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Documents du débat
Le dossier du maître d'ouvrage
Le dossier du maître d’ouvrage aborde les grands champs du sujet qui structurent le débat.
Dossier du Maître d'ouvrage - Partie 5
Le maître d'ouvrage
Pour un développement maîtrisé des nanotechnologies
L’État a souhaité qu’un débat public portant sur les options générales de développement et de régulation des nanotechnologies soit conduit en France, mettant ainsi en œuvre l’engagement pris par le Grenelle de l’Environnement. Des dispositions en termes de règlementation, normalisation, information et gouvernance sont déjà mises en place et des travaux sont en cours, au niveau national ou dans des cadres de coopération européenne ou internationale. Ils pourront être complétés en réponse aux enjeux et questions posées par les nanotechnologies. Le débat public permettra d’éclairer ces orientations.
En tant qu’innovation majeure, les nanotechnologies placent donc les décideurs et les citoyens devant leur dualité : les bénéfices et les craintes, tous deux réels, possibles ou imaginaires. En effet, d’un côté les nanotechnologies sont porteuses de promesses pour de nombreux secteurs et domaines - médecine, informatique, mécanique, optimisation de l’utilisation des ressources, génération de nouvelles énergies… ; de l’autre, elles soulèvent des interrogations quant à leurs effets sur la santé et l’environnement, l’usage des nouvelles possibilités qu’elles peuvent offrir, que ce soit dans les domaines de la biologie ou de la transmission et du stockage des informations. À cela s’ajoute une compétition internationale déjà très forte pour développer un domaine considéré, pour les années à venir, comme un levier de création de valeur et d’emploi important.
Les méthodes et les moyens actuellement utilisés pour identifier les propriétés des substances potentiellement dangereuses sont insuffisants et ne permettent pas encore de caractériser celles, spécifiques, des particules à l’échelle nanométrique ni d’obtenir des données conclusives sur les risques. Néanmoins, en l’attente d’une meilleure détermination de ces derniers, le législateur se doit de considérer tant les impératifs de précaution que le développement économique et d’encourager la connaissance, l’expertise et l’information.
En parallèle, il apparaît indispensable que des réflexions et des actions soient menées dans le cadre de la coopération internationale qui s’amorce.
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Dans le cadre du 7e PCRD, une plate-forme de dialogue
a été élaborée et un processus d’échanges engagé : Framing Nano. Ils
ont pour objet de faire le recensement des dispositions de gouvernance
et de leurs lacunes en matière de nanosciences et de nanotechnologies,
au sein de l’Union européenne et chez ses principaux partenaires, et
d’émettre des propositions.
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L’essor rapide des recherches et des développements dans le domaine des nanotechnologies appelle la mise en place, aux plans national, européen et international, de moyens pour mieux caractériser et évaluer les nano-objets et encadrer leur mise en œuvre. Il convient aussi, dans le même temps, de favoriser des modalités d’échange et d’interaction entre les citoyens, les scientifiques, les politiques, les opérateurs, de mener une réflexion démocratique sur les choix industriels de mise sur le marché, de nourrir les processus décisionnels et de faire évoluer ces choix et les nouveaux textes et normes au fur et à mesure de l’avancée des connaissances.
Le débat public mené en France actuellement constitue l’une des premières étapes gouvernementales d’une telle démarche. Les études publiées par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et le Conseil économique et social constituent les premières étapes institutionnelles d’une telle démarche que le débat public poursuit et amplifie.
Rappels sur la gouvernance et le principe de précaution
La gouvernance se définit (Journal officiel n° 0094 du 22 avril 2009, page 6949, texte 83) comme la « manière de concevoir et d’exercer l’autorité à la tête d’une entreprise, d’une organisation, d’un État. ». « La gouvernance s’apprécie non seulement en tenant compte du degré d’organisation et d’efficience, mais aussi et surtout d’après des critères tels que la transparence, la participation, et le partage des responsabilités. »
Si cette notion de gouvernance fait encore l’objet de nombreux débats de par le monde, elle évoque néanmoins, pour la présente problématique, la volonté d’une interaction entre l’État et la société, un effort d’information qui permette la compréhension des enjeux par tous, une implication des différents acteurs, une prise de décision préalablement éclairée et la mise en place de modes de régulation.
