Avis n°333
La disponibilité des combustibles fossiles donnera le tempo de la Transition Energétique
le ,De même qu'un organisme vivant ne peut subsister sans l'énergie qu'il tire de ses aliments, aucune société humaine ne peut subsister sans le flux d'énergie primaire qu'elle prélève sur des sources naturelles. Car sans lui la fabrication et la distribution des biens matériels qu'elle utilise est strictement impossible !
A l'heure actuelle, le flux d'énergie primaire qui donne vie aux sociétés industrielles est constitué pour sa plus grande part de l'énergie tirée des combustibles fossiles, part qui va d'environ 50 % pour la France (valeur la plus basse des grands pays industrialisés, qui est due à l'importance du nucléaire dans son mix énergétique) à 80 % pour l'Allemagne et le Royaume-Uni, 85 % pour les Etats-Unis et la Russie, 90 % pour la Chine et l'Inde et 100 % pour l'Arabie Saoudite.
Les consommateurs, les économistes et les politiques ne s'intéressent semble-t-il qu'aux prix des combustibles fossiles, qui ont certes une grande importance dans la vie de tous les jours. Mais c'est pour envisager l'avenir un exercice assez vain, étant donnée l'impossibilité dûment constatée de les prédire même à court terme. Cela détourne leur attention de ce qui, à cause de la si grande importance des combustibles fossiles, en particulier du pétrole, dans la marche de l'économie des pays industrialisés, est en réalité pour ceux-ci l'enjeu majeur de ce siècle : La disponibilité future des combustibles fossiles.
L'analyse qui est faite ici montre qu'il y a lieu de s'en préoccuper très sérieusement, à commencer par le pétrole : La production mondiale de pétrole brut dit conventionnel, le moins cher en moyenne à produire, et qui fournit encore pour l'instant les trois-quarts de l'approvisionnement en pétrole dit «tous liquides», provient pour l'essentiel d'un petit nombre de très gros gisements découverts pour la plupart entre 1950 et 1980. Malgré les découvertes de nouveaux gisements, elle décline lentement depuis 2005-2006. Par contre, au moins en volume, la production mondiale totale de pétrole tous liquides continue encore d'augmenter : C'est grâce aux liquides de gaz naturel (condensats, et liquides d'usines de gaz naturel, LGUN), en réalité extraits du gaz, et aux pétroles dits non conventionnels, c'est-à-dire : les bitumes du Canada, les huiles extra-lourdes du Venezuela, les pétroles dits de schistes, et accessoirement les synfuels=pétroles synthétiques (essentiellement biocarburants, gas-to-liquids (GTL) et coal-to-liquids (CTL)). Mais sans les pétroles de schistes Nord-Américains, la production de «tous liquides» n'aurait pratiquement pas augmenté depuis 2011. Il est cependant douteux, étant donné le déclin progressif de l'énergie contenue par unité de volume (baril) de la production de pétrole tous liquides, et la quantité croissante d'énergie utilisée à cette production, que la quantité nette d'énergie mise ainsi à la disposition de la société mondiale ait en fait augmenté depuis cette date. Et il est certain que du fait de l'augmentation de la population mondiale, cette quantité par habitant de la planète est déjà en déclin.
Les optimistes, souvent des économistes peu familiers des réalités pétrolières, mais aussi la plupart de ceux qui s'expriment pour les grandes compagnies pétrolières et pour les Agences de l'Energie, nous disent être sûrs que la créativité technologique qui caractérise l'espèce humaine, et les augmentations supposées inéluctables à terme des prix de marché, permettront encore d'importantes découvertes de pétrole conventionnel, un accroissement considérable du taux de récupération de celui-ci, ainsi qu'un accroissement des productions de pétroles non conventionnels (bitumes, huiles extra-lourdes et pétroles de schistes), de liquides de gaz naturel (condensats et LGUN) et de synfuels (biocarburants, GTL, CTL), et qu'au total tout cela sera très longtemps encore largement suffisant non seulement pour compenser, comme cela se passe encore pour l'instant, le déclin des gisements actuellement exploités de pétrole conventionnel, mais même pour entraîner une augmentation substantielle de l'approvisionnement mondial en pétrole tous liquides. Pour eux, la «success story» des pétroles de schistes d'Amérique du Nord s'étendra tout naturellement au monde entier. C'est le point de vue des optimistes qui est actuellement véhiculé par les médias, ancrant ainsi l'opinion dans l'idée qu'il n'y a aucun souci à se faire pour au moins une génération.
