Quel rôle pour les territoires dans la transition énergétique ?
Quel rôle pour les territoires dans la transition énergétique ?
Une réunion riche d’enseignements à Strasbourg
La rencontre co-organisée par le député du Bas-Rhin Sylvain Waserman et la CPDP s’est déroulée vendredi 27 avril à Strasbourg. Elle a réuni dans l’amphithéâtre de l’ENA une soixantaine de personnes pour une série de trois tables rondes :
1. Quelle gouvernance pour la transition énergétique ? Comment rendre possibles les initiatives territoriales et sortir de l’approche centralisée ?
2. Quelle trajectoire pour les EnR ? Quelle acceptabilité sociale ? Quel modèle pour une gouvernance citoyenne ?
3. Comment la PPE doit-elle fixer des caps sur la réduction de la consommation énergétique et la diminution de la précarité énergétique ?
La rencontre était intégralement traduite en langues des signes.
Deux citoyens parmi ceux tirés au sort pour le G400 assistaient à la réunion.
En ouverture de séance, Sylvain Waserman, député du Bas-Rhin et VP de l’Assemblée Nationale, a présenté l’expérience de la ville de Strasbourg qui, de par son statut particulier hérité de l’après-guerre, a pu conduire depuis plusieurs décennies des projets de production, distribution et gestion de l’énergie au niveau de son territoire.
Il a souligné la pertinence d’un modèle territorial comme accélérateur de la transition énergétique et cité les différents leviers (investissements, co-construction, innovation territoriale...) qui donnent à cette approche locale son efficacité. Il a mis en évidence la situation « en pointe » de Strasbourg qui se trouve être mieux outillée que d’autres métropoles ou territoires en matière de transition énergétique et peut ainsi constituer une référence pour des pratiques futures à l’échelle du territoire.
Jacques Archimbaud a ensuite rappelé les grandes lignes et les enjeux du débat public sur la PPE.
La première table ronde a abordé la question des spécificités territoriales dans la transition énergétique. Quelques points saillants :
l’approche territoriale facilite les relations entre les acteurs ;
la question de la rentabilité y est moins centrale, celle de l’intérêt général et de celui du territoire prend le pas dans les objectifs des gestionnaires (pour les réseaux de chaleur par exemple) ;
l’accompagnement financier des initiatives (par la Caisse des Dépôts par exemple) se fait en symbiose avec les collectivités territoriales ;
le changement d’échelon (territorial plutôt que national) permet de coller davantage au « changement de civilisation » que représente la transition énergétique ;
on peut donner, à l’échelle de projets plus locaux, la possibilité aux citoyens d’investir dans les EnR ;
la création d’emplois liés à la TE profite directement au territoire ;
le modèle « local » permet l’appropriation du « récit collectif » nécessaire pour accompagner les mutations et les changements de perspective induits par la TE.
La notion de service public local de l’énergie (c’est le cas à Strasbourg où la ville gère les réseaux de chaleur, de gaz et d’électricité) pose la question des infrastructures d’énergie : les grandes villes doivent-elles reprendre la main ? Ce qui ne doit pas exclure la solidarité nationale. Un acteur rappelle le modèle de l’eau (gestion décentralisée) qui a bien fonctionné en France.
Les conditions à réunir :
besoin toutefois d’une articulation entre les différents niveaux de décision (national, territorial, communal) ;
nécessité d’avoir des chiffrages et des données afin de laisser davantage de liberté aux collectivités ;
la taille des collectivités intervient ; quelle taille idéale ?
nécessité de prendre en compte l’intérêt du citoyen, et également de lui restituer les données, ce qui permet à la fois plus de transparence et donc plus de confiance de la part du consommateur (surtout dans les EnR) ;
comment harmoniser les politiques locales (dans le cadre de la gestion des déchets par ex.) et améliorer l’efficacité des systèmes ?