Concernant les nanotechnologies, une convergence de circonstances
milite en faveur d’une telle démarche. Certains de leurs promoteurs
tiennent un discours emphatique autour de la promesse d’un monde
meilleur. D’autres avancent le risque pour l’Europe de ne pas se hisser
au rang des économies fondées sur la connaissance de ces technologies
et pour les pays en retrait de porter potentiellement atteinte à leur
indépendance, à leurs intérêts vitaux et à leur souveraineté nationale,
dans un contexte de guerre économique exacerbée. Il en résulte une
logique de l’urgence qui peut donner le sentiment qu’il n’y a pas de
possibilité de choix et que la seule alternative est d’être ou non dans
la course. |
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EXPLICATION : Les promesses de la convergence en 2002
Le rapport controversé Converging Technologies for Improving Human
Performances que Mihail Roco et William Bainbridge ont remis en 2002 à
la National Science Foundation qui a lancé le programme du même nom,
attribue à la convergence NBIC « la capacité d’unifier les sciences et
les techniques, d’assurer le bien-être matériel et spirituel universel,
l’interaction pacifique et mutuellement profitable entre les humains et
les machines intelligentes, la disparition complète des obstacles à la
communication généralisée, l’accès à des sources d’énergie inépuisables
ou encore la fin des soucis liés à la dégradation de l’environnement. »
Inversement en Europe, le rapport Nordmann (2004) prône une approche
humaniste des nanotechnologies au service de l’homme.
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Les industriels et les chercheurs oscillent entre la promotion de
propriétés inédites, à mettre notamment au service d’une meilleure
gestion de l’environnement, et une introduction banalisée, voire
imperceptible, argumentée par le fait que les applications des
nanotechnologies ne sont pas révolutionnaires puisque, pour certaines,
elles font déjà partie de notre quotidien et ne représentent que des
évolutions de produits existants. À cela s’ajoute l’impossibilité
croissante de considérer les risques technologiques, sanitaires et
environnementaux, de manière compartimentée, alors même que les
applications deviennent multiples, en interrelation, et globales.
Enfin, comme nous l’avons vu au chapitre 5
, la sensibilité du public à ces risques s’accroît au point de susciter
une interrogation sur l’utilité sociale de certaines applications et
sur de possibles solutions alternatives.
Dans ce contexte, la gouvernance consisterait à mettre la science et la
technologie en démocratie, à créer les conditions d’un questionnement
permanent et, peut-être, à redéfinir le rôle des autorités publiques.
CITATION
« La rapidité avec laquelle les innovations contemporaines se
succèdent ne laisse aucun répit, d’où une désorientation sociale et
psychologique sans précédent dans l’histoire. » Bernard Stiegler dans
son ouvrage La Technique et le temps ? La désorientation (1996).
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Débattre et décider : la nécessité d’une bonne gouvernance, moyen d’assurer l’organisation, la compréhension, la participation de tous.
La participation des citoyens en Europe : la convention d’Aarhus
L’obligation d’informer en permanence et de manière transparente la population et d’assurer la concertation et le débat est inscrite dans le droit européen depuis 1998. Négociée dans le cadre de la commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-NU), la convention relative à l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement a été signée le 25 juin 1998 à Aarhus (Danemark).
Cette convention, signée par 40 des 55 pays de la CEE-NU, a été ratifiée par la France en 2002. Complétant la transposition dans le droit français en 2005 (articles L124-1 et suivants du code de l’environnement) de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, le décret du 22 mai 2006 relatif à l’information et à la participation du public en matière d’environnement a introduit dans la partie réglementaire du code de l’environnement les dispositions permettant l’application de la convention en France.