Les pessimistes, le plus souvent des géologues pétroliers, c'est-à-dire rappelons-le ceux qui connaissent le mieux la réalité du terrain, font observer que le déclin des réserves de pétrole conventionnel (non pas celles dites prouvées, les seules que semblent vouloir connaître les médias , mais qui n'ont pas de sens, étant donné leur mode de calcul et leur caractère trop politique, mais celles dites 2 P qui sont une bien meilleure approximation des réserves ultimes) s'accélère malgré les découvertes, et que les pétroles non conventionnels sont en moyenne des pétroles chers dont l'économie mondiale ne pourra pas supporter indéfiniment les prix. Nul doute qu'il existe des quantités très importantes de pétrole et de gaz restés piégés dans leur roche-mère ou à leur voisinage, c'est ce qu'on appelle le pétrole et le gaz de schistes. Mais leurs réserves, c'est-à-dire leurs quantités réellement exploitables, sont très mal définies et les investissements pour les produire seront très lourds. En ce qui concerne le pétrole de roche-mère (de schistes), au-delà des fluctuations actuelles des quantités produites pour cause de prix du pétrole plus ou moins rémunérateur, ils prévoient son déclin pour des raisons géologiques aux Etats-Unis dans peu d'années. Ils observent que l'extension de la «success story» américaine à l'échelle mondiale n'a toujours pas eu lieu malgré les annonces incessantes des optimistes. Ils rappellent à ce propos que le succès des Etats-Unis repose aussi, par comparaison avec d'autres pays ayant comme eux une géologie favorable, sur une infrastructure très développée et une industrie pétrolière exceptionnellement puissante et réactive et de grand savoir-faire, épaulée par un système bancaire accommodant. Il repose aussi sur les particularités du code minier de ce pays, le seul au monde à donner la propriété du sous-sol au propriétaire du sol. Celui-ci a donc un intérêt à l'exploitation, ce qui n'est pas le cas ailleurs. Dans de nombreux pays existent aussi de gros obstacles politico-économiques à ces exploitations, et dans bien des cas une forte opposition des associations environnementales. D'autre part, ils soulignent que ce n'est pas tant l'importance des réserves que la vitesse possible de leur mise en production qui règle les performances de l'économie mondiale d'une année à l'autre : sur l'instant, le débit du carburateur d'une voiture est plus important pour régler sa vitesse que le volume de son réservoir, et pour l'assoiffé le débit possible du robinet est plus important que le volume du tonneau ! Comme le font les géologues et économistes pétroliers de l'Association for the Study of Peak Oil and gas (ASPO), beaucoup prédisent un maximum (pic) de la production possible du pétrole tous liquides vers 95 Millions de barils par jour (Mb/d) vers 2020, ou au mieux un plateau aux alentours de 100 Mb /d de 2020 à 2030 environ.
La situation s'analyse de la même façon pour le gaz naturel, avec un décalage d'une dizaine d'années: Le pic du gaz naturel aurait lieu vers 2030. Certains disent là aussi que le gaz de roche-mère (de schistes) améliorera sensiblement cette perspective, grâce au progrès technologique, à une amélioration de son modèle économique, et à son extension à l'échelle mondiale.
Pétrole et gaz de roches-mères (de schistes) sont donc maintenant la dernière frontière pour l'industrie mondiale du pétrole et du gaz. Mais le pétrole de schistes ne représente actuellement que 5 % environ de la production mondiale de pétrole tous liquides, et il faudrait une augmentation vraiment extrêmement rapide de leur production pour compenser dans les années qui viennent le déclin attendu du pétrole conventionnel. Or la production des Etats-Unis, la seule significative actuellement, semble déjà atteindre ses limites, et personne ne semble pouvoir actuellement prédire quels pays sont susceptibles de la relayer suffisamment rapidement.
