Avis n°415
Acceptabilité sanitaire et sociale des éoliennes terrestres
le ,Peut-on renforcer l'acceptabilité sanitaire et sociale des parcs éoliens terrestres ?
Les pays occidentaux se sont donnés des objectifs ambitieux en termes de diversification énergétique pour faire face 1/ à l'épuisement des ressources fossiles et 2/ au risque accru de dérèglements climatiques.
Ces deux risques ne sont pas réductibles à court ou moyen terme, mais seulement à long terme et selon des moyens qui ne sont peut-être pas encore tous au point. Si l'éolien terrestre représente une solution, celle-ci ne peut suffire à elle seule à régler le sujet. Pourtant, on assiste aujourd'hui dans notre pays à une prolifération anarchique d'éoliennes et les circonstances de fait ou de droit de ce phénomène ont un impact fort sur son acceptabilité sociale.
On recherchera donc les conclusions à en tirer par un examen systématique des améliorations à attendre en matière de :
- Nuisances visuelles et sonores,
- D'impacts immobiliers et financiers
- Et de processus décisionnel des Projets d'implantation,
car ces aspects sont dans la réalité très étroitement corrélés.
1/ les impacts sanitaires des éoliennes terrestres sur la population riveraine :
Ces impacts ont notamment été détaillés dans deux rapports nuancés et circonstanciés de l'Académie de médecine, le dernier datant de Mai 2017 et concluant à l'existence d'un « syndrome des éoliennes ».
Les principaux Constats et Recommandations de ce dernier rapport sont repris dans l'Annexe jointe.
Je souhaiterais savoir quelles suites il est prévu de donner (ou de ne pas donner) aux recommandations de ce rapport, et notamment :
- A la recommandation de lier la distance réglementaire à la hauteur de l'éolienne « en bout de pale » (cf Annexe, § 3.3) ;
- A la suggestion de revenir à la norme acoustique antérieure, de préférence à la norme dérogatoire actuellement applicable (cf Annexe, § 3.2) ;
- A la systématisation des contrôles de conformité acoustique par un organisme indépendant, à la publication des résultats et à la possibilité de mettre à l'arrêt la ou les éoliennes dont la présence aboutit au dépassement des seuils autorisés (cf Annexe, § 3.1) ;
- A la mise en œuvre d'une étude épidémiologique prospective (cf Annexe, §3.4).
Par ailleurs, sur chacun de ces points, je souhaiterais savoir ce qui se pratique à l'étranger, et au moins, dans chacun des pays limitrophes de l'Hexagone.
2/ les impacts immobiliers et financiers sur les riverains :
2.1 / L'implantation d'éoliennes entraîne pour les habitations riveraines, dès le stade du Projet, un dommage patrimonial pour perte de valeur voire illiquidité du bien.
L'«impact sur la valeur vénale immobilière» a déjà été constaté par des décisions de justice.
Prenons l'exemple d'une maison située à proximité immédiate (1000 m environ) d'un (ou plusieurs) Parc d'éoliennes :
1) Dans le meilleur des cas, ce bien subirait une moins-value d'au moins 20% par rapport à la valeur qu'aurait ce bien sans l'existence de ce projet. Ainsi en a jugé la Cour d'Appel de Rennes, le 20 septembre 2007 (voir RG : 06/02355). Le juge d'Appel a confirmé la réduction du prix de 30000 euros accordée à l'acheteur par le premier juge sur un bien acquis à 145000 euros, proche d'éoliennes.
2) Dans le pire des cas, la vente pourrait simplement être annulée (voir l'arrêt de la Cour de Cassation du 29 juin 2017, 16-19337) au motif que l'acheteur « même à supposer qu'il ait été avisé du projet d'installation d'éoliennes, ne pouvait, antérieurement à leur construction anticiper l'existence de ce bruit continu, y compris à l'intérieur de l'habitation, alors que les éoliennes sont installées au-delà d'une distance de 1km de son bien ».
