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Avis n°508

Corriger des aberrations énergétiques au quotidien : numérique et industrie

Ajouté par Thibaut ANONYMISé (Dijon), le
[Origine : Site internet]

Résumé de l’avis : dans un contexte où l’on s’est fixé l’objectif de réduire la consommation énergétique du pays, certains usages modernes, bien imprégnés dans notre quotidien, contredisent le but affiché et alourdissent notre consommation. Corriger prioritairement cette « surenchère » de dépenses aurait de vrais bénéfices à court terme. Pour illustrer ce propos, deux catégories d’exemples sont (partiellement) développées : le numérique et la politique industrielle.

1. Introduction

Il va sans dire que l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas. A l’heure où nous cherchons à grand peine les énergies de demain, réduire l’impact de notre consommation présente des avantages inégalables et nous donnerait une marge de manœuvre appréciable dans nos choix et orientations futurs.
L’histoire montre sans ambiguïté que ce que l’on définit comme le progrès s’accompagne indéniablement d’une augmentation massive de la consommation d’énergie. Depuis des décennies déjà, nos civilisations « développées » vivent en surrégime. Nous consommons bien plus d’énergie par habitant que notre planète en aurait théoriquement à fournir de manière durable. Ceci, nous le savons parfaitement. Il faudrait repenser tout notre système. A défaut d’en arriver là, nous pourrions agir pour éviter d’alourdir la facture à mesure de nos « progrès » plutôt que de continuer obstinément à penser que l’énergie est une denrée illimitée.
A juste raison, de par la loi de 2015, notre pays s’est fixé comme objectif de réduire sa consommation d’énergie finale de moitié entre 2012 et 2050. Les premiers bilans (avis du CESE de février) indiquent qu’au mieux une stabilisation de notre (sur)consommation,voire une légère décrue, sont observées, mais que les efforts engagés sont bien insuffisants. Nous peinons à faire de vrais efforts pour nous restreindre énergétiquement à des valeurs adéquates à notre environnement.
Au-delà des importantes et nécessaires mesures prises pour « endiguer » les pertes d’énergie (rénovation, efficacité), je voulais pointer dans cet avis que nombre de « nouveaux » usages de notre époque s’avèrent indubitablement à contrario d’une réduction de la consommation d’énergie. Je les constate au quotidien, et je les exemplifie plus loin.
Certains y verront de petits détails, peut-être futiles, en comparaison aux économies massives possibles dans d’autres secteurs. Moi, j’y vois les symptômes d’une société qui ne réfléchit pas assez à ses usages et se fourvoie dans sa manière d’appréhender son environnement, et de ce fait court à la catastrophe. Qu’attendons-nous pour agir ?

2. Remettre en cause les usages du numérique

Le numérique a révolutionné nos vies. Progrès fantastique, il a simplifié nombre de nos activités fastidieuses, accru la rapidité de la communication, et ouvert des perspectives formidables dans nos quotidiens (facilité d’échange, télétravail, achats rapides en ligne, dématérialisation, nouvelles formes d’économie collective, etc.). Nous nous dirigeons à grands pas vers une société du « tout numérique », et donc énergivore. Il n’est pas question de revenir en arrière sur le numérique, tant il nous apporte. Cependant, il serait judicieux de mettre en doute certains principes que nous considérons désormais pour acquis, tant ils nuisent à notre avenir énergétique (ou même à notre confort de vie…).
En effet, le développement du numérique, l’accroissement des performances de l’informatique et la systématisation de la dématérialisation pour une majeure partie des tâches de la vie quotidienne (des courses en « drive » au télépaiement des impôts) induit de nouvelles dépenses énergétiques importantes. Certaines seraient largement évitables si l’on se penchait sur leur juste régulation.

Exemple 1 : la (mauvaise) gestion des centres de données

Dans nos usages, nous avons pris le parti d’une nécessité de disponibilité à tout instant et en continu. Les infrastructures nécessaires au fonctionnement de nos dispositifs nécessitent des dépenses de fonctionnement colossales (transit, refroidissement, ventilation). De par cette obligation de disponibilité que nous nous imposons, les centres de données tendent à tourner en permanence (24h/7j), leur pleine capacité étant disponible bien que pas nécessaire « au cas où » un pic de sollicitation surviendrait. Plutôt que de faire subir à l’utilisateur d’éventuelles latences minimes, des quantités phénoménales d’électricité sont dépensées jour comme nuit. Il y aurait à gagner à mieux gérer les « autoroutes de l’information ».