Quant au charbon, les affirmations courantes selon lesquelles il pourra assurer sans problème la consommation énergétique d'une humanité sans cesse plus riche pendant au moins les deux siècles à venir reposent beaucoup plus sur des «convictions» que sur des modélisations physiques. Ces convictions sont à l'heure actuelle de plus en plus ébranlées. Heinberg et Fridley 2010 pensent par exemple que les réserves ultimes, c'est-à-dire les quantités totales vraiment récupérables, sont bien plus faibles qu'annoncées, et que la réalité est en train de nous rattraper. Rutledge, 2011 le confirme, par des études «postmortem» sur des bassins charbonniers actuellement pratiquement épuisés, et dont les réserves ultimes avaient initialement été en fait considérablement surestimées par rapport à la réalité de la production ultérieure. C'est en particulier le cas pour le charbon du Royaume-Uni, carburant initial de la Révolution Industrielle. Selon Rutledge, à l'échelle de la planète environ 90 % des réserves ultimes de charbon auront été extraites en 2070. Le pic mondial du charbon serait atteint semble-t-il vers 2035 ou 2040. Pourtant, cela pourrait bien être nettement plus tôt, car il semblerait bien que la Chine, de très loin le premier producteur mondial de charbon, soit déjà en train d'atteindre son pic (D.Fridley, 2012)! Mais à l'échelle mondiale, les incertitudes demeurent pour le charbon plus importantes que pour le pétrole et le gaz.
La pyrolyse des schistes bitumineux, la gazéification souterraine du charbon et l'exploitation des hydrates de gaz sont des pistes souvent évoquées pour faire perdurer notre approvisionnement en combustibles fossiles, mais on est encore bien loin de pouvoir passer au stade industriel massif, et encore faudra-t-il dominer leurs inconvénients environnementaux. Ces ressources resteront sans doute encore pendant ce siècle des « ressources du futur », comme elles le sont actuellement.
Les émissions futures de gaz carbonique dues à l'usage des combustibles fossiles sont des données d'entrée essentielles des modèles climatiques. Sans pour autant remettre en cause la base physique de ces modèles, on peut douter de la qualité des estimations de ces émissions qui ont été jusqu'à présent utilisées par le GIEC, car elles n'ont pas été faites sur des bases physiques et géologiques, mais politico-économiques. Pour la plupart elles anticipent une croissance continuelle des émissions dues aux combustibles fossiles, donc des productions de ceux-ci, au cours de ce siècle. Or c'est très improbable comme on l'a vu. Cela est très dommageable pour la définition des politiques publiques de protection du climat, qui utilisent ces estimations. Parmi les scénarios « Representative Concentration Pathways (RCP) », qui sont ceux actuellement utilisés par le GIEC, le scénario RCP 8,5 est irréaliste et le scénario RCP 6 très improbable. Le scénario géologiquement le plus probable devrait se situer un peu sous le RCP 4,5 et cela représenterait suivant les critères du GIEC une augmentation de température de 1870 à 2100 de l'ordre de 2,5 à 3°C (Durand et Laherrère 2015). C'est encore bien trop selon beaucoup de climatologues, qui recommandent de ne pas dépasser les 2°C, sinon même 1,5 °C, mais les efforts nécessaires pour satisfaire ces critères seraient bien sûr bien moins importants qu'avec des scénarios tels que le scénario RCP 6 et encore plus le RCP 8,5, présenté trop souvent par les médias comme étant l'avenir si nous ne faisons rien !