Le dommage patrimonial se manifestera, postérieurement à la mise en service du Parc, par un allongement du délai de revente exerçant une nouvelle pression à la baisse du prix (et ... retardant l'objectivation de la décote de valeur due aux éoliennes). Par ailleurs, dans les zones touristiques, cet effet sera encore accru par la perte d'attractivité des offres d'hébergement en site calme (type gite rural).
Or, il n'existe, actuellement, aucun engagement écrit de compensation financière en faveur des propriétaires en raison de la perte de valeur de leur habitation ayant vue sur les éoliennes, ni aucune prise en compte de la proximité immédiate des éoliennes dans la valeur locative ou cadastrale prise comme référence pour les impôts locaux.
2.2/ Les aspects purement financiers se caractérisent, de leur côté, par :
- Des ressources financières d'appoint pour le Syndicat de communes et la commune d'implantation ;
- Un effet d'aubaine pour les quelques propriétaires de parcelles bénéficiaires de baux emphytéotiques tant du moins qu'on sera en phase d'exploitation et pour autant que les structures porteuses du Projet provisionnent dans leurs comptes, année après année, le démantèlement partiel (partie visible des éoliennes à l'exception de sa base béton) ;
- En dépit d'un rendement 'physique' obéré par d'une part, l'inégale vitesse des vents (pas d'exploitation en dessous d'un seuil minimum de 2 m/s, ni au-delà de 5 ou 6 m/s en raison des éventuels bridages liés à la protection de l'avifaune et à l'atténuation nécessaire des nuisances sonores perceptibles dans les habitations situées à proximité),et, d'autre part, par une intermittence généralement forte (25% du temps),
le rendement financier net est préservé, pour le promoteur et l'exploitant (pour ce dernier, du moins tant que le tarif de rachat de l'électricité demeure garanti).
Nb : certains coûts « annexes » (p ex raccordement au Réseau électrique, nécessité de relayer la production électrique intermittente par des moyens adéquats...) ne sont aucunement pris en compte, ni même évalués, au stade de l'étude de Projet éolien.
L'examen des impacts immobiliers et financiers montre donc qu'il existe en réalité, du fait d'une réglementation particulièrement favorable, d'un côté des gagnants (promoteurs et exploitants), de l'autre des perdants (les riverains qui subissent aussi les nuisances évoquées au §1). Il n'est en revanche tiré aucune conséquence à l'heure actuelle à ce déséquilibre et aucun vrai bilan économique global pour la-les Collectivité(s) n'est effectué lors de l'étude des Projets (de plus, on ne peut présumer un bilan financier favorable pour les Collectivités notamment si ces dernières devaient assumer in fine le coût du démantèlement par suite de la défaillance de l'exploitant).
La question principale qui se pose à ce stade est donc : est-il prévu de tirer enfin les conséquences financières des préjudices immobiliers pour les riverains à proximité d'éoliennes (réduction de l'assiette des valeurs locative et dédommagement en capital) ?
Subsidiairement, dans l'analyse des bilans financiers des Projets, l'aspect destructeur de valeur et les coûts induits sont-ils évalués ?
3/ le processus décisionnel d'implantation :
L'étude aboutit à la réalisation en trois grandes phases :
1/ le Projet est suggéré par le Promoteur/Exploitant et approuvé par le Conseil municipal (pas de difficulté en revanche à trouver des propriétaires pour consentir les baux emphytéotiques) ; dans cette phase préalable, l'information du public n'est pas adéquate ;
2/ des études d'impact et environnementales sont réalisées ainsi que des relevés de vents à partir d'un mât unique et des simulations acoustiques sont effectuées sur base de relevés 'globaux' du bruit ambiant aux « divers points sensibles », c à d les zones d'habitations riveraines.
On note à ce sujet que :
- Les simulations acoustiques sont entièrement théoriques et ne permettent pas d'appréhension de l'impact sonore de chaque éolienne sur les zones sensibles de proximité ;
- Elles reposent non sur des observations sur sites existants analogues, mais sur les indications non vérifiées communiquées par les Constructeurs d'éoliennes.