Elle comporte trois volets :
* le droit d’accès à l’information dans le domaine de l’environnement (articles 4 et 5) : il s’agit de développer l’accès à l’information détenue par les autorités publiques. La convention prévoit des droits et obligations précis, notamment concernant les délais de transmission et les motifs dont disposent les autorités publiques pour refuser l’accès à certains types d’information ;
* la participation du public au processus décisionnel dans le domaine de l’environnement (articles 6, 7 et 8) : il s’agit de favoriser la participation du public à la prise de décisions. Le résultat de cette participation doit être dûment pris en considération dans la décision finale d’autorisation de l’activité. Les délais de procédure doivent permettre une véritable concertation du public ;
* l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement (article 9) : le public peut saisir la justice, dans le cadre de la législation nationale, lorsqu’il se juge lésé dans ses droits en matière d’accès à l’information. Il peut également le faire en cas de violation de la procédure de participation prévue par la convention.
Dans cette perspective, le débat public sur les nanotechnologies illustre bien la volonté générale de l’État français de respecter la convention d’Aarhus puisqu’il suppose la concertation précoce de l’État avec la population en amont de la prise de décision et la production d’information de qualité à disposition de toute personne intéressée.
EXPLICATION
Convention d’Aarhus ; pour quelles décisions la participation du public est-elle prévue ?
* l’autorisation d’activités qui peuvent avoir une incidence importante sur l’environnement ;
* l’élaboration des plans, programmes et politiques relatifs à l’environnement ;
* la participation à l’élaboration de normes contraignantes dont l’effet sur l’environnement peut être important.
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EXPLICATION
Convention d’Aarhus : de quels éléments doit disposer le public ?
Dès le début du processus décisionnel, le public doit être informé sur les éléments suivants :
* le sujet sur lequel la décision doit être prise ;
* la nature de la décision à adopter ;
* l’autorité en charge ;
* la procédure envisagée, y compris les détails pratiques de la procédure de consultation ;
* la procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement (si elle est prévue).
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EXPLICATION
Convention d’Aarhus : quand une autorité publique peut-elle refuser un accès à l’information dans le domaine de l’environnement ?
Le refus est admis dans trois cas :
* si l’autorité publique n’est pas en possession de l’information demandée ;
* si la question est manifestement abusive ou formulée de manière trop générale ;
* si la demande porte sur des documents en cours d’élaboration.
Une demande peut être rejetée également pour d’autres raisons :
délibérations des autorités publiques, confidentialité liée à la
défense nationale, la sécurité publique ou la bonne marche de la
justice, secret commercial et industriel…
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La loi Grenelle 1 intégrant les principes de la convention d’Aarhus
Extrait de l’article 52 de la loi de programmation relative à la mise
en œuvre du Grenelle de l’environnement, loi dite Grenelle 1,
« L’État développera la production, la collecte et la mise à jour
d’informations sur l’environnement et les organisera de façon à en
garantir l’accès. Il mobilisera ses services et ses établissements
publics pour créer un portail aidant l’internaute à accéder aux
informations environnementales détenues par les autorités publiques ou
à participer, le cas échéant, à l’élaboration de décisions publiques
ayant une incidence sur l’environnement.
Les procédures d’enquête publique seront modifiées afin de les
simplifier, de les regrouper, d’harmoniser leurs règles et d’améliorer
le dispositif de participation du public. Le recours à une enquête
unique ou conjointe sera favorisé en cas de pluralité de maîtres
d’ouvrage ou de réglementations distinctes.
La procédure du débat public sera rénovée afin de mieux prendre en compte l’impact des projets sur l’environnement.
L’expertise publique en matière d’environnement et de développement
durable et l’alerte environnementale seront réorganisées dans un cadre
national multidisciplinaire et pluraliste, associant toutes les parties
prenantes concernées.
La possibilité de saisir certaines agences d’expertise, dont
bénéficient les associations agréées, sera élargie à d’autres agences
et étendue à d’autres acteurs et organismes. »
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La valeur constitutionnelle du principe de précaution
Rechercher puis évaluer des risques sanitaires ou environnementaux se heurte souvent à des incertitudes invitant à la précaution, ce qui n’est pas toujours aisé dans le contexte de compétitivité mondiale exacerbée actuelle… C’est dans ce cadre qu’intervient la mise en œuvre du principe de précaution.
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Le code de l’environnement, un dispositif d’encadrement éclairé,
respectueux de l’homme et de l’environnement, intégrant les évolutions.
