqué une réunion de haut niveau sur la réalisation des OMD.

 

 

 

Un développement responsable des nanotechnologies nécessite-t-il une gouvernance mondiale ?