3/ le Projet entre ensuite en phase de décision, après enquête publique consultative, l'avis et les contre-propositions des habitants pouvant être pris en considération à ce stade, étant précisé que les conclusions du Commissaire-Enquêteur ne lient pas le Préfet, seul décisionnaire.
Ce processus paraît améliorable à plusieurs égards :
A Absence de publicité obligatoire pour les acquéreurs d'habitation situées à proximité d'un Parc Eolien : Dès lors que la Commune est approchée, il serait souhaitable que tout éventuel futur acquéreur soit informé du Projet, du stade de l'étude et de la date prévisionnelle de mise en œuvre. Ce devrait être un élément obligatoire, une sorte de diagnostic public de l'éolien de proximité.
B absence de prise en compte des solutions alternatives : dès lors qu'un Projet est présenté, il est susceptible d'être mené à son terme sans que l'opportunité d'autres possibilités ne soit étudiée (p ex autres possibilités de parcs éoliens en zone entièrement rurale, et, quand il y a un intérêt à protéger certains sites fréquentés ou classés, absence totale de recherche des projets alternatifs possibles, type biomasse, photovoltaïque ou petit hydraulique, voire petits bassins de retenue aval et amont...).
C Absence de prise en compte du bilan économique d'ensemble et des nuisances induites :
Aucun bilan économique ne semble entrepris au moment de l'enquête publique pour intégrer les coûts de raccordement et les coûts annexes au réseau public d'électricité ni a fortiori les évaluations de pertes de valeur dues aux nuisances pour les riverains proches.
D Traitement des oppositions : Les Propriétaires riverains lésés n'ont quasiment aucune chance de se faire entendre face aux Exploitants, à la volonté des élus locaux, obnubilés par les retombées fiscales, et à celle du Préfet, qui a des consignes fortes. Or, les riverains de proximité (dont les habitations sont à moins de 1500 m d'une éolienne ou de dix fois la hauteur de l'éolienne en bout de pale) devraient pouvoir faire opposition à ces éoliennes.
E Insuffisance des mesures de contrôle acoustique et de leur publicité, d'autant plus importante que la norme actuelle autorise un bruit plus élevé du fait des éoliennes :
A la mise en œuvre, les essais propres à chaque zone de proximité devraient être faits en prévoyant, à côté du fonctionnement de l'ensemble du Parc, de tester l'arrêt de certaines éoliennes de façon à déterminer la sensibilité particulière de chaque zone de proximité à ces éoliennes (et, consécutivement, pouvoir entraîner un bridage partiel ou total des éoliennes critiques).
Le respect des normes acoustiques devrait également être contrôlable à la demande des riverains de proximité, au moins une fois par an, et les résultats devraient être rendus publics.
De semblables mesures sont-elles à l'étude pour remédier à un processus qui nuit gravement à l'acceptabilité sociale des Projets d'implantation de Parcs d'éoliennes ?
ANNEXE
EXTRAITS du rapport de l'Académie nationale de médecine « Nuisances sanitaires des éoliennes terrestres » 2017
(ci-après en italique – les soulignements ou surlignages sont de notre fait)
1/ action directe du bruit sur le sommeil
1.1 « toutes les données de la littérature concordent pour souligner l'effet très négatif du bruit sur le sommeil ; De fait, les troubles du sommeil représentent sans doute la doléance la plus constante des riverains. Ils sont d'ailleurs objectivés par les enregistrements somnographiques effectués par des cliniques du sommeil. Ces études concluent qu'à l'intérieur d'un périmètre de 1,5 km le bruit émis par les éoliennes perturberait la qualité du sommeil. »
1.2 En ce qui concerne l'habitation (hors éoliennes), le code de la Santé publique fixe le seuil à 35 dB à l'extérieur des habitations et à 25 dB à l'intérieur.