Exemple 2 : l’email n’est pas énergétiquement gratuit

L’envoi d’un email, gratuit et instantané, correspond à une dépense énergétique concrète. Toute information circule à travers des milliers de kilomètres de câble. Cela représenterait, par email de 1 Mo, une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes, soit l’équivalent de 20 grammes de CO2 émis. Les emailings de prospection de masse et lettres d’informations automatisées, souvent indésirables, représentent une somme de consommations significatives. Dans le quotidien, nombre d’utilisateurs, par lassitude ou par ignorance, préfèrent laisser dans leur boite ou supprimer au quotidien messages indésirables et notifications automatisées que l’on n’a pas pris le temps de configurer plutôt que d’endiguer leur envoi et réduire à la source leur nombre (désabonnements). Nous sommes souvent, contre nos avis et notre volonté, récepteurs d’envois « par ricochet » parce que nous avons donné notre consentement à une source souhaitée. On nous inscrit à des emailings que nous ne voulons pas. Il y a des usages abusifs qu’il conviendrait de combattre.

Exemple 3 : les systèmes d’exploitation gaspillent

Les systèmes d’exploitation qui font tourner nos appareils consomment bien plus qu’ils ne le devraient. Un simple paramètre comme la couleur (comparons un écran « allumé » en noir ou en blanc), multiplié par des millions de machines, a une importance concrète. Sous prétexte que l’utilisateur doit avoir ce qu’il veut à l’instant où il le veut (ou presque), des dizaines de fonctionnalités et sous-programmes sont activés par défaut et « sommeillent » dans un coin de la mémoire en l’attente d’être activés. Une puissance de calcul leur est en permanence allouée, et ce même si l’utilisateur-roi n’a pas l’intention d’y avoir recours, dans cette session ou à tout jamais. Les systèmes d’exploitation ayant atteint un tel niveau de complexité, l’utilisateur n’est plus du tout en mesure de configurer facilement l’outil qu’il utilise et de désactiver aisément tout ce qui lui est complètement inutile pour de bon (essayez d’enlever Cortana de votre Windows…). Plutôt que de partir du principe que tout doit être disponible à tout instant, il serait bien plus économique énergétiquement de rendre disponible ce qui doit l’être en temps voulu. De simples modifications des configurations par défaut vers une plus grande parcimonie pourraient générer des gains énergétiques notables.

Exemple 4 : les applis mal faites aussi

Outre les ordinateurs (il suffit d’ouvrir le Gestionnaire de tâches de Windows pour mesurer le problème), nos téléphones dits « intelligents » n’ont pas du tout l’intelligence de la parcimonie. De par des nécessités de rentabilité, ou par absence de savoir-faire, des tonnes d’applications « obésicielles » mises sur le marché sont très souvent mal optimisées (impliquent des temps de calcul au-dessus de ce qu’ils pourraient être). Multipliées sur des millions de dispositifs, ces petits riens représentent de grandes quantités d’énergie dépensée évitables.

Exemple 5 : le grand gaspillage des box internet et des réseaux sans fil

Pour faire court : qui pense à éteindre sa box la nuit ? Pourquoi laisser tourner pendant notre sommeil tout un tas d’appareils qui ne seront pas sollicités ? Quand bien même on aurait pensé à les mettre en veille, pourquoi ne pas en plus économiser ces dizaines de petites veilleuses qui témoignent du sommeil de l’appareil ? Une simple programmation de l’arrêt complet de ces appareils pourrait nous faire gagner tant d’énergie…

On pourrait trouver bien d’autres exemples de situations où le numérique « sans conscience » qui ne connait ni restriction ni parcimonie fait accroitre la dépense énergétique à l’heure où l’on cherche justement à la faire décroitre. Son empreinte sur la société étant vouée à s’accroitre fortement dans les années à venir (solutions « cloud », multiplication des supports), rationaliser ses usages devrait être une priorité.

Idées en vrac :
- Sensibiliser le grand public et les professionnels à ce qui se cache réellement derrière l’usage irraisonné du numérique en termes de facture énergétique. L’inciter à adopter des usages plus responsables dans son quotidien (sensibiliser à la désinscription aux newsletters publicitaires, se limiter aux notifications utiles, compression des pièces jointes…)
- Obliger les fabricants d’outils numériques à optimiser nettement mieux les dépenses des systèmes en termes de ressources. Etudier toutes les possibilités de réduction de la facture énergétique dans le numérique (rationalisation, adéquation offre-demande…).
- Mieux poursuivre et punir les émetteurs de « spams ». Rendre légalement plus difficile la vente des données personnelles des utilisateurs à des fins commerciales. Ouvrir de vraies solutions aux citoyens qui refusent le démarchage.
- Obliger les fabricants des systèmes d’exploitation à fournir un paramétrage simple des fonctionnalités et d’autoriser l’utilisateur à élaguer facilement tout l’indésirable, et en lui expliquant pourquoi ceci est important.
- Obliger les constructeurs de box internet à informer les utilisateurs. Inclure des systèmes facilement paramétrables pour programmer le sommeil des box et des réseaux sans fil.