En définitive, plus que la consommation de pétrole ou de gaz, c'est la consommation de charbon qui représente, si l'on retient les critères des climatologues, la principale menace pour le climat. Un peu plus durable que le pétrole et le gaz, il sera très probablement d'ici peu d'années redevenu comme pendant le 19ème siècle et pendant le 20ème siècle jusqu'en 1965, la principale source d'énergie primaire de l'humanité. Si aucune contrainte forte ne lui est imposée, comme c'est actuellement le cas, 60 % environ des émissions encore à venir de gaz carbonique des combustibles fossiles pourraient lui être dues. Les plus grands consommateurs de charbon, la Chine, les Etats-Unis, l'Inde et la Russie, en Europe l'Allemagne et la Pologne, ont ici une grande responsabilité, car ce sont eux qui peuvent en fait le plus contraindre les évolutions climatiques à rester dans des limites considérées comme acceptables, en restreignant fortement leur consommation. Mais le développement de très importants d'entre eux, Afrique du Sud, Chine, Inde, Indonésie, dépend actuellement étroitement de l'accroissement de cette consommation. Il en est de même d'autres pays en développement, pour l'instant encore, relativement peu consommateurs, comme par exemple le Vietnam et d'autres pays du Sud-Est Asiatique. Ils ne pourront pas trancher ce dilemme, tant qu'ils n'auront pas développé suffisamment des substituts au charbon dans la production d'électricité (nucléaire, énergies renouvelables...), ou à défaut construit à grands frais de très nombreuses installations de stockage géologique du gaz carbonique (CSC pour captage et stockage du carbone, en Anglais CCS) produit par sa combustion. Car, ne l'oublions pas, la principale utilisation actuelle du charbon, environ 70 % en masse de sa production actuellement, est la production d'électricité.
Le charbon est aussi celui des combustibles fossiles, et même de toutes les sources d'énergie primaire utilisées par l'homme, qui représente de très loin le danger le plus important pour la santé publique, plus particulièrement du fait de la pollution atmosphérique, intérieure ou extérieure, par les particules fines, les oxydes de soufre et d'azote, et des rejets d'autres éléments nuisibles, entre autres arsenic, cadmium, fluor, mercure, sélénium, thallium... qu'entraîne son usage. On parle là d'un ordre de grandeur de 2 millions de morts prématurées par an, surtout dans les pays grands consommateurs d'Asie, mais l'Europe, avec de l'ordre de 30 000 morts prématurées par an, dont environ 10 000 du seul fait des émissions allemandes, n'est pas à l'abri ! Ce danger pourrait être considérablement réduit s'il y avait à ce sujet une véritable prise de conscience induisant des mesures de protection bien plus efficaces que les actuelles. La focalisation extrême des médias sur l'effet de serre, les énergies renouvelables et le nucléaire ne la favorise pas pour l'instant. Un grave malentendu a ainsi été créé dans l'opinion publique, qui n'entend parler que des risques créés par les émissions de gaz à effet de serre, qui ne tuent pas directement, et de ceux du nucléaire, qui au bilan a en définitive tué fort peu, mais guère des risques créés par l'utilisation du charbon, qui lui a déjà tué énormément et continue à le faire, même en Europe. Même les rapports alarmants de Greenpeace (Greenpeace, 2009, 2013) et plus récemment d'un groupe d'ONG (WWF et al., 2016) n'ont guère eu d'échos dans les médias français, qui d'habitude font toujours une large place à ces associations ! Cependant depuis quelques années, le risque qu'entraîne la pollution par les particules fines commence cependant à être évoqué de plus en plus souvent (Durand, 2014 b).
Du fait de leur poids considérable dans le fonctionnement des sociétés industrielles et de leur potentiel de modification du climat, ce sont les évolutions futures des productions de combustibles fossiles qui donneront par nécessité le tempo de la transition énergétique dont on parle tant en ce moment. La transition énergétique, c'est en fait le passage d'une société vivant des combustibles fossiles à une société ayant appris à s'en passer. L'éolien et le solaire, sur lesquels beaucoup semblent compter pour cela, ont des parts de marché bien trop faibles, et un chemin trop difficile à faire pour remplacer les combustibles fossiles dans leurs utilisations et donc jouer véritablement un rôle moteur dans une telle transition.