En revanche, en ce qui concerne le bruit des éoliennes, ces seuils sont fixés à des valeurs supérieures... « le seuil à partir duquel intervient une limitation de 5 dB* à un ajout sonore (bruits de voisinage, etc...) dépend du type d'émetteur du bruit, les éoliennes étant « favorisées » par rapport aux autres bruits ordinaires... »
• Le jour, vs 3 dB la nuit.
1.3 Le rapport ajoute par ailleurs l'inconvénient suivant, non corrélé à l'intensité du bruit, à savoir que « le bruit éolien se caractérise, dans ses manifestations gênantes par son caractère intermittent, aléatoire, envahissant du bruit généré par la rotation des pales, survenant lorsque le vent se lève, variant avec son intensité, interdisant toute habituation... ».
« Notons toutefois que les mesures (bridages constructeur obtenus par ajouts aérodynamiques ou en modification de l'orientation des pales...) n'agiraient pas sur le caractère irrégulier, aléatoire, du bruit généré même atténué. »
2/ les impacts visuels :
... (après avoir éliminé comme négligeables certains facteurs comme l'effet stroboscopique ou le rythme de clignotement) :
En revanche, la défiguration du paysage par des structures considérées comme inesthétiques voire franchement laides par les riverains plaignants doit être considéré́ comme relevant non d'un problème d'esthétique environnementale (le temps influera probablement sur nos critères de beauté́ architecturale) mais d'une réelle nuisance sanitaire. En effet, la « pollution visuelle » de l'environnement qu'occasionnent les fermes éoliennes avec pour corollaire la dépréciation immobilière des habitations proches génère des sentiments de contrariété́, d'irritation, de stress, de révolte avec toutes les conséquences psychosomatiques qui en résultent [32]. Et les impressionnantes perspectives de développement de l'éolien terrestre (l'installation d'environ 500 nouvelles éoliennes dont la hauteur devrait atteindre 200 mètres ou plus est prévue pour les 5 ans à venir !) ne pourront qu'amplifier des sentiments en voie d'être partagés par une proportion croissante de la population française.
Curieusement, cette nuisance visuelle ne semble pas ou très peu être prise en considération par les décisionnaires politiques ou les promoteurs et industriels concernés (étant posé qu'aucun d'entre eux n'installerait ou n'acquerrait une propriété́ à proximité́ d'un parc éolien !).
3/ les Conclusions et Recommandations de l'Académie de Médecine :
En résumé́, les nuisances sanitaires semblent avant tout d'ordre visuel (défiguration du paysage et ses conséquences psychosomatiques) et à un moindre degré́ sonore (caractère intermittent et aléatoire du bruit génèré par les éoliennes d'anciennes générations). Au plan médical, le syndrome des éoliennes réalise une entité́ complexe et subjective dans l'expression clinique de laquelle interviennent plusieurs facteurs. Certains relèvent de l'éolienne, d'autres des plaignants, d'autres encore du contexte social, financier, politique, communicationnel.
Recommandations :
3.1 « systématiser les contrôles de conformité acoustique dont la périodicité doit être précisée dans tous les arrêtés d'autorisation et non au cas par cas »
3.2 « revenir pour ce qui concerne leur bruit (et tout en laissant les éoliennes sous le régime des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement) au décret du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits du voisinage (relevant du code de la Santé publique et non de celui de l'Environnement), ramenant le seuil de déclenchement des mesures d'émergence à 30 dB A à l'extérieur des habitations et à 25 à l'intérieur » ;
3.3 « La nuisance visuelle ... étant en partie liée à la taille, il apparait logique de lier leur point d'implantation à leur hauteur, au travers d'études d'impact visuel appropriées et donc de déterminer la distance minimale d'implantation à la première habitation en fonction de la hauteur des nouvelles éoliennes afin de ne pas majorer leur impact visuel et ses conséquences psychiques et somatiques ».
3.4 « entreprendre, comme recommandé dans le précédent rapport (2006), une étude épidémiologique prospective sur les nuisances sanitaires ».