L’exemple des pays du Nord de l’Europe est évoqué : les réseaux énergétiques y sont gérés localement la plupart du temps, avec des allers retours entre les territoires et l’État : faut-il s’en inspirer et comment ?
Dans la deuxième table ronde, l’acceptabilité et le développement des EnR ont été abordés. Est évoqué le rapport désincarné à la production d’énergie qu’ont les citoyens français du fait de son éloignement et de sa faible visibilité (électricité nucléaire en particulier). D’où la nécessité de relocaliser les politiques énergétiques, afin de reconstruire le lien du citoyen à l’énergie. Quand les collectivités territoriales s’approprient le sujet et ouvrent le débat aux non-experts, ça se passe mieux.
Plusieurs intervenants soulignent la nécessité d’établir des politiques fiscales et réglementaires suivies, qui ne changent pas sans arrêt, afin de redonner une cohérence et d’offrir des perspectives claires dans la durée ; ils affirment le besoin d’une cohérence entre les ambitions affichées et les moyens mis en œuvre (dans la rénovation énergétique des bâtiments, par ex.).
La place du citoyen dans le processus de participation est également soulignée :
le financement des projets par les ménages contribue à freiner les oppositions et à améliorer la compréhension des EnR ;
une bonne implantation des différentes EnR (ici méthanisation, récupération des déchets, réseaux de chaleur) peut, en créant de l’emploi, augmenter le pouvoir d’achat des ménages (le chiffre de +7,5% d’ici 2035 est cité par l’ADEME).
L’exemple de la géothermie profonde, mise en œuvre sur ce territoire, est présenté : quelles conditions pour qu’une technologie nouvelle s’implante efficacement dans un territoire ?
La question des Contrats de Performance Énergétique est soulevée : la réforme du code des marchés publics a rendu (nous dit-on) ces contrats impossibles pour les petits opérateurs. Comment rétablir l’équilibre entre les petits et les gros producteurs ?
En termes d’acceptabilité, les entreprises locales ont des liens plus forts avec les citoyens du territoire et réussissent plus facilement à convaincre les habitants (sûreté, crédibilité, intérêt financier des projets).
La question du solaire thermique est évoquée par plusieurs personnes dans le public : comment favoriser cette énergie qui ne dispose d’aucun lobby pour la pousser ?
La troisième table ronde aborde la réduction de la consommation d’énergie et de la précarité énergétique. Plusieurs acteurs du logements (bailleurs sociaux, etc.) parlent des actions locales engagées dans les bâtiments (isolation, solaire thermique, etc.) et de leur efficacité.
Un intervenant propose que l’indexation des prêts soit faite sur le bâtiment lui-même plutôt que sur ses habitants, ce qui permet d’avoir une cohérence dans les travaux de rénovation, indépendante des occupants successifs.
De nombreuses initiatives sont présentées, visant souvent à associer les habitants aux mesures de réduction des consommations (conseils aux locataires, travail sur les éco-gestes) ; ainsi que des opérations locales de sensibilisation des personnes des quartiers défavorisés (visite d’appartements pédagogiques, éducation budgétaire, etc.), ayant toutes pour vocation de réduire les difficultés pour certains précaires à comprendre les mutations à l’œuvre. Nécessité d’une pédagogie adaptée et ciblée sur les habitants de passoires énergétiques (80% sont des propriétaires de villas construites dans les années 70).
Enfin, une expérience de réhabilitation menée par un bailleur social est évoquée : un modèle atypique où toutes les marges sont réinvesties dans la rénovation énergétique, avec accompagnement des locataires les plus fragiles. La nécessité de réappropriation des enjeux par le citoyen-client est à nouveau soulignée.
Jacques Archimbaud conclut cette réunion aux enseignements très riches en évoquant une fois encore le « compromis énergétique » à trouver pour construire la PPE, en tenant compte de toutes les spécificités et de toutes les composantes de la population.
Un compte-rendu détaillé de la rencontre sera mis en ligne prochainement.
30/04/2018