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En France, le principe de précaution est inscrit dans l’article 5 de la
charte de l’environnement, adossée depuis 2005 à la Constitution. Il
figure aussi à l’article L 110-1 du code de l’environnement. Il
constitue avant tout un principe d’action et un outil décisif pour une
bonne gestion des risques environnementaux et sanitaires. Il conduit à
ne pas nier le risque au prétexte que celui-ci n’est pas certain, et
amène au contraire à se donner les moyens de connaître, en amont, les
éventuels dommages pour mieux les prévenir. |
RAPPEL: Extrait de la charte de l’environnement
« Article 5. - Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine
en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière
grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques
veillent, par application du principe de précaution et dans leurs
domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation
des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées
afin de parer à la réalisation du dommage. »
Les fondamentaux du principe de précaution :
* ne pas interdire, mais mener recherches et études ;
* évaluer les impacts des innovations et promouvoir leur développement responsable ;
* effectuer une veille permanente et adapter les réglementations aux nouvelles données et nouveaux résultats d’études ;
* être en situation de réversibilité.
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Avant de développer un nouveau produit, le principe de précaution invite ainsi à en encadrer l’évaluation des risques de façon précoce. Il oblige à en évaluer sérieusement les origines possibles et, à ce titre, à renforcer les dispositifs d’expertise, de vigilance et de veille qui permettent de recueillir, d’analyser et de prendre en compte les signaux d’alerte.
Si les vertus du principe de précaution ne font aucun doute, il ne doit pas être utilisé de manière abusive, par exemple à des fins politiques. C’est pourquoi il ne peut être déclenché qu’à certaines conditions de fond et de forme. D’abord, toute mesure de précaution doit être proportionnée au risque redouté. Cela signifie que les moyens choisis doivent être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique et/ou de l’environnement. Ensuite, quelle que soit sa forme, la mesure de précaution choisie doit être révisable et soumise à un réexamen périodique au regard des nouvelles données
scientifiques acquises.
Un principe qui invite à redoubler l’effort de recherche
Pour certains, le principe de précaution aboutirait en pratique à
bloquer l’initiative économique et toute innovation scientifique et
technologique, pour finalement coûter très cher à la collectivité. En
effet, parce qu’il exige de prendre des mesures dans l’incertitude
scientifique, il conduirait l’autorité publique à rompre avec toute
démarche scientifique rationnelle et à adopter des décisions sans autre
justification que politique. Surtout, ses effets seraient d’autant plus
désastreux qu’il traduirait une volonté de supprimer tout risque. Le
risque zéro devenant le seul objectif acceptable, aucune activité ne
pourrait plus être entreprise, aucun produit commercialisé sans que
l’entrepreneur ou le producteur n’en établisse la sécurité absolue par
la preuve scientifique.
Pourtant, loin de limiter les applications de la science, le principe
de précaution vise à redoubler l’effort de recherche. Il ne saurait en
effet y avoir d’identification ni de prise en compte précoce du risque
sans procédures permettant de mobiliser et d’acquérir des connaissances
scientifiques permettant de le valider et de le limiter.
De même, pas plus qu’il ne s’oppose à la recherche, il ne constitue un
obstacle à l’innovation technologique. Lorsqu’il est appliqué à une
technologie nouvelle dont on peut redouter, au-delà des effets
souhaités, les incidences sur l’environnement ou la santé, il peut
certes, dans certains cas, ralentir la mise sur le marché mais sans
pour autant la bloquer, ce frein n’étant que temporaire et proportionné
au risque identifié.
Par ailleurs, les risques ne sont pas hypothétiques au sens de dénués
de fondement scientifique. Au contraire, le principe de précaution ne
peut s’appliquer qu’à la condition que les hypothèses scientifiques
soient suffisantes. Des critères de définition du seuil de
déclenchement existent : la consistance des éléments scientifiques
disponibles, la gravité du dommage écologique ou sanitaire encouru, le
suivi d’une évaluation du rapport coût/bénéfice dans une démarche de
décision proportionnée, enfin la faisabilité du programme de recherche
indissociable de la mise en œuvre du principe. |
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