Avis n°530
Avis sur le débat public et le projet de PPE
le ,Soumettre la PPE à un débat public était une bonne initiative, mais je constate que ce débat est resté confidentiel. Dans le département de l'Ain, il n'y a quasiment pas eu d'article de presse sur ce débat dans les grands quotidiens et dans les journaux hebdomadaires (Voix de l'Ain, Journal du Bugey, …). De ce fait, la population n'a pas été informée et ne s'est pas mobilisée pour ce débat. Une seule réunion labélisée a par ailleurs été organisée par l'ALEC 01 à Montrevel en Bresse. Certes le fichier de cette agence locale de l'énergie a permis de réunir 102 personnes, mais le sujet était très limité, puisqu'il s'agissait de la présentation de la construction d'éoliennes, d'une installation de biogaz et de projets citoyens photovoltaïques. Le compte-‐rendu de cette réunion ne fait aucun état de mon intervention précisant que le gouvernement s'orientait vers une conservation de beaucoup de nucléaire, vers le développement des énergies renouvelables principalement pour exporter en Europe et de mon conseil pour le questionnaire de cocher la case pour le respect de la loi TECV à l'échéance 2025. Ce débat, qui n'a pas su mobiliser les populations, a, par contre été très investi par les travailleurs du nucléaire. En effet les entreprises de ce secteur (EDF, ORANO, …) ont appelé leurs employés à soutenir la filière nucléaire (et donc le report de l'échéance de 2025 à 2035 et plus). Chez ORANO, d'après des informations que j'ai eu, il ne s'agissait pas d'une simple information, mais plutôt d'une injonction avec menace sur l'emploi à la clé. La CNDP a sans doute manqué de moyen pour faire mieux connaître ce débat au public, mais la conséquence est un débat tronqué et monopolisé par une catégorie professionnelle au dépens du public.
Ce débat était par ailleurs très orienté par le gouvernement avec la limitation des discussions aux deux scénarios de RTE conservant le plus de réacteurs nucléaires (Volt et Ampère) et donc l'exclusion du scénario Watt. Sans le dire, il s'agissait d'une orientation très pro-‐nucléaire et d'une négation de la loi TECV.
Personnellement j'avais écrit à M. Hulot le 17 novembre, dès la sortie du rapport RTE et suite à l'annonce du report de l'échéance de 2025. Ce courrier est toujours sans réponse ce qui montre bien le peu d'intérêt que le Ministre porte aux citoyens. Dans ce courrier, je défendais le scénario Watt, mais ce n'est pas le choix du Ministre.
On nous impose donc deux scénarios qui, en 2035, auront encore respectivement 48 (Volt) et 41 (Ampère) vieux réacteurs en fonctionnement sur les 58 actuels. A cette échéance, avec des réacteurs très vieillissants (entre 50 et 60 ans), le parc électrique de la France se trouvent dans un mauvais état et le gouvernement ne dit rien sur ce qui va remplacer les vieux réacteurs. Mais il est quasi certain que dans notre pays, le gouvernement n'a aucun pouvoir en matière de production électrique et que c'est EDF et le lobby nucléaire qui tiennent la plume. Le PDG d'EDF ne se gène pas pour déclarer en plein débat public qu'il ne fermera aucun réacteur nucléaire d'ici 2028 (sauf Fessenheim lorsque l'EPR de Flamanville démarrera). Il souhaite aussi lancer rapidement la construction de nouveaux EPR et c'est là qu'on comprend le non dit de la PPE. Dès 2020, il sera prévu la construction de nombreux EPR pour des mises en service vers 2028 / 2030 avec en 2035 environ 29 EPR remplaçant les 48 vieux réacteurs pour le scénario Volt et 25 EPR pour les 41 vieux réacteurs du scénario Ampère.
Tout ceci me fait craindre que ce débat public n'était qu'une mascarade d'autant le projet de PPE sera établi avant même d'avoir le rapport du débat public et ses conclusions.
Depuis de nombreuses années notre pays n'a pas de politique énergétique. Pour la production électrique, les réacteurs nucléaires construit dans les années 75 à 90 ont vieilli et rien n'a été fait pour leur remplacement future, sachant qu'il aurait fallu lancer la construction de nouveaux réacteurs dès les années 2005 / 2010 pour remplacer les nombreux réacteurs qui vont arriver à 40 années de fonctionnement. Le remplacement aurait aussi pu être fait avec les énergies renouvelables, mais notre pays à plus fait du "greenwashing" que du développement pour ces énergies. Nous avons donc pris un énorme retard pour toutes les énergies renouvelables par rapport à la plupart de nos voisins européens et notre industrie en a souffert puisque les industriels de ce secteur n'ont pas bénéficiés d'un marché en France permettant leur développement et leur expansion vers l'exportation.
La loi TECV devait améliorer cette situation, mais la première PPE qui a éclipsé le nucléaire, n'a fait que continuer dans le faible développement des énergies renouvelables. Aujourd'hui, cette loi toute récente (août 2015) est remise en cause vis à vis du nucléaire et veut repousser les échéances. Pourtant, il y a incompatibilité entre nucléaire et énergies renouvelables, ces dernières ne pouvant être que développées faiblement en présence d'un important parc nucléaire. Les scénarios Volt et Ampère en sont l’illustration puisque pour respecter les objectifs de la loi TECV en matière d'électricité renouvelable, il faut exporter abondamment, du fait que le nucléaire ne permet que de lentes et faibles modulations (voir pas du tout pour les réacteurs dont les aciers sont fragilisés par des défauts de carbone et autre).