3. Industrie : rétropédaler sur la surcouche électronique et la fabrication « jetable »

Les objets de notre quotidien évoluent à grande vitesse. Ceci est d’autant plus vrai avec le perfectionnement de l’électronique et l’avènement du numérique.
La baisse des couts des composants et la concurrence de certains marchés hors de l’Europe induits par la mondialisation ont conduit les objets de notre quotidien à se doter d’une surcouche électronique qui, bien qu’elle puisse se comprendre voire se justifier, amènent à une complexité inutile et une inflation des causes de pannes.
La nécessite marketing fictive de « produire du nouveau », de « regagner l’attention du consommateur », de « mettre la pression » à ceux qui ne possèdent pas le modèle dernier-cri poussent le citoyen à acheter davantage qu’il n’en a réellement besoin pour des gains technologiques accessoires, voire purement esthétiques.
Réorienter l’idéologie sous-jacente à la production industrielle « jetable », non-durable, constitue un formidable gisement d’économies.

Exemple 1 : l’automobile

Ceci est particulièrement vrai dans l’automobile où l’électronique a pris une place inamovible dans les systèmes, souvent pour des éléments accessoires sans grand intérêt pour qui sait conduire et manœuvrer (radars, systèmes de guidage, d’ouverture, témoins, données statistiques, commandes vocales…). Cette électronique est source de pannes et implique généralement de plus grandes dépenses d’entretien pour le consommateur. Les nouveaux systèmes-témoins de pression des pneus ajoutent une surcouche complètement facultative en cherchant à se substituer à un utilisateur qui, comme pour l’huile de son moteur, n’a qu’à effectuer périodiquement un tout petit contrôle « mécanique » qui ne prend ni de temps, ni d’argent.
Lorsqu’il est question d’électronique, le profane est par ailleurs globalement incapable de diagnostiquer par lui-même la cause de la panne, et doit faire appel à un expert (rémunéré de sa poche) pour remettre son appareil en ordre de marche.
En bref : l’électronique automobile, bien que la précision qu’elle apporte soit appréciable et substantielle, pourrait être retirée partout où elle est facultative, voire inutile. Ceci diminueraitles causes de pannes et allégerait le panier d’entretien du consommateur.

Exemple 2 : la généralisation abusive des écrans LCD

Les écrans LCD (et technologies semblables) ont envahi notre quotidien, pour de mauvaises raisons. La publicité urbaine (transports en commun, vitrines) y fait appel massivement, au prétexte que l’animation attire l’attention du passant. Sur les aires d’autoroutes, il n’est presque plus possible de trouver une machine à café automatique « à l’ancienne » qui propose de choisir mécaniquement entre certains programmes. Toutes ont été remplacées par des machines à écran tactiles qui, de jour comme de nuit, ne connaissent pas la veille et diffusent animations, interfaces et publicités hors de leur activité. De mon expérience, j’ai l’impression que le nombre de machines « hors-service » est toujours plus nombreux. Pourtant, les machines mécaniques fonctionnaient très bien !
Ces dispositifs induisent une consommation électrique par l’éclairage et des coûts de fabrication supplémentaires qui ne trouvent pas de justification autre que « marketing ». Certains matériaux (terres rares) sont d’importance stratégique et ont un fort impact environnemental de par leur extraction.
L’immense variété des matériaux nécessaires à la construction des écrans LCD rend leur recyclage complexe et coûteux. Réduire la quantité d’éléments complexes à recycler et à traiter (dont le mercure) constituerait une économie d’énergie notable et éviterait nombre de mises en décharge.

