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Avis n°366

Pour les générations futures, poursuivre le nucléaire civil

Ajouté par Michekl ANONYMISé (NANTERRE), le
[Origine : Site internet]
Energie nucléaire

Sortir du nucléaire est un pari extrêmement risqué. Certes, l'idée que le système électrique repose intégralement sur les énergies renouvelables est a priori très séduisante : ni émission de gaz à effet de serre, ni déchets radioactifs! Mais les choses ne sont pas si simples. Deux obstacles majeurs sont susceptibles d'obérer leur généralisation.

D'une part le vent et le soleil sont des énergies très fluctuantes. Les données fournies par RTE1, le gestionnaire du réseau, donnent une idée de l'ampleur des variations. En France en 2017, la production maximale d'électricité d'origines éolienne et solaire s'est élevée à 14.000 MW le 6 juin à 15h15, moment très venté et très ensoleillé, alors que la consommation était légèrement inférieure à sa moyenne de l'année. Le 26 octobre à 19h15, météo calme et soleil couché, le même parc renouvelable n'a produit que 205 MW, soit près de 70 fois moins, la consommation se situant pourtant à 10% au-dessus de la moyenne. Les productions éolienne et solaire étant encore minoritaires, ces variations de grande ampleur sont compensées par les autres moyens de production : nucléaire, hydraulique, thermique à combustible fossile, ainsi que par les échanges d'électricité avec les pays voisins. Mais, sans nucléaire ni thermique fossile, les capacités hydrauliques et d'imports-exports seraient très largement insuffisantes pour compenser les considérables fluctuations d'un système composé majoritairement de parcs éoliens et solaires.

Les partisans de la sortie du nucléaire et d'une électricité 100% renouvelable2 proposent donc, outre de réduire la consommation d'électricité, d'investir dans de nombreux autres dispositifs complémentaires : renforcement des réseaux à très haute tension pour accroître les transferts d'électricité entre les régions françaises et avec les pays voisins ; mise en place de "réseaux intelligents" utilisant des compteurs de type Linky pour piloter la consommation des particuliers (imposer, lorsque la production renouvelable est insuffisante, des reports de chauffage, de l'utilisation de l'électroménager, de la recharge des véhicules électriques...) ; adoption d'une proportion optimale ente les capacités éoliennes et solaire afin de minimiser les écarts saisonniers de la production renouvelable. Mais il faudra surtout investir massivement dans des systèmes de stockage de l'électricité, dont on ne maîtrise aujourd'hui ni la faisabilité, ni l'impact écologique, ni a fortiori le coût. L'ordre de grandeur de la capacité de stockage nécessaire se chiffre en plusieurs milliards, voire dizaines de milliards de kWh. La technologie aujourd'hui maîtrisée est le stockage par pompage de l'eau dans des lacs d'altitude, mais il faudrait multiplier par bien plus de 10 les capacités actuelles alors que le potentiel physique de la France apparaît limité à un doublement. On entend dire que les progrès technologiques réalisés dans les batteries permettraient d'y recourir pour répondre aux besoins de stockage, mais il faudrait mobiliser des dizaines de millions de tonnes de produits chimiques, solides ou liquides selon les technologies employées. Il y a bien sur l'hydrogène, qu'on fabriquerait par électrolyse durant les périodes de production excédentaire et qu'on brûlerait durant les périodes déficitaires dans des turbines à combustion. Mais le transfert souffrirait de très fortes pertes d'énergie et la faisabilité industrielle d'une production fluctuante d'hydrogène n'est toujours pas démontrée...

Deuxième obstacle à son développement, l'électricité renouvelable implique une consommation très élevée de ressources terrestres. Certes les installations éoliennes et solaires ne consomment rien quand elles produisent, mais elles mobilisent de fortes quantités de matière pour être construites. Ce point reste méconnu du grand public, bien que quelques scientifiques se soient penchés sur cette question et nous alertent3. Pour convertir l'énergie du vent ou du soleil en électricité, il faut en effet recourir à de très grandes installations et en très grand nombre. De plus, en raison des fluctuations du vent, un mégawatt installé en éolien terrestre produit durant ses 20 ans de vie au mieux 6 fois moins d'énergie qu'un mégawatt nucléaire durant ses 40 années de vie. Quant aux panneaux photovoltaïques, leur durée de vie se rapproche de celles des centrales nucléaires mais cela ne fait que compenser un taux d'utilisation de leur puissance maximale 2 fois plus faible que les éoliennes sous nos latitudes, si bien qu'on aboutit à un rapport similaire des énergies produites. Ainsi, l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE)4, se référant à des études d'universitaires et de chercheurs du CNRS, indique que, pour une même énergie produite durant leur vie, les éoliennes terrestres nécessitent 10 à 15 fois plus de béton, 50 fois plus d'acier, 10 fois plus de cuivre et d'aluminium que les centrales nucléaires. Ces ratios peuvent être encore plus élevés pour les éoliennes en mer et les panneaux solaires photovoltaïques. En outre, ces productions renouvelables sont souvent fortement consommatrices de métaux rares, dont l'extraction se concentre en Chine et en Afrique, dans des conditions dramatiques pour l'environnement et la santé des travailleurs. L'alerte est dejà lancée, le développement des énergies renouvelables (ainsi que des technologies du numérique) exige une forte relance des l'extraction minière dans le monde entier, Europe comprise.

