Point de vue n°31
L’énergie nucléaire serait-elle renouvelable ?
Dans le point de vue 27 et la pièce jointe EFFICIENCY-NUCLEAR-FR.pdf on envisage la mise en œuvre d'une puissance de 20 000 GW de nucléaire (50 fois plus que la puissance mondiale actuelle). Y aura-t-il suffisamment de matière fissile disponible pour assurer le fonctionnement d'une telle puissance ?
Les besoins actuels en uranium
Un réacteur REP de 1 GW , produisant 7 Twh/an, utilisant de l'uranium enrichi à 3,5% consomme environ 30 tonnes de combustible par an, soit 150 tonnes d'uranium naturel. La production mondiale totale des réacteurs nucléaires est de 2600 TWh pour une puissance installée de 370 GW, correspondant à une consommation de 65000 tonnes pour l'ensemble mondial de réacteurs.
Les réserves « classiques » d'uranium
Le coût du combustible ne représente que 6% du prix de vente. Un doublement du prix de l'uranium ne ferait donc qu'augmenter de 6% le prix de l'électricité nucléaire en sortie de centrale.
Il y a donc un certain arbitraire dans l'évaluation des réserves d'uranium à un prix donné, généralement 130 $/kgU. A ce prix, les réserves mondiales sont estimées à 4,7 Millions de tonnes.
Au rythme actuel de la consommation, on voit que les réserves s'épuiseraient en 72 ans. Ceci est manifestement trop court, d'autant qu'on envisage une développement important du nucléaire. En réalité, la NEA (Nuclear Energy Agency ou Agence de l'Energie Nucléaire) estime que les ressources ultimes « classiques » pourraient atteindre 16 millions de tonnes, soit 250 ans de consommation au taux actuel. Les ressources supplémentaires non conventionnelles sont constituées, entre autres, par l'uranium des phosphates et par l'uranium dissout dans les océans.
L'uranium des phosphates
La concentration de l'uranium dans les phosphates est d l'ordre de 0,01%. Actuellement, environ 150 millions de tonnes de phosphates sont extraits dans le monde, essentiellement pour fabriquer des engrais. En principe, il serait donc possible de produire 15000 tonnes d'uranium par an comme sous-produit de l'industrie des phosphates.
L'Agence de l'Energie Nucléaire estime que 22 millions de tonnes d'uranium pourraient être récupérés dans les phosphates. Aussi longtemps que l'uranium est un sous-produit de la production des engrais phosphatés son coût est raisonnable, compatible avec les 130$/kg. Par contre, si l'uranium devient le principal produit de l'extraction des phosphates son coût attendrait plus de 1000 $/kg.
L'uranium des océans
Il existe des quantités considérables d'uranium dissout dans l'océan. Alors que la concentration moyenne de l'uranium dans la croûte terrestre est de 3 grammes par tonne, elle n'est que de 3 mg/tonne d'eau de mer, mais, compte tenu de l'énorme volume de l'océan (4 1018 m3) la quantité d'uranium qui s'y trouve est de 4,5 milliards de tonnes. En utilisant les courants de marée ou certains courants permanents 'Kouro Shio), il a été démontré que l'uranium pouvait être extrait à un coût de 1000 $/kg (estimation 1981).
Vers une pénurie d'uranium?
Il apparaît qu'une pénurie d'uranium ne menace pas si on admet un maintien de la production d'électricité nucléaire peu ou prou au niveau actuel. En effet les réserves maximum possibles, pourraient, selon l'AIEA, atteindre 16 millions de tonnes. Au rythme d'une consommation de 65000 tonnes par an les réserves permettraient donc de fonctionner pendant 250 ans. Mais si le défi du réchauffement climatique nécessite une puissance nucléaire 50 fois plus importante (point de vue 27), on voit qu'il faut absolument trouver une autre solution que la présente. Un parc de REP 5 fois plus important que le parc actuel pourrait toutefois fonctionner pendant 50 ans.
Amélioration de l'utilisation du combustible nucléaire
Rappelons que l'uranium 235 n'est présent qu'à 0,7% dans l'uranium et que c'est le seul noyau fissile qu'on puisse trouver dans la nature. Cette dernière nous fournit également deux noyaux fertiles qui sont l'uranium 238 et le thorium 232. Par capture neutronique l'238U donne du 239Pu et le 232Th du 233U qui sont tous deux fissiles. L'amélioration de l'utilisation du combustible consiste à produire puis fissionner ces deux noyaux.
La régénération ou surgénération s'effectue dans des réacteurs où les couples fissile-fertile sont soit le couple 239Pu- 238U, soit 233U- 232Th. On dit qu'il y a régénération lorsque chaque noyau fissile qui disparaît est remplacé par un autre et par la disparition concomitante d'un noyau fertile. Dans le cas de la surgénération chaque noyau fissile qui disparaît est remplacé par plus d'un noyau fissile.
Il est nécessaire de produire un stock de 239Pu ou de 233U suffisant pour réaliser un parc de surgénérateurs suffisant. Seuls des surgénérateurs utilisant le 239Pu ayant fonctionné à l'échelle industrielle de façon satisfaisante, nous nous limitons à ce cas.
Un parc de 1500 GWe de réacteurs de type REP conduirait à une consommation de 300000 tonnes d'uranium et, éventuellement, à l'épuisement des réserves au bout de 50 ans. La question est donc de savoir si le parc de 1500 GWe de réacteurs « classiques » peut être remplacé par un parc équivalent de RNR en temps utile. Chaque année, un REP produit environ 250 kg de plutonium. Au bout de 50 ans, il aura donc produit 12,5 tonnes de plutonium. Le coeur d'un RNR de 1GWe contient environ 6 tonnes de plutonium. On considère qu'il doit y avoir autant de plutonium dans le cycle de retraitement que dans le coeur du réacteur. Dans ces conditions, on voit qu'il faut environ 12 tonnes de plutonium pour chaque RNR. Le remplacement de 1500 REP par 1500 RNR devrait donc être possible mais difficile dans l'état présent des techniques. Des progrès dans le retraitement pourraient alléger les contraintes.
L'énergie nucléaire est-elle renouvelable ?
Les réacteurs rapides surgénérateurs consomment environ 1 tonne d'uranium par GW/an. La puissance de 20000 GW envisagée pour 2100 consommerait donc environ 20000 tonnes d'uranium naturel par an. Ces faibles besoins permettraient le recours à l'extraction de l'uranium de l'océan. La totalité des besoins d'électricité du monde pourraient être remplis moyennant 20 Mds d'euros à comparer aux plus de 30 Mds d'euros par an d'importation de pétrole pour la France seule.
Il se trouve que, du fait des phénomènes d'érosion, les fleuves alimentent l'océan en uranium naturel à raison d'environ 20000 tonnes par an, ce qui correspondrait à la consommation envisagée. Aussi longtemps que l'érosion des montagnes continuera on peut donc considérer que l'énergie nucléaire dans sa forme surgénératrice est renouvelable.
La pièce jointe explicite en détail ces considérations.