La quantité totale d'énergie que les combustibles fossiles pourront mettre chaque année à la disposition de l'humanité, toutes sources étant additionnées, semble donc devoir décliner vers 2025. Compte-tenu de l'augmentation encore rapide de la population mondiale, ce déclin serait encore plus fort par habitant de la planète. S'agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui connaîtrait le premier son déclin, les quantités de pétrole tous liquides produites dans le monde augmenteront peut-être encore en volume à un rythme lent pendant quelques années encore, mais pas en quantité d'énergie mise à la disposition de la société mondiale, du fait non seulement de la décroissance progressive de l'énergie volumique moyenne des constituants de ce pétrole tous liquides, mais aussi de la diminution de plus en plus rapide des taux de retour énergétiques de l'industrie pétrolière. Mais aussi les volumes de pétrole mis sur le marché mondial, actuellement à peu près la moitié de la production totale, tendent déjà à diminuer du fait de la consommation intérieure croissante des pays exportateurs. A moins que ces derniers ne décident très rapidement des efforts considérables d'économie et/ou d'utilisation de substituts (par exemple nucléaire à la place de fuel pour leur production d'électricité, comme l'a fait la France après les chocs pétroliers de 1973 et 1979), cette tendance va s'accentuer ! Notons de plus que les pétroles non-conventionnels ne représentent que peu de chose dans le commerce mondial, et que le pétrole brut conventionnel, en déclin depuis 2005-2006, représente donc l'essentiel des imports-exports.
Etant donné l'étroite relation qui existe actuellement entre la disponibilité des combustibles fossiles et la marche de l'économie mondiale, et quand on se souvient des dégâts provoqués sur celle-ci par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les conséquences qu'aurait un déclin rapide, irréversible et si rapproché dans le temps, des quantités d'énergie que nous pouvons tirer de l'ensemble des combustibles fossiles sont potentiellement catastrophiques. Elles ne peuvent être aménagées, étant donné la grande inertie des systèmes industriels, que si des contre-mesures très fortes sont prises dès maintenant. Notons aussi que la hiérarchie des nations industrielles en serait rapidement changée, celles ayant encore des réserves importantes de combustibles fossiles pouvant faire face plus longtemps que celles n'en ayant pas ou plus.
Ces analyses ne procèdent bien sûr pas d'une science exacte : des incertitudes et des désaccords existent encore sur les estimations des réserves restantes de combustibles fossiles, et sur celles de leurs vitesses de production futures. On peut toujours espérer un miracle des découvertes inattendues de gisements de type encore inconnu, ou des révolutions technologiques. Et il faut sans aucun doute perfectionner les analyses et les modèles avec lesquels on cherche à prédire les productions possibles dans le futur, mais aussi créer les modèles économiques permettant de relier ces productions à la marche de l'économie. Il est d'ailleurs très étonnant, étant donné l'importance majeure du sujet pour l'équilibre mondial, que si peu de moyens y soient pour l'instant consacrés par les économistes.
Mais il faut raisonner en probabilité : celle d'un début du déclin de l'offre possible totale à l'échelle mondiale de l'énergie primaire fournie par les combustibles fossiles en 2025-2030 est forte, tout comme l'est celle d'un accroissement de sa demande sous l'effet de la poussée démographique et de l'aspiration de populations très nombreuses à plus de bien-être. Cela laisse présager bien des turbulences dans l'économie et de la société mondiales et peut-être même une crise de civilisation dans les pays industrialisés, tant est grande l'importance des combustibles fossiles dans leur structure et leur fonctionnement.
S'agissant de l'Europe, elle est particulièrement menacée par cette évolution : Pour tous les combustibles fossiles, les pics de production y sont déjà largement passés, en 1982 pour le charbon, 2000 pour le pétrole et 2004 pour le gaz. L'Europe devra donc de plus en plus compter sur le marché mondial, déjà en voie de rétrécissement comme on l'a vu pour le pétrole. Elle s'y trouvera en compétition de plus en plus vive avec des pays très peuplés de plus en plus consommateurs comme la Chine et l'Inde.