Pour toutes ces raisons, vu d'aujourd'hui, il paraît très risqué de ne miser que sur l'éolien et le solaire pour l'avenir de la production d'électricité. Si le nucléaire est abandonné et que ne se réalisent pas les paris sur l'aboutissement technologique des moyens de stockage, la disponibilité des ressources terrestres à des conditions économiques non prohibitives, l'acceptabilité par les populations d'une occupation territoriale très importante des moyens de production, de transport et de stockage de l'électricité, il ne restera pour éviter la pénurie que le recours à des moyens émetteurs de gaz à effet de serre. C'est pour avoir mesuré ce risque que Nicolas Hulot a déclaré infaisable la réduction du nucléaire à 50% de la production en 2025.

Le parc nucléaire français reste certes très important, mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Il est ancien, beaucoup de centrales arrivent en fin de vie : dans 5 ans, le tiers de la capacité nucléaire aura atteint ou dépassé 40 ans de service, dans 10 ans ce sera le cas des 3/4. Dix ans, c'est le délai minimal entre la décision de construire une centrale nucléaire et sa mise en service sur le réseau. Ne pas prendre aujourd'hui la décision d'investir dans la rénovation des centrales existantes pour prolonger leur durée de vie ou dans la construction de centrales nouvelles reviendrait à décider de sortir du nucléaire . En silence mais sciemment on transmettrait les risques évoqués ci-dessus aux générations futures. Sans relance de l'investissement, les compétences acquises par notre pays dans la filière électronucléaire seront perdues. Les déboires subis par le chantier de l'EPR de Flamanville témoignent déjà de problèmes en la matière ‒ l'installation précédent l'EPR, Civaux 2, avait été mise en chantier en 1991, il y a 28 ans. Autrement dit, s'il y a abandon de la filière, les générations futures ne pourront y revenir qu'en faisant appel aux technologies chinoise, russe ou indienne.

Il ne s'agit pas de prôner un tout nucléaire contre un tout renouvelable. Ne serait-ce parce que dans le monde le développement des filières éolienne et solaire permet de diminuer la combustion de charbon et de pétrole pour produire de l'électricité. Même si cela ne conduit pas à fermer de telles centrales – il faut bien répondre aux besoins en électricité quand le vent est en panne ou le soleil voilé – cela permet de réduire leur production et donc les émissions de gaz à effet de serre. C'est donc une bonne chose. Mais il serait inconcevable et même irresponsable que, pour faire comme les autres, notre pays remplace son nucléaire actuel contre une production thermique émettrice de gaz à effet de serre. En revanche, qu'il adopte un mix composé de nucléaire et de renouvelable semble être une solution qui, sans être parfaite, répond à un souci semble-t-il répandu, sinon unanime, de "ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier".

On pourra accuser de tels propos de briser un rêve, celui d'un monde pourvu en énergie gratuite et sans problème. Certes l'utopie en politique, dès lors qu'elle est largement partagée, peut devenir une force transformatrice de la société. Mais l'utopie ne permettra jamais de modifier la force du vent ni de contourner les lois de la physique.

NOTES :
1. http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-mix-energetique
2. Etude ADEME : un mix électrique 100% renouvelable, octobre 2015
3. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS à l'Institut des sciences de la Terre de Grenoble
Bruno Goffé, directeur de recherche CNRS, Président de la Société Française de Minéralogie et de Cristallographie
Florian Fizaine, Maitre de conférences (Université de Savoie Mont-Blanc)
4. https://www.allianceenergie.fr/etudes-et-rapports/
Ressources minérales et énergie – rapport du groupe « Sol et sous-sol » de l'Alliance Ancre