Exemple 3 : les imprimantes et l’obsolescence programmée

De plus, on ne produit plus pour durer. L’industrie tend aujourd’hui à privilégier des solutions « jetables » plutôt que de concevoir des appareils faits pour rester en fonctionnement de longues années, voire des décennies.
Prenons le cas des imprimantes de bureau. Alors qu’elles ne coutent presque plus rien à l’achat, le prix des cartouches d’encre égale pratiquement le coût de l’appareil. Les utilisateurs l’ont bien compris : remplir soi-même des cartouches avec un forage astucieux et des bidons d’encre bon marché, c’est facile. C’est pourquoi les fabricants ont rapidement équipé leurs machines de systèmes permettant « d’indiquer » artificiellement à la machine que le niveau d’encre d’une cartouche n’est pas celui réellement observé : une cartouche remplie manuellement n’est pas forcément reconnue comme telle et cela bloque tout le système. Ainsi, des intérêts commerciaux (mal placés) nous obligent à jeter à la poubelle tout un système complexe (tête de lecture) pénible à recycler, plutôt que de nous laisser la main sur une solution qui contente celui qui dispose de l’objet et a payé pour.
J’ai donné ici l’exemple des imprimantes de bureau. Mais ceci est vrai pour la plupart des objets de notre quotidien, du premier stylo venu au textile. Pour nombre d’appareils, il devient souvent plus avantageux de jeter un dispositif entier que de remplacer ce qui ne fonctionne plus dedans. Ecologiquement parlant, c’est une aberration sans nom. Pour d’autres, certaines pièces sont de conception (volontairement ?) « faible » et cassent systématiquement au bout d’un certain temps d’usage, alors que l’ensemble du dispositif demeure tout à fait fiable. L’obsolescence se trouve parfois dans la conception : il est de norme désormais que les roulements de nos machines à laver, première cause de panne, et facilement changeables, sont aujourd’hui fondus dans la masse et rendus inaccessibles.
Je ne parle pas de ces téléphones portables, toujours plus « puissants », qui ne tiennent désormais pas plus d’un an, qu’on bride volontairement après une date donnée, ou qui souffrent de défauts de conception majeurs à l’heure où ils sortent sur le marché.

Idées en vrac :
- Obliger légalement les constructeurs d’objets de la vie courante implantés en France à proposer des modèles « mécaniques » simples avec lesquels l’utilisateur pourrait, comme il le faisait il y a deux décennies, facilement diagnostiquer les pannes et intervenir lui-même dans l’entretien ou le remplacement d’une pièce usée. En parallèle, augmenter la durée de disponibilité obligatoire de ces pièces de rechange.
- Que l’état promeuve et finance activement des projets innovants de notre pays qui visant à produire de nouveau des appareils à longue durée de vie, tout en assurant un diagnostic facile des pannes. La France ne manque pas de gens volontaires qui ont de bonnes idées, aidons-les à les réaliser (j’ai entendu parler d’une machine à laver française « increvable »…).
- Inciter l’industrie à minimiser l’utilisation de composants électroniques là où cela n’a aucun caractère nécessaire.

4. A très long terme : changer de paradigme

Toutes les idées et solutions évoquées ici concourent à un même objectif : corriger le quotidien pour consommer l’énergie plus justement. Cependant, cette parcimonie n’est qu’un palliatif à court terme, une « rustine » sur la chambre à air percée.
Le mode d’existence prôné par notre civilisation, tourné vers la nécessité du profit, la génération de besoins fictifs et l’individualisme, va à contrario de l’intérêt de l’humain et du non-humain, de la préservation des ressources terrestres et la relation harmonieuse entre nos cultures et la nature. Les efforts entrepris d’un côté par des personnes et instances désireuses de réduire notre facture se heurtent à la dure réalité des forces de l’argent, du lobbying, de l’absence de volonté politique, et s’en trouvent annulés.
C’est ce mode de pensée qu’il faudrait révolutionner pour parvenir à l’adéquation entre les besoins de l’homme et ce que la planète lui permet. Je ne parle pas de prendre des « mesurettes incitatives » ou de « sensibiliser des publics ». Il s’agit d’un défi métaphysique planétaire et civilisationnel.
• Au détriment du renouvellement à tout prix et du gaspillage prôné par la surconsommation et le marketing, se contenter de solutions simples qui subviennent à notre besoin sur une longue période de temps.
• Au détriment de l’individualisme, privilégier des solutions de collectivisation qui optimisent la dépense énergétique, en particulier dans le secteur de la mobilité.
• A grande échelle, que le respect de l’environnement prenne le pas sur le libéralisme économique à outrance, l’incitation à la surconsommation et le gaspillage organisé.

Domaines non abordés, mais qui auraient toute leur place dans cette réflexion :
• L’immense gâchis des emballages.
• Le mauvais réglage des chauffages collectifs d’immeuble.
• La vente en ligne et l’augmentation critiquable du transport international (et de la consommation de carburants)
• Rendre visibles dans l’espace public (écolés) et privé (entreprises) les éco-gestes du quotidien qui pourraient nous faire gagner jusqu’à 1/5 de notre facture énergétique.
• L’aberration de l’éclairage publicitaire la nuit (grandes enseignes lumineuses des hypermarchés, vitrines des magasins, éclairage public déraisonnable).
• Côté mobilité, le soutien à la promotion du vélo urbain privé et aux transports collectifs (dont covoiturage) avant tout autre option.