S'agissant de la France, avec une consommation de combustibles fossiles qui ne représente qu'environ 1% de la consommation mondiale, elle n'est guère en position de peser sur leurs marchés. La politique énergétique la plus sage qu'elle puisse suivre est sans doute d'anticiper leur déclin, en premier lieu celui du pétrole, pour accompagner ce déclin plutôt que d'avoir à le subir passivement. La priorité de cette politique devrait donc être de chercher les moyens de s'adapter à une diminution forcée et durable de notre approvisionnement en pétrole. A tout le moins, l'hypothèse d'une diminution progressive de notre approvisionnement en pétrole d'ici peu d'années devrait être prise rapidement en considération, et ses conséquences étudiées de près par les économistes. Mais une politique d'anticipation ne pourra guère être mise en place sans une très forte détermination: Elle rencontrera en effet de grandes résistances qui seront le fait non seulement de groupes catégoriels ou politiques ayant intérêt ou trouvant de la facilité au statu quo, ou d'«optimistes» convaincus de l'inexistence du problème, mais bien sûr aussi de raisons physiques, car se passer de pétrole sera très malaisé : Le pétrole est littéralement devenu, en particulier depuis la deuxième guerre mondiale, le sang des sociétés industrielles, à cause de la facilité et de la variété de ses usages, de son rôle déterminant dans les transports, et de son faible coût d'accès. Même pendant les années récentes de prix élevés, le prix du litre de carburant est resté en France de l'ordre de celui du litre d'eau minérale ! Il a aussi des utilisations pour lesquelles il semble impossible actuellement de lui trouver des substituts de façon très significative : agriculture, travaux publics, transport aérien, pétrochimie... Le risque est donc grand que les «décideurs» décident d'attendre et de voir venir plutôt que d'affronter ces difficultés. Pourtant, en ce qui concerne les principales utilisations du pétrole, le transport routier des personnes et des marchandises et le chauffage, beaucoup des instruments techniques nécessaires existent déjà : - Pour les transports routiers : véhicules à faible consommation de carburants et/ou électriques, électrification des transports en commun. Observons au passage que la France bénéficie dans le domaine de la mobilité électrique d'un atout considérable, puisque contrairement à la plupart des pays sa production d'électricité n'utilise que très peu de combustibles fossiles. - Pour le chauffage : meilleure isolation thermique des bâtiments, électricité nucléaire, récupération de la chaleur du sol et de l'air au moyen de pompes à chaleur (PAC), chauffe-eau solaire, chauffage au bois ..., venant en substitution du fuel domestique, mais aussi du gaz, dont l'espérance de vie ne semble pas devoir être beaucoup plus grande que celle du pétrole si la «success story» du gaz de schistes aux Etats-Unis ne se transmet pas au reste du monde. Reste cependant à développer vraiment ces techniques au niveau nécessaire à un déploiement rapide en cas de crise.
La politique énergétique affichée officiellement actuellement par la France est surréaliste au vu des considérations précédentes : la principale direction indiquée est la fermeture progressive des centrales nucléaires au profit de l'éolien et du solaire photovoltaïque. C'est pourtant l'importance de ce nucléaire qui lui a permis de décarboner presque complètement son électricité et ce faisant lui a permis de réduire sa consommation de combustibles fossiles et ses émissions de gaz carbonique à un niveau qui est de loin le plus faible de tous les grands pays industrialisés ! Or la fermeture des centrales nucléaires mènera chez nous pour l'essentiel à leur remplacement non pas par de l'éolien et du solaire photovoltaïque, mais par des centrales à combustibles fossiles, comme c'est le cas maintenant en Allemagne et au Japon, car les électricités éolienne et solaire, intermittentes, ont besoin de centrales pilotables de soutien pour pouvoir être utilisées. Cela faute de moyens de stockage de l'électricité suffisamment importants, pour sans doute très longtemps.
La logique aurait voulu de concentrer les efforts, non pas sur l'électricité, déjà presque complètement décarbonée, mais sur les secteurs les plus consommateurs de combustibles fossiles, en particulier de pétrole, c'est-à-dire l'habitat et les transports. Cette politique aurait été efficace non seulement pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour améliorer la balance commerciale française qui souffre beaucoup du poids des importations de combustibles fossiles, et qui va souffrir aussi maintenant de plus en plus du poids des importations d'éoliennes et de panneaux solaires, fabriqués hors de France. Et bien sûr il aurait été possible ainsi de déjà se prémunir autant que possible contre les conséquences d'un déclin de la production pétrolière mondiale dans peu d'années. De ce point de vue, beaucoup de temps et d'argent ont ainsi été perdus. Il est urgent de se ressaisir !
B. DURAND, membre de l'ASPO France
Note : Les références indiquées dans le texte peuvent être trouvées sur le site de l'ASPO France (www.aspofrance.org) dans le document « Pétrole, gaz naturel et charbon, nature, mécanismes de formation, et place dans la transition énergétique », B. DURAND 2017.