Le choix du gouvernement conduit notre pays dans une impasse énergétique qui aura pour conséquence à moyen terme une électricité nettement plus coûteuse que chez nos voisins européens, puisque les énergies renouvelables telles que l'éolien terrestre et le photovoltaïque au sol (moins de 60 €/MWh) sont déjà un peu moins coûteuses que l'électricité nucléaire des vieux réacteurs après "grand carénage" (55 à 70 €/MWh voir plus) et nettement moins que celle des nouveaux EPR (100 €/MWh et plus).
Par conséquent le choix le plus raisonnable pour notre pays est une sortie du nucléaire avec le scénario Watt qui ne prolonge aucun réacteur au delà de l'échéance de la 4ème visite décennale. Certes ce scénario demande un très fort développement des énergies renouvelables (mais dans les années 1980, sur 10 années, on a bien mis en service plus de 4 réacteurs nucléaires par an), mais il a l'avantage d'éviter les coûts du "grand carénage" et consacrant cet argent aux énergies renouvelables. Actuellement EDF qui est très endettée et au bord de la faillite, veut développer les énergies renouvelables et le stockage, grand caréner ses 58 vieux réacteurs et lancer un très important programme de construction d'EPR. Cette entreprise est la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf. Il serait bien qu'une analyse économique détaillée et indépendante soit rapidement conduite en parallèle au projet de PPE du gouvernement. Dans la pratique, EDF se trompe toujours très fortement sur les coûts (exemple EPR de Flamanville de 3,3 Md€ à 10,5 Md€ et déjà des dérives à Hinkley Point).
Le scénario Watt a aussi l'avantage qu'en 2035, la production électrique a été remplacée à plus de 85 % par des installations récentes constituées de quelques centrales gaz et d'une majorité d'installations d'énergies renouvelables. Nous avons une vision assez claire de la production électrique passé cette date de 2035 contrairement aux scénarios Volt et Ampère.
Ce débat public sur la PPE est resté focalisé sur la production électrique, alors que les émissions de gaz à effet de serre de notre pays ne sont que de 22 Mtéq CO2/an pour l'électricité et 441 Mtéq CO2/an pour le reste. La priorité est donc de faire baisser le reste et la PPE est bien vague à ce sujet. Il n'est pas fondamental de faire baisser les 22 Mtéq CO2/an de l'électricité et il est même tout à fait acceptable d'avoir 10 Mtéq CO2/an avec le scénario Watt si on divise par deux les 441 Mtéq CO2/an du reste.
Le questionnaire du débat montre bien cette focalisation et le manque de connaissance des rédacteurs de ce questionnaire. Je prends pour exemple la question 5 du chauffage à propos de la réglementation des bâtiments. Elle est très incomplète en oubliant le chauffage solaire (et l'eau chaude solaire) et pour les pompes à chaleur, elle ne fait pas de distinction selon les sources (air, eau, sol, …). Actuellement le marché dominant est les pompes à chaleur aérothermique (sur l'air). Ce type de pompe à chaleur n'est qu'un chauffage électrique légèrement amélioré par rapport à des convecteurs, mais lors des grands froids, les appels de puissance sont exponentiels (et non linéaire comme avec les convecteurs). Ce type de pompe à chaleur ne devrait pas être promu comme une énergie renouvelable, idem pour les chauffe-‐eau thermodynamique qui ont tué le marché de l'eau chaude solaire, en particulier sur les maisons individuelles où la réglementation 2012 imposait une énergie renouvelable. Il fallait bien sûr simplifier, mais il faudra aussi relativiser les résultats compte tenu de l'absence de précision sur le type de pompe à chaleur et sur le fait que ce type de chauffage aérothermique bénéficie d'une très importante publicité qui fait que beaucoup de gens en ont entendu parlé et pense que c'est bien. En pratique cette question sur la réglementation thermique aurait dû donner des nouvelles de la future réglementation thermique qui prévoit en 2020 que toutes les constructions seront à énergie positive : est-‐elle toujours d'actualité ? qu'en pense les gens ? Ce qui importe n'est pas le mode de chauffage et aucun ne devrait être favorisé, sauf les modes électriques qui devraient être interdits compte tenu des problèmes de pointe en hiver (particularité française). Le plus important est le niveau d'isolation et de performance énergétique des bâtiments : maison BBC, maison passive, maison à énergie positive, … On aurait aussi aimer avoir des informations sur une future réglementation plus exigeante pour les bâtiments résidentiels et tertiaires existants. En fait cette question 5 était très orientée pour mettre en avant un chauffage électrique même s'il est avec une pompe à chaleur.
La question 6 qui cite les différentes énergies renouvelables, comporte aussi un énorme oubli : l'énergie solaire thermique qui traduit bien le manque de connaissance des rédacteurs de ce questionnaire. C'est une énergie renouvelable qui est actuellement en régression en France et qui aurait réellement besoin d'un fort soutien, plusieurs industriels français ayant récemment fait faillite.